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Décisions

CA Caen, 2e ch. civ. et com., 5 juillet 2012, n° 11-01135

CAEN

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Etablissements Ségurel et Fils (SAS), Regnault

Défendeur :

Carrefour Proximité France (SAS), CSF (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Christien

Conseillers :

Mmes Beuve, Boissel Dombreval

Avocats :

SCP Mosquet Mialon d'Oliveira Leconte, SCP Brouard, Associés, SCP Parrot Lechevallier Rousseau, SCP Baron Cosse & Gruau

T. com. Caen, du 16 févr. 2011

16 février 2011

EXPOSÉ DU LITIGE

Le 18 juin 1985, la société Promodes a conclu avec les époux Regnault un contrat de franchise relatif à l'exploitation, sous l'enseigne "Shopi", de leur fonds de commerce pour une durée de 15 ans à compter du 1er juin 1984 et renouvelable par tacite reconduction pour une durée de trois ans.

Les époux Regnault ont dénoncé le contrat le 27 novembre 1998 pour son terme initial du 1er juin 1999, mais les relations commerciales se sont poursuivies jusqu'au 15 novembre 2000, date à laquelle les époux Regnault ont déposé l'enseigne "Shopi" pour exploiter sous l'enseigne "Coccimarket" et ont cessé de s'approvisionner auprès de la société Logidis à laquelle les droits et obligations nés du contrat de franchise et relatifs à l'approvisionnement du magasin avaient été cédés.

Saisi par les sociétés Prodim, aux droits de la société Promodes, et Logidis en vertu de la clause compromissoire figurant au contrat de franchise, un tribunal arbitral a, par sentence du 23 décembre 2002, décidé que le contrat conclu le 18 juin 1985 avait été tacitement reconduit le 1er juin 1999 pour une période de trois ans prenant fin le 31 mai 2002 et que Monsieur Regnault avait procédé à une rupture fautive de ce contrat, et a condamné celui-ci au paiement des sommes de :

22 867 euro aux sociétés Prodim et Logidis en réparation des préjudices causés par la rupture,

93 695,58 euro à la société Prodim au titre des redevances de franchise,

36 305,27 euro au profit de la société Logidis au titre des pertes sur ventes de marchandises.

Par arrêt en date du 14 décembre 2004, la Cour d'appel de Caen a rejeté le recours en annulation formé par Monsieur Regnault contre cette sentence arbitrale.

Par acte du 7 janvier 2008, les sociétés Carrefour Proximité France, venue aux droits de la société Prodim, et CSF, aux droits de la société Logidis, ont fait assigner devant le Tribunal de commerce de Caen la société Établissements Ségurel, qui a concédé l'enseigne "Coccimarket" aux époux Regnault et les a approvisionnés à compter d'octobre 2000, en lui faisant grief de s'être rendue complice de la violation par Monsieur Regnault de ses obligations contractuelles constatée par la sentence arbitrale du 23 décembre 2002.

Par un premier jugement du 21 janvier 2009, le tribunal de commerce a rejeté l'exception d'incompétence territoriale soulevée par la société Ségurel.

Cette décision a été confirmée par la Cour d'appel de Caen par arrêt du 2 juillet 2009 statuant sur le contredit de la société Ségurel.

La société Ségurel a alors formé tierce opposition à titre incident contre la sentence arbitrale du 23 décembre 2002 et a, à cet effet, appelé à la cause Monsieur Regnault par acte du 15 octobre 2009.

Puis, par un second jugement du 16 février 2011, le tribunal de commerce a statué en ces termes :

"Déclare irrecevable la tierce opposition incidente formée par la société Etablissements Ségurel à l'encontre de la sentence arbitrale du 23 décembre 2002 ;

Constate que la société Etablissements Ségurel n'invoque pas de moyens propres qui n'auraient pas été invoqués par Monsieur Regnault pour s'opposer à la sentence arbitrale qui n'a pas davantage été rendue en fraude de ses droits ;

Dit que la société Etablissements Ségurel a engagé sa responsabilité délictuelle en aidant les époux Regnault à violer leur obligation contractuelle et que cette tierce complicité induit une obligation in solidum ;

Retient que la sentence arbitrale a fixé le montant du préjudice en vertu de la clause pénale insérée au contrat de franchise et qu'il n'y pas lieu à indemnisation complémentaire ;

Déboute la société Etablissements Ségurel de toutes ses demandes ;

Ordonne l'exécution provisoire ;

Condamne la société Etablissements Ségurel à verser une indemnité de 10 000 euro in solidum aux sociétés Carrefour et CSF sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Condamne la société Etablissements Ségurel aux entiers dépens".

