CA Paris, Pôle 5 ch. 5, 6 septembre 2012, n° 08-20398
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Veleno (SA)
Défendeur :
Bill Tornade (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Perrin
Conseillers :
Mmes Pomonti, Luc
Avocats :
SCP Oudinot-Flauraud, Mes Fargier, Baechlin, Brulard, Antoine-Lalance
FAITS CONSTANTS ET PROCEDURE
La société Bill Tornade, qui exerce une activité de création, de fabrication et de commercialisation de vêtements, exploite deux collections homme et femme "Bill Tornade", et a notamment recours, pour sa commercialisation, à des agents commerciaux.
La société Veleno distribue sur l'ensemble du Benelux des vêtements de plusieurs marques différentes.
Le 26 juillet 2001, la société Bill Tornade a conclu un contrat d'agence commerciale avec la société Veleno, en lui donnant mandat de vendre les produits désignés sous la marque "Torn" sur l'ensemble du Benelux, en contrepartie d'une commission s'élevant à 10 % des ventes réalisées.
La société Bill Tornade, considérant les performances de la société Veleno insuffisantes et après l'avoir rappelée à l'ordre, a résilié le contrat par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 20 janvier 2006.
La société Veleno, contestant cette décision et réclamant une indemnité de résiliation équivalente à deux années de commissions calculées sur la moyenne des commissions reçues pendant les trois dernières années d'activité, a assigné la société Bill Tornade devant le Tribunal de commerce de Paris.
Par jugement du 14 octobre 2008, le Tribunal de commerce de Paris a :
- débouté la SA Veleno en toutes ses demandes,
- débouté la SA Bill Tornade de sa demande en dommages et intérêts,
- condamné la SA Veleno à verser à la SA Bill Tornade la somme de 1 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
- débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.
Vu l'appel interjeté le 27 octobre 2008 par la société Veleno.
Vu les dernières conclusions signifiées le 8 mars 2012 par lesquelles la société Veleno demande à la cour de :
- donner acte à Maitre Anne-Marie Oudinot Avocat au barreau de Paris, de ce qu'elle se constitue par les présentes aux lieux et places de la SCP Oudinot-Flaraud, avoué précédemment constituée,
- dire la société Veleno recevable et fondée en son appel,
- infirmer le jugement rendu par le Tribunal de commerce de Paris en toutes ses dispositions sauf en ce qu'il retient qu'il appartient à la société Bill Tornade d'apporter la preuve de la faute grave de la société Veleno et statuant à nouveau,
- dire et juger que la résiliation du contrat d'agence commerciale s'est faite aux torts exclusifs de la SA Bill Tornade,
- condamner la SA Bill Tornade à payer à le requérante la somme de 5 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
La société Veleno invoque l'absence de preuve de la faute grave de son agent produite par la société Bill Tornade.
La société Veleno soutient qu'elle n'a absolument pas manqué à ses obligations contractuelles et que le contrat était déjà résilié au moment des faits allégués.
Elle ajoute qu'il n'existait aucune restriction quant au droits de la société Veleno de représenter d'autres marques et qu'il n'est pas démontré qu'elle ait assuré la représentation de produits concurrents à ceux présentés par Bill Tornade.
Elle considère que la liste des marques que la société Veleno était censée représenter, donnée par la société Bill Tornade, est fausse et que la production de catalogues illisibles ne saurait constituer la preuve d'une faute de sa part.
Selon elle, la cause de la baisse générale des ventes est antérieure aux faits reprochés et sans rapport avec les marques représentées par elle, dont Bill Tornade avait une parfaite connaissance.
Elle en déduit que c'est à tort que la résiliation est intervenue et qu'elle est fondée à obtenir une indemnité de résiliation.
Vu les dernières conclusions signifiées le 2 août 2011 par lesquelles la société Bill Tornade demande à la cour de :
- dire et juger la société Veleno mal fondée en son appel ; en conséquence la débouter de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
- confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions sauf en ce qu'il a débouté la société Bill Tornade de sa demande de dommages et intérêts.
Y ajoutant,
- condamner la société Veleno à payer à la société Bill Tornade la somme de 100 000 euro à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi du fait des manquements contractuels,
- condamner la société Veleno à verser à la société Bill Tornade la somme de 30 000 euro au titre des frais irrépétibles de première instance et d'appel.
La société Bill Tornade fait valoir que l'indemnité compensatrice n'est due que si elle est justifiée par des circonstances imputables au mandant et, qu'en l'espèce, la société Veleno ne démontre aucun manquement qui lui soit imputable.
