CA Aix-en-Provence, 10e ch. B, 17 octobre 2007, n° 05-13599
AIX-EN-PROVENCE
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Dermatech (SARL), F (ès qual.)
Défendeur :
B, P, Corneal Industrie (SA), Compagnie Zurich International France, Axa France Iard, L. Derm (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Poirier-Chaux
Conseillers :
Mmes Klotz, Thibault
Avoués :
SCP de Saint Ferreol-Touboul, SCP Sider SCP Giacometti-Desombre, SCP Cohen-Guedj, SCP Jourdan-Wattecamps, SCP Boissonnet-Rousseau
Avocats :
Selarl Dusausoy-Lefebvre & Associes, SCP Tetaud Lambard Jami & Associes, Mes Rosenfeld, Galli, Lefebvre, de Puineuf, Scapel, Klatovsky
FAITS ET PROCÉDURE
Vu le jugement rendu le 27 mai 2005 par le Tribunal d'instance de la Ciotat sous le n° 04-257
Vu l'appel interjeté le 27 juin 2005 par la SARL Dermatech
Vu les conclusions de Madame Pascaline P notifiées le 23 janvier 2006
Vu les conclusions de la SARL Dermatech signifiées le 10 octobre 2005
Vu les conclusions de la SARL L. Derm notifiées le 12 avril 2006
Vu l'appel en cause de Maître F liquidateur de la SARL Dermatech signifiée à personne habilitée le 31 juillet 2007
Vu les conclusions de Olivier B notifiées le 26 juillet 2007
Vu les conclusions de la SA compagnie Axa France Iard notifiées le 30 novembre 2006
Vu les conclusions de la SA Corneal Industrie notifiées le 30 août 2007
Vu les conclusions de la Compagnie Zurich Insurance Ireland Limited notifiées le 29 août 2007
Vu l'ordonnance de clôture en date du 12 septembre 2007.
EXPOSE DU LITIGE
Le docteur B, dermatologue a procédé à l'injection de deux ampoules de Dermalive, durant une période d'un mois en avril 2001, sur la personne de Madame P, qui se plaignait d'avoir des plis d'amertume au niveau de la commissure des lèvres.
Fin juillet 2001, Madame P a indiqué s'être réveillée la bouche enflée et déformée.
Le 20 août, elle a consulté le docteur M qui lui a prescrit des crèmes, sans résultat.
Le docteur B lui a fait des injections locales de corticoïdes, courant septembre 2001.
L'état de Madame P s'est amélioré, mais des lésions visibles ont subsisté.
Elle a obtenu la désignation du docteur B en qualité d'expert judiciaire, par ordonnance du 8 septembre 2003.
Par le jugement déféré, le tribunal dit que le docteur B a manqué à son devoir d'information sur l'apparition de granulomes, faisant perdre ainsi à Madame P une chance de refuser le traitement, mais qu'il n'a commis aucune faute, le préjudice subi résultant de la conjonction d'un défaut d'information et du défaut de sécurité du produit.
Le tribunal condamne in solidum, la société Dermatech en sa qualité de fabricant du produit, et le docteur B, à réparer le préjudice subi par Madame P. Il met hors de cause la société Corneal Industrie, sous-traitant de Dermatech et la société L. Derm, distributeur.
Le tribunal juge en outre que la compagnie Axa ne doit pas garantir les dommages survenus en avril 2001, le contrat ayant été résilié par Dermatech à compter du 31 décembre 2000.
Il déboute également Dermatech de sa demande de garantie contre la compagnie Zurich International, au motif que le contrat d'assurance prenant effet le 1er janvier 2001, excluait les réclamations liées à la livraison du produit avant la date d'effet de ce contrat.
Le tribunal alloue à Madame P la somme de 4 600 euro à titre de réparation du préjudice subi.
La SARL Dermatech conclut à l'infirmation de cette décision, au visa des articles 1386-1 du Code civil et 1147 du même Code.
Elle soutient que la preuve de la nature du produit injecté n'a pas été rapportée, que la défectuosité du produit n'est pas démontrée et qu'elle avait parfaitement respecté son obligation d'information.
A titre subsidiaire, elle demande a être garantie par la société L. Derm, distributeur, qui devait informer son cocontractant, le médecin traitant, du risque d'apparition de granulome.