Faisant grief aux premiers juges de ne pas avoir examiné ses demandes reconventionnelles en nullité du contrat de franchise sur le fondement des articles L. 330-1 et L. 420-3 du Code de commerce et de l'avoir déclarée responsable de complicité de violation des obligations contractuelles de Monsieur Regnault, la société Ségurel a relevé appel de cette décision en demandant à la cour de :

"Dire que la sentence arbitrale rendue le 23 décembre 2002 lui porte préjudice en ce qu'elle a retenu que Monsieur Bernard Regnault, en adoptant l'enseigne "Coccimarket", avait procédé à une rupture fautive du contrat de franchise qui s'était renouvelé ;

Déclarer en conséquence la société Ségurel recevable et bien fondée en sa demande de tierce opposition incidente ;

Statuant en droit, réformer la sentence arbitrale rendue en équité en ce qu'elle a retenu que les époux Regnault avaient renoncé à leur lettre de dénonciation et que l'accord de franchise s'était renouvelé ;

Réformer la sentence arbitrale rendue en équité en ce qu'elle a rejeté la demande de nullité de l'accord de franchise dont se prévalent les sociétés intimées ;

En conséquence et en tout état de cause, vu l'absence de faute de la société Ségurel, vu les articles L. 330-1 du Code de commerce et L. 420-1 et suivants du même Code, dire nulle et de nul effet la convention de franchise signée entre la société Promodes aux droits de laquelle viennent à présent les sociétés Carrefour Proximité France et CSF et Monsieur Regnault ;

Débouter les sociétés Carrefour Proximité France et CSF de l'ensemble de leurs demandes dirigées à l'encontre de la société Ségurel ;

Condamner in solidum les sociétés Carrefour Proximité France et CSF à payer à la société Ségurel la somme de 100 000 euro pour préjudice commercial consécutif aux pratiques anti-concurrentielles des sociétés Carrefour Proximité France et CSF ;

Condamner in solidum les sociétés Carrefour Proximité France et CSF à payer à la société Ségurel la somme à 50 000 euro pour procédure abusive ;

Condamner in solidum les sociétés Carrefour Proximité France et CSF au paiement de la somme de 25 000 euro au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Les condamner en tous les dépens".

Les sociétés Carrefour Proximité France et CSF ont quant à elles relevé appel incident en demandant à la cour de :

"Dire et juger irrecevable et en toute hypothèse mal fondée la tierce opposition formée par la société Etablissements Ségurel à l'encontre de la sentence arbitrale du 23 décembre 2002 ;

Confirmer le jugement du 16 février 2011 du Tribunal de commerce de Caen en ce qu'il a dit que la société Etablissements Ségurel a engagé sa responsabilité délictuelle en aidant les époux Regnault à violer leur obligation contractuelle ;

Réformer le jugement en ce qu'il a dit qu'il n'y avait pas lieu à indemnisation complémentaire au profit des concluantes ;

Dire et juger que l'entier dommage subi par la société Carrefour Proximité France représente la somme de 33 184,64 euro au titre de la perte de cotisations de franchise pour la période du 1er novembre 2000 jusqu'au 1er juin 2002 et la somme de 76 224,51 euro au titre de l'atteinte au réseau et à l'image de l'enseigne "Shopi" ;

Dire et juger que le préjudice subi par la société CSF s'est élevé à la somme de 99 930,31 euro ;

Condamner la société Etablissements Ségurel au versement aux sociétés Carrefour Proximité France et CSF des montants précités ;

Dire et juger qu'il conviendra de déduire de la somme due à CSF celle retenue par la sentence arbitrale d'un montant de 22 867 euro ;

Débouter la société Etablissements Ségurel de toutes ses demandes reconventionnelles ;

Condamner la société Etablissements Ségurel au versement aux concluantes d'une indemnité complémentaire au titre de l'article 700 du Code de procédure civile d'un montant de 15 000 euro et en tous les dépens de première instance et d'appel".

