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Décisions

CA Nancy, 2e ch. com., 2 juin 2010, n° 08-02584

NANCY

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Verreries Saint Clair (SARL)

Défendeur :

Douillet (ès qual.)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Cunin

Conseillers :

Mmes Pomonti, Deltort

Avoués :

SCP Leinster, Wisniewski & Mouton, SCP Chardon & Navrez

Avocats :

Mes Leininger, Schindler

T. com. Verdun, du 26 sept. 2008

26 septembre 2008

Exposé du litige

La société Compagnie du Kinkiliba se fournissait auprès de la société Verreries Saint Clair en robinets équipant des flacons d'huile et de vinaigre qu'elle commercialisait.

Ayant rencontré à compter de fin 1997 des problèmes d'étanchéité de ces robinets, la Compagnie du Kinkiliba a fait assigner la société Verreries Saint Clair devant le Juge des référés en vue d'obtenir une mesure d'expertise.

Après le dépôt du rapport de l'expert, elle a fait assigner le 27 août 2001 la société Verreries Saint Clair devant le Tribunal de commerce de Verdun pour obtenir sa condamnation à lui payer la somme de 52 078,65 euro au titre de son préjudice matériel et la somme de 15 244,50 euro au titre du préjudice commercial.

La société Verreries Saint Clair a assigné en intervention forcée la société Delta Glass, son fournisseur.

Par jugement en date du 23 mai 2003, le Tribunal de commerce de Verdun a sursis à statuer sur les demandes et a demandé un complément d'expertise. L'expert a déposé un rapport complémentaire le 27 octobre 2003, puis le 29 novembre 2005.

La Compagnie du Kinkiliba a été placée en redressement judiciaire le 9 février 2006, puis mise en liquidation judiciaire le 27 mai 2007. Maître Douillet est intervenu à l'instance en qualité de mandataire liquidateur.

Par jugement en date du 26 septembre 2008, le Tribunal de commerce de Verdun a condamné la société Verreries Saint Clair à payer à la Compagnie du Kinkiliba les sommes suivantes :

- 52 078,65 euro avec intérêts au taux légal à compter du 27 août 2001,

- 15 244,90 euro avec intérêts au taux légal à compter du 27 août 2001,

- 3 500 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

- les dépens.

La société Delta Glass a été condamnée à relever la société Verreries Saint Clair de toutes les condamnations prononcées à son encontre et à payer à la société Verreries Saint Clair la somme de 3 500 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

La société Verreries Saint Clair a relevé appel de ce jugement et demande à la cour de l'infirmer en déboutant Maître Douillet, ès qualités de liquidateur de la Compagnie du Kinkiliba, de ses demandes.

Elle prétend que la Compagnie du Kinkiliba n'a pas agi à bref délai à compter de la découverte du vice caché, de sorte que son action est tardive eu égard aux dispositions de l'article 1648 du Code civil.

Elle ajoute qu'il n'est pas démontré que l'apparition des vices est antérieure à la vente.

Elle fait observer que 72 % de la livraison est acceptable et que la Compagnie du Kinkiliba ne produit aucune pièce de nature à justifier son préjudice. Elle demande donc subsidiairement que le montant du préjudice soit limité, notamment par application des dispositions de l'article 1646 du Code civil. Elle demande en tout cas la garantie de la société Delta Glass.

Maître Douillet, ès qualités, demande la confirmation du jugement et la condamnation de la société Verreries Saint Clair à lui payer la somme de 3 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

Il prétend que le bref délai doit être calculé à partir du moment où les défauts constatés ont conduit la Compagnie du Kinkiliba à refuser les livraisons, notamment les livraisons du 27 août et du 26 octobre 1998, et où la société Verreries Saint Clair a refusé les retours les 23 et 26 février 1999. Il estime donc que l'assignation en référé en date du 11 juin 1999 a été délivrée à bref délai.

Il fait valoir que la société Verreries Saint Clair ne peut pas échapper à sa responsabilité du fait qu'elle n'est pas le fabricant, mais un intermédiaire, d'autant que le fabricant prétend qu'une manipulation a pu avoir lieu postérieurement.

Il ajoute que le vice affectant les robinets est caché puisqu'il ne peut être découvert qu'après remplissage des flacons et que le nombre important de robinets défectueux justifiait le refus des livraisons, un tri des robinets n'étant pas envisageable. Elle estime que les réclamations des clients justifient l'existence d'un préjudice commercial.

Il n'est pas démontré que la société Delta Glass a été assignée devant la cour d'appel, de sorte que l'arrêt à intervenir lui sera inopposable.