Elle soutient qu'il n'y a pas eu de rupture du contrat en 2001, le courrier dont la société Veleno fait état n'ayant concerné que la ligne "Torn". Elle affirme que les sociétés Bill Tornade et Veleno ont poursuivi leur collaboration de manière ininterrompue et selon les mêmes dispositions contractuelles depuis le 26 juillet 2001 jusqu'à 20 janvier 2006, date de résolution du contrat par l'appelante, la société Veleno n'ayant jamais cessé de percevoir ses commissions selon les conditions prévues par le contrat du 26 juillet 2001.
Elle relève que la représentation de 31 marques concurrentes par la société Veleno n'a jamais reçu son accord et considère que c'est cette situation qui explique la baisse des chiffres de ventes de Bill tornade et non la baisse de la qualité des collections.
Elle ajoute que la société Veleno ne justifie pas de son prétendu préjudice alors qu'elle même démontre une perte annuelle de chiffre d'affaire de 100 000 euro.
La cour renvoie, pour un plus ample exposé des faits et prétentions initiales des parties, à la décision déférée et aux écritures susvisées, par application des dispositions de l'article 455 du Code de procédure civile.
MOTIFS
- Sur la demande d'indemnité de résiliation du contrat d'agent commercial présentée par la société Veleno :
La société Veleno soutient tout d'abord que le contrat d'agence du 26 juillet 2001 était déjà résilié au moment des faits qui lui sont reprochés par la société Bill Tornade, faits qui seraient constitutifs d'une faute grave.
Elle se fonde sur un courrier recommandé avec accusé de réception de la société Bill Tornade en date du 14 novembre 2001 par lequel celle-ci fait part à la société Veleno de sa décision "d'arrêter notre collaboration sur la ligne Torn pour le Benelux".
Cette lettre, qui ne fait à aucun moment référence au contrat d'agence et à une quelconque volonté de procéder à sa résiliation, n'a manifestement pas été suivie d'effets, puisque les parties ont continué à poursuivre leur collaboration sur la base du contrat du 26 juillet 2001 et ce de manière ininterrompue jusqu'au 20 janvier 2006, date à laquelle la société Bill Tornade a informé la société Veleno de la résiliation sans préavis du contrat à compter de la présentation et de la réception de la lettre recommandée.
D'ailleurs, les parties n'ont cessé de faire application des dispositions contractuelles postérieurement au 14 novembre 2001, la société Veleno ayant notamment continué à percevoir ses commissions dans les conditions prévues à l'article 3 du contrat.
Au demeurant, en admettant même que le contrat d'agence ait été résilié à la date du 14 novembre 2001 et qu'un contrat verbal se soit substitué au contrat écrit initial, force est de constater que l'article 2 du contrat n'est que la transposition des dispositions de l'article L. 134-3 du Code de commerce qui dispose que l'agent commercial peut accepter sans autorisation la représentation de nouveaux mandants mais que toutefois, il ne peut accepter la représentation d'une entreprise concurrente de celle de l'un de ses mandants sans accord de ce dernier.
Dès lors, la société Bill Tornade est en droit de se prévaloir de la représentation fautive par la société Veleno de nombreuses marques concurrentes à la sienne, que ce soit sur le fondement du contrat du 26 juillet 2001 ou sur celui du non-respect du devoir de loyauté imposé par la loi à l'agent commercial, à la seule condition d'en rapporter la preuve.
Or, la société Bill Tornade produit les répertoires "Favoris Europe/The Fashion Collection Guide Belgium France Germany Italy Spain United Kingdom" pour les saisons automne-hiver 2003/2004, printemps-été 2004, automne-hiver 2004/2005, printemps-été 2005, automne-hiver 2005/2006 et automne-hiver 2006/2007, dont il résulte que la société Veleno a assuré la représentation de nombreuses autres marques de vêtements.
Au moment de la conclusion du contrat d'agence une liste de sept marques pour lesquelles l'agent travaillait en plus de Bill Tornade a été annexée : Vent Couvert, John Richmond, Plein Sud, Buffalo, Donovan, Tsubo et Luciano Padovan.
L'analyse des répertoires "Favoris Europe" fait apparaître la représentation par la société Veleno de trente marques supplémentaires. Il s'agit des marques BB London, Gloomy Bear, Soul Rebel, You, Lil Pour L'Autre, La Belle Histoire, Parasuco Cult, Et Compagnie, Shirt Passion, Anitsa, Babylon Princesse, Mauritius, Polo Jeans, Frederichom's, Joe's Jeans, Lili Nucci, Sathia, Rock & Blue, Spy, Victoria Bergmann, Earl Jeans, Hevmann, MC Planet, Claudio Orciani, Repetto, DN 67, Diamant Jeans, Diadora, Coral Blue et K-Yen.
