Livv
Décisions

CA Reims, ch. civ. sect. 1, 17 janvier 2011, n° 09-02779

REIMS

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

Manche

Défendeur :

Garage Moreau (SA), Suzuki France (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Maunand

Conseillers :

Mmes Chussenet, Jarry

Avoués :

SCP Thoma-Delaveau-Gaudeaux SCP Six-Guillaume-Six, SCP Delvincourt Jacquemet Caulier-Richard

Avocats :

Me Labeau-Bettinger, SCP Rahola Delval Creusat, Associes, SCP Karsenty, Associés

TGI Reims, du 22 sept. 2009

22 septembre 2009

Le 28 décembre 2002, M. David Manche a acheté à la société Garage Moreau un véhicule d'occasion de marque Suzuki bénéficiant d'une garantie de 6 mois pour le prix de 12 869 euro. Il avait été mis en circulation pour la première fois en mars 1997 et affichait un kilométrage de 58 000 kms au moment de la vente. Le contrôle technique a été réalisé le 30 décembre 2002 et M. Manche en a pris possession le 8 janvier 2003.

Se plaignant d'une usure anormale des amortisseurs ainsi que d'une cassure de la fourchette d'embrayage, M. Manche a apporté son véhicule au garage Murigny Automobile en septembre 2003. Une expertise non contradictoire a été réalisée par le cabinet Beaumont, expert de la compagnie d'assurance de M. Manche qui a déposé son rapport le 9 octobre 2003.

Compte tenu des conclusions de cette expertise, M. Manche a fait assigner en référé la société Garage Moreau aux fins d'expertise judiciaire de son véhicule. Par ordonnance rendue le 17 décembre 2003, le juge des référés du Tribunal de grande instance de Reims a désigné M. Lechesne expert pour y procéder. Par ordonnance du 26 janvier 2005, ces opérations ont été étendues à la société Suzuki France.

M. Lechesne a déposé son rapport le 17 mars 2006.

Suivant exploit délivré le 5 mai 2008, M. Manche a fait assigner la SA Garage Moreau en résolution de la vente pour vices cachés du véhicule.

Par assignation en date du 24 septembre 2008, la société Garage Moreau a attrait dans la cause la SAS Suzuki France réclamant sa garantie en cas de condamnation.

Les deux instances ont été jointes.

Par jugement rendu le 22 septembre 2009, le Tribunal de grande instance de Reims a :

- dit que le véhicule automobile acquis le 28 décembre 2002 par M. David Manche à la société Garage Moreau n'était pas atteint de vices cachés ;

- débouté M. Manche de ses demandes ;

- dit sans objet l'appel en garantie introduit par la SA Garage Moreau ;

- condamné M. Manche à payer à la société Garage Moreau la somme de 1 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- condamné la société Garage Moreau à payer à la société Suzuki France la somme de 500 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- condamné M. Manche aux dépens de l'instance contre la société Garage Moreau comprenant les frais d'expertise ;

- condamné la société Garage Moreau aux dépens de l'instance contre la société Suzuki France.

M. Manche a relevé appel de ce jugement le 10 novembre 2009 intimant la société Garage Moreau.

La société Garage Moreau a formé un appel provoqué contre la société Suzuki France le 8 décembre suivant.

Les deux instances ont été jointes par le magistrat chargé de la mise en état.

Dans ses dernières conclusions notifiées le 15 mars 2010, M. Manche demande à la Cour de :

- infirmer le jugement en toutes ses dispositions ;

- vu les articles 1641, 1644, 1645, 1184 du Code civil ;

- juger que le véhicule dont s'agit était affecté d'un vice caché au moment de la cession le rendant impropre à son usage ;

- prononcer en conséquence la résolution de la vente avec toutes les conséquences de droit ;

- condamner la société Garage Moreau à lui restituer la somme de 12 869 euro correspondant au prix de vente avec intérêts au taux légal à compter de l'assignation du 28 décembre 2004 ;

- condamner encore la société Garage Moreau à lui payer la somme de 27 000 euro en indemnisation des préjudices subis tels qu'évalués par l'expert, outre les frais de gardiennage depuis le 23 septembre 2003 pour un montant de 24 146,52 euro ;

- débouter la société Garage Moreau de toutes ses prétentions contraires ;

- condamner la société Garage Moreau à lui payer la somme de 3 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile outre les dépens de première instance et d'appel.

