Livv
Décisions

CA Aix-en-Provence, 8e ch. A, 5 juillet 2012, n° 11-00868

AIX-EN-PROVENCE

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Eclat de France (SARL)

Défendeur :

Gonnet

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Schmitt

Conseillers :

Mmes Elleouet-Giudicelli, Durand

Avocats :

SCP Latil Penarroya-Latil Alligier, Mes Puech, Sider, Boukhobza

T. com. Tarascon, du 18 oct. 2010

18 octobre 2010

FAITS PROCEDURE PRETENTIONS DES PARTIES

Monsieur Gonnet exerçant sous l'enseigne Acte 2000, et la SARL Eclat de France ont conclu un "gentleman agreement" le 2 février 2004, non signé, selon lequel il devait commercialiser dans la région parisienne les essuyeurs à couvert modèle Cécile et Chloé et ce pendant un an, les parties prévoyant la conclusion d'un nouvel accord en cas de volonté de continuer leur collaboration.

Aucune nouvelle convention n'a été signée à l'issue de la période d'un an.

Monsieur Gonnet par ailleurs commercialisait des produits Carbon Up et Dry Corn fournis par la société Eclat de France depuis 2006, utilisés dans les machines vendues.

La société Eclat de France, s'est étonnée de ne plus recevoir de commandes de Monsieur Gonnet et expose avoir été avisée par un client de ce qu'il aurait reçu un seau de 10 kg de Carbon Up commercialisé sous son nom alors qu'elle ne conditionnait pas ce produit sous cette forme, avoir fait saisir ledit bidon et avoir alors constaté que le produit contenu dans ce seau n'était pas du Carbon Up.

Elle s'est plainte par ailleurs de ce que Monsieur Gonnet commercialisait de la rafle de maïs ne présentant pas les mêmes garanties sanitaires que celle qu'elle fabriquait et qu'il lui commandait antérieurement.

Par acte du 3 août 2009 la SARL Eclat de France, a fait assigner Monsieur Gonnet devant le Tribunal de commerce de Tarascon, sur le fondement de l'article 1382 du Code civil, pour tromperie, concurrence déloyale et parasitisme, en paiement de la somme de 173 044,80 euro à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi.

Par jugement avant dire droit du 11 janvier 2010 le Tribunal de Tarascon a retenu sa compétence territoriale et a ordonné une expertise confiée à Monsieur Clouet, qui a déposé son rapport le 10 mai 1999, concluant que le seul préjudice subi par Eclat du Jour était une perte de marge sur les ventes du Carbon Up d'un montant de 3 709,44 euro.

Par jugement au fond du 18 octobre 2010 le Tribunal de Tarascon, après avoir relevé que le litige ne portait que sur les consommables Carbon Up et Dry Corn et dit que les agissements frauduleux de Monsieur Gonnet consistant à livrer un produit Tremp Liquide dans des seaux Eclat du Jour étaient caractérisés, a :

Homologué le rapport d'expertise,

Condamné Monsieur Gonnet à payer à la SARL Eclat de France la somme de 3 396,96 euro en réparation du préjudice subi outre celle de 1 000 euro par application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens,

Ordonné l'exécution provisoire du jugement.

Par acte du 17 janvier 2011 la SARL Eclat de France a interjeté appel de cette décision.

Par conclusions déposées et notifiées le 8 avril 2011 elle demande à la cour de :

Confirmer le jugement en ce qu'il a jugé fautif le comportement de Monsieur Gonnet,

Le réformer sur le quantum des sommes allouées,

Sur le fondement des articles 1382 et suivants du Code civil,

Condamner Monsieur Gonnet à l'enseigne Acte 2000 à lui payer la somme de 236 812,58 euro à titre de dommages et intérêts en réparation des préjudices subis du fait des agissements fautifs,

Le condamner au paiement de la somme de 8 000 euro par application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile et aux dépens.

