CA Limoges, ch. corr., 9 mars 2007, n° 06-00647
LIMOGES
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Procureur de la République, X
Défendeur :
UFC Que Choisir Corrèze
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Jaouen
Conseillers :
Mmes Renon, Missoux-Sartrand
Avocats :
Me Blazy-Andrieu, Delpy, Pradon
LA COUR,
X et le Ministère public sont appelants du jugement du Tribunal correctionnel de Brive du 11 mai 2006 qui a renvoyé X des fins de la poursuite du chef d'avoir à Objat (19) courant mai 2004 effectué une publicité comportant des indications fausses, l'a déclaré coupable d'avoir à Objat (19) courant mai 2004 trompé le contractant sur l'origine de garnissages de duvets, sur des produits vendus en France, utilisé des indications de nature à faire croire qu'ils étaient d'origine française, l'a condamné à une amende de 6 000 euro dont 3 000 euro avec sursis, ordonné la publication de la décision par extraits dans le journal "La Montagne", exclu la mention de la condamnation au bulletin N° 2 du casier judiciaire, reçu "UFC Que Choisir Corrèze" en sa constitution de partie civile, déclaré X responsable du préjudice causé à l'intérêt collectif des consommateurs et l'a condamné à lui payer la somme de 1 000 euro à titre de dommages et intérêts ;
Suivant un procès-verbal établi par des agents de la DGCCRF le 27 avril 2005 les plumes et duvets sont des produits de l'industrie agroalimentaire qui ont des caractéristiques physiques spécifiques pouvoir isolant, légèreté et sont utilisés en tant que garnissage des produits textiles de literie, d'habillement, de sport et d'ameublement. Ils ont deux origines distinctes plumes neuves provenant de l'élevage des palmipèdes ou des oiseaux terrestres, plumes de récupération provenant d'articles textiles, le duvet d'oie est plus réputé que le duvet de canard. La qualité d'une plume ou d'un duvet dépend de plusieurs critères les souches de l'animal, les méthodes d'élevage, les systèmes de plumaison, les traitements opérés. C'est surtout la combinaison de la méthode d'élevage, de la région de production, de la période de plumaison qui détermine la qualité d'un duvet. Les animaux élevés en liberté se parent du duvet nécessaire à leur protection des intempéries. Le duvet doit parvenir à maturité. Dans le sud-ouest de la France, les facteurs favorables à la production d'un duvet de qualité sont réunis élevage en plein air des palmipèdes destinés à l'engraissement.
Le 17 mai 2004, deux agents se sont présentés au siège de la société Transplumes à Objat, laquelle procède à la collecte et au traitement des plumes de palmipèdes.
Elle s'approvisionne en plumes neuves et en plumes recyclées auprès d'abattoirs, de fermiers et d'autres industriels. Elle importe de Pologne et de Russie des plumes et duvets neufs ou recyclés. Environ 30 % des plumes proviennent d'abattoirs de fermiers du Périgord 40% de producteurs ou collecteurs industriels du Sud-Ouest, de l'Ouest et du Centre de la Fiance, 30 % de Pologne et de Russie. Chaque espèce animale est codifiée, la codification apparaissant sur les fiches de fabrication et d'assemblage des produits ainsi que sur les documents commerciaux.
Sur les fiches de fabrication et les fiches de stock est également indiquée l'origine des produits. En ce qui concerne les produits finis, la politique de Transplumes vise des produits haut de gamme destinés à la confection de textiles et de literie de très haute qualité, commercialisés sous les dénominations duvet ou plume complétées par l'indication de l'espèce animale et celle du traitement. La société a déposé la marque Plutex qui caractérise des duvets du Périgord.
Il résulte du procès-verbal que l'argumentaire de vente est : "les duvets Transplumes proviennent exclusivement d'élevages fermiers traditionnels d'oies et de canards du Périgord.
Les agents ont procédé à la vérification des produits finis de la gamme Plutex commercialisés sous les dénominations "duvet d'oie grise Périgord" et "duvet canard gris Périgord".
L'examen des fiches de fabrication a fait apparaître que des produits destinés à être vendus sous ces dénominations résultaient de l'assemblage de matières premières ne provenant pas entièrement du Périgord, des duvets importés de Russie ou de Pologne étant mis en œuvre. Concernant les produits "duvets d'oie grises Périgord" 2 354,8 kg résultaient de l'incorporation de 464 kg de duvet de Pologne et de 395 kg de duvet de Russie.
