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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 1, 30 novembre 2011, n° 09-07790

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Ada Cosmetic Gmbh (SA)

Défendeur :

Emicela (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Pimoulle

Conseillers :

Mmes Chokron, Gaber

Avoués :

SCP Fisselier Chiloux Boulay, SCP Kieffer Joly Bellichach

Avocats :

Mes Gaultier, Kern, Bretonnière

TGI Paris, du 27 janv. 2009

27 janvier 2009

Vu le jugement contradictoire du 27 janvier 2009 rendu par le Tribunal de grande instance de Paris,

Vu l'appel interjeté le 1er avril 2009 par la société de droit allemand Ada Cosmetic GmbH (ci-après dite Ada),

Vu les dernières conclusions du 12 septembre 2011 de la société appelante,

Vu les dernières conclusions du 13 septembre 2011 de la société de droit étranger Emicela, venant aux droits de la société "Dician SL" (en fait : Docian SL), intimée et incidemment appelante,

Vu l'ordonnance de clôture du 27 septembre 2011,

Sur ce, LA COUR,

Considérant que la société Ada est titulaire d'un brevet européen (0 530 789 B1) visant la France déposé le 3 septembre 1992, délivré le 7 juin 1995, intitulé "distributeur-doseur de savon-liquide ou analogue" et contenant 14 revendications ; qu'elle commercialise ce distributeur en France dans ses "gammes pour l'hôtel" sur son site Internet, comme un produit "press + wash" ;

Qu'estimant que des hôtels d'un groupe dépendant d'une société espagnole, situés à Paris, utilisent un produit qui reproduirait les caractéristiques essentielles de son brevet, la société Ada a, dûment autorisée par ordonnance présidentielle du 27 mars 2006, fait procéder le 30 mars 2006 à une saisie-contrefaçon dans l'un de ces hôtels (Hôtel Tryp de Saxe), dont le fournisseur apparaît être la société Docian située en Espagne, aux droits de laquelle se trouve actuellement l'intimée ;

Que, dans ces circonstances, la société Ada a fait assigner la société Docian, le 13 avril 2006, devant le Tribunal de grande instance de Paris en contrefaçon des revendications 1, 2, 4 à 6, 8, 11 et 13 de son brevet et en concurrence déloyale ; que la société de droit espagnol Emicela (aux droits de la société Docian) a opposé la nullité du brevet pour insuffisance de description et extension de son contenu au-delà de la demande initiale ;

Considérant que, selon jugement dont appel, les premiers juges ont essentiellement :

- déclaré nulles les revendications de la partie française du brevet invoquées, par application des articles 138 §1 c) de la convention de Munich et L. 614-12 du Code de la propriété intellectuelle, retenant que la revendication 1 n'est pas conforme à la demande et que les revendications 2, 4 à 6, 8, 11 et 13 sont dépendantes de cette revendication, et rejeté les demandes fondées sur la contrefaçon,

- condamné la société Emicela pour concurrence déloyale (allouant à la société Ada 5 000 euro à titre de dommages et intérêts), retenant que la société Docian a exploité indûment la notoriété de la société Ada ;

Sur l'action en contrefaçon

Considérant qu'à l'appui de son action en contrefaçon la société appelante invoque les atteintes portées à 8 revendications de son brevet ; qu'elle soutient que c'est à tort que la nullité de la revendication 1, qui a justifié celle des 7 revendications dépendantes également opposées, a été prononcée et, subsidiairement, que seule une nullité sous forme d'une limitation de la revendication 1, dont elle formule une rédaction modifiée dans ses écritures, pouvait être prononcée ;

Sur les moyens de nullité

Considérant que les premiers juges ont prononcé la nullité contestée pour extension de l'objet du brevet européen désignant la France au-delà du contenu de la demande telle qu'elle a été déposée, compte tenu de la rédaction nouvelle de la revendication 1 ;

Qu'il sera rappelé que cette revendication porte sur un distributeur doseur comprenant en particulier "un support (2) à peu près en forme de C, entre les deux portions terminales libres (3, 4) duquel est maintenu amovible un récipient formant réservoir (5)" caractérisé notamment en ce que "le support (2) comporte, à l'une de ses deux portions terminales libres (3, 4), une douille de maintien(6) qui entoure partiellement le récipient" ;

Que dans la traduction de la demande de brevet européen (n° 0 530 789 A1) produite (pièce 25 de l'appelante) la revendication 1 portait sur un distributeur-doseur "comprenant une unité de recharge remplaçable qui est constituée d'un récipient (5) formant réservoir à liquide [...] retenue amoviblement dans un support", la revendication 4 précisant que "le support (2) est de réalisation sensiblement configurée en C" et la revendication 8 indiquant que le distributeur-doseur est "caractérisé par le fait que le support (2) peut être relié amoviblement à une douille de maintien (6), de préférence dans sa position terminale inférieure (4) ; et par le fait que ladite douille de maintien (6) entoure ledit récipient (5) dans la région d'un goulot de récipient ou de bouteille" ;

