CA Rennes, 1re ch. B, 6 septembre 2007, n° 06-00201

Par acte sous seing privé du 14 septembre 1993 Monsieur Exposito et Madame Bart, aux droits desquels se trouve aujourd'hui Madame Cosma-Exposito ont confié à Claude Philippe, architecte-constructeur, la construction d'un navire de plaisance dénommé "Michèle".

Le navire a été livré courant mars 1996.

A l'occasion de travaux d'entretien en 2002 différents désordres sont apparus particulièrement au niveau de la coque.

Monsieur Boutain, expert, à titre amiable, a constaté de graves désordres, rendant le bateau impropre à sa destination.

Les 19 et 20 septembre 2002 Madame Exposito a assigné en référé Monsieur Claude Philippe, Monsieur de Kerviller, expert chargé de contrôler la conformité du bateau et la Compagnie Groupama.

Par ordonnance du 21 janvier 2003 le juge des référés du Tribunal de grande instance de Lorient a désigné Monsieur Clouet en qualité d'expert, lequel a déposé son rapport le 18 avril 2003 concluant à la nécessité de reconstruire totalement la coque.

Le 27 mai 2003 Madame Cosma-Exposito a saisi de nouveau le juge des référés, sollicite à titre provisionnel la somme de 336 076 euro.

Par ordonnance du 23 juin 2003 le juge des référés a condamné Claude Philippe à payer la somme de 320 000 euro à valoir sur le préjudice de Madame Cosma-Exposito.

Par arrêt du 26 mars 2004 la Cour d'Appel de Rennes, estimant qu'il y avait une contestation sérieuse a débouté Madame Cosma-Exposito de sa demande de provision.

Le 30 avril 2004 Madame Exposito a assigné Claude Philippe devant le Tribunal de grande instance de Lorient, qui par jugement du 21 décembre 2005 a déclaré recevables les demandes de Madame Cosma-Exposito, condamné Monsieur Philippe à payer la somme de 323 579 euro avec intérêts légaux, outre 5 000 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, ordonné l'exécution provisoire.

Monsieur Claude Philippe qui a interjeté appel, sollicite la réformation du jugement, le débouté des demandes de Madame Cosma dont la demande est irrecevable pour défaut d'assignation du réel constructeur, à titre subsidiaire la réformation du jugement pour violation des dispositions de l'article 1641 du Code civil, l'irrecevabilité de sa demande pour prescription de l'action en garantie pour vice caché. Il sollicite une indemnité de 3 500 euro au titre des frais irrépétibles.

Il nie de nouveau en cause d'appel sa qualité de constructeur du navire "Michèle", à titre personnel, le constructeur étant la SARL Chantier Naval Philippe, pour Sermac, le contrat initial n'ayant pas reçu exécution les dimensions du bateau ayant été modifiées ; Madame Cosma a refusé de produire l'original du contrat et l'attestation en langue allemande.

Il ajoute qu'il a quitté toute activité à titre individuel le 31 mars 1995, le chantier naval Claude Philippe a construit le bateau, Madame Exposito en était parfaitement informée.

Les extraits de compte de la SARL démontrent la perception des sommes importantes versées par les époux Exposito ce que confirme la facture du 30 mai 1996.

Il expose que le contrat de construction d'un navire de plaisance est régi par les dispositions de la loi du 3 janvier 1967 ; l'action en garantie contre le constructeur se prescrit par un an ; les défauts qui rendent la chose impropre à sa destination normale constituent des vices cachés, unique fondement possible de l'action contre le fabricant, action exclusive de l'action en responsabilité contractuelle pour défaut de conformité, étant observé que le bateau a été livré comme convenu, a navigué pendant six ans, participant même à des régates, sans aucun souci.

Il soutient que si le délai d'un an qui a commencé à courir le 24 juin 2002, a été suspendu jusqu'à l' ordonnance du 21 janvier 2003, l'assignation en référé provision du 27 mai 2003, n'a pas eu d'effet interruptif, la Cour ayant par arrêt du 26 mars 2001, réformé l'ordonnance du 24 juin 2003, et ce par application de l'article 2247 du Code civil l'action de Madame Cosma se trouve donc prescrite depuis le 24 juin 2003. Si on retient le dépôt d'expertise du 18 avril 2003, l'assignation au fond a été délivrée le 30 avril 2004, alors que la prescription est atteinte depuis le 18 avril 2004 d'autant qu'il n'a jamais reconnu le droit de Madame Cosma niant toujours être le constructeur.

C'est à tort que Madame Cosma-Exposito prétend que le commandement aux fins de saisie attribution du 29 décembre 2003 aurait interrompu le délai d'un an, l'ordonnance de référé du 24 juin 2003, qui en est le fondement, a été réformée par arrêt du 26 mars 2004.

Il ajoute que le bateau a été cédé en l'état le 30 janvier 2004 moyennant le prix de 15 245 euro, Madame Exposito ne peut plus réclamer la somme de 6 076 euro pour frais de destruction du navire.

