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Décisions

CA Paris, 17e ch. A, 10 décembre 2007, n° 05-21741

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Generali Iard, Lansay France (SA)

Défendeur :

Montie (Consorts, ès qual.), SNCF

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Neher Schraub

Avoués :

SCP Grappotte Benetreau Jumel, SCP Bommart-Forster-Fromantin, SCP Ribaut

Avocats :

Mes Bracquemont, de Ryck, Lichtmann

TGI Paris, du 4 oct. 2005

4 octobre 2005

Importateur de jouets, la Société Anonyme Lansay (assurée auprès de la Société Generali France Assurances) a commercialisé en France, à compter de 1995 et sous le nom de "danseuses étoiles", des poupées volantes dotées de bras articulés équipés en leur extrémité de petites ailes auxquelles un lanceur comportant une ficelle de lancement permet d'impulser un mouvement de rotation, les bras s'écartant du corps du fait de la force centrifuge et permettant son envol.

Les époux Montie ont acquis ce jouet pour leurs enfants en décembre 1998.

Madame Montie déclare avoir été alertée, le 08 octobre 2000, par les pleurs de son fils.

Maxime, âgé de 7 ans, souffrant de lésions oculaires et avoir constaté la rupture d'un bras de la poupée volante qu'il manipulait lorsqu'elle l'avait laissé jouer seul dans sa chambre et que l'enfant désignait comme étant à l'origine du dommage.

La Société Nationale des Chemins de Fer (SNCF), organisme gestionnaire d'un régime de sécurité sociale auquel est immatriculé le père de l'enfant, a versé diverses prestations pour le compte de ce dernier.

Par jugement rendu le 04 octobre 2005 le Tribunal de grande instance de Paris, saisi d'une action en responsabilité introduite par les parents de l'enfant à l'encontre de la Société Lansay et de son assureur et après réalisation d'une expertise technique portant sur ce jouet ordonnée par jugement avant dire droit, a :

- déclaré la Société Lansay responsable des blessures occasionnées à Maxime Montie le 08 octobre 2000,

- avant dire droit sur l'indemnisation de son préjudice, ordonné une expertise médicale aux frais avancés des requérants,

- condamné in solidum la Société Lansay et son assureur à verser à titre de provision à Monsieur et Madame Montie, es qualités d'administrateurs légaux de leur fils Maxime, une somme de 7 500 euro, et à la SNCF une somme de 3 332,42 euro,

- débouté les époux Montie de leur demande de publication du jugement rendu,

- condamné in solidum la Société Lansay et son assureur à verser, sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile, aux époux Montie, es qualités, une somme de 1 500 euro et à la SNCF une somme de 750 euro en réservant les dépens.

La Société Generali Assurances Iard (nouvelle désignation de la Société Generali France Assurances) et la Société Anonyme Lansay France ont relevé appel de cette décision et par dernières conclusions signifiées le 08 octobre 2007 elles demandent à la cour, au visa des articles 1315, 1386-1 et suivants de Code Civil, du rapport d'expertise technique établi par Monsieur Revise le 15 mars 2004, du rapport du Laboratoire National d'Essais réalisé à la demande de cet expert et de l'expertise médicale du docteur Morin :

- principalement, d'infirmer le jugement déféré sauf en ce qu'il a rejeté la demande de publication de la décision et de débouter les époux Montie et la Caisse de retraite et de prévoyance du personnel de la SNCF de leurs prétentions en l'absence de démonstration de la matérialité des faits allégués et du lien de causalité entre la rupture du bout de l'aile du jouet et les blessures,

- subsidiairement, de les débouter de leurs entières prétentions en l'absence de démonstration de la relation causale existant entre un jouet qui ne présentait ni défectuosité ni dangerosité et les blessures et en raison d'un usage dans des conditions anormales d'un jouet fragilisé sans qu'importe la capacité de discernement de l'enfant,

- plus subsidiairement, de retenir une faute de la victime en raison d'une utilisation anormale du jouet, en grande partie à l'origine de l'accident et de nature à réduire le montant des indemnités auxquelles les intimés peuvent prétendre.

Par ailleurs, concernant les réclamations indemnitaires des intimées, elles demandent à la cour:

- de rejeter la demande d'évocation présentée par les époux Montie,

- subsidiairement :

de surseoir à statuer dans l'attente de la production de la créance définitive de l'organisme social,

de réduire le montant des sommes réclamées et de réparer:

* le préjudice de Maxime Montie en allouant tout au plus les sommes de 9 600 euro au titre de son incapacité permanente partielle, de 1 000 euro au titre de son incapacité totale de travail, de 3 300 euro au titre de son pretium doloris et de 5 000 euro au titre de son préjudice d'agrément,

* le préjudice de ses parents en allouant à chacun une somme de 1 000 euro.

