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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 7, 31 août 2012, n° 10-01875

PARIS

Ordonnance

PARTIES

Demandeur :

Valentin Environnement et Travaux Publics (Sté)

Défendeur :

Rapporteure générale de l'Autorité de la Concurrence

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Apelle

Avocats :

Mes Monin, Jalabert Doury

CA Paris n° 10-01875

31 août 2012

La société Valentin Environnement et Travaux Publics est spécialisée dans la voirie, l'aménagement urbain, le génie civil, l'eau et l'assainissement.

Par ordonnance en date du 7 décembre 2009, le juge des libertés et de la détention du Tribunal de grande instance de Paris a autorisé des visites domiciliaires en son sein suite à des présomptions de pratiques anticonstitutionnelles relevées dans le secteur des marchés publics de rénovation, de réhabilitation et d'extension de réseaux d'eaux usées et pluviales, notamment en matière de travaux de remplacement des branchements en plomb.

Par ordonnance en date du 10 décembre 2009, le juge des libertés et de la détention du Tribunal de grande instance de Créteil était saisi sur commission rogatoire du juge des libertés et de la détention du Tribunal de grande instance de Paris pour désigner les chefs de service territorialement compétents pour nommer les officiers de police judiciaire qui assisteront aux opérations de visite et de saisie.

Le 14 décembre 2009, le juge des libertés et de la détention du Tribunal de grande instance de Paris prenait une ordonnance rectificative, étendant le champ de l'enquête aux marchés publics de rénovation, de réhabilitation et d'extension de réseaux d'eaux potables.

Les opérations de visite et de saisie ont eu lieu le 15 décembre 2009 dans les locaux de la société Valentin Environnement et Travaux Publics sis Chemin de Villeneuve à Alfortville - 94140 -.

Un procès-verbal a été établi. Aux termes de ce procès-verbal, il est indiqué qu'un responsable de la société Valentin Environnement et Travaux Publics a assisté aux opérations et que des données informatiques des ordinateurs de MM. Le Ny, Bitouzet, Célébrat et Toison ont été imprimées, inventoriées et placées sous scellés.

Le 23 décembre 2009, la société Valentin Environnement et Travaux Publics formait un recours à l'encontre des opérations de saisie elles-mêmes.

Le 2 novembre 2010, le juge délégué du premier président de la Cour d'appel de Paris ordonnait avant dire droit une mesure d'expertise.

Suite au pourvoi interjeté par l'Autorité de la concurrence, la Cour de cassation a, le 11 janvier 2012, cassé et annulé en toutes ses dispositions l'ordonnance du 2 novembre 2010 et renvoyé l'affaire devant la juridiction du premier président de la Cour d'appel de Paris autrement composée.

C'est en cet état qu'intervient la présente procédure.

Par conclusions en date du 3 mai 2012, l'Autorité de la concurrence demande au premier président, suite à l'arrêt de la Cour de cassation,

- d'annuler le rapport d'expertise,

- de déclarer régulières les opérations de visite et de saisie menées dans les locaux de la société Valentin, le 15 décembre 2009, et ce y compris la saisie des impressions papier de documents numériques placés sous les scellés n° 1, 2, 4 et 6,

- de condamner la société Valentin à lui payer la somme de dix mille euro - 10 000 euro - au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par conclusions récapitulatives en date du 14 mai 2012, la société Valentin Environnement et Travaux Publics demande au Premier président :

vu l'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l'Homme et des libertés fondamentales, l'article 9 du Code civil, et l'article 432-9 du Code pénal,

à titre principal,

- de constater la saisie de documents hors du champ de l'enquête,

- de constater la saisie de documents sans commission rogatoire,

- de constater la réalisation d'investigations informatiques en violation des principes établis par la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l'Homme et des libertés fondamentales,

- d'annuler dans leur ensemble les opérations de visite et de saisie diligentées le 15 décembre 2009 dans ses locaux,

en conséquence,

- de déclarer la nullité du procès-verbal de visite et de saisie du 15 décembre 2009,

- d'ordonner la restitution entre ses mains de l'original et de toutes copies éventuelles des pièces saisies sous scellés n° 1 à V annexés au procès-verbal de visite et de saisie du 15 décembre 2009,

