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Décisions

CA Versailles, 3e ch., 14 janvier 2010, n° 06-06016

VERSAILLES

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Renault (SAS)

Défendeur :

Marques

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Valantin

Conseillers :

M. Regimbeau, Mme Calot

Avoués :

SCP Bommart Minault, SCP Keime Guttin Jarry

Avocats :

Mes Nakache, Maranhao-Guitton

TGI Nanterre, du 9 juin 2006

9 juin 2006

Mme Marie-Rosine Marques a acquis un véhicule Renault modèle Mégane Scénic DCI, mis en circulation le 22 mars 2002 suivant facture du 27 mars 2002, auprès du Garage de l'Aéroport SA - concessionnaire Renault - à Gonesse (95500), et a souscrit la garantie losange lui assurant, pour une durée de deux ans à compter de la mise en circulation du véhicule, une garantie pour tout défaut de matière, de montage ou de fabrication.

Le 6 avril 2003, alors que Mme Marques roulait sur une voie express, le moteur du véhicule s'est brutalement emballé, une épaisse fumée blanche se dégageant du pot d'échappement, et a continué à tourner à plein régime alors même que Mme Marie-Rosine Marques avait réussi à stopper le véhicule et retiré les clés du contact. Le véhicule a alors été remorqué au garage Renault de Viarmes, qui a procédé au replacement du turbocompresseur, du pot catalytique et de la vanne EGR.

Mme Marie-Rosine Marques, se plaignant de bruits anormaux et d'un manque de puissance, a fait procéder à un examen de son véhicule par le cabinet CAE, en présence du responsable et du chef d'atelier du garage, et l'expert a conclu que l'emballement du moteur avec fonctionnement à plein régime prolongé, avec diminution progressive de l'huile moteur altérait de manière irrémédiable le moteur par l'absence de lubrification soumettant des pièces à des efforts mécaniques importants, estime que les réparations effectuées étaient insuffisantes et que le remplacement du moteur était indispensable.

Ses démarches amiables ayant échoué, Mme Marie-Rosine Marques a obtenu, par ordonnance de référé du 23 janvier 2004, la désignation d'un expert. Celui-ci a déposé son rapport le 25 février 2005, dans lequel il conclut notamment que le véhicule a subi un incident d'emballement du moteur consécutif à une défaillance du turbocompresseur, qui devait être remplacé préventivement par le constructeur au titre d'une campagne de rappel ; l'emballement du moteur a eu pour conséquence d'aspirer et de brûler le lubrifiant, la lubrification est devenue insuffisante et les pièces mécaniques se sont usées en conséquence, le moteur de ce véhicule présente une usure prématurée et sa longévité sera réduite.

En ouverture de ce rapport, Mme Marie-Rosine Marques a assigné la SAS Renault en résolution de vente et paiement de diverses sommes.

Le Tribunal de grande instance de Nanterre, par jugement en date du 9 juin 2006, a :

- rejeté le grief de nullité du rapport d'expertise judiciaire du 25 février 2005,

- prononcé le résolution de la vente du véhicule Renault modèle Scénic DCI, Type mine MRE 530616792 n° de série VFAJA050526579405, mis en circulation le 22 mars 2002, immatriculé 695 DCP95, intervenue le 27 mars 2002 en faveur de Mme Marie-Rosine Marques,

- enjoint Mme Marie-Rosine Marques de restituer le véhicule susvisé à la SAS Renault, dans les quinze jours de la signification du jugement,

- condamné la SAS Renault à payer à Mme Marie-Rosine Marques la somme de 8.170 euro avec intérêts au taux légal à compter du 25 juillet 2005,

- condamné la SAS Renault à payer à Mme Marie-Rosine Marques les sommes de 275,08 euro à titre de remboursement de l'intégralité des frais d'expertise amiable (Cabinet CAE), 3 686,84 euro en remboursement des frais de réparation intervenus sur le véhicule incriminé, 2 000 euro en réparation du préjudice moral, 2 375 euro en remboursement des frais d'expertise avancés,

- condamné la SAS Renault à payer à Mme Marie-Rosine Marques une indemnité de 2 500 euro sur le fondement des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,

- débouté les parties du surplus de leurs prétentions,

- condamné la SAS Renault aux entiers dépens comprenant le surplus des frais d'expertise.

