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Décisions

CA Pau, 1re ch., 3 avril 2007, n° 05-03332

PAU

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Renault (SAS)

Défendeur :

Chenu (Epoux), Etablissements PPDA (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Parant

Conseillers :

M. Lesaint, Mme Rachou

Avoués :

SCP Rodon, SCP Marbot Crepin

Avocats :

Mes Nakache, Schnerb

TGI Pau, du 12 août 2003

12 août 2003

Faits et procédure

Le 12 mars 1998, les époux Chenu ont acquis un véhicule d'importation de marque Renault modèle Mégane Scénic RXI TDI, qui a été entretenu en 2000 et 2001 par un garage qui avait la première année la qualité d'agent Renault, perdue par la suite ;

Le 13 août 2001, ressentant des vibrations anormales sur le véhicule, ils se sont rendus aux établissements PPDA, concessionnaire de la marque Renault à Lescar (Pyrénées Atlantiques), qui ont procédé à une immobilisation du fait de la constatation de la rupture du support multifonction du moteur ;

A défaut de rapprochement des parties concernées dans la prise en charge de la réparation, les époux Chenu ont demandé une expertise judiciaire qui a été ordonnée par décision de référé du 3 Avril 2002 contre la SA PPDA, laquelle avait appelé en la cause la SA Renault, le constructeur ;

L'expert désigné, Monsieur Michel Berdal, a rédigé son rapport le 16 octobre 2002 ; il a constaté, la confirmant, la rupture du support multifonction fixé sur la culasse ainsi que du support de la pompe à injection et des vis de ce support ; il a indiqué que l'insuffisance de résistance des vis de support était un défaut métallurgique connu du constructeur et qui a fait l'objet d'une information auprès des garages du réseau depuis 1999, ce qu'a admis lors des opérations le technicien représentant le constructeur ; il a enfin conclu au remplacement standard du moteur du véhicule et chiffré le préjudice ;

A la suite de cette expertise, les époux Chenu ont saisi le juge du fond en assignant la société Renault, représentée par son concessionnaire les Établissements PPDA à Lescar ; en cours de procédure, une ordonnance du juge de la mise en état du 31 mars 2003 a, notamment, obligé la société Renault à procéder aux réparations préconisées ;

En l'absence de comparution de défendeur, le Tribunal de grande instance de Pau, par jugement du 12 août 2003 exécutoire par provision, au visa des articles 1147 et 1641 du Code Civil, a considéré le vice caché affectant le véhicule et le manquement au devoir de loyauté de la société Renault qui n'a pas rappelé le véhicule pour changer les pièces défectueuses et a condamné la société Renault à procéder à l'échange standard du moteur et à remettre le véhicule en état de rouler, comme l'y obligeait déjà une ordonnance rendue par le juge de la mise en état le 31 mars 2003 ;

Le tribunal a également condamné la société Renault à payer aux époux Chenu la somme de 9 900 euro en indemnisation du préjudice d'immobilisation, à parfaire à raison de 20 euro par jour entre le 31 décembre 2002 et la réparation du véhicule, celle de 1 044,93 euro, au titre du remboursement des intérêts de l'emprunt contracté pour l'achat du véhicule, celle encore de 2 000 euro en application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ;

Le tribunal a enfin ordonné la publication du jugement dans trois revues qu'il a énoncées aux frais de la société Renault dans les deux mois de la signification de la décision ;

Le jugement a été signifié à la SA PPDA, en tant que représentant la société Renault, et, le 2 Septembre 2003, à la SAS Renault à son siège à Boulogne-Billancourt dans les Hauts de Seine ;

Le 14 juin 2004, la SAS Renault a assigné les époux Chenu et la SA Etablissements PPDA en tierce-opposition du jugement rendu le 12 août 2003 ;

Par jugement du 31 août 2005, le Tribunal de grande instance de Pau, devant lequel n'a pas comparu la SA PPDA, a reçu en la forme la tierce-opposition et rejetant l'intégralité des moyens soulevés par l'opposant, ainsi que les demandes supplémentaires de dommages-intérêts et de frais irrépétibles, a confirmé les condamnations prononcées à l'encontre de la SAS Renault ;

Le 16 septembre 2005, la SAS Renault a relevé appel de cette décision, dans des conditions de forme qui ne sont pas critiquées et qui sont recevables ;