à titre subsidiaire,

- de désigner un expert judiciaire avec pour mission de :

1) fournir d'une part tous éléments techniques et de fait de nature à permettre au délégué du premier président de déterminer si la copie d'un ou plusieurs messages se trouvant dans la base de données Exchange pour PC de bureau ou le fichier de synchronisation .ost pour PC portable modifie les propriétés de ce ou ces messages, son contenu, les pièces jointes, ou son en-tête Internet (signature, cheminement), d'autre part, s'agissant encore des saisies de messagerie, tous éléments techniques et de fait de nature à permettre au délégué du Premier président de déterminer si le logiciel "client Outlook" ou son équivalent sous Lotus Notes offre des possibilités de recherches variées et multicritères de messages élémentaires ou groupes de messages se trouvant dans une messagerie électronique, quel que soit le volume global de celle-ci et le fait que les messages se trouvent dans une base de données Exchange ou dans le fichier .ost ou dans des fichiers pst, de manière générale tous les éléments qui lui permettront d'évaluer techniquement la possibilité de la saisie sélective de messages dans la messagerie électronique sans compromettre l'authenticité de ceux-ci, ainsi que tous éléments techniques et de fait de nature à permettre de déterminer si la réalisation d'investigations informatiques sans logiciel de recherche légale de type Encase et de saisie par impression présente des garanties équivalentes de préservation de la preuve,

2) s'agissant de toutes les sortes de documents ou fichiers informatiques, décrire les possibilités de sélectionner ceux d'entre eux qui relèveraient d'un champ d'investigation précis ; décrire en outre comment il est possible d'en dresser un inventaire lisible,

3) se faire assister d'un sapiteur de son choix pour résoudre les problèmes techniques qui ne relèveraient pas de la compétence technique de l'expert,

en tout état de cause,

- d'ordonner la restitution de l'ensemble des pièces saisies hors du champ d'autorisation, soit la totalité des pièces saisies à l'exception des pièces suivantes : scellé 1 - cotes 3 à 4, scellé 1 - cotes 1 à 2, scellé 1 cotes 5 à 6, scellé 1 cotes 13 à 14, scellé 1 cote 12, scellé 1 cotes 15 à 16,

- d'ordonner la restitution de l'ensemble des pièces saisies par impression de documents informatiques annexés au procès-verbal de visite et de saisie du 15 décembre 2009 (soit les pièces suivantes : scellé 1 - cote 17, scellé 2 - cotes 1 à 7, scellé 4 - côtes 1 à 9, scellé 6 - côtes 1 à 16),

- d'interdire toute utilisation subséquente du procès-verbal de visite et de saisie du 15 décembre 2009

et/ou des pièces irrégulièrement saisies,

- de condamner l'Autorité de la concurrence à lui payer les dépens ainsi que la somme de dix mille euro - 10 000 euro - au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

SUR CE

Considérant que les parties ont déposé des notes en cours de délibéré ; que ces notes n'ayant pas été sollicitées à l'issue de l'audience de plaidoirie, ces notes ne peuvent qu'être déclarées irrecevables ;

Considérant que l'Autorité de la concurrence demande en premier lieu que l'expertise ordonnée le 2 novembre 2010 soit annulée ;

Considérant que ladite ordonnance a été cassée et annulée en toutes ses dispositions et ce aux motifs que le juge "ne pouvait ordonner une mesure d'instruction sans rapport concret avec le litige comme tendant à apprécier la possibilité pour les enquêteurs de procéder autrement qu'ils ne l'avaient faite" ; que dès lors l'annulation de l'ordonnance entraîne ipso facto l'annulation de la mesure d'expertise ;

Que la demande de l'Autorité de la concurrence tendant à voir ordonner l'annulation de cette mesure d'expertise est dès lors sans objet ;

Considérant, par contre, que les renseignements contenus dans ce rapport d'expertise peuvent être considérés comme éléments de fait s'ils sont corroborés par d'autres éléments du dossier ;

Or considérant que la société Valentin Environnement et Travaux Publics ne produit comme autre élément de fait que la note de son conseiller technique M. Migayron, lequel ne donne son avis que sur les conséquences de saisies massives informatiques qui ne concernent pas la société Valentin Environnement et Travaux Publics, cette dernière ayant dû faire face non à des saisies informatiques mais à des saisies papier ;

