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Décisions

CA Lyon, 1re ch. civ. A, 17 novembre 2011, n° 09-08005

LYON

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Domingues

Défendeur :

Développement de Véhicules de Loisirs (SAS), Groupe Pilote (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Gaget

Conseillers :

MM. Martin, Semeriva

Avoués :

Mes Barriquand, Morel, SCP Baufume-Sourbe

Avocats :

SCP Brasseur-M'Barek-Payet, SCP Aussilloux-Sanconie Associes, SCP Royer Nicolae Baron & Associes

TGI Lyon, du 19 nov. 2009

19 novembre 2009

Exposé du litige

Mme Domingues a acheté en 2003 à la société Loisir 2000, ultérieurement absorbée par la société Pithioud Loisirs, elle-même absorbée par la Société de développement de véhicules de loisirs (Sodev), un camping-car neuf fabriqué par la société GP - Groupe Pilote.

Elle est appelante du jugement qui, au visa de l'article 1648 du Code civil, a déclaré irrecevables ses demandes formées à l'encontre des sociétés Pithioud Loisirs et Pilote et rejeté toutes autres demandes des parties.

Mme Domingues fait valoir :

- qu'en se référant à la date d'assignation en référé expertise, alors que le bref délai ne court que du jour de la connaissance des vices, non seulement en leur existence, mais en leur ampleur et leurs conséquences, de sorte qu'il convenait d'évaluer le respect de ce délai au regard de la date du dépôt du rapport d'expertise, le tribunal a violé l'article 1648 du Code civil,

- qu'en ajoutant, à titre surabondant que l'action n'aurait pu prospérer au fond, puisque, à dire d'expert, le véhicule n'est pas atteint de vices le rendant impropre à son usage, le tribunal a perdu de vue qu'il est question d'un camping-car, qui n'est pas seulement destiné à se déplacer, mais également à être habité, et que les multiples défauts dont il est atteint en diminuent tellement l'usage qu'ils entrent bien dans les prévisions de l'article 1641 du Code civil, étant encore souligné que le premier juge ne pouvait se retrancher derrière un avis non juridique.

Mme Domingues détaille les défauts relevés par l'expert, pour en conclure qu'ils n'étaient pas apparents lors de la vente et que, en eux-mêmes, pour certains d'entre eux, et par leur combinaison, en tout cas, ils sont rédhibitoires.

Elle ajoute que, si elle a pu en constater l'existence dès le 5 août 2005, elle a estimé que des reprises suffiraient et que, compte tenu encore de l'apparition progressive des désordres, seul le rapport d'expertise lui en a révélé l'ampleur, qu'elle n'était pas tenue d'accepter les réparations proposées et que le prix doit lui être intégralement rendu.

Elle demande la réformation du jugement, la restitution de ce prix, soit 60 000 euro, avec intérêts au taux légal à compter de l'assignation en référé, capitalisés, le paiement d'une somme de 15 000 euro à titre de dommages-intérêts et une indemnité de 4 500 euro pour ses frais irrépétibles.

La société Sodev objecte que Mme Domingues a eu connaissance des vices prétendus en juillet 2005, qu'elle a attendu le 2 octobre 2006 pour assigner en référé expertise, et que son action est donc tardive, d'autant que ce n'est pas le rapport d'expertise qui l'a renseignée sur leur ampleur, puisque l'homme de l'art conclut qu'ils ne rendent pas le véhicule impropre à sa destination, ce qui montre d'ailleurs qu'ils n'ont pas un caractère suffisant de gravité suffisante pour justifier la demande.

A titre subsidiaire, elle demande à être garantie par le fabricant et à voir évaluer à hauteur respectivement de 10 000 et de 25 000 euro les bénéfices retirés de l'usage et de la jouissance du véhicule, d'une part, l'indemnité pour dépréciation, d'autre part. ; elle ajoute que l'assureur de protection juridique, qui assumé financièrement l'ensemble des frais de procédure, n'est pas présent en la cause, et que Mme Domingues, qui ne justifie pas de la réalité des préjudices qu'elle invoque, doit être déboutée de ses demandes ; elle conclut au paiement d'une indemnité de 2 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

La société GP - Groupe Pilote oppose également la tardiveté de l'action en soutenant notamment que l'assignation en référé expertise n'a pour effet que d'interrompre le bref délai et de faire courir un nouveau délai de prescription de droit commun.

Elle estime, au vu de l'expertise, que Mme Domingues ne rapporte pas la preuve qui lui incombe quant au caractère antérieur, caché et grave des vices qu'elle allègue.

Pour s'opposer à l'action en garantie, elle cite la règle selon laquelle la restitution du prix à laquelle le vendeur est condamné à la suite de la résolution de la vente ne constitue pas un préjudice indemnisable permettant une action en garantie (nombreux arrêts, au hasard : Com. 5 décembre 2007, n° 06-15.332).

Elle demande la confirmation du jugement, subsidiairement le débouté des demandes formées à son encontre et la condamnation de Mme Domingues et de la société Sodev in solidum à lui payer une somme de 5 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

Motifs de la décision

L'acquéreur qui assigne en référé son vendeur dans le bref délai pour voir ordonner une expertise satisfait aux exigences de l'article 1648 du Code civil.