Le véhicule a subi un nouvel emballement du moteur le 2 juin 2006 et se trouve depuis cette date dans un garage, à disposition du constructeur, le coût des réparations étant évalué à la somme de 8 317,13 euro.

Saisie de l'appel interjeté par la SAS Renault, la Cour d'appel de Versailles, par arrêt en date du 11 janvier 2008, a confirmé le jugement entrepris en ce qu'il a débouté la SAS Renault de sa demande en nullité du rapport d'expertise de M. Brun, avant-dire droit sur le surplus des prétentions des parties, a ordonné une expertise confiée à M. Brunel, remplacé par M. Bachelier, aux frais avancés par Mme Marie-Rosine Marques et réservé les dépens.

Par ordonnance d'incident en date du 2 juillet 2009, le conseiller de la mise en état a déclaré bien-fondé l'incident de communication de pièces introduit par Mme Marques, a enjoint à la SA Paris Viarmes Automobiles, ayant réparé le véhicule litigieux suite à l'emballement du moteur du 6 avril 2003, d'adresser au greffe de la cour toutes les pièces en sa possession, relatives à l'incident du 26 avril 2003 et à la prise en charge des travaux de réparation préconisés, dont il est fait état en page 9 du rapport d'expertise Brun, dans le mois de la signification de l'ordonnance sous astreinte de 300 euro par jour de retard et réservé les dépens.

La SA Paris Viarmes Automobiles a déposé au greffe les documents relatifs aux réparations effectuées dans son établissement, le 27 juillet 2009.

Le rapport d'expertise de M. Bachelier a été déposé le 8 juillet 2008.

Aux termes de ses dernières conclusions signifiées le 1er octobre 2009, la SAS Renault, appelante, prie la cour de :

- réformer le jugement entrepris

- débouter Mme Marques de toutes ses demandes

- la décharger des condamnations pécuniaires prononcées à son encontre

- condamner Mme Marie-Rosine Marques à lui payer la somme de 3 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et aux dépens.

Aux termes de ses dernières conclusions signifiées le 8 septembre 2009, Mme Marie-Rosine Marques, intimée, prie la cour, au visa des articles 1641 et suivants du Code civil, de :

- confirmer le jugement en ce qu'il a prononcé la résolution de la vente, condamné la SAS Renault au paiement de la somme de 2 500 euro au titre des frais irrépétibles

- le réformant pour le surplus

- condamner la SAS Renault au paiement de la valeur du véhicule, soit la somme de 18 691 euro avec intérêts au taux légal à compter de la date de la première mise en demeure, soit le 24 avril 2003

- condamner la SAS Renault au paiement des sommes suivantes :

* 1 205,10 euro à titre de remboursement de l'intégralité des frais du cabinet CAE et frais de réparation

* 10 000 euro à titre de dommages-intérêts pour les pertes de temps et les désagréments subis pendant toute la période d'avril 2003 à ce jour, auxquels s'ajoutent les pertes liées à son activité professionnelle

* 3 000 euro de dommages-intérêts pour résistance abusive

- En tout état de cause,

- débouter la SAS Renault de l'ensemble de ses demandes

- condamner la SAS Renault à lui payer la somme 5 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux dépens (incluant l'obligation de la rembourser de la somme de 2 375 euro au titre de l'avance faite au titre des frais d'expertise).

Vu l'ordonnance de clôture prononcée le 1er octobre 2009.