Que dès lors la société Valentin Environnement et Travaux Publics ne saurait voir retenir ledit rapport d'expertise comme élément de fait ;

Considérant que l'Autorité de la concurrence sollicite, suite au renvoi de la Cour de cassation, que soient déclarées régulières les opérations de visite et de saisie ; que la société Valentin Environnement et Travaux Publics demande quant à elle la nullité de ces opérations ;

Considérant que la société Valentin Environnement et Travaux Publics soutient que les opérations de visite et de saisie ont eu lieu hors commission rogatoire, le juge des libertés et de la détention du Tribunal de grande instance de Créteil n'ayant été saisi que sur le fondement de l'ordonnance du 7 décembre 2009 ;

Que force est de constater toutefois que la mission confiée au juge des libertés et de la détention du Tribunal de grande instance de Créteil ne consistait qu'en la désignation des chefs de service territorialement compétents pour nommer les officiers de police judiciaire qui devaient assister aux opérations de visite et de saisie ; que si la décision du juge des libertés et de la détention du Tribunal de grande instance de Créteil n'est effectivement fondée que sur l'ordonnance du 7 décembre 2009, cela n'exclut pas la possibilité pour le juge saisi de l'instance principale, soit le juge des libertés et de la détention du Tribunal de grande instance de Paris, d'élargir, avant le commencement des opérations auxquelles doivent assister lesdits officiers de police judiciaire, la mesure d'investigation et ce sans qu'il soit nécessaire pour lui de ressaisir le juge des libertés et de la détention du Tribunal de grande instance de Créteil dès lors que les opérations de visite et de saisie n'ont pas débuté ;

Qu'il est constant que les deux ordonnances principales à savoir l'ordonnance du 7 décembre 2009 et l'ordonnance rectificative du 14 décembre 2009 ont été régulièrement notifiées à la société Valentin Environnement et Travaux Publics avant le début des opérations de visite ;

Que la demande de la société Valentin Environnement et Travaux Publics tendant à voir déclarer nulles les opérations de ce chef doit par voie de conséquence être rejetée ;

Considérant que la société Valentin Environnement et Travaux Publics soutient que l'Autorité de la concurrence a mené ses investigations informatiques en violation des principes établis par la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales ;

Considérant que la saisie ayant porté uniquement sur des éditions papier, il appartenait à la société Valentin Environnement et Travaux Publics de vérifier, avant la signature du procès-verbal, ce qui avait été saisi, ce qu'elle pouvait alors faire sans difficultés ; qu'ainsi les griefs avancés par la société sur les obstacles matériels au droit de vérification avant saisie ne sont pas fondés ; que la proportion entre le but poursuivi par l'Autorité de la concurrence et les moyens utilisés a été par voie de conséquence parfaitement respectée ; que les dispositions de l'article L. 450-4 du Code du commerce ne contreviennent pas à celles des articles 6, 8 et 13 de la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l'Homme et des libertés fondamentales dès lors qu'elles assurent la conciliation du principe de la liberté individuelle et des nécessités de la lutte contre les pratiques anti-concurrentielles et que les droits à un procès équitable et à un recours effectif sont garantis tant par l'intervention du juge des libertés et de la détention qui vérifie le bien-fondé de la requête de l'administration que par le contrôle exercé par la cour d'appel ; qu'enfin la Cour européenne a constaté que dans son principe la visite domiciliaire n'apportait pas une atteinte disproportionnée au droit fondamental que constitue le respect de la vie privée, dont le domicile est une composante, dès lors que prévue par la loi et placée sous un contrôle judiciaire, elle a pour objet d'assurer le bien-être économique du pays ;

Que la demande de la société Valentin Environnement et Travaux Publics tendant à voir ordonner de ce chef la nullité du procès-verbal de saisies doit de ce fait être rejetée ;

Considérant que la société Valentin Environnement et Travaux Publics prétend par ailleurs que la saisie de documents qui a été faite est hors champs de l'autorisation judiciaire ; qu'elle expose d'une part que les ordonnances en visant un secteur économique qui est particulièrement vaste, en l'espèce le secteur des canalisations pour l'eau et l'assainissement, n'ont pas permis des visites proportionnées au but poursuivi, d'autre part que les visites ont dépassé le cadre judiciaire imparti par les ordonnances entreprises ;

