CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 14 décembre 2011, n° 09-20639
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Compagnie Emirates (Sté), British Airways Plc (Sté)
Défendeur :
Chadep (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Roche
Conseillers :
M. Vert, Mme Luc
Avoués :
Mes Nut, SCP Gerigny Freneaux, SCP Fanet Serra
Avocats :
Mes Dreux, Selnet, Robic, Pecnard
LA COUR,
Vu le jugement en date du 8 septembre 2009 par lequel le Tribunal de commerce de Paris a, sous le régime de l'exécution provisoire, condamné la société de droit anglais British Airways et la société Emirates à payer à la société Chadep les sommes respectives de 40 024,20 euro et 1 610,76 euro, ainsi que, in solidum, celle de 5 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;
Vu l'appel interjeté le 6 octobre 2009 par la société Emirates et ses conclusions du 3 février 2010 dans lesquelles elle sollicite de la cour l'infirmation du jugement entrepris, le débouté de la société Chadep de toutes ses prétentions et sa condamnation à lui verser la somme de 20 000 euro pour dénigrement, outre celle de 10 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;
Vu l'appel interjeté le 14 octobre 2009 par la société British Airways et ses conclusions enregistrées le 23 septembre 2011 et tendant à faire infirmer ce jugement, rejeter les demandes en réparation pour résistance abusive et perte de clientèle de la société Chadep et la condamner au paiement de la somme de 10 000 euro pour atteinte à l'image de la société British Airways, outre celle de 20 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;
Vu les conclusions de la société Chadep exerçant sous l'enseigne Les Connaisseurs du Voyage enregistrées le 11 octobre 2011 dans lesquelles elle sollicite la confirmation du jugement entrepris, en ce qu'il a condamné les deux appelantes à lui rembourser les sommes ci-dessus mentionnées, et y ajoutant, la condamnation des appelantes à lui verser sur ces sommes les intérêts au taux légal à compter du 13 février 2007, ainsi que, in solidum, une somme de 20 000 euro en réparation de la perte de clientèle et du préjudice moral causé par la résistance abusive des appelantes ainsi que celle de 17 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ; pour le cas où le jugement serait annulé, la société Chadep demande à la cour de dire et juger les conditions de ventes édictées par les sociétés Emirates et British Airways abusives et discriminatoires et, dès lors, nulles, et de les condamner à lui rembourser les factures injustement réglées ;
Sur ce,
Il résulte de l'instruction les faits suivants :
La société Chadep (enseigne Les Connaisseurs du Voyage) est une agence de voyages française créée en 1998, spécialisée dans la vente de titres de transport aérien du monde (dits " TDM "). Agréée par l'association internationale IATA, cette société est autorisée à vendre les billets de toutes les compagnies aériennes membres de l'association et émet les titres de transport destinés à sa clientèle au nom des transporteurs aériens membres d'IATA, en agissant en qualité de mandataire de ces transporteurs. Le prix des billets émis par les transporteurs aériens est réglé par les agences de voyage agréées par l'IATA par l'intermédiaire d'un plan de facturation et de règlement (ou " billing settlement plan " : " BSM ") établi par l'IATA, qui centralise au niveau national les règlements des agences de voyage une fois par mois et répartit ceux-ci entre les transporteurs aériens concernés. Pour honorer les commandes de ses clients, la société Chadep s'adresse à des compagnies aériennes proposant ce type de produits en partenariat avec d'autres compagnies alliées pour un prix global et forfaitaire. C'est ainsi qu'elle a, en 2006, réservé et émis des billets des compagnies British Airways et Emirates par l'intermédiaire du système informatique de réservation (ou " Global Distribution System " : " GDS "), qui permet à chaque agence de voyage de connaître en temps réel les disponibilités des billets et les tarifs des compagnies. Consultant en effet les différents tarifs proposés par ces compagnies, elle notait que, dans des conditions rigoureusement équivalentes, les prix des billets TDM au départ de