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Décisions

CA Versailles, 3e ch., 15 novembre 2007, n° 06-06435

VERSAILLES

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Laboratoires S. (SAS)

Défendeur :

X... (Consorts)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Bourquard

Conseillers :

Mme Dasboville, Calot

Avoués :

SCP Lefevre Tardy & Hongre Boyeldieu, SCP Lissarrague Dupuis Boccon Gibod

Avocats :

Mes Carrere, Coubris

TGI Nanterre, du 7 juil. 2006

7 juillet 2006

Rappel des faits et de la procédure

Mme Nicole G. épouse G., née le 29 juillet 1948, est décédée le 31 octobre 1995, à l'âge de 47 ans, des suites d'une hypertension artérielle pulmonaire diagnostiquée en octobre 1993. Ses ayants-droit ont introduit une procédure en référé pour voir désigner un expert afin de rechercher si la pathologie dont elle est décédée était due à la prise d'Isoméride, médicament anorexigène fabriqué par la SAS Les Laboratoires S..

Par ordonnance de référé en date du 29 mars 2002, un collège d'experts composé du Professeur D., pneumologue, et du Professeur L., pharmacologue, était désigné.

Les experts ont déposé leur rapport daté du 26 mars 2004 et concluent dans les termes suivants :

"L'absorption d'Isoméride par Mme Nicole G. est la cause directe et certaine de l'hypertension artérielle aiguë primitive dont elle a été affectée et des soins corrélatifs qu'elle a subis.

La prescription d'Isoméride n'était pas fautive, même si elle peut apparaître discutable étant donné le caractère modéré du surpoids qu'elle présentait.

Au moment de l'apparition de la pathologie dont a été affectée Mme Nicole G., il n'existait pas chez elle de co-facteurs ayant favorisé ou causé cette apparition.

- La durée de l'ITT est du 1er octobre 1993 au 31 octobre 1995

- Les souffrances physiques, psychiques et morales endurées peuvent être cotées à 6/7".

Les consorts G. ont assigné en responsabilité la SAS Les Laboratoires S. par acte du 21 décembre 2004, laboratoire fabricant et commercialisant l'Isoméride sur le fondement des articles 1386 et suivants du Code civil.

Le 30 août 2006, la SAS Les Laboratoires S. ont relevé appel du jugement rendu le 7 juillet 2006 par le Tribunal de grande instance de Nanterre qui statuant en ouverture du rapport d'expertise du Professeur D., pneumologue, et du Professeur L., pharmacologue, a :

- constaté le caractère défectueux du produit Isoméride fabriqué par la SAS Les Laboratoires S.

- dit que l'hypertension artérielle pulmonaire dont est décédée Mme Nicole G. est due à l'ingestion d'Isoméride

- fixé le préjudice corporel de Mme Nicole G. soumis à recours à la somme de 12 500 euro sauf mémoire pour la créance de la CMCAS et l'ITT

- fixé le préjudice non soumis à recours à la somme de 75 000 euro

- condamné, en conséquence, la SAS Les Laboratoires S. à payer la somme de 87 500 euro aux ayants droit de Mme Nicole G. avec intérêts au taux légal à compter du jugement

- condamné la SAS Les Laboratoires S. à payer à Mme Sandrine G. à titre personnel la somme de 15 000 euro, avec intérêts au taux légal à compter du jugement

- condamné la SAS Les Laboratoires S. à payer à M. Alain G. à titre personnel la somme de 25 000 euro, avec intérêts au taux légal à compter du jugement

- ordonné l'exécution provisoire

- condamné la SAS Les Laboratoires S. à payer aux ayants droit de Mme Nicole G. la somme de 3 000 euro au titre des frais irrépétibles

- condamné la SAS Les Laboratoires S. aux dépens incluant Les frais d'expertise médicale.