Considérant que l'appelante prétend que la revendication initiale d'un moyen particulier de fixation amovible au moyen d'une douille en partie basse d'un support en C permettait, compte tenu de l'objet de l'invention et de sa description, de revendiquer dans le brevet le moyen général de fixation amovible à l'aide d'une douille, tant en partie basse qu'en partie haute du support, lequel comporte ces deux positions terminales, et que le tribunal ne pouvait ainsi valablement relever que la rédaction nouvelle incriminée permettait d'envisager un mode de réalisation qui n'était pas visé antérieurement ;

Mais considérant que, selon la revendication 8 de la demande de brevet, lorsque le support est relié amoviblement à une douille de maintien, celle-ci entoure le récipient dans la région de son goulot ; qu'elle est donc alors nécessairement en partie basse du support destiné à recevoir le récipient, puisque celui-ci a vocation à être fixé "tête en bas", pour permettre la distribution d'un liquide par gravité, ainsi que le rappelle l'appelante ; que les dessins illustrant l'invention situent, au demeurant, cette douille de maintien uniquement dans la portion inférieure du support ;

Que, par ailleurs, selon la description de la demande de brevet, le dispositif permet de maintenir un récipient souple formant réservoir à liquide, librement accessible et apte à être sollicité par une pression, précisant qu'il "est avantageux que le support soit de réalisation sensiblement configurée en C ; et que le récipient soit retenu amoviblement dans ledit support, entre deux portions terminales libres de cette forme en C", ajoutant qu'une "forme de réalisation [...] d'un maniement particulièrement aisé et pouvant être fabriquée économiquement, prévoit cependant que l'une des deux portions terminales libres du support puisse être reliée amoviblement à une douille de maintien, de préférence dans sa portion terminale inférieure ; et que ladite douille de maintien entoure ledit récipient dans la région d'un goulot de récipient ou de bouteille" ; que si cette description fait état d'une solution préférentielle, l'existence d'une réelle alternative entre deux positions de fixation amovible n'est pas pour autant présentée ; qu'au contraire, il est seulement prévu que la douille de maintien se situe autour du goulot du récipient ce qui écarte, de façon certaine, ainsi que justement relevé par le tribunal, tout autre agencement possible entre la douille et le récipient ;

Qu'il ne saurait ainsi être admis qu'il se déduirait de la seule lecture de la demande de brevet un autre mode de réalisation possible, alors que la position de la douille, qui entoure la portion terminale inférieure du support, savoir le goulot et non le fond du récipient, n'incite pas à mettre en œuvre un autre mode de fixation que celui décrit ;

Considérant que seul s'avérant initialement déterminé un moyen particulier de réalisation, la revendication d'un moyen général de fixation de la douille, permettant d'envisager un autre mode de réalisation, modifie une partie caractérisante de l'invention, et réalise une extension de l'objet du brevet, constituant une cause de nullité de la revendication 1, sans qu'il y ait lieu d'examiner d'autre cause de nullité ;

Sur la portée de la nullité

Considérant qu'en cause d'appel la société Ada soutient, à titre subsidiaire, que le motif de nullité n'affecterait le brevet européen qu'en partie et qu'elle serait ainsi habilitée à le limiter sous la forme d'une modification de la revendication 1 ;

Considérant que cette demande, qui ne tend qu'à défendre le titre de propriété industrielle fondant l'action en contrefaçon, en s'opposant à l'annulation totale des revendications invoquées, ne saurait constituer une demande nouvelle au sens de l'article 564 du Code de procédure civile ;

Considérant, par contre, que la modification de la revendication 1 proposée par l'appelante vise à remplacer, dans la caractéristique relative au support :

- la mention : "le support (2) comporte, à l'une de ses deux portions terminales libres (3, 4), une douille de maintien(6) qui entoure partiellement le récipient",

- par l'expression : "le support (2) comporte, à sa portion terminale libre inférieure (4), une douille de maintien(6) qui entoure le goulot du récipient",

le reste de la revendication demeurant inchangé, or la société appelante n'avait pas cru devoir agir sur le fondement de la revendication 7 de son titre, qui indique déjà que "la douille de maintien(6) est prévue à la portion terminale inférieure (4) du support (2) et que cette douille(6) entoure le récipient (5) au droit d'un goulot de récipient ou de bouteille", excluant ainsi nécessairement toute action en contrefaçon fondée sur ce mode de réalisation (fixation en partie basse du support) ; qu'elle ne peut dès lors valablement prétendre qu'un mode de fixation expressément décrit dans une revendication non invoquée serait virtuellement compris dans ses demandes de première instance, et en constituerait l'accessoire, la conséquence ou le complément ; qu'elle est ainsi irrecevable à se prévaloir, pour la première fois en cause d'appel, d'une contrefaçon par équivalence d'un mode de réalisation non revendiqué devant les premiers juges ;