Londres étaient inférieurs d'environ 400 euro à ceux proposés par ces mêmes compagnies au départ de Paris. La société Chadep réservait et émettait pour le bénéfice de ses clients des billets TDM au départ de Londres au tarif proposé par ces compagnies, soit 1 409 livres sterling pour la société Emirates et 1 389 livres sterling pour la société British Airways. Mais après avoir réservé et émis ces billets, la société intimée s'est vue réclamer un réajustement tarifaire (ou " Agency Debit Memos " : " ADM ") correspondant au différentiel entre le prix départ Londres et le prix départ Paris, sous prétexte qu'elle avait enfreint les conditions générales de vente des compagnies interdisant aux agences de voyage de bénéficier, pour des achats extérieurs de billets, de tarifs plus avantageux que les tarifs nationaux. Après s'être acquittée de ces sommes, à peine d'être suspendue du droit d'émettre des titres sur l'ensemble des compagnies aériennes de l'IATA, la société Chadep, estimant ces conditions générales de vente abusives et discriminatoires, a demandé aux compagnies concernées, par courrier du 13 février 2007, le remboursement desdites sommes, en vain. C'est ainsi que par actes des 16 et 17 janvier 2008, la société Chadep a fait assigner les deux compagnies en remboursement des redressements effectués par elles devant le Tribunal de commerce de Paris, qui a fait droit à sa demande, ordonnant le remboursement, par les sociétés British Airways et Emirates, des sommes réclamées au titre du " réajustement tarifaire ", soit respectivement les sommes de 40 024,20 euro et 1 610,76 euro, et jugeant que " le refus d'autoriser à l'agence de vendre des billets au même prix que ses collègues anglais, la met(tait) dans une situation de concurrence défavorable et discriminatoire tels qu'interdite par l'article L. 442-6 du Code de commerce " ;
Sur la composition du tribunal
Considérant que si la société British Airways expose dans ses conclusions, dans la partie relative au rappel des faits et de la procédure que " la cour relèvera que le jugement est irrégulier sur la forme, ce jugement n'ayant pas été prononcé par l'un des juges qui en a délibéré " et que " la conjugaison de ces deux éléments devra inciter la cour à infirmer le jugement ", elle ne soulève ensuite aucun moyen de nullité du jugement dans la discussion au fond, se limitant à invoquer dans celle-ci des moyens d'infirmation ; que dans le dispositif de ses écritures qui récapitulent ses demandes, ne figure pas davantage le visa des articles 452 et 458 du Code de procédure civile, ni aucune demande d'annulation du jugement entrepris pour irrégularité de la composition du tribunal ;
Considérant qu'il n'y a donc pas lieu de répondre à cet argument qui n'est pas soutenu comme un moyen tendant à obtenir l'annulation du jugement entrepris ; qu'en toute hypothèse, lorsque l'appel tend à l'annulation du jugement, ce qui n'est pas le cas en l'espèce, la cour est tenue de statuer sur l'entier litige en vertu de l'effet dévolutif de l'appel;
Sur la loi applicable
Considérant que selon l'article L. 442-6-I-1° du Code commerce, en vigueur au moment des faits, " Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers : de pratiquer, à l'égard d'un partenaire économique, ou d'obtenir de lui des prix, des délais de paiement, des conditions de vente ou des modalités de vente ou d'achat discriminatoires et non justifiés par des contreparties réelles en créant, de ce fait, pour ce partenaire, un désavantage ou un avantage dans la concurrence " ;
Mais considérant que l'intimée ne saurait utilement invoquer cet article qui sanctionnait la faute civile de discrimination, dès lors que cette disposition a été abrogée par l'article 93 de la loi dite de modernisation de l'économie du 4 août 2008 et ne peut désormais recevoir application et ce, que les faits en cause soient antérieurs ou postérieurs à son abrogation ;
Considérant qu'il en résulte désormais que les discriminations ne sont répréhensibles que si elles constituent un abus de droit imputable au commerçant ; qu'il appartient donc à celui qui s'en prévaut, les pratiques discriminatoires ne constituant plus en elles-mêmes des fautes civiles, d'établir la réalité de l'éventuel abus de droit que celles-ci peuvent néanmoins constituer ; que le jugement entrepris sera dès lors réformé en ce qu'il a retenu la violation de l'article L. 442-6-I-1° du Code de commerce ;