Vu les conclusions de la SAS Les Laboratoires S., appelante, signifiées le 24 septembre 2007, par lesquelles elle demande à la cour, par infirmation du jugement entrepris, de :

dire et juger que la preuve n'est rapportée de la réalité du traitement allégué que pour une durée d'un mois selon la prescription du Docteur R. en date du 9 mai 1988

dire et juger que Les consorts G. n'apportent pas la preuve de l'existence d'un lien de causalité certain entre la prise d'Isoméride pendant un mois en 1988 et la survenue de la maladie

dire et juger que Les consorts G. n'apportent pas la preuve du caractère défectueux du produit Isoméride

les débouter en conséquence de l'ensemble de leurs demandes

aux motifs que :

- Les conditions nécessaires à la mise en cause du fabricant du produit ne sont pas réunies : défaut de lien de causalité entre la prise du produit et la maladie, absence de défaut du produit

- il n'existe aucune étude propre à établir le lien de causalité entre Isoméride et l'HTAP

- la durée de prescription de 5 mois retenue par les experts n'est pas avérée

- il est inexact que Mme Nicole G. ne présentait pas d'autre facteur de risque (surpoids : 70 kg pour une taille de 1 m 58, soit un indice de masse corporelle excédant très largement la normale)

- elle présentait au moins deux facteurs de risque connus

- la relation causale ne pouvait être affirmée en l'état des résultats de la biopsie postmortem pratiquée (pas d'artériopathie de type plexiforme)

- la question de la durée de la prescription retenue par les experts, en l'absence de pré-rapport, relève de la compétence des juges du fond

- le tribunal a fondé son appréciation sur des éléments inexacts

- la décision de suspendre l'AMM le 15 septembre 1997, n'est pas de nature à établir le caractère défectueux du médicament, cette décision a été prise en application du principe de précaution à la suite du retrait du produit du marché américain

- l'existence d'un défaut de sécurité d'un produit ne peut se déduire d'une mise en garde ou d'une précaution d'emploi, laquelle participe au contraire de sa sécurité et est impropre à caractériser l'existence d'un lien de causalité

- l'Isoméride ayant été mis sur le marché en 1985, les cas rapportés en 1981 concernant le fenfluramine ne peuvent y être associés

- le défaut du produit ne doit pas être confondu avec son éventuelle dangerosité

- l'appréciation de l'éventuel défaut du produit doit se faire au moment de sa mise en circulation (Cour d'appel d'Angers du 16 juin 2006, sur renvoi après cassation) et le retrait intervenu en 1997, neuf ans après une seule prescription dont il est justifié, n'est pas de nature à en établir le caractère défectueux

- le rapport bénéfices/risques apprécié par les autorités de santé était positif et le restera jusqu'au retrait du marché édicté par la SAS Les Laboratoires S. en 1997

- la SAS Les Laboratoires S. a rempli ses obligations tant avant que pendant la mise sur le marché d'Isoméride, avant la délivrance de l'AMM et après la mise sur le marché du produit, ainsi que ses obligations de pharmacovigilance et de suivi de son médicament

- la demande de modification du laboratoire fabricant a été adressée aux autorités sanitaires dès le 2 décembre 1981 et la décision est intervenue le 31 mars 1992, sans que ce délai ne lui soit imputable

- l'AMM a été modifiée à l'annexe I chapitre "effets indésirables", "mise en garde" et à l'annexe II au chapitre "précautions d'emploi", 'mise en garde' le 31 mars 1992 à sa demande faite aux autorités sanitaires le 2 décembre 1991 (modification de la notice publiée dans la mise à jour trimestrielle dictionnaire Vidal avril/octobre 1992 et de celle destinée au patient, en mai 1992)

- le produit Isoméride mis en circulation présentait la sécurité que l'on pouvait légitimement en attendre.