Motifs de la décision

- Sur la garantie contractuelle du constructeur

Considérant qu'il appartient à l'acquéreur, de rapporter la preuve de la réunion des conditions nécessaires à l'application de la garantie contractuelle du constructeur ;

Considérant que les conditions nécessaires à l'application de la garantie contractuelle du constructeur dite Losange, prévue à l'article 4 des conditions générales de vente donnant droit au remplacement ou à la réparation de la pièce défectueuse pendant une durée de 24 mois, ne sont pas réunies en l'espèce ;

- Sur la mise en œuvre de la garantie légale pour vices cachés

Considérant que selon les dispositions de l'article 1641 du Code civil, "Le vendeur est tenu de la garantie à raison des défauts de la chose vendue qui la rendent impropre à l'usage auquel on la destine, ou qui diminue tellement cet usage, que l'acheteur ne l'aurait pas acquise ou n'en aurait donné qu'un moindre prix, s'il les avait connus" ;

Considérant en l'espèce, que la SAS Renault expose que la défaillance du turbocompresseur est une simple hypothèse alors qu'un trop plein d'huile imputable au garage Paris Viarmes peut être à l'origine de la panne, que les experts n'ont pas vérifié si son intervention avait été réalisée dans les règles de l'art, que la défectuosité de la pièce n'est pas démontrée, que le garage Paris Viarmes a seul décidé de ne pas remplacer le moteur, et aurait commis selon l'expert, une erreur de diagnostic et est donc seul responsable des désordres invoqués, que subsidiairement, en cas de résolution de vente, le prix de vente à rembourser devra tenir compte de la dépréciation du véhicule due à l'usage intensif que l'intimée en a fait depuis le 27 mars 2002 et à l'absence de mesures conservatoires, que l'intimée doit être déboutée de son appel incident, que le prix à rembourser ne pourra qu'être inférieur à sa valeur Argus qui est de 4 762 euro ;

Considérant que Mme Marie-Rosine Marques rétorque que s'agissant de la panne du 6 avril 2003, les experts judiciaires ont conclu à une défaillance du turbocompresseur, que l'entretien ne peut être mis en cause, le véhicule venant de subir l'entretien des 30 000 kms en avril 2003, que le chef d'atelier du garage Paris Viarmes a précisé à l'expert lors de la réunion du 27 mai 2004 que le constructeur avait refusé le remplacement du moteur qu'il avait préconisé, ainsi qu'il résulte des pièces transmises à la cour, que s'agissant de la panne du 2 juin 2006, l'expertise de M. Bachelier conforte les conclusions de l'expertise Brun et impute le nouvel incident à un vice préexistant résultant de la défaillance du turbocompresseur, rendant le véhicule impropre à sa destination, qu'elle souligne qu'elle subit l'immobilisation de son véhicule dont elle n'a pu se servir depuis plusieurs années ainsi que sa décote du seul fait de l'obstination de la SAS Renault à prendre en charge ce sinistre ;

Considérant que l'expertise réalisée par M. Bachelier relève que l'hypothèse à retenir, c'est à dire la défaillance du turbo compresseur, est confirmée par la nature de l'intervention qui a suivi, à savoir le remplacement de cet élément ainsi que le pot catalytique et la vanne EGR, que cette panne est à rapprocher d'un défaut de lubrification d'origine, le constructeur, dans une lettre de rappel à ses clients, demandant à ceux-ci de présenter leur véhicule afin qu'il soit procédé à un remplacement de l'huile moteur d'origine et du filtre à huile ;

Que l'entretien préconisé avait été effectué dans le réseau Renault peu de temps avant la panne ;

Que les investigations auxquelles a procédé M. Brun corrobore l'existence de séquelles consécutives à l'emballement du moteur ;

Que l'expertise Bachelier conclut que du fait du courrier de rappel du constructeur, il est permis de penser que ce véhicule présentait un vice de fabrication lors de la vente (lubrifiant moteur inadapté), que le vice a conduit à une panne du moteur le rendant impropre à sa destination, que le véhicule avait déjà subi une panne semblable après laquelle le moteur aurait dû être remplacé, ce qui a été refusé par le service après-vente Renault malgré l'existence d'une garantie à cette date ;

Que les pannes dont a été victime Mme Marques ayant nécessité le remplacement de filtres à huile, à air et à pollen, sont en rapport avec la campagne de rappel des véhicules au sujet du remplacement de l'huile et du filtre à huile du moteur des véhicules Renault Scénic, suite au constat évoqué par le constructeur d'un risque de dommage moteur (et/ou) de turbocompresseur, entraînant éventuellement un manque de performance du moteur voire son emballement (courrier du 31 janvier 2003) et d'une possibilité de bruit du moteur et de manque de puissance du véhicule susceptibles d'entraîner un emballement du moteur (courrier du 4 septembre 2003) ;

