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Décisions

CA Aix-en-Provence, 5e ch. corr., 18 octobre 2011, n° 2011-358

AIX-EN-PROVENCE

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Ministère public

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Coleno

Conseiller :

M. Chablos

Avocats :

Mes Montagnard, Bonafons

T. corr. Draguignan, du 5 nov. 2009

5 novembre 2009

La prévention:

Suivant citation délivrée à la requête du procureur de la République de Draguignan, la société coopérative agricole (SCV) X... est prévenue:

- d'avoir, à Grimaud, entre le 13 avril 2006 et le 26 octobre 2006,en tout cas sur le territoire national et depuis temps non prescrit représentée par son président Pascal Etienne, commis le délit de tromperie, par personne morale, sur la nature, la qualité, l'origine ou la quantité d'une marchandise, en l'espèce en commercialisant 1 262 bouteilles de vin bénéficiant de l'AOC " Côtes de Provence " avec une marque comportant les mots " Cuvée du Golfe de Saint-Tropez " évoquant une entité géographique plus restreinte que l'AOC, trompé les consommateurs sur les qualités substantielles du vin commercialisé sous cette dénomination,

Faits prévus et réprimés par les articles 121-2, 131-38, 131-39 du Code pénal et L. 213-1, L. 213-6 du Code de la consommation.

Le jugement:

Par jugement contradictoire en date du 5 novembre 2009 le Tribunal correctionnel de Draguignan a prononcé la relaxe de la SCV X....

Les appels:

Le Ministère Public a relevé appel de ce jugement par déclaration au greffe du tribunal le 13 novembre 2009.

Décision:

En la forme:

Attendu que l'appel du Ministère Public est recevable pour avoir été interjeté dans les formes et délai légaux;

Attendu que la personne morale prévenue, régulièrement citée par acte délivré à personne habilitée le 2 août 2011, a comparu en la personne de son président et était assistée de ses conseils qui ont déposé des conclusions;

Attendu que le présent arrêt sera donc rendu contradictoirement à son égard;

Au fond:

Rappel des faits:

Le 13 avril 2006, des inspecteurs de la DRCCRF affectés à la brigade d'enquête "vins " de Marseille se présentaient dans les locaux de la SCV X... pour s'assurer du respect de la réglementation du 16 septembre 2003 relative à l'utilisation de la mention " Cuvée du golfe de Saint-Tropez " sur des étiquettes de bouteilles de vin en appellation d'origine contrôlée (AOC) "Côtes de Provence ".

Ils constataient la présence de 1 262 bouteilles mentionnant cette appellation qui se détachait nettement des autres mentions figurant sur les étiquettes, l'appellation " Côtes de Provence " étant mentionnée dans une police deux fois plus petite.

Ils considéraient que la réglementation applicable n'avait pas été respectée, l'article 2 du décret 68-807 du 13 septembre 1968 prévoyant que " pour les vins à appellation d'origine contrôlée, il ne peut être employé sur les factures, étiquettes, estampes et autres marques extérieures d'autre désignation géographique en dehors du nom du cru que celle de l'appellation contrôlée", réglementation destinée à empêcher de créer artificiellement, aux yeux des consommateurs, des appellations d'origine non définies et ne présentant donc pas les garanties des appellations d'origine contrôlée.

Ils faisaient également valoir le règlement CEE 1493-1999 prévoyant dans son article 48 que "les marques ne peuvent contenir des mots, parties de mots, signes ou illustrations qui soient de nature à créer des confusions ou à induire en erreur les personnes auxquelles elles s'adressent ou qui soient susceptibles d'être confondus dans l'esprit des personnes auxquelles ils sont destinés avec tout ou partie de la désignation d'un vin de qualité produit dans une région déterminée".

Ils relevaient enfin que le syndicat des Côtes de Provence s'était engagé dans une démarche de hiérarchisation des appellations, créant des AOC sous régionales, telles que " Côtes de Provence Sainte-Victoire " en février 2005 et " Côtes de Provence Fréjus " en octobre 2005, ces sous-appellations prévoyant un rendement moindre (50 hectolitres par hectare contre 55 pour l'appellation générique) afin d'assurer une qualité supérieure.

Ils considéraient que les plaquettes publicitaires à l'en-tête de la SCV X... contenaient un descriptif faisant valoir un terroir particulier, ce qui constitue le fondement même d'une appellation d'origine contrôlée.

Pour illustrer le fait que la SCV s'inscrivait dans une stratégie de communication et qu'elle poursuivait un but lucratif, les enquêteurs retenaient, au vu des tarifs 2006, que le vin " Côtes de Provence " était proposé à 3,45 euro alors que la cuvée du golfe de Saint-Tropez l'était à 3,95 euro.