Vu les conclusions des consorts G., intimés et appelants incidemment, signifiées le 23 févier 2007 par lesquelles ils demandent à la cour de :

confirmer le principe de la responsabilité de la SAS Les Laboratoires S. dans la constitution des préjudices résultant pour Mme Nicole G. de la consommation d'Isoméride

confirmer la condamnation de la SAS Les Laboratoires S. à verser à M. Alain G. la somme de 25 000 euro au titre de son préjudice moral

pour le surplus, réformer l'évaluation du préjudice

condamner la SAS Les Laboratoires S. à verser à la succession de Mme G. la somme de 165 000 euro sauf mémoire au titre de son préjudice corporel global

condamner la SAS Les Laboratoires S. à verser à Mme Sandrine G. la somme de 20 000 euro au titre de son préjudice moral

assortir l'ensemble de ces condamnations des intérêts au taux légal à compter du jugement déféré

condamner la SAS Les Laboratoires S. au paiement de la somme de 3 500 euro au titre des frais irrépétibles ainsi qu'aux dépens

aux motifs que :

- ils entendent fonder leur action sur la directive européenne du 25 juillet 1985, qui a été transposée par le biais de la loi du 19 mai 1998 dont sont issus des articles 1386-1 et suivants du Code civil

- la victime a bénéficié d'un traitement par Isoméride à plusieurs reprises comme l'ont relevé les experts dans leur rapport en page 16

- ce médicament était parfaitement indiqué dans la pathologie présentée par Mme Nicole G.

- l'HTAP est à l'origine de son décès (page 9 du rapport)

- la SAS Les Laboratoires S. ne pouvait ignorer l'effet indésirable du produit, inséré dans la notice en 1993, plus de dix ans après les premières observations d'apparition d'HTAP

- le fait que l'Isoméride était couvert par la délivrance d'une AMM ne saurait servir de fait justificatif au défaut

- la SAS Les Laboratoires S. ne saurait se cacher derrière le principe de précaution pour expliquer le retrait du marché de sa spécialité

- la jurisprudence évoquée par le laboratoire ne correspond en rien à l'espèce dans la mesure où le rapport d'expertise ne concluait pas à l'existence d'un lien de causalité

- la durée du traitement n'a jamais été remise en question au cours des opérations d'expertise, sont versés aux débats les certificats médicaux du Docteur S.

- le tribunal a sous-évalué les préjudices subis.

Vu l'assignation devant la cour d'appel avec notification de conclusions délivrée le 8 février 2007 à la CMCAS à la requête de la SAS Les Laboratoires S..

La CMCAS, organisme social de la victime, n'a pas constitué avoué.

L'instruction a été déclarée close le 27 septembre 2007.

Motifs de la décision

- Sur la responsabilité de la SAS Les laboratoires S., fabricant de l'isomeride

Vu les articles 1147 et 1382 du Code civil interprétés à la lumière de la directive CEE n° 85/374 du 25 juillet 1985 relative au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des Etats membres en matière de responsabilité du fait des produits défectueux, alors non encore transposée en droit interne ;

Considérant que les dispositions de la directive du 25 juillet 1985 ont une application directe, faute par la France de ne pas avoir pris avant le 31 juillet 1988, les mesures de droit interne prescrites ;

Que les dispositions de la directive s'appliquent bien en l'espèce à l'Isoméride, produit mis en circulation après le 31 juillet 1988, étant rappelé que Mme Nicole G. a bénéficié, au vu des pièces produites, de prescriptions de ce produit de la part de :

- son endocrinologue, le Docteur R., le 9 mai 1988 pendant un mois (une gélule par jour) pour le mois suivant, poursuite du traitement sous surveillance médicale,

- son médecin traitant, le Docteur S., en juillet 1988 pendant 2 mois (une gélule par jour), en septembre 1988 pendant un mois, en décembre 1988 pendant un mois ;

Considérant que l'appelante conteste la durée de traitement retenue par l'expertise, en faisant valoir qu'elle n'est pas avérée et que seule la prescription d'un mois du Docteur R. doit être retenue ;

Que cependant, cette question n'a pas fait l'objet d'un dire à l'expert au cours des opérations d'expertise ;

Qu'il convient dès lors, de retenir à la lecture des certificats médicaux et courriers émanant de ces deux praticiens, une durée de traitement de 5 mois en 1988, telle que déterminée par les experts ;

Qu'il en résulte que Mme Nicole G. a eu une prescription d'Isoméride pendant 5 mois en 1988, de la part de deux prescripteurs, le rapport ajoutant qu'il apparaît que de l'Isoméride été prescrit antérieurement à la consultation du Docteur R. le 31 décembre 1987, sans que le prescripteur ait été identifié et qu'en 1990, le Docteur R. (nouveau médecin traitant) a represcrit de l'Isoméride ;

