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Décisions

CA Dijon, ch. civ. B, 24 janvier 2008, n° 07-00179

DIJON

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Axa France Iard (SA), Deslorieux (ès qual.)

Défendeur :

Condat lubrifiants (Sté), HDI Gerling Industrie (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Munier

Conseillers :

Mmes Vieillard, Vautran

Avoués :

Me Gerbay, SCP Fontaine-Tranchand & Soulard

Avocats :

SCP Beziz-Cleon Charlemagne, Me Deschodt

T. com le Creusot, du 29 déc. 2006

29 décembre 2006

Exposé de l'affaire

La société Coopérative de Production Anonyme à capital variable Carbex NSA (société Carbex), spécialisée dans la fabrication de pièces en carbure de tungstène, a fait l'acquisition en 1996 d'une rectifieuse à commande numérique avec un robot de chargement et déchargement de marque Agathon, de type 350 Combi.

Il s'agit d'une machine spécifiquement destinée à la rectification à haute précision de pastilles destinées aux outils de coupe.

Depuis la mise en service de cette machine, la société Carbex s'est approvisionnée exclusivement en huile de coupe auprès de la SA Condat lubrifiants.

Après trois ans d'utilisation de l'huile de coupe dénommée Unisex CN 02, la société Carbex a constaté, au mois d'octobre 1999, des dysfonctionnements de sa machine-outil et a relevé une corrosion anormale et brutale d'éléments en caoutchouc synthétique en contact avec l'huile de coupe.

Informée de ces difficultés, la société Condat lubrifiants a conseillé à la société Carbex de changer de lubrifiant et lui a livré un produit différent dénommé Unisex SC 28.

Au motif que la machine, gravement détériorée, a nécessité divers remplacements de pièces et plusieurs interventions, qu'elle a ensuite dû être arrêtée à de nombreuses reprises alors qu'elle fonctionnait en permanence, la société Carbex, après avoir vainement cherché un accord avec la société Condat lubrifiants, l'a assignée, par acte d'huissier du 11juin2001, en référé aux fins de désignation d'un expert.

Monsieur Jacques Sauvage a été désigné en cette qualité par ordonnance du 19 juin 2001.

Il a déposé son rapport le 16 septembre 2003,

Sur le fondement de ce rapport, la société Carbex et son assureur, Axa France Iard, partiellement subrogé, ont par acte d'huissier du 28 juillet 2005 assigné la société Condat lubrifiants et son assureur, la SA Gerling France, en réparation du préjudice subi.

Par jugement du 19 décembre 2006, le Tribunal de commerce du Creusot a déclaré leurs demandes irrecevables comme prescrites et les a condamnées à payer à la société à la société Condat lubrifiants et à la société Gerling France la somme de 1 000 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.

La compagnie d'assurance Axa France Iard et Maître Deslorieux en qualité de commissaire à l'exécution du plan de cession de la SA Carbex NSA ont interjeté appel de cette décision.

Par conclusions déposées le 9 novembre 2007, auxquelles il convient de faire référence par application de l'article 455 du Code de procédure civile, ils font valoir :

- qu'il résulte du rapport d'expertise qu'il y a eu corrosion par une huile et que l'origine est à rechercher dans l'huile de coupe livrée par la société Condat

- que c'est bien cette huile qui a occasionné des dégâts à la machine

- que la responsabilité de la société Condat, qui a manqué à son obligation de sécurité, est donc engagée sur le fondement de l'article 1147 du Code civil

- que si la cour estimait que le seul fondement de l'action en cause est l'article 1386-1 du Code civil, cette actionne serait en tout état de cause pas prescrite, le délai de prescription ayant commencé à courir à compter de la date du dépôt du rapport.

Ils sollicitent la condamnation solidaire des intimées à payer la somme de 11 8351,16 euro à Maître Deslorieux, déduction faite du versement effectué par la société Axa, et la somme de 9 160,65 euro à cette dernière outre une indemnité de 1 500 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par conclusions du 29 novembre 2007 auxquelles il est pareillement fait référence, la société Condat lubrifiants et la société HDI-Gerling Industrie, venant aux droits de la compagnie

Gerling France, observent :

- à titre principal :

- que l'action ne peut être engagée que sur le fondement de la garantie des vices cachés et que dès lors elle est prescrite, l'assignation en référé n'ayant été délivrée que vingt mois après la découverte des vices

- qu'en tout cas elle ne peut être fondée sur l'article 1147 du Code civil, l'obligation de sécurité initialement crée par la jurisprudence ayant été consacrée par la loi du 19 mai 1998 relative â la responsabilité des produits défectueux et figurant désormais aux articles 1386-1 du Code civil

- que la prescription prévue par l'article 1386-17 du Code civil est acquise, l'action n'ayant été engagée que le 25 juillet 2005, soit près de six ans après la découverte des dysfonctionnements

- à titre subsidiaire :

- que l'expert, qui n'a pu procéder ou faire procéder à aucune analyse par suite des carences des sociétés demanderesses, n'émet qu'une hypothèse et que la preuve de la responsabilité de la société Condat lubrifiants dans la survenue du sinistre n'est pas rapportée

- à titre infiniment subsidiaire:

- que le préjudice allégué n'est pas prouvé

- en tout état de cause qu'une condamnation in solidum ne peut être sollicitée à l'encontre de la société HDI-Gerling que pour la partie des dommages excédant la franchise de 15 245 euro.