Etait versée au dossier copie d'un courrier adressé le 15 septembre 2003 par la DRCCRF de Marseille au président et au directeur de la SCV X..., leur rappelant la réglementation applicable et l'interdiction de faire figurer sur les étiquettes d'AOC Côtes de Provence la mention " Cuvée du Golfe de Saint-Tropez", nonobstant le dépôt régulier de cette indication sous forme de marque commerciale auprès de l'INPI. A cette occasion, il leur était expressément demandé de supprimer la mention litigieuse.

Pour entrer en voie de relaxe, les premiers juges ont retenu:

- que selon un arrêt de la Cour de Justice des Communautés européennes du 24 octobre 2002, la réglementation en vigueur doit "être interprétée en ce sens qu'elle ne s'oppose pas à l'utilisation d'une marque comportant une mention géographique et destinée à commercialiser du vin qui est susceptible de laisser supposer erronément que ladite mention géographique fait l'objet d'une protection, sauf s'il existe un risque réel que l'utilisation d'une telle marque induise les consommateurs concernés en erreur et par conséquent affecte leur comportement économique",

- que cet arrêt a été rendu en réponse à une question préjudicielle de la chambre commerciale de la Cour de cassation qui a ensuite rendu un arrêt en date du 17 décembre 2003 aux termes duquel le juge saisi doit, pour pouvoir la déclarer illicite, rechercher si la marque litigieuse était de nature à induire en erreur le consommateur et à affecter son comportement économique,

- qu'en l'espèce, il faut caractériser une faute pénale exigeant une tromperie qualifiée du consommateur,

- qu'un constat d'huissier du 13 juillet 2009 établit que de nombreux vins vendus en grande surface ayant la même AOC, Côtes de Provence et utilisant ou non l'appellation " Golfe de Saint-Tropez " étaient commercialisés à des prix égaux ou supérieurs à celui des vins incriminés,

- que la personne prévenue n'a donc pas tiré profit de cette dénomination géographique particulière pour augmenter ses prix, dénomination qui a donc eu "peu d'incidence sur le comportement du consommateur",

- que, à défaut de valorisation financière particulière, si le caractère publicitaire de l'appellation litigieuse apparaît établi, la tromperie du consommateur est insuffisamment caractérisée, s'agissant par ailleurs de la région productrice et de vins bénéficiant en outre de marques déposées.

Moyens des parties:

Le Ministère public requiert la réformation du jugement dont appel et la condamnation de la prévenue à une amende de 20 000 euro en faisant valoir:

- que si la réglementation est tatillonne elle garantit la qualité et l'amélioration des appellations géographiques qui ne doivent pas être galvaudées par abus,

- que l'utilisation d'une appellation d'origine non contrôlée est un moyen de se distinguer de la concurrence et de la fausser en faisant croire aux consommateurs qu'elle assure une meilleure qualité, ce qui n'est pas garanti par une sous-appellation auto-attribuée,

- que l'intérêt à tromper est ainsi établi,

- que la défense ne peut invoquer utilement un dépôt de marque commerciale auprès de l'INPI untel enregistrement ne pouvant prévaloir sur la législation applicable en matière d'AOC,

La personne prévenue fait plaider:

- que la DRCCRF reproche à Ia SCV X... l'utilisation du nom géographique "Saint-Tropez" dans l'étiquetage de son vin AOC au regard des dispositions de l'article 2 du décret du 13 septembre 1968 qui prohibe sur les étiquettes d'autres désignations géographiques en dehors du nom de cru que celle de l'appellation contrôlée, disposition visant à empêcher l'utilisation d'indications géographiques autres que celles de l'appellation d'origine afin de ne pas tromperies consommateurs sur les propriétés des produits et notamment sur l'origine ou la provenance,

- que la SCV X... est irréprochable puisque ce texte était applicable depuis plusieurs années lorsque, en 1993, la marque " Cuvée du golfe de Saint-Tropez " a été déposée auprès de l'Institut national de la Propriété industrielle (INPI) et que son utilisation a été autorisée par un agent de la DRCCRF et lorsque, en 1995, ce service n procédé à un contrôle et a constaté l'utilisation de cette marque sans pour autant demander de modification ou de suppression des étiquettes,

- que l'OHMI (Office d'Harmonisation du Marché intérieur) a accepté l'enregistrement de la marque communautaire " Cuvée du golfe de Saint-Tropez " déposée le 5 avril 2004 et enregistrée sous le numéro 003752771, ce qui marque l'accord de cet organisme pour l'utilisation de cette marque puisqu'il est chargé de faire respecter les régies communautaires, la jurisprudence de la Cour de Justice de l'Union européenne (CJUE) et les principes du droit européen,