Considérant que les consorts G. recherchent la responsabilité du laboratoire pharmaceutique, fabricant du produit litigieux destiné au traitement contre l'obésité, sur le fondement, en cause d'appel, des dispositions de la directive européenne du 25 juillet 1985 , qui a été transposée par le biais de la loi du 19 mai 1998 dont sont issus les articles 1386-1 et suivants du Code civil , établissant une responsabilité de plein droit du producteur du chef de la défectuosité du produit, en alléguant l'imputabilité du dommage subi par Mme Nicole G., à savoir une hypertension artérielle pulmonaire (HTAP) sévère d'allure primitive, décelée en octobre 1993, au produit administré, l'Isoméride, dont le principe actif est le dexfenfluramine, du fait d'un défaut ;

Considérant que la responsabilité du producteur est soumise à la condition que le demandeur prouve outre le dommage, le défaut du produit et le lien de causalité entre le défaut et le dommage ;

Qu'en l'espèce, l'imputabilité du dommage au produit étant discuté, l'existence du défaut invoqué ne peut faire l'objet d'un examen préalable ;

Considérant en l'espèce, qu'il appartient aux consorts G. pour mettre en cause la responsabilité du fabricant de l'Isoméride, d'établir un lien de causalité direct et certain entre l'utilisation du produit et la pathologie d'hypertension artérielle pulmonaire dont souffrait Mme Nicole G. et dont elle est décédée le 31 octobre 1995, suivant arrêt cardio-respiratoire brutal contemporain d'une bradycardie extrême ;

- sur le lien de causalité entre la prise d'isomeride et la pathologie d'hypertension artérielle pulmonaire

Considérant que les consorts G. font valoir que les premiers signes de la maladie sont apparus selon les experts "un an au moins avant la consultation d'octobre 1993", soit en octobre 1992 (essoufflements et dyspnée d'effort), que le diagnostic d'hypertension artérielle pulmonaire a été posé le 15 octobre 1993 (scanner thoracique, écho-doppler), que le 20 avril 1995, le Docteur R.-G., praticien hospitalier dans le service de chirurgie thoracique de l'hôpital Sainte-Marguerite à Marseille indiquait : "Nous essayons de retarder le plus possible la transplantation pulmonaire" ;

Que l'hypertension pulmonaire est énumérée dans le Vidal 1992 (mise à jour avril/octobre 1992) au titre des effets indésirables, liés à la prise d'Isoméride par des patients généralement obèses (sans qu'un lien de causalité n'ait été établi entre cette pathologie et la prise du médicament) et peut donc être matériellement une cause génératrice du dommage ;

Considérant que les modes de preuve s'agissant du lien de causalité entre une prescription médicale et une pathologie, résultent de la littérature médicale, des études épidémiologiques et des rapports d'expertises ;

Qu'en l'espèce, les experts judiciaires dans leur rapport indiquent que :

"Mme G. était donc atteinte sans aucune discussion possible d'une hypertension artérielle pulmonaire primitive

Il est possible que Mme G. ait pris à plusieurs reprises de l'Isoméride entre 1986 et 1993, soit avant l'apparition des premiers symptômes de la maladie. Pour diverses raisons, certains documents manquent. les déclarations du Dr R. (endocrinologue) et du Dr S. (médecin traitant), indiquent cependant clairement que l'Isoméride a été prescrit à la dose d'un comprimé par jour pendant cinq mois en 1988.

L'hypertension artérielle pulmonaire primitive est une maladie d'origine inconnue. Il existe cependant ces facteurs connus favorisant la survenue de cette maladie.

Au premier rang de ces facteurs, se trouve les dérivés de la fenfluramine (fenfluramine et dexfenfluramine) qui sont dérivés de la phényléthylamine. L'association entre la prise de ces anorexigènes (Ponderal retard et Isoméride) et l'hypertension artérielle primitive est considérée comme établie par plusieurs études et en particulier estimée par une étude internationale (Abenhaim, 1996). Le risque relatif est de 6,3, c'est à dire que le risque de développer cette maladie est 6,3 fois plus forte que dans la population normale non exposée à ces médicaments.

