CA Rennes, 1re ch. B, 7 janvier 2011, n° 09-06998
RENNES
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Setab (SARL)
Défendeur :
Contacts Automobiles (SAS), FMC Automobiles-division Ford France (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Simonnot
Conseillers :
M. Gimonet, Mme Le Brun
Avoués :
SCP D'aboville, de Moncuit Saint-Hilaire & Le Callonnec, SCP Gautier-Lhermitte, SCP Bazille
Avocats :
SELARL Le Porzou, David, Ergan, SCP Garnier, Lozac'hmeur, Bois, Dohollou, Souet, Arion, Grenard, Levrel, Guyot-Vasnier, Me Serreuille
Le 6 avril 2001, la société Contacts automobiles, concessionnaire Ford, a vendu à la société Setab un véhicule Ford Transit neuf qui avait été importé par la société FMC automobiles Ford France ;
Ce véhicule a été entretenu par la société Contacts automobiles jusqu'à la révision effectuée le 22 novembre 2006 ;
Le véhicule est tombé en panne alors qu'il avait parcouru 583 kilomètres depuis cette dernière révision des 100 000 kilomètres, un piston ayant cassé ;
Par jugement du 10 septembre 2009, le Tribunal de commerce de Rennes a :
- débouté la société Setab de l'ensemble de ses demandes ;
- débouté les parties défenderesses de leurs autres demandes ;
- ordonné l'exécution provisoire ;
- condamné la société Setab aux dépens comprenant les frais de l'expertise judiciaire ;
La société Setab a interjeté appel de cette décision et, par conclusions du 26 juillet 2010, a demandé à la cour :
- d'infirmer le jugement ;
- de condamner solidairement la société Contacts automobiles et la société FMC automobiles Ford France à lui payer la somme de 19 836,12 euro outre celle de 832 euro HT par mois au titre du préjudice de jouissance à compter du 1er mars 2008 jusqu'au paiement de l'indemnité de 7 167,26 euro ou la réparation du véhicule ;
- de débouter les sociétés Contacts automobiles et FMC automobiles FORD France de toutes leurs demandes, notamment concernant les frais de gardiennage ;
- de condamner solidairement la société Contacts automobiles et la société FMC automobiles Ford France à lui payer la somme de 4 500 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux dépens, comprenant les frais d'expertise judiciaire et devant être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile ;
La société Contacts automobiles, par conclusions du 1er octobre 2010, a demandé à la cour :
- de confirmer le jugement et de débouter la société Setab de ses demandes ;
- subsidiairement, de condamner la société FMC automobiles à la garantir de l'ensemble des condamnations pouvant être prononcées contre elle ;
- plus subsidiairement, de juger que le préjudice de jouissance subi par la société Setab ne saurait être supérieur à 10 euro par jour d'immobilisation du véhicule ;
- de condamner à titre reconventionnel la société FMC automobiles à lui régler la somme de 1 936 euro correspondant aux frais de gardiennage entre le 1er juillet 2007 et le 1er mars 2008 ainsi que la somme de 8 euro par jour à compter du 1er mars 2008 jusqu'à la restitution du véhicule à la société Setab ;
- en tout état de cause, de condamner la société FMC automobiles à lui payer la somme de 4 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux dépens, incluant les frais d'expertise et devant être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile ;
La société FMC automobiles-division Ford France a demandé à la cour, par conclusions du 19 octobre 2010 :
- de confirmer le jugement ;
- d'écarter des débats le rapport de l'expert judiciaire ;
- de débouter la société Setab de l'ensemble de ses demandes dirigées contre elle ;
- de débouter le garage Contacts automobiles de ses demandes ;
- subsidiairement, de débouter la société Setab de sa demande en réparation d'un préjudice de jouissance ;
- de juger que seule pourrait intervenir une indemnisation HT du préjudice de jouissance, la société Setab étant susceptible de récupérer la TVA, et de constater que l'assureur de protection juridique de la société Setab prend en charge les frais de la procédure ;