Moyens et prétentions des parties

Dans ses dernières conclusions déposées le 13 septembre 2006, la SAS Renault, appelante, fait valoir que :

* c'est justement que le tribunal a reçu son opposition, alors qu'elle ne pouvait être représentée par le concessionnaire de la marque, qui a une personnalité juridique distincte ;

* mais le premier juge n'a pas tiré les conséquences de la tierce-opposition en faisant application de l'article 472 du Nouveau Code de Procédure Civile sur les jugements rendus par défaut et en ne discutant pas les moyens qu'elle n'a pas pu faire valoir dans la première instance à laquelle elle n'était pas présente ;

* les demandes indemnitaires doivent être rejetées : elle n'a jamais fait preuve de résistance, puisque, lors des opérations d'expertise, elle avait donné son accord pour les réparations dès le 10 juin 2002 et les époux Chenu ont dissimulé que le véhicule avait été réparé dès le 21 mai 2003 ; les frais d'immobilisation sont donc injustifiés, comme le remboursement des intérêts de l'emprunt, puisque les intimés sont seuls responsables de l'immobilisation, comme encore les frais de transport, dont ils ont été déboutés à juste titre ;

* le tribunal n'a aucunement motivé le maintien de la condamnation à publication, qui est un moyen de réparation subsidiaire palliant généralement un défaut d'exécution d'une condamnation principale et faisant suite à une information erronée ou tendancieuse donnée au public, ce qui n'est pas le cas en l'espèce ; cette condamnation devra être infirmée ;

* les dommages-intérêts demandés pour procédure abusive sont injustifiés alors que les intimés en sont les seuls responsables ;

Elle demande, au visa des articles 582 et 16 du Nouveau Code de Procédure Civile :

- l'infirmation de la décision déférée et le rejet de toutes les demandes faites à son encontre ;

- le paiement de la somme de 5 000 euro en application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ;

Dans leurs dernières conclusions déposées le 17 juillet 2006, les époux Chenu, intimés et appelants incidents, répliquent que :

* la tierce-opposition est irrecevable, en application de l'article 586 alinéa 3 du Nouveau Code de Procédure Civile ; la SAS Renault était partie principale à la première instance ; elle a en effet été assignée et représentée par son concessionnaire, comme elle a été présente aux opérations d'expertise ; c'est sur son ordre que le véhicule a été réparé ; enfin, elle n'a pas relevé appel du jugement du 12 août 2003 ;

* subsidiairement, les indemnités sont dues car si la société avait été de bonne foi, comme elle le prétend, elle aurait accepté immédiatement de prendre en charge le sinistre, dont elle a indiqué à l'expertise connaître la cause, sans attendre la mesure d'instruction judiciaire ;

* ils sont en droit d'obtenir l'indemnisation de cette procédure abusive, alors que le jugement de 2003 est inexécuté partiellement depuis plus de deux ans ;

* subsidiairement, les décisions du juge de la mise en état en cours de procédure et le jugement du 12 août 2003 doivent être déclarées applicables à la SAS Renault ;

Ils concluent :

- à l'irrecevabilité de la tierce-opposition formée par la SAS Renault ;

- à ce que soient déclarés applicables à son encontre l'ordonnance du juge de la mise en état du 31 mars 2003 et le jugement du 12 août 2003 ;

- au paiement de la somme de 7 600 euro à titre de dommages-intérêts et de celle de 1 000 euro en application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ;

La SA Etablissements PPDA, intimée, ne comparaît pas ; elle a été régulièrement assignée à personne habilitée le 17 Janvier 2006 ;

L'ordonnance de clôture de la procédure a été rendue le 7 Novembre 2006 ;

Discussion

La SAS Renault est une personne juridique distincte de la SA Etablissements PPDA, société concessionnaire de la marque à Lescar ; étant seulement assignée au siège de son concessionnaire à Lescar, elle n'a pas été régulièrement attraite devant la juridiction et n'a pas été partie au procès qui s'est déroulé en son absence ;

La signification du jugement du 12 août 2003 qui lui a été faite à son propre siège social ne mentionnait pas, alors qu'elle était tiers au procès, la possibilité de la voie du recours extraordinaire, laquelle reste possible au-delà du délai de deux mois prévu à l'article 586 alinéa 3 ;

Dans ces conditions, la SAS Renault, condamnée par le jugement qu'elle critique, est recevable à former tierce opposition contre cette décision, en application des articles 582 et suivants du Nouveau Code de Procédure Civile ;