Dans la thèse même des défendeurs, la connaissance du vice aurait été acquise par Mme Domingues au mois de juillet 2005 ; en tout cas, elle détaillait la plupart de ses griefs dans un courrier du 5 août 2005.

Dès lors, en délivrant l'assignation en référé-expertise le 2 octobre 2006, l'acquéreur a agi dans le bref délai fixé par le texte précité en sa rédaction applicable en la cause, tel qu'il s'apprécie en fonction de la nature des vices et des circonstances de fait tenant notamment en l'espèce au comportement des parties durant la période considérée, qui a été marquée par des contacts amiables, le recours à un consultant extérieur et la reconnaissance par le vendeur de la réalité des désordres, sinon de leur degré de gravité.

L'action est recevable.

S'il n'est aucun motif d'écarter des débats les constatations et conclusions de la société Alpes Expertises, ce document, réalisé en phase amiable, ne présente pas de force probante notable, dès lors qu'une expertise judiciaire s'est ensuite tenue, qui a permis un débat contradictoire et complet.

Des constatations de l'expert judiciaire, il résulte :

- que le véhicule, acheté neuf, a été livré le 23 juin 2004 et qu'il avait parcouru 10 150 km au jour de son examen par l'expert judiciaire, le 16 mars 2007,

- qu'il est atteint de nombreux désordres, "majoritairement dus à des défauts de fabrication", qui, "latents lors de la livraison, n'étaient pas décelables lors de la réception", qu'il "n'était pas possible à un non-professionnel de déceler" et "dont l'utilisation et le temps ont révélé les effets".

L'expert judiciaire précise "qu'après réparation, le véhicule est tout à fait exploitable, il n'est pas impropre à son utilisation", mais "qu'il serait plus difficilement vendable sans avoir effectué les réparations préconisées".

Le camping-car est donc atteint de désordres, qui n'étaient pas apparents pour l'acquéreur cachés lors de la vente.

L'expert judiciaire les décrit de la façon suivante, en préconisant les remèdes à y apporter :

- du côté gauche, une pression manuelle sur le panneau de la cellule fait sortir des gouttes d'eau de la zone d'assemblage ; une analyse de l'intérieur de la cabine ne montre cependant aucun désordre dû à une infiltration d'eau ; l'étanchéité à l'interface cellule/face avant n'est pas optimale ; action corrective : reprise de l'étanchéité sur la totalité de l'interface,

- les compas du capot moteur étaient désolidarisés de la face avant rendant dangereuse l'utilisation du véhicule ; action correctrice : d'abord, une mesure conservatoire (remplacement des vis), puis réparation par remplacement à neuf du capot,

- le joint de pare-brise n'est pas assez large et donc inadapté au pare-brise ; le joint ne plaque pas sur la face avant ; le pare-brise étant collé, pas d'infiltration dans l'habitable : action corrective : remplacement à neuf du pare-brise, nettoyage de la réservation et pose d'un joint ad hoc,

- différence de densité du polyester à l'avant droit ; action corrective : ponçage à cœur, rebouchage de la cavité et reprise du polyester,

- les joints de certains ouvrants ont flué ou se dégradent ; action corrective : vérifier l'ensemble des joints, découpe du mastic ayant flué et reprise des joints,

- la porte de la cellule a été changée une première fois ; l'axe de la pommelle est tordu ; action corrective : remplacement à neuf de la porte et de son cadre,

- les arrêtoirs de portillons sont rouillés, l'arrêtoir de porte n'assure plus sa fonction ; action corrective : remplacement par un dispositif de qualité supérieure,

- le vitrage du toit ouvrant présente des fissures, l'occultant fonctionne mal ; actions correctives : remplacement à neuf du toit ouvrant et reprise de l'étanchéité,

- joint du vitrage de la baie arrière dégradé : remplacement de la baie et reprise de l'étanchéité,

-grilles de haut-parleurs découpées rendant le montage inesthétique ; actions correctives : mise en place de grilles adaptées à la planche de bord,

- vide-poche désolidarisé ; action corrective : le refixer,

- l'acquéreur précisant que la vidange de l'évier est lente, l'expert indique n'avoir pu vérifier ce point, car il n'y avait pas d'eau dans le véhicule, mais préconise de remplacer une partie du tuyau souple d'évacuation par un tuyau rigide et de vérifier ou remplacer l'évent,

- revêtement de sol présentant un pli ; action corrective : démontage du mobilier (évier, cuisinière et penderie), décollement du lino, reprise de la pose pour effacer le pli, pose d'un nouveau tapis de sol, celui recouvrant ce lino ayant été inondé et enlevé,

- l'enrouleur de l'une des ceintures de sécurité est défectueux ; action corrective : remplacement à neuf de l'ensemble ceinture / enrouleur,

- le déflecteur du toit ouvrant n'est plus solidaire du toit du véhicule ; action corrective : dépose du déflecteur, nettoyage de l'ancienne colle de fixation et pose,

- le bandeau du lit fixe n'est plus fixé à la cloison, les vis qui le maintiennent sont trop courtes ; actions correctives : refixer le bandeau avec un système vis / écrou dans la cloison après démontage de la paroi étanche de la douche.