Elle sollicite qu'Axa et ou Zurich International la garantisse de toute condamnation, en application des clauses contractuelles.
La SARL Dermatech ayant été mise en liquidation judiciaire, son liquidateur a été assigné en intervention forcée. Il n'a pas constitué avoué.
Le docteur B demande à la cour de dire qu'il n'a commis aucune faute technique, le geste pratiqué était constitutif selon lui d'un aléa thérapeutique.
Il soutient n'avoir pas été en mesure de remplir correctement son devoir d'information du fait de la non remise par Dermatech et L. Derm de documents répertoriant les effets indésirables.
Il demande donc à être relevé et garanti par ces sociétés.
La société L. Derm conclut à la confirmation de sa mise hors de cause par le tribunal qui, selon elle, a fait une exacte application de l'article 1386-7 du Code civil, le fabricant étant connu.
Elle rappelle que l'expert a relevé l'absence de certitude sur la nature du produit injecté et qu'en tout état de cause il incombe au praticien, en l'espèce le docteur B, de relire la notice d'utilisation éditée par le fabricant et que le médecin est seul débiteur d'un devoir d'information.
Elle conclut au rejet de la demande de garantie formulée par Dermatech à son encontre.
La SA Corneal conclut à la confirmation de la décision entreprise.
La compagnie Axa France Iard qui soutient que Dermatech n'était plus assurée lors de la survenance du dommage, conclut à la confirmation.
La compagnie Zurich Assurance conclut également à la confirmation, en rappelant que la demande de garantie se heurte à l'exclusion de l'article 8 - 1 de la police souscrite, s'agissant d'un produit livré antérieurement à la prise d'effet du contrat.
Madame P conclut à la confirmation du jugement déféré en ce qui concerne les responsabilités, mais sollicite une réévaluation de son préjudice.
MOTIFS DE LA DECISION
La présente décision sera réputée contradictoire, Monsieur F liquidateur de la SA Dermatech, assigné à personne, n'ayant pas constitué avoué.
A titre subsidiaire il convient de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a mis hors de cause la société Corneal Industrie, contre laquelle aucune demande n'est formée en cause d'appel.
L'équité ne commande pas de faire droit à la demande dirigée contre "tout succombant", tendant à l'allocation d'une indemnité au titre des frais irrépétibles.
EN FAIT
Madame Pascaline P, née en 1947, est suivie en dermatologie depuis 1984 par le docteur B qui a déjà injecté en 1996, un produit résorbable dans l'ourlet des lèvres. Madame P n'avait alors présenté aucune réaction.
Il résulte de l'expertise réalisée par le docteur B que le 2 avril 2001 et le 6 avril 2001, le docteur B a procédé à l'injection d'un produit non résorbable, destiné au comblement des rides profondes ; il s'agissait d'un geste esthétique, de simple confort, réalisé dans deux zones différentes.
L'expert signale que Madame P ne présentait aucune anomalie des lèvres rendant l'atteinte inévitable, et constate que Madame P présente des granulomes inflammatoires des deux plis d'amertume des lèvres supérieure et inférieure, de part et d'autre des commissures labiales, apparus brutalement quatre mois après l'injection.
Le docteur B a toujours indiqué que le produit injecté était du "Dermalive" dont il a acquis quatre seringues auprès du laboratoire L. Derm, lot L 00121, selon bon de livraison du 6 novembre 2000.
L'expert n'a pu obtenir la preuve formelle de l'injection de ce produit, le dermatologue n'ayant en effet pas conservé, ni remis à la patiente, les étiquettes de traçabilité.
Néanmoins, la présentation du bon de livraison, la lecture par Madame P de la brochure publicitaire, remise par le laboratoire L. Derm (p. 4 de l'expertise B) qui distribue le Dermalive, les courriers échangés entre le docteur B et la société L. Derm, le dossier de la patiente, la déclaration d'incident, constituent des présomptions suffisantes de l'injection de ce produit à Madame P, la preuve n'étant pas rapportée que le docteur B injecte même occasionnellement dans ces zones d'autres produits résorbables, commercialisés sous d'autres noms.