Concernant les produits "duvets de canards gris du Périgord, 2.082 kg provenaient de l'incorporation de 280,50 kg de duvet de Pologne et de 629,5 kg de duvet de Russie.
Il a été procédé à la vérification de la composition des produits commercialisés sous la dénomination "duvet blanc canard fermier". La fiche de fabrication du 24 décembre 2003 consultée indiquait la mise en œuvre de 11 kg de duvet de canard fourni par la société Interplume et de 45 kg de duvet d'oie couché (recyclé) de Russie. Les agents en déduisaient que ce produit de garnissage ne pouvait être qualifié "neuf" et que l'origine des produits ayant servi à la confection de ce garnissage étant indéterminée, la dénomination "canard fermier" n'était pas justifiée. Durant la période du 1er août 2003 au 17 mai 2004, 431,4 kg de produit avait été vendu.
Les éléments recueillis auprès de la société Valandre qui commercialise des sacs de couchage et des vêtements de montagne faisaient ressortir qu'elle était convaincue que Transplumes ne transformait que des plumes et duvets provenant de palmipèdes élevés dans le Sud-Ouest. Les agents de la DGCCRF constataient que des articles textiles confectionnés à partir de duvets originaires de Pologne et de Russie étaient présentés aux consommateurs sous des dénominations fausses.
Ils procédaient au contrôle de la société Pepper Grenoble à Echirolles (38), laquelle fabrique des parkas et des doudounes garnis avec du duvet neuf de canard blanc et s'approvisionne notamment auprès de Transplumes.
Par lettre du 3 janvier 2003, cette dernière confirmait que le duvet proposé pour la saison hiver 2003/2004 pouvait être étiqueté "duvet neuf de canard blanc".
Le 17 novembre 2003, des propositions commerciales pour l'hiver 2004/2005 concernant du duvet de canards blancs origine France. Les investigations faisaient apparaître que la société Pepper Grenoble était convaincue d'acquérir des duvets neufs de canards blancs alors que des articles textiles confectionnés à partir de duvets recyclés originaires de Russie avaient été offerts à la vente sous la dénomination "neuf" à laquelle ils ne pouvaient prétendre.
Les agents de la DGCCRF concluaient que durant la période du 1er août 2003 au 17 mai 2004 Transplumes avait commercialisé sous les dénominations "duvets d'oies grises du Périgord" et "Duvets de canards gris du Périgord" 4 154,20 kg de garnissages confectionnés pour partie avec des duvets importés de Russie et de Pologne, sous la dénomination "duvet blanc de canard fermier" 273,3 kg de garnissages confectionnés pour partie avec des duvets recyclés importés de Russie, trompant les contractants sur l'origine des marchandises, la référence à l'origine "oies et canard de Périgord" constituant un signe distinctif de qualité lié au terroir et au mode d'élevage traditionnel des palmipèdes, que la vente comme "neuf" de duvets recyclés constituaient un mode de présentation faux.
X, gérant de Transplumes, déclarait qu'une marque avait été déposée sous le nom de "Plutex duvets du Périgord" en 1998 ; qu'il ne s'agissait pas d'une appellation d'origine géographique ; que tous les clients étaient satisfaits de la qualité des produits ; qu'en raison d'une baisse de production et de qualité dans le Périgord en particulier et en France en général, la société avait recours à des approvisionnements extérieurs de haute qualité ;
- Sur la demande d'audition d'un témoin
X a cité Monsieur Louis Capelot qui a déjà été entendu par le tribunal, le Ministère public s'oppose à son audition.
X ne donne aucune précision sur l'éventuelle utilité d'une nouvelle audition pour la manifestation de la vérité de sorte qu'il convient de rejeter cette demande.
- Sur l'action publique
Le 17 mai 2004, deux agents de la DGCCRF se sont rendus au siège de la société Transplumes à Objat, Corrèze, dont X est le gérant où ils ont constaté les infractions poursuivies ;
Contrairement à ce que soutient X, les premiers juges n'ont nullement fait un amalgame entre deux infractions en le déclarant coupable d'une part de tromperie sur la nature, la qualité, l'origine d'une marchandise, d'autre part, d'utilisation de mention de nature à tromper sur l'origine nationale d'un produit.