- en toute hypothèse, de condamner tout succombant à lui payer la somme de 4 000 euro sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux dépens de première instance et d'appel devant être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile ;
Sur ce,
Considérant qu'aux termes de l'article 1641 du Code civil, le vendeur est tenu de la garantie à raison des défauts cachés de la chose vendue qui la rendent impropre à l'usage auquel on la destine, ou qui diminuent tellement cet usage, que l'acheteur ne l'aurait pas acquise, ou n'en aurait donné qu'un moindre prix, s'il les avait connus ;
Que la charge de la preuve du vice caché incombe à l'acquéreur ;
Considérant à titre liminaire que la société FCM automobiles reproche à l'expert sa moquerie et son sarcasme à son égard et le fait qu'il lui ait demandé des documents que seul le constructeur pouvait communiquer et en déduit un manque d'objectivité et d'impartialité ;
Mais considérant qu'il ressort de l'examen du rapport de l'expert Bahu, commis par ordonnance du juge des référés du Tribunal de commerce de Rennes du 2 octobre 2007, que, si l'expert eût sans doute été avisé de relater ses investigations sur un ton moins polémique à l'égard d'une partie, quand bien même cette partie se serait adressée à lui sur le même ton, il reste que ce mode d'expression ne caractérise pas à lui seul un manquement à l'impartialité et à l'objectivité requises de ce technicien ;
Qu'il n'y a donc pas lieu d'écarter des débats le rapport de l'expert, comme demandé par la société FMC automobiles-division Ford France ;
Considérant qu'il ressort du rapport de l'expert que la panne provient de la perforation et du serrage du piston n° 2 dont les arrachements et les fusions ont une géométrie irrégulière dans le périmètre, contrairement au nouveau piston fourni désormais pour le même moteur par le constructeur Ford ;
Que l'expert a conclu à une "faiblesse intrinsèque née lors de la conception relevant de Ford et qui aurait de ce fait nécessité une action de rattrapage dès que les nouvelles références de pistons sont apparues", avant de chiffrer la remise en état du véhicule à la somme de 7 167 euro HT et le préjudice de jouissance à la somme de 832 euro HT par mois, somme correspondant au coût de la location d'un véhicule de remplacement arrêtée à 11 648 euro HT au 1er mars 2008 ; que l'expert ajoute les frais de démontage du véhicule pour 390,50 euro HT, les frais de gardiennage et la facture d'assistance de M. Le Gallais expert amiable (490,36 euro) ;
Considérant que l'expert a contrôlé les injecteurs et constaté qu'ils ne présentaient aucune trace laissée par un carburant pollué mais a relevé au contraire des traces de combustion homogène ; qu'il a ainsi exclu l'éventuel rôle causal d'un carburant de mauvaise qualité ;
Considérant que l'expert a exclu également qu'une huile de mauvaise qualité ait pu être à l'origine du désordre en constatant que les coussinets de la ligne d'arbre ou les éléments de la culasse, bien plus sensibles à la qualité d'huile dans son aspect lubrifiant, n'avaient pas été rayés ou marqués et qu'il ne restait aucun corps étranger faisant penser à une huile polluée qui aurait circulé ; qu'il a considéré que le corps boueux présent au fond du carter n'était que la conséquence des fusions et des échauffements survenus depuis le début de la panne, comme le confirmait l'analyse d'huile ;
Considérant que, si l'expert amiable Pioche, de la société BCA expertises, avait considéré qu'à un moment donné, le gicleur du cylindre n° 2 n'avait pas fonctionné et avait "pu se trouver obstrué par le dépôt en fond de carter ou par un niveau d'huile trop bas", M. Bahu a réfuté cette thèse et a établi au contraire, par comparaison avec un gicleur neuf, que le gicleur avait toujours été opérationnel et au contact d'une huile pure ; qu'il a constaté que le grippage ne s'était pas fait aux quatre coins du piston comme c'est normalement le cas dans l'hypothèse d'un mauvais refroidissement ; qu'il en a déduit que la panne ne provenait pas d'un mauvais fonctionnement de ce gicleur ou de son colmatage, même fugitif ;