En tout état de cause, elles sollicitent la condamnation in solidum des intimées à leur verser une somme de 3.000 euro en application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile et à supporter les dépens de première instance et d'appel.

Par dernières conclusions signifiées le 18 octobre 2007 Monsieur Dominique Montie et Madame Josiane Montie agissant en qualité d'administrateurs légaux de leur fils mineur Maxime demandent à la cour :

- au visa des articles 1382, 1386-1 à 1386-18, L. 124-3 du Code des assurances et du rapport d'expertise technique, de confirmer le jugement en toutes ses dispositions en déclarant la Société Lansay seule responsable du dommage subi par l'enfant et en la déboutant, ainsi que son assureur, de ses entières prétentions,

- au visa des articles 568 du Nouveau Code de Procédure Civile, L. 124-3 du Code des assurances et du rapport d'expertise médicale établi le 28 avril 2006 par le docteur

Maurin, d'évoquer l'entier litige en condamnant in solidum la Société Lansay et son assureur à leur verser, en leur nom et au nom de leur fils Maxime, la somme de 40 000 euro en réparation de l'invalidité permanente partielle constatée (évaluée à 8%), 1 500 euro au titre de l'incapacité totale de travail subie (soit : 31 jours), 10 000 euro au titre de son pretium doloris (coté 3,5/7), 100 000 euro au titre de son préjudice d'agrément et enfin, 10 000 euro en réparation du préjudice moral qu'eux-mêmes, parents, subissent, avec "capitalisation des intérêts sur les montants mis à la charge des Sociétés Lansay France et Generali France",

- de condamner "solidairement" les Sociétés Lansay France et Generali France à leur verser une somme de 10 000 euro en application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile et à supporter les dépens comprenant les frais d'expertise technique et médicale.

La Caisse de Prévoyance et de Retraite du Personnel de la Société Nationale des Chemins de Fer (intervenante volontaire) et la Société Nationale des Chemins de Fer (SNCF) intimée, par dernières conclusions signifiées le 17 octobre 2007, demandent à la cour :

- de donner acte à la Caisse de Prévoyance et de Retraite du Personnel de la SNCF de son intervention volontaire en la cause aux lieu et place de la SNCF qui sera mise hors de cause,

- de confirmer le jugement en toutes ses dispositions sauf à porter à la somme de 3 666,58 euro le montant de la provision qui lui a été allouée et versée, laquelle somme représente le montant actualisé de sa créance provisoire,

- en cas d'évocation, de condamner in solidum la Société Lansay et La Société Generali Assurances à verser à la Caisse de Prévoyance de Retraite du Personnel de la SNCF la somme de 334,16 euro représentant le montant des prestations non encore versées outre la somme de 506,30 euro correspondant à l'évaluation forfaitaire des frais ophtalmologiques futurs, sauf à les condamner à lui rembourser, au fur et à mesure, ces frais futurs sur facture,

- de condamner in solidum les appelantes à verser à chacune d'entre elles une somme de 1 000 euro en application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile et à la Caisse de prévoyance et de retraite du personnel de la SNCF une somme de 926 euro en application de l'article 4 du décret du 31 mars 1998 et à supporter les dépens d'appel et d'intervention.

Sur ce, la cour

Sur la matérialité des faits

Considérant que les appelantes contestent la matérialité des faits tels qu'ils sont présentés par les époux Montie au motif que leur narration est unilatérale et se révèle fluctuante ;

Qu'elles ne peuvent, cependant, leur reprocher de ne pas fournir de témoignages corroborant leurs propres déclarations dès lors que l'accident s'est produit dans le huis clos d'une chambre d'enfant, hors la vue de ses parents qui n'ont pu que faire le constat du dommage immédiatement après sa survenance et recueillir les explications de leur petit garçon incriminant la poupée qu'il était en train de manipuler ; que, par ailleurs, le médecin ophtalmologiste consulté en urgence immédiatement après les faits et qui a pu constater la présence de "deux plaies cornéennes non tranfixiantes" n'émet pas de réserves sur l'origine des lésions oculaires constatées, telle qu'elle lui était présentée ; qu'en outre, le rapport technique n'a pas relevé d'éléments de nature à contredire le récit des circonstances de l'accident fourni par les parents, l'expert indiquant à cet égard ( § 7.3) "la rupture a dû se produire au moment où la vitesse de rotation était maximale, au moment du décollage de la poupée, l'enfant ayant encore le jouet en main" ;