Bien qu'assigné devant la cour, Monsieur Regnault n'a constitué ni avoué, ni avocat.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure ainsi que des prétentions et moyens des parties, la cour se réfère aux énonciations de la décision attaquée ainsi qu'aux dernières conclusions déposées pour la société Ségurel le 23 mai 2012, et pour les sociétés Carrefour Proximité France et CSF le 11 avril 2012.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Sur la recevabilité de la tierce opposition à la sentence arbitrale du 23 décembre 2002

Les sociétés Carrefour Proximité France et CSF prétendent en premier lieu qu'une sentence arbitrale ne pourrait faire l'objet d'une tierce opposition à titre incident.

Aux termes des dispositions de l'article 1481 alinéa 2 du Code de procédure civile, une sentence arbitrale peut être frappée de tierce opposition devant la juridiction qui aurait été compétente à défaut d'arbitrage, sous réserve des dispositions de l'article 588 alinéa 1 qui disposent quant à elles que la tierce opposition incidente à une contestation dont est saisie une juridiction est tranchée par cette dernière si elle est de degré supérieur à celle qui a rendu le jugement.

Il résulte de la combinaison de ces textes que la tierce opposition incidente contre une sentence arbitrale n'est pas prohibée, contrairement à ce que soutiennent les sociétés intimées, mais peut parfaitement être examinée par une cour d'appel saisie du litige principal.

Celle-ci doit en effet être regardée comme une juridiction d'un degré supérieur au tribunal arbitral, même lorsque celui-ci statue en dernier ressort, puisque sa sentence est toujours susceptible d'un recours en annulation devant la cour d'appel.

Le tribunal de commerce a donc à tort déclaré la tierce opposition incidente irrecevable.

Sur le bien-fondé de la tierce opposition à la sentence arbitrale du 23 décembre 2002

Pour s'opposer à l'action en rupture fautive du contrat de franchise conclu entre la société Promodes et les époux Regnault, la société Ségurel demande reconventionnellement l'annulation de ce contrat en ce que :

il aurait été conclu pour une durée excessive de 15 ans, en violation des dispositions de l'article L. 330-1 du Code de commerce limitant à un maximum de dix ans la durée de validité de toute clause d'exclusivité d'approvisionnement,

il aurait pour effet de limiter l'accès de nouveaux fournisseurs au marché de l'approvisionnement des distributeurs tenus à une quasi-exclusivité d'approvisionnement à l'égard du franchiseur, et, partant, constituerait une pratique anti-concurrentielle prohibée par l'article L. 420-1 du Code de commerce.

Les sociétés Carrefour Proximité France et CSF rétorquent en premier lieu que, le dispositif de la sentence arbitrale ne s'étant pas prononcé sur la validité du contrat de franchise du 18 juin 1985, la société Ségurel ne serait pas fondée à solliciter l'annulation de ce contrat à la faveur de sa tierce opposition, dès lors qu'aux termes de l'article 582 du Code de procédure civile, cette voie de recours ne peut tendre qu'à remettre en question les points jugés qu'elle critique.

Toutefois, si l'effet dévolutif de la tierce opposition est limité à la remise en question, relativement à son auteur, des points jugés qu'elle critique, il autorise néanmoins le tiers opposant à invoquer tous les moyens qu'il aurait pu présenter s'il était intervenu à l'instance avant que la décision ne fût rendue, et notamment toutes prétentions reconventionnelles tendant à faire écarter celles du demandeur.

D'autre part, rien n'interdit à un tiers de solliciter l'annulation d'un contrat, dès lors que celui-ci lui fait grief et qu'il invoque, comme en l'espèce, des moyens d'ordre public.

En outre, l'exception de nullité peut toujours être invoquée contre un contrat exécuté, peu important que son terme fût échu s'il continue à produire des effets que l'une des parties revendique au soutien de son action principale.