Que la société FMC automobiles-division Ford France ne rapporte aucun élément de preuve technique au soutien de son allégation selon laquelle le moteur se serait emballé par auto-combustion de l'huile si le gicleur avait continué à pulvériser en présence d'un trou dans le piston ;
Considérant que l'expert a encore exclu que la panne ait pu provenir d'un défaut d'utilisation et a retenu que le véhicule avait été entretenu normalement ;
Considérant que l'expert Bahu a constaté que les fusions s'étaient produites au niveau du segment racleur, dont la section importante favorisait son usure, puis que les frottements irréguliers qui en résultaient avaient fragilisé et créé des arrachements au niveau du trou d'évacuation d'huile, ne permettant plus une bonne évacuation de la chaleur ; qu'il a expliqué que la géométrie du lit du cratère prouvait que la fusion avait débuté à cet endroit et avait rejoint progressivement la chambre sous l'effet de chaleur qui se transmettait jusqu'à la jupe par la nervure ;
Considérant que l'expert a relevé que les pistons livrés par le constructeur Ford postérieurement à la construction du véhicule en cause sont mieux équilibrés et surtout équipés de segments différemment implantés et de dimensions différentes, de sorte que les nouveaux pistons sont favorables à une meilleure tenue ; qu'il a expliqué que, contrairement à ce que soutient la société FMC automobiles-division Ford France, la nouvelle conception des pistons et des éléments associés n'avait pas eu pour objectif de compenser des hausses des pressions d'injections de carburant, le moteur n'ayant pas évolué ;
Que, contrairement à ce que soutiennent les premiers juges, l'expert n'a pas conclu à un défaut de conception en se fondant sur la seule évolution dont a fait l'objet le segment racleur entre la construction du véhicule litigieux et les modèles mis en circulation au jour de l'expertise ; qu'il a au contraire établi l'existence d'un défaut de conception caractérisant un vice caché au sens de l'article 1641 du Code civil, après avoir écarté les différentes causes possibles de la panne ;
Considérant que ce défaut de conception, caché aux yeux d'un profane et nécessairement antérieur à la vente, qui a conduit à une panne majeure du moteur, rend le véhicule impropre à son usage ou en diminue tellement cet usage, que la société Setab ne l'aurait pas acquis ou n'en aurait donné qu'un moindre prix, si elle les avait connus ;
Qu'il est sans intérêt de rechercher si le véhicule est irréparable ou non ;
Considérant que chacun des vendeurs est un professionnel tenu de connaître les vices de la chose vendue ;
Considérant que le préjudice subi par la société Setab s'établit comme suit :
- remise en état du véhicule : 7 167,26 euro HT
- frais de démontage du moteur : 390,50 euro HT
- frais de remorquage : 140,00 euro HT
Que le montant des dommages et intérêts pour préjudice de jouissance causé par l'immobilisation du véhicule sera ramené à de plus justes proportions, la société Setab reconnaissant n'avoir pas recouru à la location d'un véhicule de remplacement et avoir fait rouler plus intensivement son autre véhicule pour essayer de compenser le défaut d'utilisation du véhicule litigieux, tout en soutenant n'avoir pu embaucher de salarié depuis le 1er avril 2008, faute de pouvoir lui confier un véhicule ; qu'il sera alloué à la société Setab à titre de dommages-intérêts évalués au jour du présent arrêt la somme de 7 000 euro, fixée hors taxe, dès lors qu'il ne s'agit pas de rémunérer un service à celui qui doit l'indemnité ;
Considérant que la facture de M. Gallais, expert amiable, ne constitue pas un préjudice réparable et ne peut être remboursée qu'au titre des frais irrépétibles ;
Que le préjudice de la société Setab s'élève donc à la somme totale de 14 697,76 euro ;
Considérant que le sous-acquéreur peut exercer son action à la fois contre son vendeur et contre le vendeur initial, à l'égard duquel il dispose d'une action directe contractuelle, ces vendeurs étant tenus in solidum à son égard ;
Qu'il convient donc de condamner in solidum les société Contacts automobiles et FMC automobiles-division Ford France à payer à la société Setab la somme de 14 697,76 euro à titre de dommages-intérêts ;