Dans ses conclusions en réponse notifiées le 17 mai 2010, la société Garage Moreau demande à la cour de :

- confirmer la décision entreprise sauf en ce qu'elle l'a condamnée à payer à la société Suzuki France une indemnité au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- statuant à nouveau de ce seul point, dire n'y avoir lieu à application de l'article 700 du Code de procédure civile aussi bien en première instance qu'en cause d'appel au bénéfice de la société Suzuki France ;

- condamner M. Manche à lui payer une indemnité complémentaire de 3 000 euro en compensation des frais irrépétibles exposés à hauteur d'appel ;

- débouter M. Manche de toutes ses prétentions ;

- à titre subsidiaire dans l'hypothèse où l'une quelconque de ses prétentions serait accueillie ;

- juger que la société Suzuki France sera tenue de la relever et garantir de toutes les sommes mises à sa charge en principal, intérêts, frais et autres accessoires ;

- en toute hypothèse laisser les dépens à la charge de toute partie succombante, c'est à dire autre que la société Garage Moreau.

La SAS Suzuki France dans ses conclusions notifiées le 5 octobre 2010 demande à titre principal de :

- déclarer irrecevable pour tardivité l'assignation en intervention forcée et appel en garantie diligentée par la société Garage Moreau ;

- confirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions ;

- à titre subsidiaire, réduire à de plus justes proportions le montant des condamnations éventuellement prononcées à son encontre et les évaluer à la somme de 1 000 euro correspondant au coût des réparations à sa charge ;

- en tout état de cause :

- débouter M. Manche et la société Garage Moreau de leur appel et plus généralement de l'intégralité de leurs demandes ;

- condamner la société Garage Moreau à lui verser une somme supplémentaire de 3 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et aux entiers dépens.

Sur ce, la cour,

Attendu qu'aux termes de l'article 1641 du Code civil le vendeur est tenu de la garantie à raison des défauts cachés de la chose vendue qui la rendent impropre à l'usage auquel on la destine ou qui en diminue tellement cet usage, que l'acheteur ne l'aurait pas acquise, ou n'en aurait donné qu'un moindre prix, s'il les avaient connus ;

Attendu qu'à l'appui de son appel tendant à l'infirmation du jugement déféré, M. Manche fait valoir que les conclusions de l'expert judiciaire sont en complète contradiction avec celles de l'expertise amiable ; qu'il soutient que l'expert judiciaire a tenté dans son rapport de contredire par tous les moyens les conclusions du premier expert alors que le contenu de ses propres investigations et de ses démarches auprès d'un laboratoire d'essais confirment l'avis du premier expert sur l'existence incontestable d'un vice de fabrication affectant plusieurs véhicules du même type entraînant la rupture de la patte de fixation de la fourchette d'embrayage ;

Attendu que M. Beaumont, expert amiable mandaté par la compagnie d'assurance de M. Manche, indique dans son rapport que la boîte de vitesse est déposée, une bride de fixation déjà réparée est de nouveau cassée, le mécanisme et le disque d'embrayage sont hors d'usage et la fixation de fourchette est cassée ; qu'il indique que ces usures sont très importantes et prématurées au vue du kilométrage affiché au compteur et en conclut aux termes d'un rapport très succinct que 'le véhicule était donc affublé de vices cachés' antérieurement à la vente ; qu'enfin il préconise le remplacement de la cloche d'embrayage, des amortisseurs et de la courroie de distribution ;

Attendu que ce rapport amiable non contradictoire réalisé par une personne mandatée par la compagnie d'assurance de l'acheteur ne saurait rapporter la preuve de l'existence des vices cachés allégués par M. Manche ;