Que faute de démontrer que l'accident s'est produit dans des circonstances différentes de celles qui résultent des déclarations des époux Montie puis de leurs conseils et qui ne révèlent aucune incohérence, elles ne sont donc pas fondées en leur contestation;

Sur la responsabilité du fait des produits défectueux

Considérant qu'aux termes de l'article 1386-9 du Code Civil issu de la loi du 19 mai 1998 "Le demandeur doit prouver le dommage, le défaut et le lien de causalité entre le défaut et le dommage " ;

Que cependant, aux termes de l'article 1386-13 de ce même Code "La responsabilité du producteur peut être réduite ou supprimée, compte tenu de toutes les circonstances, lorsque le dommage est causé conjointement par un défaut du produit et par la faute de la victime ou d'une personne dont la victime est responsable" ;

Considérant que pour démontrer que le producteur (auquel est assimilé, selon l'article 1386-6 du Code civil, l'importeur) a engagé sa responsabilité les époux Montie satisfont à la première des trois conditions posées par l'article 1386-9 du Code Civil en rapportant la preuve, au moyen des pièces médicales qu'ils produisent, de l'existence d'un dommage corporel subi par leur enfant ;

Considérant que pour prouver le défaut de ce jouet, ils se prévalent ajuste titre, eu égard aux dispositions de l'article 1386-10 du Code Civil, du fait que la défectuosité d'un produit ne se réduit pas à son absence de conformité aux normes en vigueur lors de sa commercialisation en estimant que les constatations de l'expert judiciaire sur ce point -lequel indique (§7.4) que "le modèle de jouet incriminé est conforme à la norme EN 71 de 1989" - ne suffisent pas pour considérer que le jouet était exempt de défaut ;

Que, par ailleurs, les conclusions de l'expert (§7.4) dont se prévalent les appelantes selon lesquelles : "Les bras du jouet sont entièrement recouverts d'un matériau plastique souple absorbant les chocs et il ne semble pas pouvoir occasionner de blessures en cas de choc. L'âme de ces bras est constituée à l'inverse de matériau plastique qui n'est pas apparent tant que le jouet conserve son intégrité. Le jouet est construit de manière telle qu'il ne semble pas présenter de danger tant que son intégrité physique est respectée." ne sont pas davantage suffisantes pour affirmer que le jouet litigieux était exempt de vice dès lors qu'il ressort de la définition que donne du produit défectueux l'article 1386-4 du Code Civil - à savoir : "lorsqu'il n 'a pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre" - ne s'entend pas nécessairement d'un vice de conception ou de fabrication ;

Qu'avec pertinence et comme en dispose l'alinéa 2 de cet article 1386-4 du Code Civil, les époux Montie estiment que la sécurité à laquelle un consommateur peut légitimement s'attendre doit être appréciée en considération des circonstances dans lesquelles il est fait usage du produit ;

Qu' évoquant le jeune âge de leur enfant ainsi que la possibilité de lancement de la poupée alors que l'âme du bras, susceptible de devenir un objet contondant, était rompue et que seul le tenait dans son intégrité le dispositif de protection recouvrant le bras, ils démontrent le caractère dangereux de ce produit dès lors que l'acquéreur d'un tel objet, destiné, selon la notice d'utilisation produite, à des enfants "à partir de cinq ans" pouvait s'attendre à ce qu'il puisse être manipulé sans précautions particulières autres que celles figurant sur la notice ( à savoir: "Tenir le lanceur loin du visage et des yeux. Lancez la danseuse étoile uniquement dans un grand espace et loin de vous. Ne pas lancer la danseuse étoile en direction d'hommes ou d'animaux. Tenir fermement le lanceur pour plus de sécurité. Prenez soin de votre danseuse étoile : veillez à ne pas la faire voler trop haut, cela pourrait endommager ses ailes. Ne pas tirer le cordon trop fort et trop vite.") et qu'il ne leur appartenait pas de vérifier, préalablement à chaque utilisation, l'intégrité d'un produit destiné à un public de jeunes enfants et qui s'est révélé fragile;

Considérant, s'agissant du lien de causalité entre le défaut du produit et le dommage, que l'expert judiciaire missionné précise dans son rapport (§7.2) "Des tentatives de lancement du jouet objet de l'accident avec le lanceur correspondant ont été faites par l'expert. Quelle que soit la vitesse imprimée au lanceur, le jouet cassé est soumis à des vibrations importantes qui interdisent le décollage de la poupée. Si le jouet est parvenu à décoller, il est clair qu'il n 'était pas rompu avant sa dernière utilisation" ; que cette expérimentation réalisée par l'expert au moyen de la poupée litigieuse et la conclusion qu'en tire, en des termes non dubitatifs, ce technicien permettent d'établir un lien de causalité entre le produit défectueux et les blessures ;