Mais considérant que l'intimée infère des articles 101 et 102 du TFUE le caractère anticoncurrentiel des conditions générales de vente des sociétés appelantes ;
Considérant que l'article 101, alinéa 1, du TFUE dispose que " sont incompatibles avec le Marché commun et interdits tous accords entre entreprises, toutes décisions d'associations d'entreprises et toutes pratiques concertées, qui sont susceptibles d'affecter le commerce entre Etats membres et qui ont pour objet ou pour effet d'empêcher, de restreindre, ou de fausser le jeu de la concurrence à l'intérieur du Marché commun, et notamment ceux qui consistent à : fixer de façon directe ou indirecte les prix d'achat ou de vente ou d'autres conditions de transaction; limiter ou contrôler la production, les débouchés, le développement technique ou les investissements ; répartir les marchés ou les sources d'approvisionnement ; appliquer, à l'égard de partenaires commerciaux, des conditions inégales à des prestations équivalentes (...) " ; que l'article L. 420-1 du Code de commerce prohibe de la même façon " lorsqu'elles ont pour objet ou peuvent avoir pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence sur un marché, les actions concertées, conventions, ententes expresses ou tacites ou coalitions, notamment lorsqu'elles tendent à 1° limiter l'accès au marché ou le libre exercice de la concurrence par d'autres entreprises ; 2° faire obstacle à la fixation des prix par le libre jeu du marché en favorisant artificiellement leur hausse ou leur baisse ; 3° limiter ou contrôler la production, les débouchés, les investissements ou le progrès technique ; 4° répartir les marchés ou les sources d'approvisionnement " ;
Considérant que l'article 101 du TFUE s'applique aux accords horizontaux ou verticaux qui sont susceptibles d'affecter sensiblement le commerce entre Etats membres ; que, selon les lignes directrices de la Commission européenne relatives à la notion d'affectation du commerce figurant aux articles 101 et 102 du TFUE, les accords et pratiques portant sur les flux de produits ou de services entre Etats membres affectent, par leur nature même, les échanges entre Etats membres ; qu'enfin des accords et pratiques couvrant ou mis en œuvre dans plusieurs Etats membres par des opérateurs de taille importante sont, par leur nature même, susceptibles d'affecter sensiblement le commerce entre Etats membres ;
Considérant enfin qu'en vertu de l'alinéa 2 de l'article 101 du TFUE, " Les accords ou décisions interdits en vertu du présent article sont nuls de plein droit ", et que selon les dispositions de l'article L. 420-3 du Code de commerce, " Est nul tout engagement, convention ou clause contractuelle se rapportant à une pratique prohibée par les articles L. 420-1 et L. 420-2 " ;
Considérant en l'espèce qu'aux termes du B de l'article 15 des conditions de vente de la société Emirates, figurant, au moment des pratiques litigieuses, sur le système informatique de réservation (ou " GDS "), " Pour les ventes effectuées à l'extérieur du pays d'origine, un paiement minimum peut être appliqué dans le pays où le paiement est effectué: quand le tarif applicable dans le pays d'origine est inférieur au tarif applicable dans le pays où le paiement est effectué, le tarif applicable dans le pays d'origine doit être alors augmenté pour correspondre au tarif applicable dans le pays de paiement au regard du BSR (Taux Bancaire à la Vente) " ; que, de la même façon, l'article 15 des conditions de vente de la société British Airways prévoit que " Quand un voyage a pour point de départ un pays pour lequel un tarif à monnaie locale est publié et que le billet est vendu dans un autre pays, le tarif applicable devra être celui publié pour le pays d'origine converti dans la monnaie du pays de la vente au taux de change de la banque. Le tarif final ne doit pas être inférieur à celui applicable dans le pays de la vente " ;