- qu'en validant l'enregistrement de cette marque, l'OHMI a considéré qu'elle n'était pas susceptible d'induire en erreur le consommateur ni d'affecter son comportement économique,

- que l'article 11 du règlement CE n° 2392-89 du 24 juillet 1989 prévoit la possibilité, sous certaines conditions, pour un vin de qualité produit dans une région déterminée (un vin d'AOC en France), de compléter la désignation par l'ajout du nom d'une entité géographique plus restreinte,

- que le règlement CE 1493-99 du 17 mai 1999 et son règlement d'application n° 753-2002 du 29 avril 2002 ont limité l'utilisation des noms géographiques û l'indication d'une unité géographique plus petite que la région déterminée selon les modalités prévues par l'Etat membre producteur,

- que la CJUE dans son arrêt du 24 novembre 2002, déclare licite l'utilisation d'une marque comportant une mention géographique même si cette mention est susceptible de faire supposer erronément qu'elle fait l'objet d'une protection,

- qu'il ne suffit donc pas que la marque ou la mention "Cuvée du golfe de Saint-Tropez" soit une référence géographique non prévue pour que son emploi soit ipso facto illicite,

- qu'il n'en est autrement que s'il existe un risque d'induire les consommateurs en erreur et d'affecter leur comportement économique,

- que cette jurisprudence été reprise par la Cour de cassation dans un arrêt du 17 décembre 2003,

- qu'il incombait donc à la DRCCRF de démontrer l'existence d'un risque réel d'induire les consommateurs en erreur et d'affecter leur comportement par l'utilisation de l'appellation "Golfe de Saint-Tropez",

- qu'en l'espèce, il apparaît au contraire, au vu notamment des constats d'huissier effectué à la demande de la prévenue, que la SCV X... ne vend pas la cuvée du golfe de Saint-Tropez à un prix sensiblement supérieur à celui des vins de la concurrence qui utilise massivement l'appellation " Saint-Tropez ",

- qu'au contraire, des vins comparables de la concurrence sont vendus à des prix plus élevés,

- qu'il n'existe donc en l'espèce aucun risque réel d'induire les consommateurs en erreur ou d'affecter leur comportement économique, d'autant que les bouteilles étiquetées " Cuvée du golfe de Saint-Tropez " sont les moins chères de la production commercialisée par la SCV X...,

- qu'il n'y a aucune tromperie des consommateurs sur la provenance du vin ni même aucun risque de les induire en erreur puisque la cuvée du golfe de Saint-Tropez est réalisée è partir de vins provenant de cépages plantés sur le territoire des communes du golfe de Saint-Tropez, territoire constitué d'une communauté de communes créée en juillet 2006 et dont fait partie la commune de Grimaud.

Sur ce:

Attendu que la cuvée se définit communément comme la quantité de vin qui se fait à la fois dans une cuve ou comme la qualité du vin issu de la cuve que le terme " cuvée" est parfois utilisé pour désigner la quantité de raison produite par un vignoble, et mise en cuves, en une seule fois;

Attendu qu'il en résulte que dans le langage commun, et donc notamment dans celui des consommateurs, la cuvée est associée à un lieu de production restreint, correspondant à un vignoble, à savoir un terrain, ou plus largement un territoire, planté de vignes, ou un terroir qui peut lui-même se définir comme un groupe de parcelles agricoles situées dans la même région, présentant le même type de sol, ayant des conditions climatiques identiques et dont les vignes sont cultivées et traitées selon les mêmes techniques viticoles;

Attendu qu'en l'espèce, il n'est pas contestable, ni contesté, que l'appellation " Cuvée du golfe de Saint-Tropez" désigne une production géographiquement déterminée ; que cette dénomination, plus restreinte que celle de " Côtes de Provence " à laquelle elle est associée, n'est pas, contrairement à celle-ci, contrôlée;

Attendu que salon l'arrêt précité rendu le 24 octobre 2002 par la Cour de Justice des Communautés européennes en réponse à une question préjudicielle de la chambre commerciale de la Cour de cassation, "l'article 40 du règlement (CEE) n° 2392-89 du Conseil, du 24 juillet 1989, établissant les règles générales pour la désignation et la présentation des vins et moûts de raisins, dans sa version modifiée par le règlement (CEE) n° 3897-91 du Conseil, du 16 décembre 1991, doit être interprété en ce sens qu'il ne s'oppose pas à l'utilisation d'une marque comportant une mention géographique et destinée à commercialiser du vin qui est susceptible de laisser supposer erronément que ladite mention géographique fait l'objet d'une protection sauf s'il existe un risque réel que l'utilisation d'une telle marque induise les consommateurs concernés en. erreur et, par conséquent, affecte leur comportement économique", et qu'il incombe au juge national d'apprécier si tel est bien le cas;

