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Décisions

CA Metz, 5e ch., 25 novembre 2011, n° 10-04248

METZ

Ordonnance

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président de chambre :

Mme Staechele

Avocats :

Mes Fontana-Bussière, Assémat

TGI Metz, JLD, du 26 oct. 2010

26 octobre 2010

Par déclarations faites au greffe du Tribunal de grande instance de Metz le 24 novembre 2010, la SA X a d'une part formé appel à l'encontre de l'ordonnance prise le 26 octobre 2010 par le juge des libertés de la détention du Tribunal grande instance de Metz et d'autre part a élevé un recours à l'encontre des opérations de visite et de saisie autorisées par ladite ordonnance et qui se sont déroulées dans ses locaux le 16 novembre 2010.

Aux termes de ses dernières écritures le 23 février 2011 concernant son appel à l'encontre de l'ordonnance déférée et du 19 septembre 2011 concernant son recours à l'encontre des opérations de saisie, la société X a demandé à la cour:

Sur son appel à l'encontre de l'ordonnance du JLD :

- de juger insuffisant le contrôle du bien-fondé de la demande d'autorisation des opérations de visite et de saisie effectué par le juge des libertés et de la détention dans le cadre de l'ordonnance entreprise,

- de constater que le juge n'a pas procédé à une appréciation concrète des éléments d'information fournis par la demande d'autorisation,

- de juger qu'aucun élément de fait ne peut justifier le recours à des visites et saisies,

- de constater l'absence de justification du caractère proportionné du recours aux opérations de visites et de saisies,

- de dire que cette ordonnance a été prise en violation de l'article L. 450-4 du Code de commerce et des articles 6 § 1 et 8 de la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l'Homme,

- d'annuler cette ordonnance et l'ensemble des opérations de visite et de saisie réalisées en exécution de cette ordonnance,

- d'ordonner la distraction et la restitution de l'ensemble des pièces et fichiers informatiques saisis dans le cadre de ces opérations de visite et de saisie,

- d'interdire à toute personne ou autorité autre que leur propriétaire de faire usage desdits documents,

- d'ordonner qu'aucune copie et/ou original de ces pièces et fichiers informatiques ne soit conservé ou utilisé,

- de " condamner solidairement la direction générale de la concurrence de la consommation et de la répression des fraudes et M. Claude Parmentela directeur régional adjoint, chef du pôle concurrence consommation répression des fraudes et métrologie, de la direction régionale des entreprises de la concurrence de la consommation du travail de l'emploi, de Lorraine, chef de la brigade interrégionale d'enquête de concurrence des régions Lorraine, Alsace Champagne-Ardenne au paiement de la somme de 5 000 euro en application de l'article 475-1 du Code de procédure pénale et aux entiers dépens ",

Sur son recours à l'encontre des opérations de visite et de saisie :

- de rejeter les pièces et annexes invoquées par la partie adverse faute pour celle-ci de les avoir communiquées,

- d'annuler la saisie de la boîte mail de M. Y et le procès-verbal de saisie en ce qu'il porte sur la saisie de cette boîte mail,

- d'interdire à toute personne ou autorité autre que leur propriétaire de faire usage des documents qu'elle contient et d'ordonner qu'aucune copie et/ou original des fichiers informatiques composant la boîte mail de M. Y ne soit conservé ou utilisé,

- subsidiairement, de constater que les enquêteurs ont saisi les fichiers constituant la boîte mail de M. Y de manière indifférenciée et sans que la saisie ne soit limitée aux documents inclus dans le champ de l'autorisation délivrée par le JLD,

- d'annuler la saisie de la boîte mail de M. Y et le procès-verbal de saisie en ce qu'il porte sur la saisie de celle boîte mail,

- de constater que les enquêteurs ont saisi des documents mentionnés dans le procès-verbal de saisie comme constituant les côtes 72 à 85 et 96 à 116 dits scellés n° 3 sans respecter les termes de l'ordonnance prise par le JLD,

- d'annuler cette saisie,

- d'ordonner la distraction et la restitution des documents mentionnés comme constituant les côtes 72 à 85 et 96 à 116 du scellé n° 3, est d'interdire à toute personne ou autorité autre que leur propriétaire de faire usage desdits documents,

- d'ordonner qu'aucune copie et/ou original desdits documents ne soit conservé ou utilisé.