Considérant, sur le premier point, que force est de constater que nous ne sommes présentement saisi que des recours contre les conditions de visites domiciliaires et de saisies du 15 décembre 2009 et non de la validité des ordonnances elles-mêmes ;

Que dès lors la demande de la société Valentin Environnement et Travaux Publics tendant à voir retenir que le champ d'autorisation fixé par les ordonnances entreprises est trop large est irrecevable en la présente instance ;

Considérant, sur le second point, que la société Valentin Environnement et Travaux Publics soutient que seuls six documents saisis entrent dans le champ d'application des ordonnances : scellé n° 1 cotes 1, 2, 3, 4, 5, 6, 12, 13, 14, 15 et 16 ;

Considérant qu'il est constant que la saisie a porté sur cinquante-sept feuillets répartis en six scellés qui correspondent à la saisie directe de documents papier dans deux bureaux (bureaux de MM. François Celebrat et Bernard Bitouzet qui sont les scellés n° 3 et 5) et à l'impression papier de documents se trouvant dans les fichiers informatiques des ordinateurs de M. Gilbert Le Ny (scellé n° 1), M. Jocelyn Toison (scellé n° 2), M. François Célébrat (scellé n° 4) et de M. Bernard Botouzet (scellé n° 6) ;

Considérant que l'Autorité de la concurrence justifie que le scellé n° 1 (cotes 7 à 8, 9, 10 à 11 et 17) porte sur des canalisations ou concerne les autres sociétés visées dans la même affaire ; que le scellé 2 (cotes 5 à 7) concerne la pose de fourreaux, que le scellé n° 3 (cote 1) vise le renouvellement et l'extension de réseaux d'eau, que le scellé n° 4 (cotes 4 à 9) concerne les tarifs Loxam notamment pour les pompes, qu'enfin le scellé n° 5 (cotes 5 à 6) et le scellé n° 6 (cotes 12 à 13 et 14 à 16) portent sur des canalisations ou des opérations concernant le Sedif soit le syndicat d'Ile de France ;

que ces scellés entrent donc bien dans le champ de compétence de l'autorisation accordée ;

Considérant qu'il n'est pas justifié par contre que les autres documents saisis rentrent dans le champ d'autorisation accordée ;

Qu'il convient donc d'ordonner leur restitution et de dire que l'Autorité de la concurrence ne pourra en faire état pour quelque raison que ce soit ;

Considérant qu'il n'y a pas lieu en la présente instance à application de l'article 700 du Code de procédure civile ; que les parties seront déboutées de ce chef de demande ;

Considérant qu'il convient de laisser à la charge de chacune des parties les dépens qu'elle a engagés dans la présente instance, chacune succombant pour partie, à l'exception des frais de l'expertise qui seront conservés par la société Valentin Environnement.

Par ces motifs : Déclarons irrecevables les notes en délibéré déposées par les parties. Déclarons sans objet la demande de l'Autorité de la concurrence tendant à voir annuler le rapport d'expertise déposé. Déclarons irrecevable la demande de la société Valentin Environnement et Travaux Publics, tendant à voir retenir que le champ d'autorisation fixé par les ordonnances entreprises, est trop large. Ordonnons la restitution entre les mains de la société Valentin Environnement et Travaux Publics des scellés suivants : - scellé n° 2 : cotes 1, 2, 3, 4, - scellé n° 3 : cote 2, - scellé n° 4 : cotes 1, 2, 3, - scellé n° 5 : cotes 1, 2, 3, 4, - scellé n° 6, cotes 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, dès que la présente ordonnance sera devenue définitive. Disons que l'Autorité de la concurrence ne pourra pas faire état ou utiliser ces pièces, pour quelque raison que ce soit. Déboutons la société Valentin Environnement et Travaux Publics de ses autres demandes. Déboutons l'Autorité de la concurrence de ses autres demandes. Disons chacune des parties supportera les dépens qu'elle a engagé, à l'exception des frais de l'expertise. Laissons à la charge de la société Valentin Environnement et Travaux Publics la totalité des frais d'expertise.