CA Toulouse, 2e ch. sect. 2, 22 mai 2007, n° 05-01760
TOULOUSE
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Iveco France (SA)
Défendeur :
Blattes, Floczek, Garage Automobile Tarnais (SARL), Covea Fleet (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Lebreuil
Conseillers :
MM. Verde de Lisle, Belieres
Avoués :
SCP Nidecker Prieu-Philippot Jeusset, SCP Sorel-Dessart-Sorel, SCP Rives-Podesta
Avocats :
Me Loriot, SELARL Jurica, SCP Albarede, Associes
Attendu que la cour, par arrêt du 11 avril 2006 auquel il est expressément référé pour l'exposé des faits et de la procédure antérieurs a invité les parties à conclure d'une part sur les conséquences de la modification, par la loi du 9 décembre 2004, de l'article 1386 7 du Code civil et d'autre part sur la nature du défaut imputé au véhicule en cause ;
Attendus qu'à la suite de cet arrêt et par conclusions du 30 novembre 2006 les consorts Blattes/Floczek se sont désistés d'instance et d'action à l'encontre de la société Garage Automobile Tarnais ;
qu'ils ne dirigent aujourd'hui leur demande d'indemnisation qu'à l'encontre de la société Iveco sur le fondement des dispositions de l'article 1386-1 du Code civil ;
qu'ils font valoir à cet égard
- que s'il résulte effectivement de l'article 1386-17 du Code civil que " l'action en réparation... se prescrit par un délai de trois ans à compter de la date à laquelle le demandeur a eu ou aurait dû avoir connaissance du dommage, du défaut et de l'identité du producteur ", il est certain qu'ils ont agi dans le délai requis puisqu'ils ont introduit l'action suivant exploit du 11 février 2003 alors que le sinistre s'était produit le 16 janvier 2001 ; qu'il ne peut leur être fait grief d'avoir agi uniquement à l'encontre du loueur du véhicule, à savoir la société Garage Automobile Tarnais, puisque les dispositions de l'article 1386-7 alors en vigueur les y autorisaient ; que la nouvelle rédaction de ce texte, imposant d'agir à l'encontre du producteur lorsqu'il est connu, n'est issue que de la loi du 9 décembre 2004 entrée en application le 10 décembre c'est-à-dire plus de trois ans après le sinistre ; qu'il n'est pas possible de considérer que cette loi, applicable aux instances en cours, a eu pour conséquence de les priver de toute action, alors qu'il résulte des dispositions d'ordre public de l'article 2 du Code civil que la loi ne dispose que pour l'avenir et qu'elle n'a point d'effet rétroactif ; que le point de départ de la prescription ne peut être que l'entrée en application de cette loi du 9 décembre 2004, soit le 10 décembre 2004, et que n'est donc pas prescrite l'action qu'ils ont engagée à l'encontre de la société Iveco par conclusions du 30 novembre 2006 ;
- qu'il est prétendu par cette société que leur demande à son encontre est une demande nouvelle, formulée pour la première fois en cause d'appel, et qu'il s'agit même d'une action nouvelle, qui aurait dû être introduite par voie d'assignation, dans la mesure où en première instance elle était seulement défenderesse à l'action en garantie introduite par la société Garage Automobile Tarnais ; que cette argumentation doit être écartée dès lors que leurs conclusions à l'encontre de la société Iveco tendent aux mêmes fins que l'action qu'ils avaient précédemment engagée contre le loueur de véhicule et qu'ils ont seulement, en raison de l'évolution du litige, dirigé leur demande à l'encontre d'une autre partie ; qu'il ne peut pas être sérieusement contesté que la nouvelle rédaction de l'article 1386-7 du Code civil, survenue en cours d'instance, constitue une évolution du litige impliquant la mise en cause du producteur devant la cour ;
- que le produit était défectueux et que la société appelante ne s'exonère pas de la présomption de responsabilité qui pèse à son encontre ;
- que le véhicule et le chargement qu'il contenait ayant été entièrement détruits par suite de l'incendie, il leur est impossible de fournir l'ensemble des factures correspondant aux biens sinistrés ; qu'ils ne les avaient pas gardées ou qu'elles ont brûlé dans l'incendie ; que leur préjudice matériel doit être établi sur la base de l'inventaire qu'ils ont établi quelques jours après le sinistre, sur les conseils de leur assureur, et qu'il doit être fixé à la somme de 43 000 euro ; qu'ils demandent aussi paiement d'une indemnité de 5 000 euro chacun au titre du préjudice moral et demandent à la cour de condamner la société Iveco à leur payer la somme de 2 000 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; qu'ils concluent en revanche au rejet de la demande formée sur ce même fondement par la société Garage Automobile Tarnais en faisant valoir qu'ils étaient recevables et bien fondés à agir à son encontre au moment où ils ont engagé leur action ;
Attendu que la société Iveco appelante fait au contraire valoir