Elle évalue son préjudice commercial en fonction de la perte de marge subie sur 8 ans en ce qui concerne le Dry Corn et sur 10 ans en ce qui concerne le Carbon Up, dont elle demande également que lui soit remboursés les frais de mise au point du produit.

Elle précise en outre avoir subi un préjudice moral qu'elle chiffre à 100 000 euro.

Par conclusions déposées et notifiées le 13 juillet 2011 Monsieur Gonnet exerçant sous l'enseigne Acte 2000 demande à la cour de :

Vu les articles 1134, 1382 du Code civil,

Vu l'article 700 du Code de procédure civile,

Infirmer le jugement s'agissant notamment du quantum des sommes allouées,

Dire que le "gentleman agreement", si tant qu'il soit valable, ne concerne que les machines à essuyeurs à couverts à l'exclusion des consommables,

Débouter en conséquence la société Eclat de France de ses demandes,

Dire que si elle avait subi un préjudice financier il devrait être fixé à 1 981,56 euro,

Ordonner la compensation avec les sommes versées par ce dernier au titre de l'exécution provisoire du jugement,

En tout état de cause,

Dire que Monsieur Gonnet a subi un préjudice commercial important du fait des courriers de dénigrement adressés par la société Eclat de France à ses clients et la condamner au paiement de la somme de 15 000 euro,

La condamner au paiement de la somme de 3 500 euro par application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

Il précise n'avoir été tenu par aucun accord d'exclusivité et avoir pu choisir de s'approvisionner en consommables ailleurs que chez la société Eclat de France et ce d'autant que les magasins Carrefour et Auchan auraient refusé de référencer le Carbon up en raison des risques d'effets irritants d'inhalation qu'il présentait.

Il indique qu'en tout état de cause le préjudice de l'appelante est minime.

L'affaire a été clôturée en l'état le 9 mai 2012.

MOTIFS

Sur l'appel principal :

Attendu qu'il est constant que le "gentleman agreement" conclu entre les parties en février 2004, a été mis en œuvre bien que non signé ;

Attendu qu'il était intervenu du fait de la volonté de la société Eclat de France, dite EdF, de "développer ses ventes sur le secteur exploité" par Monsieur Gonnet (Paris et Ile de France) et celle de ce dernier d'"étendre son activité par la vente des machines produites par la société Eclat de France" ;

Attendu que pendant la durée de l'accord Monsieur Gonnet bénéficiait d'une remise de distribution de 32 % sur la base du tarif professionnel ;

Attendu que si aucune nouvelle convention n'a été conclue à l'issue du délai d'un an alors que le "gentleman agreement" était devenu caduc, il est constant que les parties ont poursuivi des relations commerciales au-delà de février 2005, les ventes d'essuyeurs à couvert perdurant jusqu'au 15 décembre 2008 ;

Attendu qu'ainsi Monsieur Gonnet a vendu 27 machines de modèle Cécile et 14 du modèle Chloé qui fonctionnent avec de la rafle de maïs que la société EdF commercialise sous le nom de Dry Corn ;

Attendu que Monsieur Gonnet commandait et commercialisait les consommables utilisés avec les machines vendues par la société EdF, soit du Dry Corn pour les essuyeuses à couvert et du Carbon Up, utilisé pour nettoyer les plaques de cuisson en boulangerie, produit dont Monsieur Gonnet avait demandé début 2006 à la société Eclat de France la mise au point ;

Attendu qu'à compter du 29 septembre 2008 en ce qui concerne le Carbon Up, et du 29 octobre 2007 en ce qui concerne le Dry Corn, Monsieur Gonnet n'a plus commandé de consommables à la société EdF ;

Attendu que Monsieur Gonnet n'était tenu d'aucune obligation d'approvisionnement exclusif auprès de la société EdF, ni par une clause de non-concurrence ;