La tierce-opposition remet en question, relativement à son auteur, les points jugés qu'elle conteste ;

En l'espèce, bien que la SAS Renault ne limite pas expressément son opposition au regard des points du dispositif du jugement attaqué, il ressort de ses écritures qu'elle ne discute en rien les conclusions de l'expertise à laquelle elle a participé ; le défaut métallurgique relevé par l'expert, admis par le constructeur qui avait alerté le réseau de ses concessionnaires et de ses agents dès 1999, constitue bien, comme l'avait estimé le tribunal dans la décision frappée de l'opposition, le vice caché visé aux articles 1641 et suivants du Code Civil ;

La SAS Renault n'a d'ailleurs jamais contesté sa responsabilité puisqu'elle souligne elle-même que dès la réunion d'expertise de juin 2002, elle avait offert de prendre la réparation du véhicule à sa charge ;

C'est donc de façon justifiée que la condamnation à faire procéder à l'échange standard du moteur a été prononcée et celle-ci ne peut qu'être confirmée ;

L'appelante critique le jugement dont appel en ce qu'il a confirmé également les condamnations à paiement de sommes en réparation des préjudices annexes d'immobilisation et de paiement des intérêts de l'emprunt contracté pour l'acquisition du véhicule ;

La SAS Renault, qui a reconnu devant l'expert connaître ce défaut et avoir alerté le réseau de garagistes portant son enseigne dès 1999, avait connaissance du vice et, sans même avoir besoin de rappeler la réputation de cette connaissance qui, en tout état de cause, pèse sur elle en tant que fabricant, elle est tenue à tous les dommages-intérêts en application de l' article 1645 du Code Civil ;

Les époux Chenu ne discutent pas l'affirmation de l'appelante selon laquelle le véhicule a été réparé le 21 mai 2003 ; en tenant cette date pour exacte, la SAS Renault, qui indique avoir déclaré, dès le mois de juin 2002, prendre les réparations à sa charge est la seule responsable de l'immobilisation du véhicule ; la condamnation à payer la somme de 9 900 euro en réparation de ce préjudice, à parfaire à raison de 20 euro par jour après le 31 décembre 2002 jusqu'à réparation doit être confirmée, ainsi que le remboursement des intérêts de l'emprunt contracté pour 1 044,93 euro, alors que le véhicule était indisponible ;

Les époux Chenu ayant été dans l'obligation d'agir en justice alors que la SAS Renault, en connaissance du vice, pouvait éviter cette procédure, la condamnation de la société à leur payer la somme de 2 000 euro en application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile doit être reprise ;

En revanche, les époux Chenu ayant désormais devant eux un défendeur comparant et alors que le véhicule a été réparé, la publication de la décision dans les trois revues énoncées par le tribunal, disposition reprise dans la confirmation générale dans le jugement dont appel, ne s'impose pas ; cette condamnation n'a pas lieu d'être prononcée à l'encontre de la SAS Renault ;

Les époux Chenu ne caractérisent pas l'abus de procédure et leur demande de dommages-intérêts sera rejetée ;

L'appel de la SAS Renault n'est que très partiellement fondé et elle devra en supporter les dépens ;

Il serait inéquitable de laisser à la charge des époux Chenu les frais non compris dans les dépens qu'ils ont dû exposer devant la cour ; la SAS Renault devra leur payer la somme de 1 000 euro en application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ;

Par ces motifs, LA COUR, Après en avoir délibéré, statuant publiquement, par décision réputée contradictoire et en dernier ressort ; Dit l'appel de la SAS Renault partiellement fondé ; Confirme le jugement entrepris, lui-même reprenant les condamnations prononcées contre la SAS Renault dans le précédent jugement du 12 août 2003, en toutes ses dispositions à l'exception de celle ordonnant la publication de la décision dans trois revues ; Infirmant sur ce point, dit n'y avoir lieu à publication ; Y ajoutant : Condamne la SAS Renault à payer aux époux Chenu la somme de mille euro (1 000 euro) en application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ; Rejette toute autre demande ; Dit les dépens d'appel à la charge de la SAS Renault, avec autorisation donnée à la SCP Marbot Crepin, avoués, qui l'a demandé, de faire application de l'article 699 du Nouveau Code de Procédure Civile.