- que l'action est prescrite ; que la nouvelle rédaction de l'article 1386-7 du Code civil n'a eu aucune incidence sur le recours direct à l'égard du producteur qui était offert aux consorts Blattes/ Floczek dès l'apparition du dommage en vertu de l'article 1386-1, lequel n'a subi aucune modification depuis l'entrée en vigueur de la loi du 19 mai 1998 ; qu'au moment du fait dommageable ils ont choisi d'agir à l'encontre du loueur mais qu'ils auraient tout aussi bien pu le faire à l'encontre du fabricant et de la société intimée ; que la société Garage Automobile Tarnais les avait d'ailleurs dès l'origine invités à agir directement contre le fabricant ; que cette action directe leur était ouverte à l'époque de la survenance du dommage et que donc, par application de l'article 1386-17 leur action est prescrite ; que le dommage est survenu le 16 juin 2001 et qu'ils ont agi contre le loueur dès le 11 février 2003 mais qu'ils n'ont dirigé leur demande contre le producteur que le 30 novembre 2006 ; qu'elle est donc prescrite ;
- que leur demande est une demande nouvelle au sens de l'article 564 du nouveau Code de procédure civile ; que ce n'est nullement l'évolution du litige qui les a conduits à mettre en cause la société Iveco puisqu'encore une fois la modification apportée à l'article 1383-7 par la loi du 9 décembre 2004 n'avait aucune incidence sur l'action directe ouverte à la victime d'un sinistre à l'égard du producteur ; que leur demande à l'encontre de l'intimée supposait une assignation et ne pouvait être effectuée par voie de conclusions en cause d'appel ; qu'ils se sont désistés de leur action à l'encontre du loueur et que c'est donc bien une action nouvelle qu'ils ont introduite à l'égard du producteur ;
- que leurs demandes sont en toute hypothèse mal fondées ; que la cause du sinistre n'a pas été déterminée et qu'il n'est nullement établi que le véhicule en cause n'offrait pas une sécurité normale au jour de sa mise en circulation ; qu'en toute hypothèse, aux termes de l'article 1386-11 du Code civil, le producteur est responsable de plein droit à moins qu'il ne prouve "que compte tenu des circonstances il y a lieu d'estimer que le défaut ayant causé le dommage n'existait pas au moment où le produit a été mis en circulation par lui ou que ce défaut est né postérieurement" ; que dans le cas particulier le véhicule a été mis en circulation courant 2000, qu'il a parcouru de nombreux kilomètres sans qu'aucun dysfonctionnement n'ait été constaté ; qu'il a fait l'objet de différentes locations à plusieurs particuliers et qu'on ne peut que constater que l'incendie s'est produit très peu de temps après que le garagiste ait procédé à une dernière vidange ; que compte tenu de l'ensemble de ces circonstances il y a lieu d'estimer que le défaut n'existait pas au moment où le véhicule a été mis en circulation ;
- que le préjudice allégué n'est pas caractérisé ; que le véhicule ne pouvait pas contenir la totalité des biens mentionnés dans la liste produit par les consorts Blattes / Floczek et que les factures produites ne sont pas crédibles ; que le préjudice moral dont il est demandé réparation reste à déterminer ;
qu'elle conclut sur ces bases au rejet des prétentions des consorts Blattes / Floczek et à leurs condamnations au paiement de la somme de 3 000 euro par application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;
Attendu que la SARL Garage Automobile Tarnais et son assureur la SA Covea Fleet qui déclarent accepter le désistement d'instance et d'action des consorts Blattes / Floczek maintiennent la demande qu'elles avaient formée par conclusions du 2 septembre 2005 tendant à la condamnation de la société Iveco au paiement de la somme de 1 500 euro au titre des frais irrépètibles ;
Sur quoi
Attendu qu'à l'audience, avant le déroulement des débats, à la demande de la société Iveco France et avec l'accord de la partie adverse, l'ordonnance de clôture a été révoquée et la procédure a de nouveau été clôturée ;
Attendu que les intimés en l'état des textes antérieurs n'avaient nullement l'obligation d'agir contre le producteur ; qu'ils pouvaient parfaitement l'ignorer pour n'agir, comme ils l'ont fait, que contre le loueur ; que c'est la loi nouvelle applicable au 10 décembre 2004 qui les a mis dans l'obligation d'agir contre le fabricant Iveco France ; que ce qui n'était pour eux qu'une faculté est devenu un impératif et qu'en ce sens ils sont bien fondés à soutenir que le délai de prescription n'a pu commencer à courir qu'à compter de la promulgation de cette loi ; que c'est bien la transformation, par l'effet de la loi, des données juridiques du litige qui leur a imposé de diriger leur demande contre le producteur alors que jusque-là ils pouvaient, sans faute de leur part, ne rechercher que le loueur ; qu'ils n'étaient pas stricto sensu dans l'impossibilité d'agir, dès l'origine, contre la société Iveco France mais qu'ils étaient en droit de l'ignorer et que c'est la loi nouvelle qui, constitutive à leur endroit d'un élément nouveau imprévisible, les a mis dans l'obligation de lui demander réparation de leur préjudice ; qu'il serait contraire à l'équité de considérer que la prescription était acquise dès le 15 juin 2004 c'est à dire trois ans après la survenance du sinistre, les mettant ainsi dans l'impossibilité d'exercer la seule action qui leur est désormais ouverte par la loi ; qu'une telle solution aboutirait à les priver de tout recours, contre le loueur par l'effet de la loi nouvelle, et contre le producteur par celui de la prescription ; que le délai de 3 ans de l'article 1386-17 n'a donc pu commencer à courir qu'à compter du 10 décembre 2004 et que la prescription n'est pas acquise ;