Aux termes de ses dernières conclusions des 19 mai 2011 et 22 septembre 2011, concernant respectivement l'appel de l'ordonnance du JLD et le recours à l'encontre des opérations de visite et de saisie, la Direction Régionale des Entreprises, de la Concurrence, de la Consommation, du Travail et de l'Emploi (Direccte Lorraine) a demandé à la cour:

Sur l'appel de l'ordonnance du 26 octobre 2010 :

- de déclarer réguliers cette ordonnance et les actes prenant appui sur cette décision et notamment les saisies informatiques effectuées dans les locaux de la société X,

- de dire que le juge des libertés de la détention a contrôlé de manière effective le bien-fondé de la demande d'autorisation des opérations de visite et de saisie,

- de dire que l'Administration a présenté des éléments matériels graves, précis et concordants permettant de présumer un comportement anticoncurrentiel de la part de la société X,

- de dire que le JLD a autorisé " un recours proportionné à l'article L. 450-4 du Code de commerce ",

Sur le recours contre les opérations de visite et de saisie :

- de déclarer régulières les saisies informatiques réalisées le 16 novembre 2011 en présence des officiers de police judiciaire dans les locaux de la société X,

- de rejeter la demande d'annulation et de restitution des messageries et fichiers électroniques saisis par l'Administration,

- de déclarer régulière la saisie des cotes 75 et 76 du scellé n° 3,

- de limiter les restitutions aux seuls documents pour lesquels l'Administration ne conteste pas qu'ils n'entrent pas dans le champ de l'ordonnance du JLD.

Par conclusions du 22 février 2011, le Ministère public a déclaré s'en rapporter à l'appréciation de la cour.

Motifs de la décision

Vu les conclusions des parties en date des 23 février 2011, 19 septembre 2011, 19 mai 2011 et 22 septembre 2011 et les conclusions du Ministère public du 22 février 2011, les énonciations de l'ordonnance attaquée, les mentions du procès-verbal de visite et de saisie contesté et les pièces versées aux débats, ainsi que celles indexées à la requête de l'Administration;

Attendu qu'il est d'une bonne administration de la justice d'ordonner la jonction de ces 2 procédures d'appel contre l'ordonnance du JLD et de recours contre les opérations de visite et de saisie réalisées sur la base de cette ordonnance et de statuer par une seule et même décision;

Attendu qu'au soutien de son appel la société X a fait état de trois causes de nullité autorisant à son sens l'annulation de l'ordonnance rendue le 26 octobre 2010, savoir l'absence de contrôle du bien-fondé de la demande de visite et de saisie, l'absence de tout élément matériel permettant de présumer de sa part un comportement anticoncurrentiel et l'absence de contrôle de la proportionnalité de la mesure ordonnée;

Attendu que, s'agissant de l'absence de contrôle du bien-fondé de la demande de visite et de saisie, l'appelante a rappelé qu'en droit un tel contrôle constitue une exigence fondamentale au regard du droit national et du droit européen compte tenu des atteintes aux libertés individuelles résultant d'une procédure de visite et de saisie, l'exigence d'un contrôle effectif de la part du juge duquel est sollicitée l'autorisation de visite et de saisie devant avoir des conséquences très strictes notamment en ce qui concerne la pratique des ordonnances prérédigées alors qu'en l'espèce les 2 erreurs affectant l'ordonnance querellée (indication que le recours devait être exercé devant la Cour d'appel de Nancy - mise en cause de la société X comme ayant saisi le juge administratif, de même que les sociétés Z et A, d'un recours postérieurement à l'attribution du marché du stockage de déchet non dangereux d'Aboncourt) révèlent que le juge saisi n'a exercé aucun contrôle sur le bien-fondé de la mesure qui lui a été demandée, n'a pas pris le temps de relire l'ordonnance prérédigée présentée à sa signature, ni d'examiner les pièces jointes à la requête et à l'ordonnance;

Que la Direccte a répliqué à cet égard que la jurisprudence admet la validité des ordonnances prérédigées en considérant que les motifs et le dispositif de l'ordonnance établie de cette manière sont réputés avoir été établis par le juge qui l'a rendue et signée, cette pratique ayant uniquement pour but de faciliter le travail du juge et alors que l'Administration, lors du dépôt de sa requête et de ses pièces, prend date pour la présentation officielle de la requête auprès du juge des libertés et de la détention, cette méthode démontrant clairement sa volonté de laisser au magistrat un délai significatif pour examiner cette requête, avec cette précision que les dispositions de l'article L. 450-4 du Code de commerce ne prévoient aucun délai entre la présentation de la requête et le prononcé de la décision et que le nombre de pièces produites et soumises au magistrat ne peut en soi faire présumer que le juge s'est trouvé dans l'impossibilité de les examiner;