Les intimées souhaitent l'allocation d'une indemnité de 3 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

Motifs de la décision

Attendu que l'article 1386-1 du Code civil dispose : "Le producteur est responsable du dommage causé par un défaut de son produit, qu'il soit ou non lié par un contrat avec la victime" ;

Que selon l'article 1386-2 du même Code, les dispositions du titre 4 bis relatif à la responsabilité du fait des produits défectueux s'appliquent à la réparation du dommage qui résulte d'une atteinte à la personne, mais également à la réparation du dommage, supérieur à un montant déterminé par décret, qui résulte d'une atteinte à un bien autre que le produit défectueux lui-même ;

Que les faits dénoncés par les appelants relèvent exactement des dispositions sus visées puisqu'ils allèguent un dommage causé à un bien, la machine, par le fait de l'huile de coupe produite par la société Condat lubrifiants ;

Qu'il ne peut être imposé aux appelants, en présence de ces dispositions spécifiques, de faire application de la théorie des vices cachés, le dommage invoqué n'atteignant pas la chose vendue, mais résultant de son caractère défectueux prétendu ;

Qu'en revanche il résulte de la décision rendue le 25 avril 2002 par la Cour de justice des communautés européennes que l'article 13 de la directive n° 85-374 du 25 juillet 1985, transposée en droit français par la loi n 98-389 du 19 mai 1998, ne laisse pas aux Etats membres la possibilité de maintenir un régime de responsabilité du fait des produits défectueux différent de celui prévu par la directive ; que la loi antérieure doit s'effacer devant la loi de transposition dès lors qu'elles ont le même fondement ; qu'il est certain que la jurisprudence qui a fondé l'indemnisation des victimes de dommages causés par des produits défectueux sur une obligation de sécurité résultat a le même fondement que le droit spécial résultant de la transposition, et ce d'autant plus que la Cour de cassation a construit ce régime de responsabilité par référence à la directive qui tardait à être transposée;

Que les appelants ne peuvent donc se prévaloir de l'obligation de sécurité résultant de l'article 1147 du Code civil;

Que selon l'article 1386-17 du Code civil l'action en responsabilité fondée sur les dispositions du titre 4 bis se prescrit dans un délai de trois ans à compter de la date à laquelle le demandeur a eu ou aurait dû avoir connaissance du dommage, du défaut et de l'identité du producteur;

Que si la société Carbex a eu connaissance du dommage qu'elle invoque dès le mois d'octobre 1999, cc n'est qu'à partir du dépôt du rapport d'expertise qu'elle a pu avoir connaissance de l'éventuel défaut du produit ;

Que le délai de prescription de trois ans court donc à compter du 16 septembre 2003 ; qu'ainsi l'action, engagée par assignation du 28 juillet 2005, n'est pas prescrite ;

Attendu qu'il résulte de l'article 1386-9 du Code civil que le demandeur doit prouver le dommage, le défaut et le lien de causalité entre le défaut et le dommage ;

Qu'il est constant que les analyses pratiquées par la société Condat lubrifiants sur les huiles fournies à la société Carbex NSA n'ont révélé aucun défaut propre à avoir provoqué les dommages constatés ;

Que la société Carbex NSA a indiqué à l'expert que deux techniciens de la société Condat avaient évoqué un problème d'additif dans l'huile, mais qu'elle n'en rapporte aucune preuve; qu'en tout cas il ne pourrait s'agir que d'une hypothèse non vérifiée ;

Que la société Condat lubrifiants a envisagé un problème de compatibilité avec les autres huiles utilisées sur la machine, ainsi qu'une erreur de manipulation ;

Que l'expert a estimé peu probable cette erreur de manipulation entre les différentes huiles utilisées sur la machine; qu'il ne l'a toutefois pas totalement exclue ;

Qu'en page 12 de son rapport, il a relevé qu'à l'évidence il y avait eu corrosion des joints et gaines en caoutchouc synthétique de la machine par une huile ; mais qu'il ajoute regretter profondément qu'aucun échantillon de l'huile qui était dans la machine au moment du sinistre n'ait été conservé; qu'il précise "faute de pouvoir analyser l'huile litigieuse, l'expert ne pourra donner qu'un avis sur l'origine qu'il estime probable du sinistre" ;

Que s'il a conclu que compte tenu des différents stockages d'huiles et des différentes quantités, l'origine probable des dégâts occasionnés aux différents élastomères de la machine était à rechercher dans l'huile de coupe livrée par la société Condat, l'expert n'a pu toutefois, compte tenu de l'absence d'analyse de l'huile provenant de la machine qui n'a pas été conservée, émettre un avis formel sur l'origine des détériorations ;

Que ni les conclusions de l'expert ni aucun élément du dossier ne permettent donc d'imputer avec certitude les dégâts provoqués à la machine à un défaut de l'huile de coupe produite par l'intimée ; que les demandes de la société Axa France Iard et de Maître Deslorieux seront donc rejetées ;

Attendu qu'il n'y a pas lieu de faire application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile en cause d'appel.

Par ces motifs, LA COUR, Réforme le jugement rendu le 19 décembre2006 par le Tribunal de commerce du Creusot mais seulement en ce qu'il a déclaré irrecevables comme prescrites les demandes formées par les sociétés Carbex et Axa France, Statuant à nouveau de ce chef, Déclare recevable l'action engagée par la société Carbex et la SA Axa France Iard sur le fondement de l'article 1386-1 du Code civil, Confirme pour le surplus, Ajoutant, Déboute Maître Deslorieux, en qualité de commissaire à l'exécution du plan de cession de la société Carbex NSA, et la société Axa France Iard de toutes leurs demandes, Déboute la société Condat lubrifiants et la société HDI Gerling Industrie de leur demande au titre des frais irrépétibles d'appel, Condamne Maître Deslorieux, en qualité de commissaire à l'exécution du plan de cession de la société Carbex NSA, et la société Axa France TARD aux dépens de la procédure d'appel qui pourront être recouvrés par la SCP Fontaine Tranchand Soulard conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.