Attendu que cette décision, qui s'impose aux juridictions françaises, oblige le juge saisi à rechercher, pour pouvoir la déclarer illicite, si la marque litigieuse était de nature à induire en erreur la consommateur et à affecter son comportement économique, ce qu'a rappelé la chambre commerciale de la Cour de cassation dans son arrêt précité du 17 décembre 2003;

Attendu qu'il résulte des pièces produites et des débats que la SCV X... pouvait se croire autorisée à commercialiser les bouteilles litigieuses après enregistrement de la marque communautaire " Cuvée du golfe de Saint-Tropez " déposée le 5 avril 2004 et enregistrée sous le numéro 003752771 par l'OHMI qui est tenu, en vertu de l'article 7 du règlement (CE) n° 40-94 du 20 décembre 1993 qui énumère les motifs absolus de refus d'enregistrement de marque communautaire, de refuser à l'enregistrement les marques qui sont de nature à tromperie public, par exemple sur la nature, la qualité ou la provenance du produit ainsi que les marques de vins qui comportent ou qui sont composées d'indications géographiques destinées identifier des vins lorsque ces vins n'ont pas ces origines;

Attendu que la société prévenue n'a pas induit les consommateurs en erreur sur sa provenance puisqu'il est constant que le vin commercialisé sous l'appellation " Cuvée du golfe de Saint-Tropez " provenait bien du golfe de Saint-Tropez, entité géographique communément identifiée et dont l'étendue a été administrativement définie dans le courant des années 2000 par le regroupement de douze communes dont celle de Grimaud;

Attendu que la dénomination " Côtes de Provence ", figurant également sur les bouteilles, bien que de dimensions plus réduites, était très apparente en raison notamment de son lettrage doré, ce qui était de nature à informer précisément les consommateurs, auxquels elle n'était pas cachée, sur la provenance du vin et son appartenance à cette appellation contrôlée;

Attendu qu'il n'est en outre pas établi que le comportement économique des consommateurs aurait été affecté par l'emploi de l'appellation litigieuse puisque, pour attractive qu'elle soit, plus d'ailleurs pour le prestige attaché au nom de Saint-Tropez que pour la réputation des vins produits dans la région, cette appellation n'a pas été utilisée, en tout cas pas sur le territoire français selon le dossier soumis à la cour, par la société prévenue afin de vendre son vin à un prix supérieur à ses autres vins ni aux prix pratiqués par la concurrence pour des vins comparables ; qu'au contraire, il résulte des pièces produites que le prix des bouteilles litigieuses se situait dans la fourchette basse de la production locale des Côtes de Provence, ce qui tend à démontrer que la SCV X... n'a pas pratiqué des tarifs élevés pour faire croire que le vin en cause était d'une qualité et d'une gamme supérieures à celles auxquelles il pouvait raisonnablement prétendre;

Attendu qu'il est par ailleurs démontré, par les procès-verbaux d'huissier et le guide Hachette des vins 2012 versés aux débats ainsi que par les bouteilles présentées à l'audience avec les tickets d'achat y afférents, que de nombreux concurrents de la SCV X... Côtes de Provence en faisant référence à Saint-Tropez et ce, à des prix avoisinants, voire supérieurs;

Attendu que la cour relève également que ne figure au dossier aucune plainte ou réclamation émanant par exemple de consommateurs, d'associations de défense de consommateurs ou de syndicats viti-vinicocles et notamment pas du syndicat des Côtes de Provence alors que la SCV X... commercialise sa cuvée du golfe de Saint-Tropez depuis 1993, ce qui tend à établir qu'aucune personne ou organisme n'a estimé depuis environ dix-huit ans que cette appellation était trompeuse ni même susceptible de l'être;

Attendu qu'il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit nécessaire de répondre au surplus des moyens soulevés en défense, que l'infraction de tromperie dont la cour est saisie n'est constituée ni en son élément matériel, ni en son élément moral;

Attendu que le jugement déféré doit en conséquence être confirmé en toutes ses dispositions;

Par ces motifs : LA COUR, Statuant publiquement par arrêt contradictoire, en matière correctionnelle, après en avoir délibéré conformément à la loi : En la forme, Reçoit l'appel formé par le Ministère Public, Au fond, Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions ; Le tout conformément aux articles visés au jugement, au présent arrêt, et aux articles 512 et suivants du Code de procédure pénale.