Motifs de la décision

Sur les vices cachés :

Attendu qu'il ressort de l'article 1641 du Code civil que le vendeur est tenu de la garantie à raison des défauts cachés de la chose vendue qui la rendent impropre à l'usage auquel on le destine ou qui diminue tellement cet usage que l'acheteur ne l'aurait pas acquise ou n'en aurait donné qu'un prix moindre s'il les avait connus ;

Attendu que la société Verreries Saint Clair a vendu à la Compagnie du Kinkiliba des robinets prêts à l'emploi destinés à être montés sur des flacons d'huile ou de vinaigre commercialisés par celle-ci ; que la Compagnie du Kinkiliba verse au dossier de nombreuses lettres de réclamation datées d'octobre 1998 à janvier 1999 de clients se plaignant du manque d'étanchéité des robinets ;

Attendu qu'il est certain que les fuites observées sur les robinets constituent un vice qui rend ceux-ci impropres à leur destination ; que l'expert a constaté dans son rapport rédigé le 22 octobre 2003 que les produits n'étaient pas fautifs, mais qu'ils sont devenus inutilisables en l'état, car certains joints sont soit absents, soit disposés à l'envers ;

Attendu que le défaut d'étanchéité du robinet constitue un vice caché, puisqu'il est nécessaire de remplir le flacon pour constater que le joint fuit ; que la Compagnie du Kinkiliba ne pouvait donc pas s'apercevoir, à la livraison, du défaut d'étanchéité qui affectait les robinets livrés ;

Attendu que l'opération de tri préconisé par l'expert afin d'écarter les robinets défectueux ne permet pas de considérer que le vice était apparent, puisque ce n'est qu'après expertise que les causes du défaut d'étanchéité ont été définies et que les critères permettant le tri ont été établis ;

Attendu que, si les réclamations des clients portent sur des flacons qui ont fait l'objet d'un travail de montage des robinets sur les flacons au centre de détention de Montmédy, il ressort des énonciations du rapport de l'expert que celui-ci a procédé à des constatations sur les cartons retournés par la Compagnie du Kinkiliba, qui n'avaient pas été transmis au centre de détention de Montmédy ; que l'expert affirme en effet qu'il a effectué ses vérifications sur les cartons pris de manière aléatoire dans le lot retourné et qu'il a scellé un carton à titre d'échantillon pour son examen par le tribunal ;

Attendu qu'à l'audience du 22 novembre 2005 devant le tribunal, l'expert a effectué des constatations de manière contradictoire sur l'échantillon conservé en scellé ; qu'il a établi que sur 1 005 robinets, 12,5 % étaient incomplets, 15,4 % avaient des clapets en plastique plus rigide et transparent et 72,1 % semblaient acceptables ; que l'expert a fait observer que les robinets incomplets sont une source d'erreur au montage pouvant entraîner une fuite et que les robinets dont le clapet est en matière plastique transparent et dur supposent un parfait alignement sur l'axe de la vis afin d'éviter une déformation à l'origine de fuite ;

Attendu qu'il suit de ces faits que le vice affectant les robinets existait au moment de la vente à la Compagnie du Kinkiliba et n'est pas apparu postérieurement, notamment lors des opérations effectuées au centre de détention de Montmédy ; qu'il s'agit donc d'un défaut caché au sens de l'article 1641 du Code civil ;

Sur le bref délai :

Attendu que l'action résultant des vices rédhibitoires doit être intentée par l'acquéreur dans un bref délai, suivant la nature des vices rédhibitoires et l'usage du lieu où la vente a été faite ;

Attendu que la Compagnie du Kinkiliba appuie sa demande sur des lettres de réclamations datées d'octobre 1998 à janvier 1999 et sur des livraisons intervenues le 27 août et le 26 octobre 1998 ; qu'elle démontre avoir retourné en février 1999 un colis à la société Verreries Saint Clair, colis qui a été refusé les 23 et 26 février 1999 par celle-ci ;

Attendu que la société Verrerie Saint Clair avait consenti à l'échange de 3 000 robinets, ainsi qu'il apparaît sur la facture du 26 octobre 1998 ; qu'elle a proposé par lettre du 3 mars 1999 la recherche d'une solution en présence de son fournisseur ; que le 20 mai 1999 la Compagnie du Kinkiliba a mis en demeure la société Verreries Saint Clair de remplacer les robinets litigieux ;

Attendu que la Compagnie du Kinkiliba a saisi le Juge des référés pour obtenir la désignation d'un expert par assignation en date du 11 juin 1999 ;