Madame Cosma-Exposito, dans le dernier état de ses écritures, conclut à la confirmation du jugement sauf à augmenter les dommages-intérêts résultant du défaut de mission de Monsieur Kerviller et sollicite à ce titre la somme de 25 000 euro. Elle forme une demande de 8 000 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Elle conteste les dénégations de Monsieur Claude Philippe sur l'identité du constructeur du navire "Michèle", le contrat de construction ayant été conclu avec Monsieur Claude Philippe, à titre personnel, sur son papier à en-tête, le descriptif manuscrit du bateau est de sa propre main, et c'est à tort que Monsieur Philippe évoque le défaut d'intervention de Monsieur Kerviller pour se prévaloir de l'existence d'un autre contrat, alors qu'il lui appartenait de missionner ce cabinet d'expertise pour vérifier la conformité du bateau. Elle justifie des versements au nom de Monsieur Claude Philippe, de reçus établis au nom de Monsieur Philippe, de ses courriers des 15 septembre 1993, 28 novembre 1995, alors qu'il prétend avoir cessé toute activité à titre individuel le 31 mars 1995.

Elle réplique que Claude Philippe ne verse aux débats aucun élément de nature à démontrer la réalité de ses allégations, notamment un avenant au contrat de construction initial, alors que l'attestation de construction du navire en date du 30 juin 1995 destinée aux autorités autrichiennes constitue un aveu même de Claude Philippe, étant observé qu'il n'a été radié du répertoire des Métiers que le 19 août 1997, et que pendant la même période il s'enorgueillissait dans la presse d'avoir été le constructeur du navire "Michèle".

Elle conteste l'authenticité et le bien fondé des deux factures de mai et juin 1996 émises par la société Sermac, objet d'un jugement de liquidation judiciaire du 21 avril 1997.

Elle fait grief à Monsieur Claude Philippe d'avoir livré un navire qui présentait des défauts nombreux, importants, contraires aux règles normales de l'art de la construction navale, présentant un réel danger pour l'équipage ; Claude Philippe a manqué à son obligation de délivrance et de garantie résultant des dispositions des articles 1147 et 1603 du Code civil.

Discussion :

Sur l'identification du constructeur :

Attendu que l'existence et la validité du contrat de construction du 14 septembre 1999 entre Monsieur Alain Exposito, Madame Bart et Monsieur Claude Philippe, es qualité de constructeur, à titre personnel n'est pas remise en cause portant sur un voilier d'une longueur de 18m60 et d'une largeur de 3m98 ; que le bateau construit, "Michèle" présente une longueur de 18m60 et largeur 3m98 selon les côtes reprises par l'expert Clouet, et Claude Philippe dans son attestation de constructeur du 30 juin 1995 ;

Que l'argument de Monsieur Claude Philippe tiré d'une modification du contrat initial qui prévoyait une longueur de 18 mètres, est inopérant, le contrat prévoyait la possibilité de modification du contrat de construction ;

Attendu que Madame Exposito justifie de paiements effectués entre le 12 avril 1993 et le 22 octobre 1994 par mandats adressés à Claude Philippe, de reçus établis sur papier à en-tête "construction navale Claude Philippe" avec n° de Siret correspondant à son activité personnelle dont l'activité aurait cessé, selon ses écritures d'appel le 31 mars 1995 alors qu'en cours de procédure de référé il avait évoqué les date 1993, puis 1994, alors que sa radiation effective au registre des métiers est intervenue le 19 août 1997 ;

Qu'il importe peu que des chèques aient pu être encaissés par la SARL Chantier Naval Philippe en formation en 1995, sur la seule initiative de Monsieur Claude Philippe ;

Attendu que Monsieur RICCI expert maritime missionné par le Groupe Concorde le 10 avril 1995 a évalué le voilier Michèle en cours de construction et d'achèvement du chantier naval Claude Philippe ZA de l'Estrade à Lorient, adresse de l'activité personnelle de Monsieur Philippe différente de celle de la société Sermac, immatriculée le 29 novembre 1995 ;

Attendu que Monsieur Claude Philippe verse aux débats deux factures des 30 mai et 5 juin 1996, facture d'un montant de 593 000 F correspondant au coût de construction prévu au contrat, factures établies sur son papier à en-tête personnel, avec mention de son adresse personnelle, mention de la SARL Chantier Naval Philippe et indication d'un numéro de SIRET correspondant à la SARL Sermac ; que ces factures ne peuvent dans ces conditions retenir l'attention de la Cour, d'autant que Monsieur Ricci dans son offre a évalué à 593 000 F le coût de la coque sur présentation de factures du chantier de construction naval Philippe ;

Qu'en outre la facture éditée le 30 mai 1996 pour un montant de 593 000 F n'est pas conforme à la quittance de 595 022,00 F établie par Monsieur Claude Philippe à l'intention de Madame Bart le 10 mars 1995 ; que Monsieur Philippe dans plusieurs interviews à la presse locale en 1994, 1995, 1996, s'est présenté comme le constructeur de ce bateau exceptionnel dans son hangar de la [...] ;