Si la citation comporte des maladresses de rédaction, d'une part une exception de nullité n'a pas été présentée, d'autre part, le visa des textes répressifs permet de s'assurer que trois infractions distinctes sont poursuivies :
1° - La tromperie sur la nature, la qualité, l'origine ou la quantité d'une marchandise,
2° - L'utilisation de mention de nature à tromper sur l'origine nationale d'un produit,
3°- la publicité mensongère ou de nature à induire en erreur.
Le 23 juin 1998, la société Transplumes a déposé la marque "Gamme Plutex, duvets du Périgord" les factures émises portent les mentions "duvet oie grise Périgord" ou "duvet canard gris Périgord".
- Sur le délit d'utilisation de mention de nature à tromper sur l'origine nationale d'un produit
Il n'est pas contestable que la marchandise vendue par Transplumes soit bien originaire de France au sens de l'article 24 du Code des douanes communautaire suivant lequel une marchandises dans la production de laquelle sont intervenus deux ou plusieurs pays, est originaire du pays où a eu lieu la dernière transformation ou ouvraison substantielle, économiquement justifiée, effectuée dans une entreprise équipée à cet effet et ayant abouti à la fabrication d'un produit nouveau ou représentant un stade de fabrication important.
Mais ce qui est reproché est la commercialisation, sous les dénominations "duvets d'oies grises du Périgord" et "duvets de canards gris du Périgord" des garnissages confectionnés pour partie avec des duvets importés de Russie et de Pologne, c'est à dire non une contravention aux dispositions du Code des douanes communautaires mais une infraction aux dispositions de l'article L. 217-6 du Code de la consommation.
L'article L. 217-6 dispose : "Quiconque, sur des produits naturels ou fabriqués, détenus ou transportés en vue de la vente, mis en vente ou vendus en France, ou sur des emballages, caisses, ballots, enveloppes, bandes, étiquettes, etc. (...) aura apposé ou sciemment utilisé une marque de fabrique ou de commerce, un nom, un signe ou une indication quelconque de nature à faire croire, s'ils sont étrangers, qu'ils ont été fabriqués en France ou qu'ils sont d'origine française et, dans tous les cas, qu'ils ont une origine différente de leur véritable origine française ou étrangère, sera puni des peines prévues par l'article L. 213-1 sans préjudice des dommages intérêts, s'il y a lieu".
En ce qui concerne les plumes et duvets vendus par Transplumes, la mention "Périgord" signifie qu'ils proviennent de palmipèdes de cette région. Les clients de Transplumes, soit les fabricants d'articles de literie et de vêtements, de même que les consommateurs étaient légitimement en droit de penser que les caractéristiques mentionnées sur les documents commerciaux, l'étiquetage des produits, le catalogue de vente, notamment l'origine géographique des duvets, correspondaient aux véritables caractéristiques des garnissages en plumes et duvets mis en œuvre.
Il convient de ne pas faire l'amalgame entre le pays dont la marchandise est originaire en considération du traitement appliqué aux plumes et duvets et la région dont ceux-ci sont eux-mêmes originaires. Au demeurant, il ne peut être prétendu que la marchandise a fait l'objet d'une ouvraison en Périgord alors que celle-ci a lieu au siège de la société qui se trouve à Objat en Corrèze, soit dans le Limousin.
Dès lors, les mentions, notamment sur les factures, "duvet oie grise Périgord" ou "duvet canard gris Périgord" ne peuvent que constituer une indication que les duvets traités sont originaires de cette région.
De même il convient d'observer que les commandes de la société Valandre mentionnent les références correspondant soit à "duvet d'oie grise Périgord", soit à "duvet de canard gris Périgord" ce qui signifie qu'elle désirait acquérir du duvet originaire de cette région. Au demeurant sur le catalogue qu'elle édite, elle précise que le duvet est sélectionné parmi les meilleurs élevages français d'oies grises du Périgord et de la Dordogne. Or Transplumes est son fournisseur exclusif.
X explique qu'en raison du réchauffement du climat et de la rapidité de gavage des canards, le canard élevé en Périgord ne permettait plus à la société de répondre à la demande ; que par ailleurs la production d'oies a chuté ; que la société ne traite que des plumes et duvets de palmipèdes fermiers pour lesquels il faut longtemps pour obtenir un duvet de qualité ; que face à une pénurie, la société a décidé de prospecter en Europe pour trouver des produits fermiers susceptibles d'avoir les mêmes qualités que les canards et oies élevés en Périgord de manière traditionnelle ; qu'elle en a trouvé en Russie et en Pologne, que les duvets d'origine polonaise ou russe ne sont entrés souvent que pour 20 à 25 % dans le produit final vendu.