Considérant, par ailleurs qu'une nullité, sous la forme d'une limitation, ne peut être prononcée que si ses motifs n'affectent le brevet qu'en partie ;

Qu'en l'espèce, s'il n'est pas discuté que la demande de brevet divulguait un mode de réalisation spécifique, repris dans la revendication 7 précitée du brevet, le brevet déposé tend à divulguer un mode de réalisation général ; que la revendication 1, dont une modification est proposée, n'est pas seule affectée par le motif de nullité, qui tient à l'extension de l'objet du brevet ; qu'au demeurant la description a été sensiblement modifiée pour introduire un mode de réalisation qui était initialement impossible, compte tenu de l'emplacement prévu de la douille de maintien ; qu'en effet, selon la nouvelle rédaction , cette douille ne se situe plus nécessairement sur la portion terminale inférieure du support, puisque celui-ci présente désormais à "l'une de ses deux portions terminales libres" ladite douille "qui entoure partiellement le récipient et est reliée de façon détachable au support afin de permettre le retrait simple et le remplacement rapide du récipient" ;

Qu'il en résulte que le motif de nullité retenu ne saurait permettre une annulation partielle ;

Considérant que la décision entreprise sera donc confirmée en ce qu'elle a prononcé la nullité totale de la revendication 1, sans qu'il y ait lieu de surseoir à statuer dans l'attente de l'issue d'une requête en limitation de cette revendication, ainsi que des 7 autres revendications invoquées (2, 4, 5, 6, 8, 11 et 13) dont il n'est pas contesté qu'elles sont totalement dépendantes de la revendication 1 ; que, par voie de conséquence, toutes les demandes au titre de la contrefaçon, s'avèrent dénuées de fondement et ne peuvent qu'être rejetées ainsi que jugé en première instance ;

Sur la concurrence déloyale

Considérant que pour caractériser une concurrence déloyale de la société intimée le jugement déféré a retenu qu'il n'était "pas contesté que jusqu'en 2005 le site Internet de la société Dorian mentionnait qu'elle "supervisait la rentabilité avec des produits attractifs de type nouveau comme le distributeur Press + wash des établissements de renom de la société Ada cosmetic dont nous sommes les représentants exclusifs" ;

Que si cette présentation est rédigée en langue espagnole, elle était accessible en France, et pouvait ainsi être consultée par des établissements d'une chaîne espagnole établis à Paris, tel celui visé par la saisie-contrefaçon ; que les premiers juges en ont justement déduit qu'elle causait un préjudice en France, même si celui-ci était réduit ;

Qu'il sera ajouté que la société Dorian en maintenant durant deux ans, postérieurement à la cessation de ses rapports contractuels avec la société Ada (en 2003), un site où elle apparaît sous une qualité de distributeur exclusif, qu'elle n'avait plus, d'une société "de renom", ne peut sérieusement dénier qu'elle profitait ainsi, indûment, auprès de ses clients, de cette notoriété ;

Considérant, par contre, que s'il est prétendu que la preuve serait actuellement rapportée de ce qu'une substitution entre les distributeurs doseurs serait facilement réalisable, par l'adoption d'un même entraxe entre les trous de fixation, cette seule circonstance ne saurait être constitutive d'un agissement déloyal de l'intimée, et ce grief ne saurait, pas plus qu'en première instance, être retenu ;

Considérant que les premiers juges ont exactement évalué le dommage subi du fait des agissements fautifs de la société Emicela, venant aux droits de la société Docian, et la décision déférée sera, en conséquence, confirmée de ce chef, sans qu'il y ait lieu à expertise ;

Considérant, de même, que le jugement entrepris sera approuvé en ce qu'il a rejeté la demande reconventionnelle de la société Emicela ; qu'en effet le simple fait de diligenter une saisie-contrefaçon chez un client prétendument "majeur" de la société Docian, et d'avoir ainsi pu connaître ses prix, y compris incidemment pour des produits étrangers au litige (les facturations ne portant pas exclusivement sur les produits concernés), ne saurait suffire à établir le caractère déloyal du comportement de la société Ada qui ouvrirait droit à indemnité ;

Par ces motifs : LA COUR, Confirme la décision entreprise en toutes ses dispositions ; Rejette toutes autres demandes des parties contraires à la motivation ; Condamne la société Ada Cosmetic aux dépens d'appel qui pourront être recouvrés par la SCP Kieffer Joly Bellichach, avoué, conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile, et dit n'y avoir lieu à nouvelle application de l'article 700 du Code de procédure civile au titre des frais irrépétibles d'appel.