Considérant que ces clauses des conditions générales de vente des deux transporteurs aériens, privant les agences de voyage nationales du bénéfice de conditions tarifaires plus avantageuses pratiquées dans d'autres Etats membres, sont, par nature, susceptibles d'affecter les échanges entre Etats membres, puisqu'elles visent à raréfier les flux de billets d'avion qui pourraient être vendus entre Etats membres, les compagnies réservant les tarifs qu'elles consentent au départ d'un Etat membre donné aux agences de voyage de cet Etat membre, à l'exclusion des agences des autres Etats membres ; que les ventes transfrontalières de billets d'avion, et donc les courants d'échange de ces billets, sont donc freinés par ces pratiques ; que les conditions générales de vente en cause étaient appliquées sur tout le territoire de la Communauté, par des compagnies au pouvoir de marché considérable en Europe ; que les pratiques sont donc susceptibles d'affecter sensiblement le commerce intracommunautaire ; qu'il en résulte que les pratiques sont qualifiables en droit communautaire de la concurrence ;
Considérant que si les sociétés Emirates et British Airways soutiennent que leurs conditions de vente ne constituaient pas un accord au sens des articles susvisés, car elles étaient fixées en conformité avec celles de l'IATA, il convient cependant de rappeler que les conditions tarifaires fixées par l'IATA concernent seulement certains tarifs (interligne, représentant moins de 15 % des tarifs vendus) et sont indépendantes des tarifs individuels fixés par les transporteurs aériens, ainsi que l'a d'ailleurs souligné la Commission européenne dans son courrier du 23 juillet 2004 adressé à l'IATA, dans lequel elle distinguait bien les deux questions ; que l'achat, par les agences de voyage, de billets proposés par les compagnies traduit bien l'échange de consentements sur les conditions générales de vente, constitutif d'accord ;
Considérant que si, pour apprécier le caractère anticoncurrentiel d'un accord, il convient de s'attacher notamment à la teneur de ses dispositions, aux objectifs qu'il vise à atteindre ainsi qu'au contexte économique et juridique dans lequel il s'insère, un accord visant à limiter le commerce parallèle constitue une restriction de la concurrence par objet ; que sont ainsi anticoncurrentiels les accords visant à cloisonner les marchés nationaux selon les frontières nationales ou rendant plus difficile l'interpénétration des marchés nationaux, notamment ceux visant à interdire ou à restreindre les exportations parallèles ; que les clauses litigieuses visent à cloisonner les marchés nationaux et ont un objet anticoncurrentiel ; qu'au surplus, elles entraînent des effets anticoncurrentiels, puisqu'elles discriminent les agences de voyage selon leur lieu d'établissement et à travers elles, leurs clients, empêchés de bénéficier de tarifs plus avantageux ;
Considérant que si les appelantes soutiennent que les rapports entre les agences de voyage et leurs clients s'opèrent sur des marchés nationaux, ainsi que l'ont retenu la Commission européenne et les juridictions communautaires, à propos de la décision British Airways de la Commission (British Airways contre Virgin Enterprises, 14 juillet 1999) ayant sanctionné cette compagnie pour abus de position dominante, et, qu'ainsi, les agences de voyage ne sont pas en situation de se faire concurrence, il convient de souligner que les pratiques en cause sont commises sur le marché amont des transports aériens, et, plus spécifiquement, sur le marché de la vente aux agences de voyage des billets TDM, et que sur ce marché, les compagnies aériennes européennes sont en concurrence pour vendre leurs billets aux agences de voyage européennes ; que les clauses considérées ont des effets sur ce marché amont et aussi sur les marchés aval où les consommateurs de chaque Etat membre achètent leurs billets auprès des agences ; qu'en toute hypothèse, la démonstration d'une entente anticoncurrentielle ne nécessite pas une définition de marché aussi précise que les pratiques d'abus de position dominante, mais seulement la délimitation du secteur où la concurrence est restreinte ; qu'il en résulte que les clauses litigieuses des conditions générales de vente des sociétés British Airways et Emirates ont un objet et un effet anticoncurrentiels et qu'elles sont contraires aux dispositions des articles 101, § 1 du Traité et L. 420-1 du Code de commerce ;