Il résulte également de l'expertise que Madame P a subi les effets indésirables du Dermalive dont la notice d'utilisation portait les indications suivantes en juillet 1999:
"Bien qu'aucun cas de granulome lié à l'utilisation de Dermalive n'ait été rapporté, la possibilité théorique de la survenance de ce type d'effet secondaire doit être prise en compte".
Dans la notice, signée le 4 mai 2000 par le responsable qualité et la directrice de la société Dermatech, il est mentionné "quelques cas de granulomes inflammatoires d'apparition retardée et cortico sensibles".
Selon l'expert, la brochure publicitaire consultée en 2001 par Madame P et remise aux médecins par le laboratoire L. Derm ne fait pas mention de ces effets indésirables.
EN DROIT
- Sur l'action dirigée contre Monsieur B
Madame P soutient que le docteur B a manqué à son obligation contractuelle de sécurité.
L'expert B note toutefois que le docteur B a respecté les indications préconisées par le distributeur et les quantités maximales à utiliser. Il estime que la conservation de la seringue au réfrigérateur durant quelques jours entre les deux injections n'a pas joué un rôle dans l'apparition de granulomes quatre mois plus tard, et que l'injection d'un autre produit résorbable quelques années plus tôt, n'est pas en lien avec le préjudice.
Il ajoute que dès la survenue des effets indésirables, les soins ont été attentifs, consciencieux et conformes aux données acquises de la science.
Il conclut donc à l'absence de faute du praticien et à l'existence d'un aléa thérapeutique.
Le docteur B précise en effet :
"L'apparition de granulomes inflammatoires peut être la conséquence tardive de l'introduction dans la peau de n'importe quel corps étranger non résorbable (siloconome, oléome, paraffinome) les granulomes sont d'ailleurs signalés dans la notice actuelle d'utilisation du Dermalive et ce même lorsque le protocole est parfaitement observé".
Si la responsabilité du docteur B ne peut donc être retenue sur le fondement d'une faute qui n'est pas démontrée, elle peut en revanche être retenue pour manquement à son devoir d'information.
Il ressort en effet des pièces versées au débat que le docteur B avait eu en main une note d'utilisation qui faisait état de la possibilité théorique de survenance de granulome, bien qu'aucun cas n'ait été rapporté. (p. 6 des écritures du Docteur B) et qui demandait à l'utilisateur du produit de prendre en compte cette hypothèse.
Le docteur B n'a jamais fait part de cette éventualité à sa patiente, ce qu'il ne conteste pas, se bornant à soutenir qu'il n'était pas informé lui-même.
Or il est constant qu'une notice établie en mai 2000 fait état de rare cas de granulomes inflammatoires.
Il incombe au médecin de délivrer à son patient une information loyale et complète qui au terme d'une jurisprudence constante, inclut même le risque exceptionnel.
Il n'est pas inutile d'ajouter que le docteur B ne pouvait compte tenu de sa formation et de sa compétence, reconnue par l'expert, que connaître les risques afférents à l'introduction intradermique de n'importe quel corps étranger.
Ce défaut d'information avéré a fait perdre à Madame P une chance de se soustraire aux effets indésirables qu'elle a subis, que la cour évalue à la moitié du préjudice subi.
- Sur la demande dirigée contre la société Dermatech
L'article 1386-4 du Code civil dispose :
"Un produit est défectueux au sens du présent titre lorsqu'il n'offre pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre.
Dans l'appréciation de la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre, il doit être tenu compte de toutes les circonstances, et notamment de la présentation du produit, de l'usage qui peut raisonnablement en être attendu et du moment de sa mise en circulation. Un produit ne peut être considéré comme défectueux par le seul fait qu'un autre, plus perfectionné a été mis postérieurement en circulation."
La responsabilité des désordres causés par un produit défectueux incombe à son producteur.
En l'espèce, la société Dermatech est le producteur du Dermalive, commercialisé par Impax's Diffusion, puis par L. Derm.
Il est constant que la notice du Dermalive, établie le 4 mai 2000, mentionne "quelques cas de granulomes inflammatoires d'apparition retardée et cortio sensible".
Cette notice était donc en vigueur au moment de la livraison du produit au docteur B le 6 novembre 2000.