Attendu que l'expert judiciaire M. Lechesne, dont l'impartialité n'est pas remise en cause, a examiné le véhicule litigieux et a procédé à son analyse détaillée s'appuyant sur des tests techniques ; qu'il ne fait pas siennes les conclusions du rapport de M. Beaumont et explique qu'en indiquant dès le début de son rapport que la lecture du procès verbal de contrôle technique révèle qu'à l'achat les amortisseurs étaient déjà très usés pour le faible kilométrage parcouru, celui-ci a fait une mauvaise interprétation des résultats donnés dans le listing du contrôle technique lequel permet au contraire d'affirmer que les amortisseurs étaient convenables au moment de la vente ; que pour étayer son analyse, l'expert judiciaire a d'ailleurs pris soin de joindre à son rapport une attestation de M. Saunois, responsable du Centre de Contrôle Technique de Betheny qui certifie qu'au moment de la vente l'efficacité des amortisseurs était satisfaisante ;

Que l'expert judiciaire indique encore que le disque d'embrayage présentait une usure normale après avoir parcouru 75.138 kilomètres et que la butée d'embrayage fonctionnait parfaitement et avait supporté normalement ces kilomètres parcourus ; que le mécanisme d'embrayage examiné ne présentait aucune défectuosité au niveau des ressorts qui étaient en contact avec la butée d'embrayage, l'examen des lamelles ressorts ne montrant pas non plus de défectuosité ni de traces de fissures ou d'amorce de rupture ;

Que les vibrations à une vitesse de 80 km/h résultent d'une part d'une dimension des pneumatiques installés par M. Manche ne correspondant pas aux dimensions initiales et d'autre part d'un mauvais équilibrage des roues ;

Attendu que l'expert explique que la casse de la patte de la fourchette d'embrayage provient d'une rupture de fatigue après avoir écarté l'hypothèse du défaut de matériau qu'il avait fait analyser par un laboratoire spécialisé dont le rapport a été annexé au rapport de M. Lechesne ; qu'il précise que cette rupture de fatigue provient d'un sous dimensionnement de congé de raccordement du support de fourchette sous la cloche d'embrayage et qu'il s'agit d'un phénomène connu par la société Suzuki France qui accepte de prendre en charge la réparation de cet ensemble d'un coût de 554 euro HT nécessitant une immobilisation du véhicule durant huit jours ; que dans ces conditions cette panne due à une rupture de fatigue facilement réparable pour un coût très modeste par rapport au prix du véhicule ne peut recevoir la qualification de vice caché au sens des dispositions de l'article 1641 du Code civil ;

Qu'il s'ensuit que le véhicule acquis par M. Manche n'était affecté d'aucun vice caché de sorte que son action en garantie sur ce fondement ne peut prospérer et que l'appel en garantie diligenté par la société Garage Moreau devient sans objet ;

Que le jugement déféré sera donc confirmé relativement à ces chefs de prétentions ;

Attendu que succombant M. Manche sera condamné aux dépens d'appel et ne saurait donc voir prospérer sa demande pour frais irrépétibles d'appel ; qu'en revanche il sera condamné à payer à la société Garage Moreau une indemnité de 500 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Attendu que dans le cadre de la présente procédure, la société Garage Moreau n'avait pas d'autre choix que d'appeler en garantie le constructeur ; qu'aucune considération d'équité ne commande dès lors de la condamner à payer une indemnité au titre des frais irrépétibles exposés par la société Suzuki France en première instance ou en appel ; que le jugement sera donc infirmé sur ce point et cette dernière sera déboutée de sa demande faite à hauteur d'appel sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement et par arrêt contradictoire, Confirme le jugement rendu par le Tribunal de grande instance de Reims le 22 septembre 2009 ; L'infirme du seul chef de l'indemnité pour frais irrépétibles alloués à la société Suzuki France ; Y ajoutant ; Condamne M. David Manche à payer à la société Garage Moreau la somme de 500 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ; Déboute M. Manche et la société Suzuki de leurs demandes fondées sur l'article 700 du Code de procédure civile ; Condamne M. David Manche aux dépens d'appel et admet la SCP Six Guillaume Six et la SCP Delvincourt Jacquemet Caulier-Richard, avoués, au bénéfice de l'article 699 du Code de procédure civile.