Attendu qu'il suit de ces faits que la réclamation de la Compagnie du Kinkiliba ne porte pas sur des livraisons effectuées en 1997, mais sur des livraisons réalisées en août 1998, mais surtout le 26 octobre 1998 ; que l'expert s'est d'ailleurs prononcé après examen des pièces appartenant à ces lots ; qu'ainsi, compte tenu des circonstances de faits, il convient de dire que l'action de la Compagnie du Kinkiliba a été intentée à bref délai, de sorte qu'elle sera déclarée recevable ;

Sur le préjudice :

Attendu que la Compagnie du Kinkiliba demande tout d'abord le payement des avoirs qu'elle a dû consentir à ses clients en raison des défauts que ceux-ci ont constatés sur les flacons vendus ; qu'elle réclame encore le payement de 32 250 robinets qui ont été refusés en raison du nombre important de défauts constatés sur la livraison effectuée par la société Verreries Saint Clair ; que ces robinets concernent les livraisons qui ont été facturées les 27 août et le 26 octobre 1998, sous déduction des robinets échangés ;

Attendu que la société Verreries Saint Clair ne peut pas échapper à sa responsabilité en faisant valoir qu'elle n'est qu'un simple intermédiaire qui vendait des robinets prêts à l'emploi qui lui étaient fournis par la société Delta Glass ; qu'en effet elle est le vendeur cocontractant de la Compagnie du Kinkiliba au sens de l'article 1641 du Code civil, de sorte qu'elle est tenue de la garantie des vices cachés établie par cet article ; qu'elle a d'ailleurs en première instance assigné en intervention forcée son fournisseur, la société Delta Glass, afin d'être garantie de toutes condamnations à son encontre ;

Attendu que la société Verreries Saint Clair fait observer que l'expert a contesté dans son rapport établi le 8 avril 2000 la nécessité de la contraindre à reprendre les 32 250 robinets, dont la plus grande part n'était pas défectueuse et qu'il a fixé à 72 % dans son rapport déposé le 29 novembre 2005 le nombre des robinets acceptables ;

Mais attendu que la société Verreries Saint Clair a refusé les 23 et 26 février 1999 le retour des robinets aux fins de lui permettre de faire le tri entre les robinets conformes et ceux présentant un défaut ; que, compte tenu du nombre de pièces défectueuses, il n'était pas envisageable d'imposer à l'acquéreur d'effectuer un tri des robinets, d'autant que les critères de ce tri n'ont été dégagés qu'à la suite du dépôt du rapport de l'expert le 22 octobre 2003 ;

Attendu en conséquence que le jugement déféré sera confirmé en ce qu'il a condamné la société Verreries Saint Clair à payer à la Compagnie du Kinkiliba la somme de 52 078,65 euro avec intérêts au taux légal à compter du 27 août 2001 ; que cependant, compte tenu de la mise en liquidation judiciaire de cette société, la condamnation interviendra au profit de Maître Douillet, ès qualités ;

Attendu que la société Verreries Saint Clair est vendeur professionnel et, par application des dispositions de l'article 1645 du Code civil, est réputé avoir connaissance des vices de la chose vendue ; qu'elle est donc tenue de tous dommages et intérêts envers l'acheteur ;

Attendu que la Compagnie du Kinkiliba verse au dossier les lettres de réclamation qu'elle a reçues de ses clients, justifiant les avoirs qu'elle a été contrainte de consentir ; que ces lettres, qui expriment le mécontentement de ces clients, démontrent le préjudice commercial causé à la Compagnie du Kinkiliba, lié à l'atteinte à son image de sérieux dans ses relations commerciales ; qu'il convient dans ces conditions de confirmer sur ce point le jugement déféré ;

Sur les autres demandes :

Attendu que la société Verreries Saint Clair, qui succombe en son appel, sera déboutée de ses demandes, notamment de sa demande d'indemnités au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, et sera condamnée aux dépens d'appel ; qu'elle sera condamnée au payement de la somme de 1 500 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Par ces motifs, Et ceux non contraires des premiers Juges, LA COUR, statuant en audience publique, contradictoirement et en dernier ressort, Constate que la société Delta Glass n'a pas été assignée devant la cour d'appel ; Confirme le jugement en date du 26 septembre 2008 du Tribunal de commerce de Verdun ; Ajoutant au jugement : Dit que les condamnations prononcées le sont au profit de Maître Douillet, ès qualités de mandataire liquidateur de la Compagnie du Kinkiliba ; Déboute la société Verreries Saint Clair du surplus de ses demandes, notamment de sa demande d'indemnités au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ; Condamne la société Verreries Saint Clair à payer à Maître Douillet, ès qualités, la somme de mille cinq cents euro (1 500 euro) au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ; Condamne la société Verreries Saint Clair aux dépens d'appel et autorise la SCP Chardon et Navrez, avoués associés, à les recouvrer directement, conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.