Attendu que les parties pouvaient mettre fin à leurs relations sous réserve de respecter un préavis suffisant tenant compte de la durée desdites relations et par ailleurs de ne pas user de manœuvres déloyales ;

Attendu que la société EdF reproche à Monsieur Gonnet des faits fautifs de tromperie, concurrence déloyale, parasitisme et non la rupture brutale de leurs relations ;

Attendu qu'il résulte des constats d'huissier des 7 mai et 21 juin 2009 que Monsieur Gonnet a livré en mai 2009 "l'atelier du pain Moisan" client ayant commandé 21 seaux de Carbon up Eclat du Jour, et que dans un seau saisi par l'huissier chez ce client d'une contenance de 10 kg, étiqueté au nom de la société Eclat de France, la poudre y contenue n'était pas du Carbon Up ;

Attendu que sur interrogation de la société EdF lui demandant le 27 mai 2009 comment il avait pu livrer 20 seaux de ce produit à ce client sans en avoir passé commande à EdF, ce dernier a répondu "Je suis des stages de magicien", étant rappelé que sa dernière commande de ce produit à EdF remontait à septembre 2008 ;

Attendu que Monsieur Gonnet a fait valoir que cette non-conformité et l'usage de la marque Carbon Up et de l'étiquette au nom de la société EdF provenait d'une erreur de conditionnement de sa part, étant relevé que le produit était conditionné par ses soins avant livraison aux clients ;

Attendu toutefois qu'en livrant dans ces conditions à ce client qui lui avait expressément commandé du Carbon Up Eclat du Jour, Monsieur Gonnet a commis à l'encontre de la société EdF des actes de parasitisme, étant relevé que ce produit avait été mis au point par la société EdF sur sa demande expresse ;

Attendu que le préjudice résultant de ce comportement fautif consiste en la perte de marge réalisé par la société EdF sur la période de 6 mois soit la somme de 3 396,96 euro, telle que déterminée par l'expert ;

Attendu que les parties n'étant tenue par aucune convention d'exclusivité et de durée, la société EdF ne peut prétendre à être indemnisée de la perte de marge sur une durée de 10 ans ;

Attendu qu'elle ne peut par ailleurs demander la condamnation de Monsieur Gonnet à supporter les frais de recherches et de développement engagés pour la mise au point du Carbon Up dès lors qu'il est constant qu'elle continue à le commercialiser et qu'elle n'a donc pas exposé ces frais en pure perte et qu'en outre ces frais n'ont pas été initiés uniquement pour la mise au point du Carbon Up mais également des bacs de lavage ;

Attendu, en ce qui concerne le Dry Corn ; qu'il est vendu en consommable pour les essuyeuses à couvert conçues, fabriquées et vendues par la société EdF ;

Attendu qu'EdF traite en ses ateliers ce produit pour éviter des développements bactériens ;

Attendu que Monsieur Gonnet a cessé de s'approvisionner auprès de la société EdF, ayant choisi de s'adresser directement au fabriquant de la rafle de maïs Eurocob via la société SPPS, précisant l'acquérir à un coût bien inférieur ;

Attendu que celle-ci n'est pas traitée à l'instar de celle vendue par la société EdF ;

Attendu qu'aucune réglementation n'impose l'utilisation de produits traités anti fongicide et anti bactéricide par les usagers des essuyeuses à couverts ;

Attendu toutefois que Monsieur Gonnet, lors des ventes qu'il effectuait, remettait aux acquéreurs des machines EdF une notice technique précisant que la rafle de maïs d'EdF était traitée à l'aide de conservateurs alimentaires pour éviter les développements bactériens ;

Attendu qu'il a distribué le Dry Corn d'EdF de 2004 à 2008, avant de commercialiser la rafle de maïs acquise en direct du producteur moins chère et non traitée ;

Attendu qu'il vend ces consommables non traités en contradiction avec les notices précédemment remises à ses clients et correspondantes au Dry Corn commercialisé par EdF, élément de nature à les induire en erreur sur la qualité du nouveau produit qu'il distribuait ;