La société Ségurel est en revanche mal fondée à invoquer les dispositions des articles L. 330-1 et L. 420-1 du Code de commerce pour réclamer l'annulation du contrat de franchise, dès lors que celles-ci ne visent que les conventions d'approvisionnement exclusif ou quasi-exclusif, et qu'il est inexact de prétendre que l'accord de franchise liant la société Promodes aux époux Regnault comportait une clause obligeant ces derniers à s'approvisionner de façon quasi-exclusive auprès du franchiseur ou d'une société de son groupe.

En effet, si les franchisés se sont engagés à "suivre les plans d'implantation de l'assortiment minimum déterminé par le franchisé" et à "s'approvisionner chez le franchiseur ou des fournisseurs que celui-ci aura spécialement agréés pour les produits faisant partie de l'assortiment minimum", cette obligation, qui ne concernait que l'assortiment minimum, ne faisait pas obstacle à ce que les franchisés s'approvisionnent aussi auprès d'autres fournisseurs.

Au demeurant, le tribunal arbitral a, à juste titre, relevé que l'accord de franchise stipulait aussi que les franchisés avaient "toujours le loisir de compléter cet assortiment minimum en fonction de son environnement propre", et que le rapprochement du montant global des achats effectués par Monsieur Regnault et celui réalisé auprès de la société Logidis, aux droits de laquelle se trouve la société CSF, démontrait que tel avait été le cas.

En toute hypothèse, la société Ségurel n'apporte nullement la preuve, qui lui incombe, que l'assortiment minimum était d'un telle importance, et que la politique d'agrément des fournisseurs appliquée par le franchiseur était si restrictive, que l'application de ces dispositions contractuelles créaient concrètement pour les époux Regnault une obligation d'approvisionnement quasi-exclusive.

La société Ségurel fait aussi valoir que l'accord de franchise du 18 juin 1985, régulièrement dénoncé par les franchisés le 27 novembre 1998, n'avait pu se renouveler par tacite reconduction pour trois ans, de sorte que les époux Regnault ont pu exploiter sous une nouvelle enseigne commerciale et cesser de s'approvisionner auprès la société Logidis sans encourir le grief de rupture fautive du contrat.

Le tribunal arbitral a cependant pertinemment relevé qu'en dépit du courrier de dénonciation de l'accord de franchise adressé au franchiseur conformément aux dispositions de la clause de tacite reconduction, Monsieur Regnault avait, postérieurement à la date du 31 mai 1999 constituant le terme du contrat de franchise, continué à exploiter son fonds de commerce sous l'enseigne "Shopi" et à s'approvisionner auprès de la société Logidis jusqu'en octobre 2000, et que la poursuite des relations contractuelles durant une aussi longue période de 17 mois ne pouvait résulter de la simple nécessité de laisser perdurer une relation commerciale précaire pendant la durée de pourparlers en vue d'un éventuel renouvellement, mais témoignait au contraire de la volonté non équivoque des parties de renouveler le contrat par tacite reconduction pour une durée de trois ans.

Si l'existence de pourparlers, au demeurant non démontrée, était en effet susceptible de rendre la poursuite des relations commerciales postérieurement au terme de l'accord de franchise ambigüe quant aux intentions de Monsieur Regnault, il est en revanche patent que l'exécution de l'ensemble des obligations du contrat, tant en ce qui concerne la concession d'enseigne que l'approvisionnement, pendant près d'un an et demi caractérise l'intention de Monsieur Regnault de renoncer aux effets de sa dénonciation du 27 novembre 1998 et de laisser le contrat se renouveler par tacite reconduction.

De même, la circonstance que le franchiseur n'ait pas communiqué à son franchisé une nouveau document d'informations précontractuelles ne suffit pas à rendre l'intention de la société Prodim, aux droits de laquelle se trouve la société Carrefour Proximité France, de renouveler l'accord de franchise équivoque, alors que le franchiseur pouvait à l'époque, en présence d'une controverse juridique relativement à l'application des dispositions de l'article L. 330-3 du Code de commerce aux contrats de franchise renouvelés, légitimement se méprendre sur la nécessité de communiquer un nouveau document d'informations précontractuelles.