Considérant que la société Contacts automobiles n'a pas perdu la faculté d'exercer l'action en garantie des vices cachés contre son vendeur -malgré la transmission de cette action au sous-acquéreur- dès lors que cette action présente pour elle un intérêt direct et certain ;
Qu'en tant qu'acheteur et bien que revendeur professionnel elle n'est pas tenue en droit de connaître les vices cachés du véhicule ;
Qu'elle n'a pas à supporter les conséquences d'un vice qui existait au moment où le véhicule lui a été vendu par la société FMC automobiles-division Ford France, alors par ailleurs que l'expert a exclu toute faute de sa part dans la prise en charge du véhicule ;
Qu'il convient donc de condamner la société FMC automobiles-division Ford France à garantir la société Contacts automobiles de l'ensemble des condamnations prononcées contre elle à la requête de la société Setab ;
Considérant que la société Contacts automobiles évalue les frais de gardiennage du véhicule à la somme de 1 936 euro entre le 1er juillet 2007 et le 1er mars 2008 ; que la société Contact automobiles demande la condamnation de la société FMC automobiles-division Ford France à lui verser cette somme outre celle de 8 euro par jour à compter du 1er mars 2008 jusqu'à restitution du véhicule à la société Setab ;
Mais considérant que le véhicule a été repris par la société Setab le 13 octobre 2009, selon ses propres écritures, sans que soit établie de faute à l'égard de cette dernière pour n'avoir pas repris le véhicule plus tôt ;
Considérant par ailleurs que la société Contacts automobiles ne verse aux débats aucune facture de gardiennage qu'elle aurait établie à destination de l'une ou l'autre des parties ; qu'il appartient dès lors à la cour d'apprécier le montant du préjudice que cette dernière a subi à raison du gardiennage du véhicule entre juillet 2007 et mars 2009 ; que cette indemnisation doit être fixée à la somme de 1 800 euro correspondant au coût d'un gardiennage de 90 euro par mois ;
Considérant que le gardiennage du véhicule n'a été rendu nécessaire qu'à raison du vice caché de ce fourgon ; que la charge finale de la réparation du vice en cause incombant à la société FMC automobiles-division Ford France, il convient de la condamner à payer la somme de 1 800 euro à titre de dommages-intérêts à la société Contacts automobiles ;
Considérant enfin que le fait que la société Setab ait conclu un contrat d'assurance de protection juridique n'est pas de nature à la priver du droit de solliciter le remboursement de ses frais irrépétibles ;
Par ces motifs, LA COUR, Dit n'y avoir lieu d'écarter des débats le rapport de l'expert Bahu ; Infirme le jugement ; Condamne in solidum les sociétés Contacts automobiles et FMC automobiles-division Ford France à payer à la société Setab la somme de 14 697,76 euro à titre de dommages-intérêts ; Déboute la société Setab de toutes autres demandes ; Condamne in solidum les société Contacts automobiles et FMC automobiles-division Ford France à payer à la société Setab la somme de 3 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ; Condamne la société FMC automobiles-division Ford France à garantir la société Contacts automobiles de l'ensemble des condamnations prononcées contre elle à la requête de la société Setab (14 697,76 euro et 3 000 euro) ; Condamne la société FMC automobiles-division Ford France à payer à titre de dommages-intérêts à la société Contacts automobiles la somme de 1 800 euro pour frais de gardiennage ; Condamne in solidum les sociétés Contact automobiles et FMC automobiles-division Ford France aux dépens de première instance et d'appel comprenant les frais d'expertise judiciaire qui seront recouvrés, pour les dépens d'appel, conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile ; Condamne la société FMC automobiles-division Ford France à payer à la société Contacts automobiles la somme de 2 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ; Condamne la société FMC automobiles-division Ford France à garantir la société Contacts automobiles de sa condamnation aux dépens ;