(...)

Cependant, des cas d'hypertension artérielle pulmonaire en relation avec la prise de fenfluramine avaient été rapportés dès1981.

Etant donné le délai existant entre la collecte des informations médicales et la publication d'un article dans un journal à comité de lecture, il apparaît donc que les dangers éventuels de la prise d'Isoméride étaient connus bien antérieurement aux modifications apportées dans le Vidal 1993"

Que la preuve d'un lien de causalité direct et certain entre la prise d'Isoméride et l'HTAP est donc suffisamment établi par le rapport d'expertise médicale et une imputabilité sera donc reconnue à l'Isoméride dans la survenue du dommage subi par Mme Nicole G. ;

- Sur le défaut de sécurité du produit

Que l'article 6 de la directive du 25 juillet 1985 énonce :

I - qu'"un produit est défectueux lorsqu'il n'offre pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre compte tenu de toutes les circonstances et notamment :

a) de la présentation du produit

b) de l'usage du produit qui peut être raisonnablement attendu

c) du moment de la mise en circulation du produit

II - Un produit ne peut être considéré comme défectueux par le seul fait qu'un produit plus perfectionné a été mis en circulation postérieurement à lui" ;

Que l'article 7 dispose que le producteur n'est pas responsable s'il prouve notamment, que compte tenu des circonstances, il y a lieu d'estimer que le défaut ayant causé le dommage n'existait pas au moment où le produit a été mis en circulation par lui ou que ce défaut est né postérieurement, que le défaut est dû à la conformité du produit avec des règles impératives émanant des pouvoirs publics, que l'état des connaissances scientifiques et techniques au moment de la mise en circulation du produit par lui n'a pas permis de déceler l'existence d'un défaut ;

Considérant que la directive indique dans ses considérants liminaires, que pour protéger l'intégrité physique et les biens du consommateur, la détermination du caractère défectueux d'un produit doit se faire en fonction non pas de l'inaptitude du produit à l'usage, mais du défaut de sécurité à laquelle le grand public peut légitimement s'attendre ;

Que le défaut du produit se définit donc comme étant l'absence de sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre dans des circonstances normalement prévisibles ;

Que la simple survenance d'un effet indésirable n'établit pas le vice du produit ou sa dangerosité ;

Que la responsabilité de plein droit de la SAS les Laboratoires S., fabricant de l'Isoméride, doit donc être appréciée objectivement et in abstracto par rapport à la présentation du produit, en particulier au regard du contenu du résumé des caractéristiques du produit et de la notice destinée au patient jointe au conditionnement contenant les dispositions relatives aux effets indésirables et aux précautions d'emploi, au moment de la prescription du produit à Mme Nicole G. (mai à décembre1988), eu égard aux données acquises de la science à cette époque et en tenant compte du rapport bénéfice/risque ;

* Sur le défaut de sécurité du médicament au titre de la présentation du produit au moment de sa mise en circulation

Considérant en l'espèce, que l'autorisation de mise sur le marché de l'Isoméride a été délivrée le 8 mars 1985 par les autorités sanitaires (l'agence du médicament) et que cette AMM a été modifiée le 14 mai 1985, le 22 juin 1988 et le 10 avril 1990 ;

Que le 2 décembre 1991, Les Laboratoires Ardix aux droits desquels sont venus la SAS Les Laboratoires S., ont soumis aux autorités sanitaires une proposition de modification de l'AMM de l'Isoméride gélules à l'annexe I (destinée au corps médical) au chapitre "effets indésirables", "mise en garde" et à l'annexe II (destinée à l'information du public) au chapitre "précautions d'emploi", "mise en garde", modification décidée le 31 mars 1992 par le Ministère délégué à la santé, au titre de la notice publiée dans les mises à jour trimestrielles dictionnaire Vidal avril/octobre 1992 et de celle destinée au patient, en mai 1992 ;