Au surplus, le défaut de respect des dispositions de l'article L. 330-3 du Code de commerce lors du renouvellement du contrat de franchise ne saurait affecter la validité du contrat renouvelé que dans l'hypothèse où l'absence de document d'informations précontractuelles a vicié le consentement du franchisé.

Or, cette cause de nullité de l'accord de franchise, personnelle au franchisé, n'est pas susceptible d'être invoquée par un tiers.

Il résulte de ce qui précède que le recours en tierce opposition n'est pas fondé et que la sentence arbitrale doit donc être confirmée.

Sur la complicité de violation d'obligations contractuelles

Pour faire grief à la société Ségurel de s'être rendue complice des manquements de Monsieur Regnault à ses obligations contractuelles, les sociétés Carrefour Proximité France et CSF font valoir que la sentence arbitrale, qui a autorité relative de la chose jugée entre les parties en vertu de l'article 1484 du Code de procédure civile, n'en est pas moins opposable aux tiers et qu'il est ainsi acquis que l'accord de franchise du 18 juin 1985, tacitement reconduit pour une période de 3 ans à compter du 1er juin 1999, a été fautivement rompu par Monsieur Regnault.

Pour autant, la présente action tend à voir sanctionner la faute de nature délictuelle qu'aurait commise la société Ségurel et suppose donc, pour être accueillie, que les sociétés demanderesses établissent que la société défenderesse a, en connaissance du fait juridique de la tacite reconduction de l'accord de franchise, aidé ou encouragé Monsieur Regnault à rompre fautivement le contrat avant son terme afin d'évincer le franchiseur et d'offrir au franchisé la concession d'une nouvelle enseigne et l'accès à un nouveau circuit d'approvisionnement.

Or, contrairement à ce qu'ont relevé les premiers juges, il n'est pas démontré que la société Ségurel se serait abstenue en connaissance de cause de tirer les conséquences juridiques de la poursuite du contrat entre les sociétés Prodim et Logidis, d'une part, et Monsieur Regnault, d'autre part.

En effet, en l'état des informations dont elle disposait, rien ne permettait à la société Ségurel de supposer que l'accord de franchise, dénoncé par Monsieur Regnault le 27 novembre 1998, s'était renouvelé pour une période de 3 ans.

Ce n'est pas parce qu'il a été jugé, dans les rapports entre les sociétés Prodim, Logidis, et Monsieur Regnault, que l'intention des parties avait été de reconduire tacitement le contrat pour trois ans, que la société Ségurel avait nécessairement eu connaissance de la renonciation de Monsieur Regnault à sa dénonciation du 27 novembre 1998.

La connaissance que la société Ségurel avait de l'existence de l'accord de franchise liant la société Promodes à Monsieur Regnault préalablement à ce que celui-ci contracte avec elle ne suffit en effet pas à caractériser sa complicité dans la rupture fautive du contrat de franchise, laquelle réside, selon la sentence arbitrale qui est opposée à la société Ségurel, dans sa tacite reconduction au-delà du terme initial en dépit d'un courrier de dénonciation du franchisé.

À cet égard, la société Ségurel fait à juste titre observer qu'elle a contracté en octobre 2000 avec Monsieur Regnault en l'état d'informations lui ayant légitimement laissé penser que l'accord de franchise précédent avait été régulièrement dénoncé.

Elle avait en outre suffisamment satisfait à son obligation de se renseigner sur la situation de Monsieur Regnault en prenant connaissance de la clause de tacite reconduction de l'accord de franchise conclu avec la société Promodes avec faculté de dénonciation moyennant un préavis de six mois ainsi que de la lettre recommandée avec accusé de réception de dénonciation du 18 juin 1985 à effet au 1er juin 1999.

Elle n'était en outre débitrice d'aucun devoir de conseil à l'égard de Monsieur Regnault, professionnel de la distribution, relativement aux diligences qu'il incombait à ce dernier d'accomplir pour quitter le réseau de distribution du groupe Carrefour.