La société Veleno ne peut pas sérieusement contester représenter les marques apparaissant dans les répertoires susvisés, les pièces produites étant particulièrement claires et incontestables.
D'ailleurs, elle a attendu le 17 janvier 2006 pour répondre aux nombreux courriers de la société Bill Tornade (2 novembre 2004, 19 avril 2005, 28 décembre 2005, 9 janvier 2006 et 13 janvier 2006) l'interrogeant sur les marques qu'elle représentait et pour contester la représentation des marques figurant dans les répertoires.
Le fait que la société Veleno ait adressé le 25 juillet 2007, soit bien après la résiliation du contrat d'agence et l'introduction de la présente procédure, un e-mail à l'éditeur du catalogue "Favoris Europe" pour contester la représentation de seulement trois marques sur les trente marques en cause ne démontre rien en l'absence de la production de la réponse qui y a été apportée.
Par ailleurs, les attestations des représentants de trois de ces marques (BB London, Gloomy Bear et Soul Rebel) visant à établir qu'elles ne sont pas représentées par la société Veleno, en contradiction avec les publicités réalisées par cette dernière dans les différentes éditions du catalogue "Favoris Europe", ne sont pas convaincantes.
La société Veleno conteste en tout état de cause que les marques litigieuses soient des marques concurrentes de Bill Tornade.
Il apparaît cependant à l'évidence qu'il s'agit, comme pour Bill Tornade, de marques de vêtements hommes-femmes, qui par définition sont en concurrence, la société Veleno n'établissant pas la spécificité des vêtements Bill Tornade qui permettrait de les distinguer d'autres gammes de vêtements et empêcherait l'existence d'une concurrence.
En outre, la chute des résultats obtenus par la société Veleno coïncide avec l'augmentation du nombre de marques dont elle assurait la représentation.
La société Bill Tornade établit en effet une chute du chiffre d'affaires de 38 % entre 2002 et 2003, de 40 % entre 2003 et 2004 et de 40 % entre 2004 et 2005, alors que le chiffre d'affaires Bill Tornade était croissant sur la France et les autres pays européens pendant la même période.
Le société Veleno tente vainement de justifier cette chute du chiffre d'affaires réalisé sur la marque Bill Tornade par une baisse de qualité des collections, des difficultés internes à la société ou une image vieillissante, alors qu'elle procède par affirmations dont elle ne rapporte pas la preuve.
Par ailleurs, la société Veleno ne peut sérieusement soutenir que la société Bill Tornade connaissait l'existence des nouveaux contrats de représentation alors que cette dernière n'a cessé depuis novembre 2004 de l'interroger sur les marques qu'elle représentait, sans réponse de sa part.
Enfin, le nouvel agent commercial de la société Bill Tornade sur le secteur précédemment occupé par la société Veleno a immédiatement rempli des objectifs contractuels fixés à la hausse par rapport aux précédents résultats de l'appelante et a même réalisé un chiffre d'affaires bien supérieur à celui précédemment obtenu par elle.
Il résulte de l'ensemble de ces éléments que la société Veleno a commis une faute grave, portant atteinte à la finalité commune du mandat d'intérêt commun et rendant impossible le maintien du lien contractuel.
Le jugement entrepris doit donc être confirmé en ce qu'il a débouté la société Veleno de sa demande d'indemnité de rupture.
- Sur la demande de dommages et intérêts présentée par la société Bill Tornade :
La baisse notable du chiffre d'affaires généré par l'activité de la société Veleno et les manquements de la société Veleno à ses obligations contractuelles qui ont été décrits ci-dessus ont nécessairement causé un préjudice à la société Bill Tornade.
Les dommages et intérêts alloués à la société Bill Tornade à titre de réparation ne sauraient cependant excéder la somme de 10 000 euro, la seule comparaison entre les chiffres d'affaires réalisés par la société Veleno et par son successeur ne pouvant constituer la base de l'évaluation du préjudice subi par le mandant qui n'est pas constitué par une perte de chiffre d'affaires mais par une perte de marge brute.
Le jugement entrepris doit donc être réformé en ce qu'il a débouté la société Bill Tornade de sa demande de dommages et intérêts et la société Veleno doit être condamnée à lui payer une indemnité de 10 000 euro à ce titre.
L'équité commande d'allouer à la société Bill Tornade une indemnité de 7 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
Par ces motifs : LA COUR, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, Confirme le jugement déféré sauf en ce qu'il a débouté la société Bill Tornade de sa demande de dommages et intérêts, Statuant à nouveau sur ce point, Condamne la société Veleno à payer à la société Bill Tornade la somme de 10 000 euro à titre de dommages et intérêts, Condamne la société Veleno à payer à la société Bill Tornade la somme de 7 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, Condamne la société Veleno aux dépens d'appel, qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.