Qu'en ce qui concerne les erreurs incriminées par l'appelante l'Administration a fait observer que la première d'entre elles n'a pas fait grief à la société X, qui a régulièrement relevé appel et formé son recours et pour la seconde que l'indication erronée d'un recours introduit devant le tribunal administratif par la société X après désignation du titulaire du marché n'a aucune incidence, puisque cette indication avait uniquement pour objectif de montrer qu'aucun candidat n'avait contesté la procédure de mise en concurrence et le contenu du cahier des charges avant l'attribution du marché litigieux;

Attendu que le recours, modifié par l'ordonnance du 13 novembre 2008 complétant l'article L. 450-3 du Code de commerce pour rendre les opérations de visite et de saisie organisées par ce texte conformes aux exigences du droit européen et notamment de la Convention européenne des Droits de l'Homme et de la jurisprudence de la Cour européenne des Droits de l'Homme, en instituant un recours effectif devant le premier président ou son délégué, a pour conséquence que le juge d'appel doit contrôler que le magistrat initialement saisi s'est conformé aux dispositions de l'alinéa 2 de ce texte selon lesquelles " le juge doit vérifier que la demande d'autorisation qui lui est soumise est fondée ; cette demande doit comporter tous les éléments d'informations en possession du demandeur de nature à justifier la visite ";

Qu'il est constant que ce contrôle s'entend à présent, en application de la jurisprudence qui s'est dégagée à partir de ces dispositions, de l'article 66 de la Constitution instituant l'autorité judiciaire gardienne de la liberté individuelle et de la Convention européenne des Droits de l'Homme (jurisprudence du Conseil constitutionnel, de la Cour européenne des Droits de l'Homme au visa des articles 6 et 8 de la Convention, de la Cour de justice des Communautés européennes et de la Cour de cassation), d'un contrôle effectif réalisé in concreto à partir des données et pièces justificatives fournies par l'Administration, et ce de façon autonome par rapport à l'administration requérante, et ce d'autant plus que la loi autorise le JLD à prendre des mesures attentatoires aux libertés individuelles, comportant en particulier une atteinte à la sphère privée des personnes visées par de telles mesures, et ce dans le cadre de procédures non contradictoires par définition, puisqu'ayant pour but de rechercher les éléments probants propres à établir la réalité de la suspicion de fraude concernant les personnes physiques ou morales aux domiciles ou dans les locaux desquelles doivent s'opérer les opérations de visite et de saisie réclamées;

Que pour autant ce qui est en cause ici n'est pas en soi la pratique des ordonnances pré-rédigées, admise par la jurisprudence de la Cour de cassation, qui considère que le juge s'est approprié les motifs et le dispositif de l'ordonnance qu'il a acceptée de signer, pratique dont il y a lieu d'admettre qu'elle a été instituée par l'Administration en vue d'alléger le travail du magistrat saisi, ici le JLD déjà en charge des mesures de placement en détention demandées par les magistrats instructeurs et des demandes de mise en liberté présentée par les personnes incarcérées, des recours formés dans le cadre des procédures d'hospitalisation d'office, ainsi que d'appel dirigé contre les décisions administratives de placement d'étrangers en situation irrégulière en centre de rétention administrative dans l'attente de leur expulsion;

Que ce qui est bien plutôt ici en question est la réalité et l'effectivité du contrôle exercé par le magistrat dont c'est précisément l'office, contrôle qui suppose d'une part une lecture attentive de l'ordonnance préparée par l'Administration, d'autant plus qu'il n'en est pas le rédacteur, et ce justement pour pouvoir faire siennes la motivation proposée et les dispositions décisoires figurant au dispositif, et d'autre part un examen attentif des pièces annexées à la requête et au projet d'ordonnance, afin de s'assurer de l'adéquation entre les pièces produites et les énonciations de l'ordonnance, ainsi que de la pertinence de ces pièces au regard de l'appréciation qu'il doit opérer quant à l'existence de présomptions graves, précises et concordantes de la fraude soupçonnée par la partie requérante, présomptions à partir desquelles il doit autoriser les opérations de visite et de saisie envisagées par la partie requérante;

Attendu que la lecture de cette ordonnance permet de se convaincre que ce contrôle n'a pas été réellement effectué;

Qu'en effet il existe au dispositif de l'ordonnance dont appel une erreur grossière renvoyant les parties de façon contradictoire à former appel devant le premier président de la Cour d'appel de Nancy, en formalisant toutefois ce recours au greffe du Tribunal de grande instance de Metz;