Considérant que la personne qui se prévaut des dispositions de l'alinéa 3 de l'article 101 du TFUE, ou de l'article L. 420-4 du Code de commerce, qui permettent d'écarter des accords de l'application des dispositions de l'alinéa 1 de l'article 101 du TFUE ou de l'article L. 420-1 du Code de commerce, doit démontrer, au moyen d'arguments et d'éléments de preuve convaincants, que les conditions requises pour bénéficier d'une exemption sont réunies ; qu'en l'espèce, les compagnies n'allèguent aucune justification à leurs pratiques tarifaires discriminatoires, sauf l'absence d'interdiction formelle de ces pratiques au niveau communautaire, le règlement (CE) 1008-2008 du 24 septembre 2008 prévoyant des règles communes pour l'exploitation de services aériens dans la Communauté, et notamment son article 23 prohibant les discriminations tarifaires dans le transport aérien, n'étant pas d'application rétroactive ;
Mais considérant que le droit commun de la concurrence s'applique, même dans le secteur réglementé du transport aérien ; qu'il convient également de noter que, dès 2004, la Commission européenne avait manifesté des préoccupations de concurrence concernant la tarification IATA, qui posait des questions similaires à la tarification des compagnies aériennes ; que les parties appelantes ne justifient enfin d'aucune exemption des pratiques qui leur aurait été conférée par la Commission européenne au moment des faits ;
Considérant en définitive que les articles 15 des conditions générales de vente des sociétés British Airways et Emirates ci-dessus rappelés constituent des clauses anticoncurrentielles ; qu'il convient d'en prononcer la nullité, en vertu des dispositions des articles L. 420-3 du Code de commerce et du deuxième alinéa de l'article 101 du TFUE ;
Considérant en revanche que la cour ne dispose pas d'éléments suffisants pour statuer sur l'allégation d'abus de position dominante faite à l'encontre des deux compagnies aériennes ; que la société Chadep sera donc déboutée de cette demande ;
Sur le remboursement des redressements (" ADM ")
Considérant qu'il convient de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a condamné les sociétés British Airways et Emirates à rembourser à la société Chadep les sommes respectives de 40 024,20 euro et 1 610,76 euro, et y ajoutant, de dire que ces sommes porteront intérêts au taux légal à compter du 13 février 2007, et d'ordonner la capitalisation des intérêts échus y afférents dans les conditions de l'article 1154 du Code civil ;
Sur le préjudice
Considérant que les appelantes exposent que la demande de la société Chadep pour perte de clientèle est nouvelle et irrecevable, conformément à l'article 564 du Code de procédure civile ;
Mais considérant que, selon les dispositions de cet article, " A peine d'irrecevabilité relevée d'office, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions si ce n'est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l'intervention d'un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d'un fait " ; que selon l'article 565 du même code, " Les prétentions ne sont pas nouvelles dès lors qu'elles tendent aux mêmes fins que celles soumises au premier juge même si leur fondement juridique est différent " ; qu'enfin, aux termes de l'article 566 dudit Code, " Les parties peuvent aussi expliciter les prétentions qui étaient virtuellement comprises dans les demandes et défenses soumises au premier juge et ajouter à celles-ci toutes les demandes qui en sont l'accessoire, la conséquence ou le complément " ; que la société Chadep avait sollicité du premier juge l'allocation d'une somme de 20 000 euro pour résistance abusive, demande rejetée par le tribunal, aucun dommage distinct des redressements injustement effectués par les compagnies aériennes ne résultant, selon lui, des pratiques ; que la demande de dommages-intérêts fondée sur la perte de clientèle a le même objet que la demande fondée sur la résistance abusive, à savoir obtenir réparation du préjudice causé par les pratiques anticoncurrentielles, dans toutes ses composantes; que cette demande, qui vient expliciter une prétention virtuellement comprise dans la demande initiale de dommages-intérêts, est donc recevable ;