- champ du bandeau supérieur de la porte de la salle de bains décollé ; action corrective : remplacement à neuf par une pièce plus longue,

- bandeau sous pare-brise craquelé ; action corrective : remplacement à neuf.

Certes, comme le soutiennent le fabricant et le vendeur, certains de ces désordres n'ont point d'autre effet qu'esthétique.

Mais d'autres sont graves en eux-mêmes, puisqu'ils portent atteinte à la sécurité (fixation du capot et défaut de la ceinture de sécurité).

Par ailleurs, l'expert judiciaire estime que tous ces désordres sont "réparables", mais précise que "les réparations sont nécessaires afin d'éviter une dégradation irréversible".

De fait, un constat d'huissier dressé peu après ses opérations, le 12 septembre 2007, atteste que "l'eau s'écoule du toit à grosses gouttes, à travers le bord inférieur de l'encadrement du lanterneau".

Il en résulte que ce camping-car est reconnu atteint de vices cachés antérieurs à la vente, dont certains créent danger, ainsi que d'une série très longue de désordres évolutifs impliquant réparation à peine de "dégradation irréversible".

Par leur nature, leur importance et leurs effets inéluctables, notamment au regard de son étanchéité, sur la durabilité du camping-car acquis à l'état neuf et précisément destiné à une longue utilisation, ces vices sont tels que l'acquéreur en aurait donné un moindre prix s'il les avait connus lors de la vente, ce que l'expert confirme en évoquant la difficulté de le revendre en l'état.

L'acheteur, qui n'a pas accepté que le vendeur procède à la remise en état, est en droit d'intenter cette action, puisque que le vice originaire n'a pas disparu.

Il n'est pas plus tenu d'accepter à présent des réparations, d'ailleurs chiffrées, même à retenir le coût minimum, à dix pour cent de la valeur du bien, et de contracter en outre l'obligation de les déclarer en cas de revente, voire de s'exposer à garantir leur parfait accomplissement.

En toute hypothèse, l'acheteur a le choix de rendre la chose et de se faire restituer le prix ou de garder la chose et de se faire rendre une partie du prix ; ce choix entre l'action estimatoire et l'action rédhibitoire n'appartient qu'à lui et dès lors que ce camping-car est atteint de vices rédhibitoires, il n'y a pas même lieu d'examiner s'il est possible d'en réparer les défauts à faible coût.

L'action en résolution de la vente pour vice caché est fondée.

En pareil cas, le vendeur, tenu de restituer le prix, n'est pas fondé à obtenir une indemnité liée à l'utilisation de la chose vendue ou à l'usure en résultant ; les intérêts sont dus à compter de l'assignation au fond tendant à cette résolution ; la capitalisation des intérêts est de droit, dès lors qu'elle est demandée.

Il n'est en revanche justifié d'aucun principe d'un préjudice de jouissance ; l'usage du bien n'a pas été empêché, et il n'est nullement établi que "les avaries ont plusieurs fois gâché les vacances" ; il n'y a lieu à aucune indemnité à ce titre.

L'absence aux débats de l'assureur de protection juridique n'est pas de nature à faire écarter l'application de l'article 700 du Code de procédure civile dans les rapports entre l'acquéreur et le vendeur.

Quant au recours exercé à son encontre par la société Sodev, la société Groupe Pilot objecte exactement que la restitution du prix à laquelle cette dernière est condamnée par suite de la résolution de la vente ne constitue pas un préjudice indemnisable permettant une action en garantie ; ce recours ne peut être accueilli.

Il n'y a pas lieu à application de l'article 700 du Code de procédure civile entre ces parties.

Par ces motifs : LA COUR, Infirme le jugement entrepris, Statuant à nouveau, Dit Mme Domingues recevable est fondée en son action, Condamne la Société de développement de véhicules de loisirs à payer à Mme Domingues une somme de 60 000 euro, avec intérêts au taux légal à compter du 27 novembre 2007, capitalisés dans les conditions de l'1154 du Code civil et rejette le surplus des demandes de Mme Domingues, Dit que cette somme de 60 000 euro sera payée en principal, intérêts et frais, à restitution par Mme Domingues à la Société de développement de véhicules de loisirs du véhicule camping-car Pilot Galaxy 50 TP immatriculé 26 CEY 38, Rejette le recours de la Société de développement de véhicules de loisirs àl'encontre de la société GP - Groupe Pilot, Condamne la Société de développement de véhicules de loisirs à payer à Mme Domingues une somme de 1 500 euro par application de l'article 700 du Code de procédure civile ; rejette les autres demandes formées à ce titre, Condamne la Société de développement de véhicules de loisirs aux entiers dépens de première instance et d'appel, en ce compris les frais de référé et d'expertise, avec droit de recouvrement direct au profit de Me Barriquand, avoué.