Il ne peut donc être sérieusement soutenu que le produit offrait une sécurité absolue puisque cet effet indésirable, comme d'autres (rougeurs, réactions inflammatoires, induration au point d'injection, coloration de la zone d'injection, faible efficacité ou faible effet de comblement) était expressément mentionné. Compte tenu des recommandations, des précautions d'emploi, des incompatibilités et autres éléments d'information contenus dans cette notice, la défectuosité du produit n'est donc pas établie.
Dès lors c'est à tort que le tribunal a retenu la responsabilité de la société Dermatech et de ce chef le jugement déféré doit être infirmé.
Il n'y a pas lieu dès lors de statuer sur la garantie de la société L. Derm, ainsi que sur la garantie des compagnies Axa France et Zurich.
- Sur la demande du docteur B à l'encontre de la société Dermatech et la société L. Derm
Le docteur B soutient qu'une faute a été commise par ces sociétés qui n'auraient pas remis les documents contractuels, répertoriant l'effet indésirable constitué de granulomes inflammatoires.
Or il est manifeste que chaque boîte de Dermalive contient une notice d'utilisation du produit qui mentionne clairement la composition, les caractéristiques, les indications et contre-indications, les précautions d'emploi, les effets indésirables, les mises en garde, et le mode d'emploi du produit.
Cette notice est destinée à l'usager du produit, en l'espèce le docteur B qui procède aux injections, et auquel il incombe d'informer directement les patients sur les éventuels effets indésirables, sans s'en tenir aux brochures publicitaires.
La société Dermatech et la société L. Derm ne sauraient dont être tenues pour responsables de l'absence de diligence du médecin dans la communication de ces informations à ses patients, ces informations étant données dès le 4 mai 2000 et nécessairement jointes à la livraison du 6 novembre 2000.
- Sur le préjudice de Madame P
Les conclusions du docteur B qui a procédé à un examen complet et approfondi de Madame P sont les suivantes :
- ITT et IPP néant
- Consolidation le 5 septembre 2002
- Souffrances endurées 2 / 7
- Préjudice esthétique 2 / 7
- granulome ferme non douloureux de 2,5 cm de long et 2 - 3 mm d'épaisseur au niveau des deux sillons d'amertume
- au niveau des commissures labiales, lèvres supérieure et inférieure granulome de 1 cm à droite, 0,5 cm à gauche
Madame P était âgée de 55 ans à la consolidation.
Elle ne justifie pas d'une gêne dans les actes de la vie courante avant cette date. Compte tenu de ces éléments et des pièces produites, son préjudice sera évalué de la manière suivante :
- Souffrances endurées : 3 060 euro
- Préjudice esthétique : 3 060 euro
TOTAL : 6 120 euro
Compte tenu de la perte de chance il revient donc à Madame P la somme de 3 060 euro.
- Sur l'article 700 du Nouveau Code de procédure civile
L'équité commande d'allouer à Madame P la somme de 1 500 euro par application de l'article 700 du Nouveau Code de procédure civile.
Aucune considération de cette nature ne justifie en revanche qu'il soit fait droit aux demandes respectives de la société Dermatech, de la société L. Derm de la compagnie Axa France Iard et de la société Zurich Insurance Ireland Limited.
Par ces motifs : LA COUR, statuant publiquement, par décision réputée contradictoire en matière civile et en dernier ressort : Confirme le jugement déféré sauf en ce qu'il a condamné la société Dermatech in solidum avec le docteur B à réparer le préjudice subi par Madame P et sur l'évaluation du préjudice de cette dernière. Statuant à nouveau de ces chefs : Dit que le produit mis en circulation par la société Dermatech ne présente pas un caractère défectueux, Dit que la preuve d'un défaut d'information du Docteur B par la société Dermatech n'est pas rapportée, Prononce la mise hors de cause de la société Dermatech, Condamne le Docteur B à payer à Madame P la somme de 3 060 euro en réparation de son préjudice avec intérêts au taux légal à compter du présent arrêt, ainsi que celle de 1 500 euro par application de l'article 700 du Nouveau Code de procédure civile, Rejette toutes autres demandes tendant à l'application de l'article 700 du Nouveau Code de procédure civile, Condamne Monsieur Olivier B aux dépens d'appel, Autorise les Avoués en la cause à en poursuivre le recouvrement conformément aux articles 696 et 699 du Nouveau Code de procédure civile.