Considérant que la société Chadep atteste, par la production de courriers d'internautes se plaignant de la discrimination tarifaire en cause, que les pratiques en cause ont pu décourager certains de ses clients, tentés de s'adresser à des agences anglaises ou d'acheter directement leurs billets plutôt que de recourir à ses services ; que compte tenu de la nature des fautes considérées, des ententes anticoncurrentielles instaurant des discriminations tarifaires, présumées entraîner des distorsions importantes de concurrence, et de la nature spécifique du préjudice induit par celles-ci, d'autant plus important que l'agence Chadep est spécialisée dans la vente de billets TDM et ne peut donc récupérer ses pertes sur la vente de billets d'avion classiques, ce préjudice peut, dans une appréciation a minima, être évalué à 20 000 euro au titre de l'année 2006 ; que les sociétés British Airways et Emirates seront donc condamnées, in solidum, à payer à la société Chadep la somme de 20 000 euro à titre de dommages-intérêts ; que le jugement entrepris sera donc réformé sur ce point ;
Sur la demande reconventionnelle des appelantes pour dénigrement
Considérant que relève de la responsabilité délictuelle visée par l'article 1382 du Code civil tout dénigrement d'un concurrent lorsqu'il tend à discréditer et déprécier l'industrie ou le commerce de celui-ci en vue d'entraîner un transfert de clientèle ;
Mais considérant que les publications de la société Chadep dont les deux sociétés appelantes se plaignent, dans lesquelles l'intimée critique leurs pratiques tarifaires avant que le jugement soit rendu, puis font état du jugement entrepris, se bornent, dans des termes neutres, à faire connaître au public des pratiques dont elle s'estime victime, puis le jugement qui lui est favorable ; qu'elles émanent d'un client et non d'un concurrent des compagnies aériennes et ne comportent donc aucun risque de transfert de clientèle ; qu'aucune pratique de dénigrement ne peut donc être imputée à la société Chadep ; qu'il convient de rejeter cette demande reconventionnelle ;
Par ces motifs, - Infirme le jugement entrepris en ce qu'il a dit les pratiques contraires à l'article L. 442-6-I-1° du Code de commerce et en ce qu'il a débouté la société Chadep de sa demande de dommages-intérêts ; - et statuant à nouveau sur ces deux chefs, - Dit que les articles 15 des conditions générales de vente de 2006 des sociétés British Airways et Emirates constituent des ententes contraires aux articles 101, alinéa 1, du TFUE et L. 420-1 du Code de commerce, - En conséquence, prononce la nullité de ces clauses, en application des article 101, alinéa 2 du TFUE et L. 420-3 du Code de commerce, - Condamne les sociétés British Airways et Emirates in solidum à payer à la société Chadep la somme de 20 000 euro à titre de dommages-intérêts, - Confirme en revanche le jugement entrepris en ce qu'il a condamné la société British Airways à payer à la société Chadep la somme de 40 024,20 euro et la société Emirates à lui payer celle de 1 610,76 euro ainsi qu'en ses dispositions afférentes aux dépens et frais hors dépens, et, y ajoutant, - Dit que les sommes de 40 024,20 euro et 1 610,76 euro porteront intérêts au taux légal à compter du 13 février 2007, - Ordonne la capitalisation, dans les conditions de l'article 1154 du Code civil, des intérêts échus afférents auxdites sommes, - Déboute les parties du surplus de leurs demandes respectives, condamne les sociétés British Airways et Emirates in solidum aux dépens exposés en cause d'appel avec recouvrement dans les conditions de l'article 699 du Code de procédure civile, - Les condamne à payer à la société Chadep in solidum la somme de 10 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, Ordonne, conformément aux dispositions combinées des articles 15, alinéa 2 du règlement (CE) n° 1-2003 du Conseil du 16 décembre 2002 relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles 101 et 102 du traité et R. 470-2 du Code de commerce, que cet arrêt soit notifié par le greffe de la cour d'appel, par lettre recommandée avec accusé de réception, à la Commission européenne, à l'Autorité de la concurrence, ainsi qu'au ministre chargé de l'Economie.