Que cette révision du résumé des caractéristiques du produit est un indice de modification dans l'appréciation des connaissances sur la tolérance du produit par la communauté scientifique internationale relativement aux effets indésirables rapportés de l'Isoméride auprès du corps médical (annexe I de l'AMM) mentionnés dans le dictionnaire Vidal , mises à jour trimestrielles avril/octobre 1992, selon lesquels : 'Des observations d'hypertension pulmonaire ont été rapportés chez des patients, généralement obèses, ayant reçu un traitement par la dexfenfluramine. En dehors de la coïncidence chronologique, aucun lien de causalité n'a été établi entre cette pathologie et la prise du médicament. Cependant par précaution, toute augmentation inhabituelle d'un essoufflement à l'effort doit faire évoquer cette possibilité et arrêter le traitement' et sur l'information apportée aux utilisateurs relativement aux précautions d'emploi ajoutées dans la notice patient à compter du 20 mai 1992 (annexe II de l'AMM) : "prévenir votre médecin en cas d'apparition d'un essoufflement inhabituel à l'effort ou de troubles du rythme cardiaque" ;

Que les experts, pour leur part, ont souligné que "Ce dossier demande aussi que soit soulignée l'absence d'information médicale et publique disponible au moment des faits sur la relation causale éventuelle entre la survenue d'une hypertension artérielle pulmonaire primitive (HTAPP) et la prise d'Isoméride" et ajouté que :

"C'est seulement dans le dictionnaire Vidal 1993 paru en mars-avril qu'apparaît une information relative à l'HTAPP, au chapitre effets indésirables : "Des observations d'hypertension artérielle ont été rapportées chez des patients, généralement obèses, ayant reçu un traitement par la dexfenfluramine (principe actif de l'Isoméride). En dehors de la coïncidence chronologique, aucun lien de causalité n'a été établi entre cette pathologie et la prise du médicament. Cependant, par précaution, toute augmentation inhabituelle d'un essoufflement à l'effort doit faire évoquer cette possibilité et arrêter le traitement". Cette information a à partir de 1993 été répercutée dans la notice du médicament fabriqué après cette date avec comme précaution d'emploi : "Prévenir votre médecin traitant en cas d'apparition d'un essoufflement inhabituel à l'effort".

Qu'ainsi, à la période de prescription de l'Isoméride (1988), le risque d'hypertension pulmonaire chez des patients obèses ayant reçu un traitement par la dexfenfluramine, tels que Mme Nicole G., n'était pas prévisible, n'était pas portée à la connaissance des professionnels de santé ni des patients, comme n'ayant pas été validé par la communauté scientifique internationale ;

Que l'appréciation du risque médicamenteux est fonction de l'information délivrée aux utilisateurs sur les risques possibles du produit comparée aux données scientifiques disponibles au moment de sa commercialisation après obtention de l'AMM ;

Que ni la restriction de prescription appliquée par l'agence du médicament à l'Isoméride en France en mai 1995 (réservée aux cas d'obésité majeure) et octobre 1995 (réservée aux seuls services hospitaliers spécialisés) à la suite des résultats préliminaires d'une étude épidémiologique internationale mettant en évidence une relation entre la survenue d'HTA et la prise prolongée de médicaments anorexigènes (coupe-faim), ni la décision prise par le même organisme de suspendre son AMM le 15 septembre 1997 en raison d'une vague d'incidents survenus aux Etats-Unis (atteinte de valves cardiaques en juillet 1997), sont de nature à établir le caractère défectueux du produit à la date de la délivrance des prescriptions ;

Qu'en effet, ces décisions ont été prises au vu d'informations disponibles seulement en 1995 et 1997 et ne sauraient permettre d'apprécier 'la sécurité à laquelle on pouvait légitimement s'attendre' entre mai et décembre 1988, période de prescription et de prise de l'Isoméride, étant rappelé que les connaissances acquises postérieurement à la mise en circulation du produit ne peuvent être reprochées au fabricant ;

Qu'en tout état de cause, la SAS Les Laboratoires S. invoque, en substance, à juste titre le risque de développement en faisant valoir que l'état des connaissances scientifiques et techniques au moment de la mise en circulation du produit par eux ne leur a pas permis de déceler l'existence d'un défaut ;