Enfin, les sociétés Prodim et Logidis, aux droits desquelles se trouvent les sociétés Carrefour Proximité France et CSF, se sont bien gardées de notifier à la société Ségurel, lors du changement d'enseigne et de fournisseur, l'état des relations qu'elles estimaient pouvoir continuer à entretenir avec Monsieur Regnault en dépit du courrier de dénonciation du 27 novembre 1998 , et d'informer l'appelante que leur accord de franchise s'était tacitement renouvelé jusqu'au 31 mai 2002.

Il n'est en effet pas discuté que la société Ségurel n'a reçu aucune notification de la part des sociétés du groupe Carrefour avant l'assignation délivrée le 7 janvier 2008, près de huit ans après les faits, alors au surplus que le contrat de franchise renouvelé, fautivement rompu par Monsieur Regnault, serait en toute hypothèse déjà arrivé à son terme du 31 mai 2002.

Il en résulte que rien ne démontre que, lorsqu'elle a contracté avec Monsieur Regnault, la société Ségurel ait eu connaissance de l'intention des parties de renouveler par tacite reconduction l'accord de franchise liant ce dernier aux sociétés du groupe Carrefour.

Et il est moins encore prouvé qu'elle ait apporté aide ou assistance à Monsieur Regnault pour rompre fautivement le contrat de franchise renouvelé, ou encore que cette rupture ait été réalisée sous son instigation.

Le jugement attaqué, qui a tort retenu que la société Ségurel avait engagé sa responsabilité délictuelle en aidant les époux Regnault à violer leurs obligations contractuelles, sera donc infirmé.

Sur les demandes réciproques en paiement de dommages-intérêts

La société Ségurel n'étant pas jugée responsable de faits de complicité de la violation des obligations contractuelles de Monsieur Regnault, les demandes de dommages-intérêts formées sur ce fondement par les sociétés Carrefour Proximité France et CSF ne pourront qu'être rejetées.

De même, la société Ségurel ayant été déboutée de sa demande reconventionnelle en annulation de l'accord de franchise du 18 juin 1985 ayant été rejetée, sa demande en paiement de dommages-intérêts formée sur le fondement de pratiques anticoncurrentielles ne pourra qu'être rejetée.

Par ailleurs, la société Ségurel ne démontre pas suffisamment que le droit des sociétés Carrefour Proximité France et CSF d'agir en justice ait dégénéré en abus, alors que les premiers juges ont partiellement reconnu la légitimité de cette action et que l'appelante a certes eu gain de cause devant la cour, mais ne met en lumière aucune circonstance particulière propre à justifier l'allocation de dommages-intérêts pour procédure abusive.

Sur les frais irrépétibles

Il serait enfin inéquitable de laisser à la charge de la société Ségurel l'intégralité des frais exposés par elle à l'occasion de la procédure et non compris dans les dépens, en sorte qu'il lui sera alloué une somme de 10 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par ces motifs : LA COUR, Infirme le jugement rendu le 16 février 2011 par le Tribunal de commerce de Caen en toutes ses dispositions ; Déclare la tierce opposition formée par la société Établissements Ségurel contre la sentence arbitrale du 23 décembre 2002 recevable ; Déboute la société Établissements Ségurel de sa demande reconventionnelle en nullité de l'accord de franchise du 18 juin 1985 ; Confirme la sentence arbitrale du 23 décembre 2002 ; Déboute les sociétés Carrefour Proximité France et CSF de leur l'action exercée contre la société Établissements Ségurel en responsabilité pour complicité de violation des obligations contractuelles de Monsieur Regnault ; Déboute en conséquence les sociétés Carrefour Proximité France et CSF de leurs demandes en paiement de dommages-intérêts ; Déboute la société Établissements Ségurel de sa demande en paiement de dommages-intérêts pour pratiques anticoncurrentielles ; Déboute la société Établissements Ségurel de sa demande de dommages-intérêts pour procédure abusive ; Condamne in solidum les sociétés Carrefour Proximité France et CSF à payer à la société Établissements Ségurel une somme de 10 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile ; Déboute les parties de toutes autres demandes contraires ou plus amples ; Condamne les sociétés Carrefour Proximité France et CSF aux dépens de première instance et d'appel ; Accorde à la société civile professionnelle Mosquet, Mialon, d'Oliveira et Leconte le bénéfice des dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.