Attendu que le fabricant, la société Iveco France, était déjà partie au procès en première instance, et que la notion d'évolution du litige, à laquelle les parties croient devoir faire référence, est étrangère à la recevabilité des demandes nouvelles formées en cause d'appel contre une personne qui était partie au procès devant le tribunal ;
qu'il s'agit ici non pas de faire application des dispositions de l'article 555 du Nouveau Code de procédure mais de vérifier si sont réunies les conditions d'application des articles 564 et suivants du Nouveau Code de procédure civile ;
Or attendu que selon ce texte sont recevables les prétentions nouvelles soumises à la cour pour faire juger les questions nées de la survenance ou de la révélation d'un fait et que dans le cas particulier la promulgation de la loi nouvelle le 10 décembre 2004, c'est à dire après qu'en première instance ait été rendue l'ordonnance de clôture, est bien constitutive d'un fait nouveau justifiant la demande nouvelle des intimés à l'encontre d'Iveco France ;
que celle-ci n'était pas un tiers et que donc cette demande pouvait être formée par voie de conclusions ;
Attendu que les prétentions des consorts Blattes / Floczek, par conséquent recevables, sont de surcroît bien fondées ;
que si l'article 1386-9 du Code civil met effectivement à la charge du demandeur la preuve du défaut qu'il impute au producteur, il ne peut s'agir que de la preuve de l'existence même de ce défaut et non pas celle de sa nature ; que l'article 1386-4 dispose en effet qu'un produit est défectueux lorsqu'il n'offre pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre ; qu'il est certain qu'un véhicule qui, dans des conditions banales d'utilisation, prend feu brutalement n'offre pas une sécurité normale; que les intimés font donc bien la preuve d'un défaut au sens de l'article 1386-4 susvisé, défaut qui, incontestablement, est à l'origine du dommage ; qu'il ne peut pas leur être demandé de rapporter de surcroît la preuve de la nature exacte de ce défaut et de son origine, et que, le producteur étant de plein droit responsable du produit défectueux, c'est à lui qu'incombe la charge de la preuve exonèratoire ou de la faute de l'utilisateur ; que dans le cas particulier le véhicule a été utilisé dans des conditions normales et qu'aucune faute ne peut être reprochée à son conducteur ; qu'il avait été entretenu régulièrement et qu'il importe peu que, mis en circulation plus d'un an avant le sinistre, il ait parcouru plusieurs milliers de kilomètres sans incident ; qu'on ne saurait déduire de cette seule circonstance que le défaut ayant finalement provoqué le dommage n'existait pas au moment où il a été mis en circulation ;
que le véhicule a été intégralement détruit dans l'incendie et qu'il n'est pas douteux que les intimés ont perdu l'intégralité des meubles et objets divers qu'il contenait ; que leur préjudice matériel est certain et qu'il doit être évalué sur la base de l'inventaire qu'ils ont établi sur les conseils de leur assureur ; que la cour après examen de cet inventaire, le fixera à la somme de 30 000 euro ; qu'il n'est pas douteux pour le surplus que les circonstances dans lesquelles est survenu le sinistre ont occasionné à chacun d'eux un préjudice moral justement réparé par le tribunal ;
Attendu que la société appelante qui succombe en toutes ses prétentions doit être condamnée aux dépens d'appel ainsi qu'à payer aux consorts Blattes/Floczek d'une part et aux sociétés Garage Automobile Tarnais et Covea Fleet d'autre part la somme de 1 500 euro par application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;
Par ces motifs, LA COUR, Confirme la décision déférée en toutes ses dispositions non contraires à celles du présent arrêt, Et la réformant pour le surplus ou y ajoutant, Condamne la société Iveco à payer aux consorts Blattes/ Floczek la somme de 30 000 euro en réparation de leur préjudice matériel ; La condamne en outre aux dépens d'appel et autorise les SCP Sorel/Dessart et Rives/Podesta, avoués associés, à recouvrer directement contre elle ceux des dépens dont elles auraient fait l'avance sans avoir reçu provision suffisante ; La condamne enfin à payer aux consorts Blattes /Floczek d'une part et aux sociétés Garage Automobile Tarnais et Covea Fleet d'autre part la somme de 1 500 euro par application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;