II est établi que sur des produits mis en vente en France, des documents commerciaux, des étiquetages, X a sciemment utilisé des indications de nature à faire croire, alors qu'ils étaient étrangers, qu'ils étaient d'origine française.
- Sur le délit de tromperie
Il apparaît que les contractants de Transplumes ont été trompés quant à l'origine des duvets mis en œuvre dans les marchandises acquises par de fausses indications qui ont été reportées sur les articles textiles confectionnés à partir des garnissages livrés, de sorte que le consommateur a lui-même été trompé, le délit prévu et réprimé par l'article L 213-1 du Code de la consommation est constitué.
La référence à l'origine "oies et canards du Périgord" constitue un signe distinctif de qualité liée au terroir et au mode d'élevage traditionnel des palmipèdes, et le consommateur achète la marchandise en raison même de ces caractéristiques spécifiques. Or en toute connaissance de cause X a mis en œuvre des duvets importés qu'il a commercialisés comme provenant du Périgord.
Il ne peut se justifier par des contraintes liées à des difficultés d'approvisionnement alors que l'origine géographique des duvets mis en œuvre constitue un élément déterminant dans le choix du consommateur qui est en droit de prétendre à une information loyale, laquelle ne peut résulter que de l'étiquetage ou d'un catalogue ;
Il est ainsi établi qu'il a trompé le contractant par les moyens exposés sur l'origine des duvets commercialisés.
- Sur le délit de publicité mensongère
Suivant le libellé de la citation, celui-ci est poursuivi en ce qui concerne exclusivement la présentation et la commercialisation de "duvet blanc canard fermier" alors que la fiche de fabrication du 24 décembre 2003 indique la mise en œuvre de 11 kg de duvet de canard fourni par la société Interplume et 45 kg de duvet d'oie couché de Russie, le terme "couché" signifiant recyclé par opposition au duvet neuf qui seul peut être qualifié de "fermier" cependant X justifie qu'une erreur d'étiquetage a été commise sur les ballots provenant de Russie, l'étiquetage était: "couché oie blanche neuve" alors que ces mentions sont incompatibles. Transplumes a fait analyser un échantillon en laboratoire, lequel a conclu qu'il s'agissait de "canard neuf".
Il ne peut être ainsi reproché la commercialisation de duvets recyclés présentés comme duvets neufs. En conséquence X doit être renvoyé des fins de la poursuite de ce chef.
- Sur la peine
Les infractions de tromperie et d'utilisation de mention de nature à tromper sur l'origine nationale d'un produit seront sanctionnées par une amende de 6 000 euro ;
- Sur l'action civile
UFC Que Choisir Corrèze ne peut obtenir une indemnisation supérieure à celle qu'elle a obtenue en première instance dès lors qu'elle n'a pas relevé appel ;
Les premiers juges ont estimé exactement à 1 000 euro le préjudice causé à l'intérêt collectif des consommateurs ;
Par ces motifs : LA COUR, Statuant publiquement et contradictoirement Reçoit X et le Ministère Public en leurs appels ; Rejette la demande d'audition de témoin ; Sur l'action publique : Confirme le jugement entrepris sur la culpabilité ; Le Reforme sur la peine et statuant à nouveau, Condamne X à une amende de six mille euro (6 000 euro) Compte tenu de l'absence du condamné, il n'a pu lui être donné lecture de l'avertissement que s'il s'acquitte du paiement de l'amende dans un délai d'un mois à compter du jour du prononcé de la présente décision, son montant est diminué de 20 % sans que cette diminution puisse excéder 1 500 euro. Le paiement de l'amende ne fait pas obstacle à l'exercice des voies de recours. Condamne X au paiement d'un droit fixe de procédure d'un montant de cent vingt euro, (120 euro). Le tout par application des articles L. 213-1, L. 216-2, L. 216-3, L. 217-6, L. 217-6 AL.1 du Code de la consommation, 800 du Code de Procédure Pénale. Sur l'action civile : Confirme le jugement entrepris;
Condamne X à payer à UFC Que Choisir Corrèze la somme de mille euro (1 000 euro) en application de l'article 475-1 du Code de procédure pénale en appel.