Considérant qu'il ne peut être reproché au concessionnaire Renault une mauvaise prestation de réparation de la panne, alors que préconisant le remplacement du moteur, c'est le constructeur qui s'est opposé à ce remplacement ainsi qu'il résulte des pièces transmises par le garage Viarmes ;

Considérant qu'il résulte de l'ensemble des éléments exposés, que le véhicule de Mme Marques était affecté d'un vice, que ce vice rendait le véhicule impropre à l'usage auquel il était destiné au sens de l'article 1641 du Code civil puisqu'il entraînait un emballement du moteur, rendant son remplacement nécessaire et que l'acquéreur s'il l'avait connu, n'aurait pas acquis le véhicule ;

Que le jugement sera confirmé de ce chef ;

Que s'agissant des conséquences de la résolution de la vente, il convient de condamner la SAS Renault au paiement de la valeur du véhicule à la date de survenance du premier emballement, soit le prix d'achat de 18.691 euro avec intérêts au taux légal à compter du 25 juillet 2005, date de l'assignation en résolution de vente, sans prendre en considération la cote Argus au 12 mars 2009 avancée par la société appelante ;

Que Mme Marques est fondée à obtenir en outre, le paiement des sommes suivantes en réparation des préjudices complémentaires subis :

- 1 205,10 euro en remboursement des frais du cabinet d'expertise CAE et frais de réparation

- 3 500 euro pour désagréments subis de la période d'avril 2003 à ce jour, outre les pertes financières liées à son activité professionnelle de kinésithérapeute ;

- Sur la demande au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et pour résistance abusive

Considérant que l'exercice d'une action en justice de même que la défense à une telle action, constitue en principe un droit et ne dégénère en abus de droit que dans le cas de malice, de mauvaise foi ou d'erreur grossière équipollente au dol ;

Que l'appréciation inexacte qu'une partie fait de ses droits n'est pas en soi constitutive d'une faute ;

Qu'en l'absence de faits de nature à faire dégénérer en abus l'exercice du droit d'agir en justice, Mme Marie-Rosine Marques sera déboutée de sa demande de dommages-intérêts pour résistance abusive et le jugement sera confirmé de ce chef ;

Qu'il sera alloué à Mme Marie-Rosine Marques une indemnité au titre des frais irrépétibles contre la SAS Renault en complément de celle allouée par les premiers juges ;

Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, Confirme le jugement entrepris en ce qu'il a prononcé la résolution de la vente du véhicule Renault Megane Scénic immatriculé 695 DCP 95, enjoint à Mme Marques de restituer ledit véhicule à la SAS Renault dans les 15 jours de la signification du jugement, condamné la SAS Renault à rembourser à Mme Marques la somme de 2 375 euro en remboursement des frais d'expertise avancés, outre la somme de 2 500 euro au titre des frais irrépétibles et rejeté la demande de Mme Marques pour résistance abusive, Le réforme pour le surplus, Statuant à nouveau, Condamne la SAS Renault à payer à Mme Marie-Rosine Marques la somme de 18 691 euro avec intérêts au taux légal à compter du 25 juillet 2005, Condamne la SAS Renault à payer à Mme Marie-Rosine Marques les sommes suivantes : 1 205,10 euro à titre de remboursement de l'intégralité des frais du cabinet CAE et frais de réparation, 3 500 euro à titre de dommages-intérêts pour les pertes de temps et les désagréments subis pendant toute la période d'avril 2003 à ce jour et pertes liées à son activité professionnelle ; Y ajoutant, Condamne la SAS Renault à payer à Mme Marie-Rosine Marques la somme 5 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, Condamne la SAS Renault aux dépens de première instance et d'appel, comprenant les frais d'expertise judiciaire de M. Brun et de M. Bachelier, dont le recouvrement sera poursuivi par la SCP Keime Guttin Jarry, avoués associés à la cour, conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.