Que la circonstance que cette indication erronée, qui figure également de façon tout aussi inexacte dans les procès-verbaux dressés par l'Administration en ce qui concerne la notification de l'ordonnance laissée par l'article L. 450-4 du Code de commerce aux soins de la partie requérante, n'ait pas fait ici grief à la société X, qui apparemment mieux renseignée sur les dispositions applicables et les modalités de recours ouvertes par ce texte, a effectivement été en mesure de formaliser son appel et son recours de façon régulière, est en l'espèce indifférente, puisque n'est pas en cause la régularité de l'appel de la société X mais le contrôle exercé par le juge ayant prononcé la décision qui elle fait bien grief à la société appelante;

Attendu que la deuxième erreur contenue dans cet ordonnance laisse craindre quant à elle, non seulement que l'ordonnance n'ait pas été effectivement complètement relue, mais que les pièces jointes n'aient pas été sérieusement examinées puisqu'en effet, à la différence de la requête qui précise de façon exacte que la procédure de mise en concurrence a été annulée et que l'exécution du marché notifié F a été suspendue par le Tribunal administratif de Strasbourg à la suite de requêtes déposées par les sociétés Z et B cette ordonnance mentionne en page 3 :

"- Attendu que, si divers éléments du cahier des charges étaient sujets contestation, ils l'étaient dès le lancement de la consultation, qu'ainsi Z, X et A pouvaient dès la lecture du cahier de charges en contester certaines dispositions et de ce fait saisir en recours précontractuel le juge des référés du tribunal administratif territorialement compétent de ces manquements de nature à perturber le libre exercice de la concurrence,

- Attendu que ces 3 candidats ne sont intervenus qu'après la décision d'attribution du marché qui leur a été défavorable pour saisir le juge administratif aux fins d'annulation de la procédure ";

Que pourtant les annexes à ces requête et ordonnance, et plus spécifiquement l'annexe 13, qui comporte les différentes décisions rendues par le Tribunal administratif de Strasbourg, puis celle rendue par le Conseil d'Etat, mettent en évidence que les recours administratifs ici évoqués ont été introduits par les sociétés Z et B et non pas par la société X, qui à cet égard ne peut donc être suspectée de collusion avec les 2 autres entreprises;

Qu'une telle inexactitude est de nature à laisser planer un doute effectif sur le caractère grave, précis et concordant des présomptions admises par le premier juge, alors que l'article 1349 du Code civil définit les présomptions commettant des conséquences que la loi ou le magistrat tire d'un fait connu à un fait inconnu;

Attendu qu'il faut toutefois souligner que ces exactitudes peuvent aussi provenir du caractère collectif de l'ordonnance sollicitée à la fois contre les sociétés X, B, C, Z et D, une telle présentation ayant pour effet, sinon pour but, de renforcer les allégations de la requérante relatives à l'entente frauduleuse et anticoncurrentielle qu'elle prêtait aux sociétés concernées;

Attendu que dès lors il y a lieu d'annuler l'ordonnance entreprise sans examen des autres moyens de nullité avancés par la société X;

Qu'il s'en déduit que les opérations de visite et de saisie diligentées par la Direccte en exécution de cette décision doivent être également annulées et qu'il doit être fait droit aux demandes de la société X concernant la restitution à son profit et la non-utilisation par quiconque, hormis elle-même, de l'ensemble des documents saisis dans ces conditions.

Que l'intimée devra supporter la charge des dépens d'appel;

Que cependant, eu égard à la motivation qui précède, il convient de considérer que l'équité commande de ne pas faire application des dispositions de l'article 475-1 du Code de procédure pénale à l'encontre de la partie perdante;

Par ces motifs, Par ordonnance contradictoire, prononcé publiquement: * Jugeons recevables et bien fondés l'appel et le recours introduit par la SA X à l'encontre de l'ordonnance rendue le 26 octobre 2010 par le juge des libertés de la détention du Tribunal de grande instance de Metz à l'encontre des opérations de visite et de saisie mises en œuvre par la partie requérante sur la base de cette ordonnance; * Annulons cette ordonnance et par suite lesdites opérations de visite et de saisie; * Ordonnons la distraction et la restitution à la société X de l'ensemble des pièces et fichiers informatiques saisis en exécution de l'ordonnance annulée et ce dans un délai de un mois à compter de la présente ordonnance, * Faisons interdiction à toute personne ou autorité, autre que leur propriétaire, de faire usage desdits documents, * ordonnons qu'aucune copie et/ou original de ces pièces et fichiers informatiques ne soit conservé et utilisé par la partie saisissante * Condamnons la Direction des Entreprises, de la Concurrence, de la Consommation, du Travail et de l'Emploi, représentée par M. Claude Pamentelat, aux entiers dépens * Disons n'y avoir lieu à application de l'article 475-1 du Code de procédure pénale.