Attendu qu'il résulte de l'ensemble de ces éléments que Monsieur Claude Philippe à titre personnel, est le constructeur de ce navire 'Michèle', qui a été mis à l'eau début avril 2006 (cf. contrat d'assurances Concorde, facture de capitainerie du port de Lorient) ;

- Sur les conclusions d'expertise :

Attendu que l'expert Monsieur Clouet a constaté de nombreux défauts de construction, importants, contraires aux règles de l'art de la construction navale, même en plaisance, interdisant toutes reprises ; que la coque en acier n'est pas conforme aux règles de l'art, tant au niveau de la construction, chaudronnerie, soudures, isolation et sécurité : les matériaux d'isolation cachés sous les vaigages ne sont pas conformes et présentent des risques d'incendie ; qu'il conclut que le navire est à déclasser ;

Que l'ensemble de ces défauts constituent des vices de construction cachés ;

Attendu qu'il est de jurisprudence constante que le constructeur d'un navire est tenu des vices cachés en sa qualité de vendeur professionnel et présumé en avoir eu connaissance ;

Que l'action en garantie des vices cachés est exclusive de l'action en responsabilité contractuelle pour défaut de conformité ;

- Sur la prescription :

Attendu que la loi du 3 janvier 1967 portant statut des navires et bâtiments de mer, dispose en ses articles 7 et 8, que le constructeur est garant des vices cachés du navire, et l'action en garantie se prescrit par un an, délai qui commence à courir à compter de la découverte du vice ;

Attendu que l'action en garantie de Madame Cosma Exposito a commencé à courir à compter du dépôt du rapport d'expertise de Monsieur Clouet le 18 avril 2003, le rapport judiciaire de Monsieur Boutan n'ayant pas de caractère contradictoire ;

Attendu que Madame Cosma-Exposito a assigné en référé Monsieur Philippe le 27 mai 2003, assignation qui a suspendu le délai de prescription ; que sur appel de Monsieur Claude Philippe de l'ordonnance du 7 juillet 2003, la Cour d'Appel de Rennes dans son arrêt du 26 mars 2004 a réformé l'ordonnance de référé du 24 juin 2003 en retenant l'existence d'une contestation sérieuse, qu'en conséquence en l'absence de décision sur le fond, la demande en indemnisation n'est pas rejetée, l'interruption n'est pas non avenue ;

Qu'en conséquence l'assignation du 30 avril 2004 devant le Tribunal de grande instance de Lorient n'est pas forclose ;

Qu'il convient de dire que Monsieur Claude Philippe est tenu de garantir Madame Exposito des vices cachés sur le fondement des articles 1641 et suivants du Code civil ;

- Sur l'indemnisation :

Attendu que l'expert Clouet a évalué à 300 000 euro la reconstruction d'un voilier identique ; qu'il a évalué à 15 245 euro les frais annexes de Madame Cosma, frais de grutage, levage, sablage, location de bar, frais de séjour sur terre plein du port, frais de douane et d'assurances ;

Qu'il convient de faire droit à ces demandes, ainsi que du préjudice de jouissance évalué par le premier juge à 20 000 euro ;

Que le voilier ayant été vendu pour la somme de

15 245,00 euro, il sera tenu compte de cette somme ;

Attendu qu'il est constant que le constructeur avait obligation de souscrire une police d'assurance multirisques construction, de missionner Monsieur de Kerviller pour vérifier la conformité du navire à la règlementation sur la sécurité des navires ;

Que Monsieur Philippe n'a pas respecté ses obligations contractuelles ; que de tels manquements d'une part ont privé Madame Exposito de tout recours contre une assurance, préjudice constitutif d'un préjudice certain compte tenu des risques d'insolvabilité encourus, d'autre part ont empêché la découverte des insuffisances du constructeur et mis en danger réel la vie des propriétaires et usagers du bateau ; qu'il convient d'indemniser ces préjudices par la somme de 25 000 euro ;

Attendu que le préjudice global de Madame Cosma-Exposito s'évalue ainsi :

300 000 euro + 15 824 euro + 20 000 euro + 25 000 euro - 15 245 euro = 345 579,00 euro ;

Attendu qu'il serait inéquitable de laisser à sa charge ses frais irrépétibles indemnisés par la somme de 3 000 euro ;

Par ces motifs : LA COUR, Vu les articles 1641 et suivants du Code civil ; Vu la loi du 3 janvier 1967 ; Confirme le jugement du 21 décembre 2005 en ce qu'il a retenu la qualité de constructeur de Monsieur Claude Philippe ; Infirme sur le défaut de conformité ; Déclare Monsieur Claude Philippe tenu de la garantie des vices cachés ; Le condamne à payer à Madame Cosma Exposito la somme de 345 579 euro avec intérêts au taux légal à compter du jugement ; Déboute Monsieur Philippe de ses demandes ; Le condamne à payer à Madame Cosma Exposito, outre les frais irrépétibles de première instance, la somme de 3 000 euro en cause d'appel ; Le condamne aux dépens qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.