Qu'il ressort de ces constatations relatives à la présentation du produit, que les consorts G. ne peuvent soutenir à bon droit que la responsabilité de la SAS les Laboratoires S. serait engagée suite à l'insuffisance d'information sur les effets indésirabLes rapportés du l'Isoméride ou les précautions d'emploi, dès lors qu'à l'époque de la mise en circulation du produit prescrit et utilisé, il n'existait aucune preuve épidémiologique d'une association causale significative entre la prise du médicament et la pathologie de l'HTAP et qu'il n'est pas démontré par eux que le laboratoire avait en 1988 connaissance de la défectuosité du produit litigieux ;

* Sur le défaut de sécurité du médicament au titre de l'usage du produit qui peut en être raisonnablement attendu

Que le bénéfice attendu du traitement contre l'obésité par le grand public au sens de la directive européenne, c'est à dire, par rapport au risque de dangerosité ou de nocivité du produit, était favorable lors de la prescription du traitement donné à Mme Nicole G. ;

Qu'aucun élément ne permet de caractériser un décalage entre l'insuffisance de risques signalés en 1992 et 1993, les risques attendus au moment de la mise en circulation du produit et les risques réels que comporte l'Isoméride en l'état des connaissances à cette époque, étant précisé d'une part, que ce sont les organismes publics de police sanitaire qui sont seuls habilités à définir le risque lié à la prise d'un produit de santé, par l'évaluation des bénéfices et des risques des médicaments en assurant la mise en œuvre du système national de pharmaco-vigilance et que d'autre part, contrairement aux préconisations de l'AMM qui prévoit une durée de traitement limitée à 3 mois et une absence de renouvellement, Mme Nicole G. a bénéficié, par le biais de demandes faites auprès de prescripteurs différents, d'une prise prolongée d'Isoméride pendant au moins 5 mois selon les experts, dont une période ininterrompue de 4 mois (juin à septembre 1988) ;

Que la sécurité réglementaire du produit à laquelle on peut légitimement s'attendre au sens de la directive européenne, correspond à la conformité du produit aux normes définies par les autorités sanitaires ;

Que le moyen des consorts G. tendant à démontrer le défaut du produit sera donc écarté et le jugement sera donc infirmé ;

Que l'on doit conclure que la SAS Les Laboratoires S., producteur du l'Isoméride, avait commercialisé un produit présentant la sécurité légitimement attendue du grand public au moment de sa mise en circulation ;

Qu'il résulte de l'ensemble de ces éléments, que les conditions de mise en jeu de la responsabilité de la SAS Les Laboratoires S. du fait des produits défectueux n'étant pas réunies au sens de la directive européenne, la demande des consorts G. sera rejetée ;

Que les sommes versées aux consorts G. dans le cadre de l'exécution provisoire du jugement entrepris, devront être restituées à la SAS Les Laboratoires S. ;

Que les considérations tirées de l'équité justifient de mettre à la charge de la SAS Les Laboratoires S. la moitié des frais d'expertise judiciaire ;

Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement, par arrêt réputé contradictoire et en dernier ressort, Infirme le jugement déféré en toutes ses dispositions, Statuant à nouveau, Dit que les consorts G. établissent l'existence d'un lien de causalité direct et certain entre la prise d'Isoméride et l'apparition de l'hypertension artérielle pulmonaire de Mme Nicole G., Dit que les consorts G. ne rapportent pas la preuve d'un défaut du produit au sens de la directive européenne du 25 juillet 1985 relative au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des Etats membres en matière de responsabilité du fait des produits défectueux, En conséquence, Déboute les consorts G. de l'ensemble de leurs demandes, Rejette toute autre demande, Dit que la SAS Les Laboratoires S. supportera la moitié des frais d'expertise judiciaire, Condamne solidairement les consorts G. aux dépens de première instance et d'appel, incluant les frais d'expertise dans la proportion de la moitié, et admet la SCP Lefevre Tardy Hongre-Boyeldieu, avoués associés, au bénéfice de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.