Attendu que ce faisant il s'est immiscé dans le sillage de la société EdF, seule à commercialiser de la rafle traitée, en entretenant une confusion sur la qualité du produit ;

Attendu que ce faisant il a commis un acte de parasitisme économique ;

Attendu que le préjudice subi consiste en une perte de chance de réaliser un marge brute sur la vente de la rafle traitée aux clients de Monsieur Gonnet, et ce jusqu'au 23 juin 2009, date de l'envoi par EdF d'un courriel à tous ses clients démarchés par Monsieur Gonnet les informant de cette situation ;

Attendu que le préjudice subi du 29 octobre 2007(et non 2008 comme mentionné par erreur) date de la dernière commande, au 23 juin 2009, soit 19 mois, eu égard à un taux de marge réalisé de 70 % et un chiffre d'affaires annuel de 7 218 euro, sera fixé à la somme de 7 999,95 euro ;

Attendu en outre que ces faits fautifs ont causé un préjudice moral à la société EdF qui sera évalué au regard des éléments précités à la somme de 3 500 euro ;

Sur l'appel incident de Monsieur Gonnet :

Attendu que le 23 juin 2009 la société EdF a adressé aux clients démarchés par Monsieur Gonnet utilisant du Carbon Up ou/et du Dry Corn un courriel les mettant en garde, d'une part, sur le dysfonctionnement constaté quant à la fourniture d'un produit sous son nom ne correspondant pas au Carbon Up, précisant que ce dernier était garanti conforme aux normes environnementales, à la législation du travail et au contact alimentaire, et, d'autre part, sur le fait que seule EdF fournissait de la rafle de maïs traitée ;

Attendu que Monsieur Gonnet ne peut utilement se plaindre de l'envoi de ce courriel de mise en garde aux utilisateurs des produits EdF ne contenant aucune assertion contraire à la réalité ;

Attendu qu'il n'établit pas par ailleurs le préjudice qu'il invoque en ce qui concerne le Carbon Up, et que les clients, une fois informés des différences entre les produits offerts, ont pu préférer s'approvisionner en rafle de maïs traitée que non traitée ;

Attendu que c'est à bon droit qu'il a été débouté de sa demande de dommages et intérêts d'un montant de 15 000 euro ;

Sur les frais irrépétibles et les dépens :

Attendu que Monsieur Gonnet sera condamné à verser une somme de 1 500 euro par application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile à la société EdF ;

Attendu que, partie perdante, il sera condamné aux entiers dépens ;

Par ces motifs : LA COUR, statuant par mise à disposition au greffe, contradictoirement, Confirme le jugement attaqué en ce qu'il a : Homologué le rapport d'expertise, Dit que Monsieur Gonnet s'était livré à des agissements frauduleux quant à la commercialisation du Carbon Up, Condamné Monsieur Gonnet à payer à la SARL Eclat de France la somme de 3 396,96 euro en réparation du préjudice subi au titre du Carbon Up, outre celle de 1 000 euro par application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens, Débouté Monsieur Gonnet de sa demande reconventionnelle en paiement d'une somme de 15 000 euro à titre de dommages et intérêts, Le Réforme pour le surplus, Statuant à nouveau sur les points réformés, Dit que Monsieur Gonnet a commis des faits de parasitisme économique envers la société Eclat de France, Condamne Monsieur Gonnet à payer à la SARL Eclat de France la somme de 7 999,95 euro au titre de la perte de marge sur la rafle de maïs dénommée Dry Corn, et celle de 3 500 euro au titre du préjudice moral résultant de ses agissements fautifs, Le condamne au paiement de la somme de 1.500 euro par application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile, en compensation des frais irrépétibles d'appel, Déboute les parties du surplus de leurs demandes, fins et conclusions, Condamne Monsieur Gonnet aux entiers dépens, ceux d'appel étant recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.