Considérant que pour pouvoir bénéficier d'une exonération ou d'une limitation de responsabilité la Société Lansay et son assureur - à qui il ne saurait être reproché d'émettre, par cette demande subsidiaire, une prétention nouvelle - doivent démontrer une faute de la victime ;

Que les appelantes se prévalent, pour ce faire, des constatations de l'expert révélant (§7.3) "une fragilisation importante de l'aile rompue (...) provoquée par plusieurs pliages de l'aile, comme si on avait voulu rabattre la partie formant hélice vers le haut du bras de la poupée et ce à plusieurs reprises. Cette fragilisation a induit des amorces de rupture qui se sont vraisemblablement concrétisées lors de la rupture finale, rupture qui semble n'avoir pas été occasionnée par un choc" ;

Que le fait d'imposer des flexions à un jouet n'apparaît ni anormal ni imprévisible de la part de jeunes enfants au demeurant en possession de ce jouet depuis deux ans ; qu'il a déjà été indiqué que lors du décollage litigieux, ce jouet n'était pas encore rompu ; que le producteur est, par conséquent, mal fondé à invoquer une faute de la victime, en sorte que le moyen ne saurait prospérer ;

Qu'il convient, en conséquence, de déclarer la Société Lansay responsable de l'accident ;

Sur le préjudice

Considérant que si l'article 568 du Nouveau Code de Procédure Civile permet à la cour saisie d'un jugement qui a ordonné une mesure d'instruction, d'évoquer les points non jugés , il n'apparaît pas de bonne justice de donner à l'affaire une solution définitive dès lors qu'il est nécessaire de disposer d'une créance définitive de la Caisse de prévoyance et de retraite du personnel de la SNCF, de permettre aux époux Montie de présenter régulièrement une demande tendant à obtenir réparation de leur préjudice personnel et de respecter le principe du double degré de juridiction ;

Qu'eu égard au relevé de prestations édité à la date du 22 juin 2006 par la Caisse de prévoyance et de retraite du personnel de la SNCF, intervenant volontairement en la cause aux lieu et place de la SNCF dans les conditions des articles 23 et 27 du décret du 07 mai 2007 donnant, notamment, un mandat de gestion à la SNCF durant une période transitoire non expirée, il convient de lui allouer une provision complémentaire de 334,16 euro ;

Sur l'indemnitaire forfaitaire prévue à l'article 4 du décret du 31 mars 1998

Considérant qu'il y a lieu de faire application de ces dispositions en allouant à la Caisse de retraite et de prévoyance du personnel de la SNCF la somme de 926 euro qu'elle réclame à ce titre ;

Sur l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile

Considérant que l'équité conduit à allouer à Monsieur et Madame Montie, agissant en leur qualité de représentants légaux de leur fils mineur Maxime, d'une part, et à la Caisse de prévoyance et de retraite du personnel de la SNCF, d'autre part, les sommes complémentaires, respectivement, de 1 700 euro et de 700 euro en application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ;

Qu'il n'y a pas lieu d'accueillir la demande de la Société Nationale des Chemins de Fer de ce chef ;

Que la Société Lansay et la Société Generali Assurance Iard, déboutées de ce dernier chef de prétentions, seront condamnées aux dépens d'appel ;

Par ces motifs LA COUR, Confirme le jugement en toutes ses dispositions et, y ajoutant : Déclare la Caisse de prévoyance et de retraite du personnel de la SNCF recevable en son intervention volontaire ; Dit n'y avoir lieu de mettre hors de cause la Société Nationale des Chemins de Fer ; Dit n'y avoir lieu à évocation ; Condamne in solidum la Société Lansay et la Société Generali Assurances Iard à verser : à la Caisse de retraite et de prévoyance du personnel de la SNCF une somme de 334,16 euro à titre de provision complémentaire ; à Monsieur et Madame Montie agissant en qualité d'administrateurs légaux de leur fils mineur Maxime Montie, une somme complémentaire de 1 700 euro au titre de leurs frais non répétibles, à la Caisse de prévoyance et de retraite du personnel de la SNCF une somme de 926 euro au titre de l'indemnité forfaitaire prévue par le décret du 31 mars 1998 et une somme de 700 euro au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ; Déboute les appelantes ainsi que la Société Nationale des Chemins de Fer de leurs demandes fondée sur les dispositions de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ; Condamne in solidum la Société Lansay et la Société Generali Assurances Iard aux dépens d'appel qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Nouveau Code de Procédure Civile.