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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 12 septembre 2012, n° 10-04096

PARIS

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

Imperial Classic Diffusion (SAS)

Défendeur :

Aitek Srl (Ste)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Roche

Conseillers :

M. Vert, Mme Luc

Avocats :

Mes Ingold, Pardo, Bernabe, Pedone

T. com. Paris, 7e ch., du 16 févr. 2010

16 février 2010

Vu le jugement du 16 février 2010 par lequel le Tribunal de commerce de Paris, dans un litige opposant les sociétés ICD Imperial Classic diffusion et Aitek, a condamné, sous le régime de l'exécution provisoire, la société ICD Imperial Classic diffusion à payer à la société Aitek, les somme de 300 000 euro au titre de l'indemnité de préavis, 74 079,85 euro pour perte de chiffre d'affaires sur les livraisons non effectuées, outre celle de 20 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Vu l'appel interjeté le 25 février 2010 par la société ICD Imperial Classic diffusion et ses conclusions du 6 avril 2012, demandant à la cour le rejet de l'ensemble des demandes de la société Aitek, et sa condamnation, à titre de demande reconventionnelle, à lui payer la somme de 184 331,54 euro correspondant à son préjudice économique et d'image, outre celle de 25 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Vu les conclusions du 15 mai 2012 de la société Aitek, demandant à la cour de confirmer le jugement entrepris, excepté sur le quantum des indemnités mises à la charge de la société ICD Imperial Classic diffusion, et la condamner à lui payer les sommes de :

- 48 000 euro pour perte de marge sur les ventes directes réalisées par ICD au mépris de son obligation d'exclusivité,

- 91 243 euro au titre de la perte de marge sur la saison P/E 2007 au titre des échantillons non livrés,

- 173 590,66 euro au titre des livraisons non effectuées,

- 400 000 euro au titre du préavis non effectué,

- 300 000 euro pour la résiliation abusive du contrat de distribution,

- 15 000 euro pour mauvaise foi,

- 50 000 euro au titre de l'article 700 du Code procédure civile ;

Sur ce

Considérant qu'il résulte de l'instruction les faits suivants :

La société ICD Imperial Classic diffusion (ci-après ICD), spécialisée dans la distribution et le commerce de détail d'habillement et de chaussures, et la société Aitek, spécialisée dans la commercialisation et le marketing dans le secteur de la chaussure, ont convenu, en 2003, d'ouvrir le marché italien aux produits de la marque Bensimon où elle était encore peu connue.

La société ICD a confié à la société Aitek la distribution des chaussures et accessoires de la collection Bensimon en Italie, par accord verbal. Toutefois, par courrier électronique du 1er octobre 2003, la société ICD a précisé les prestations essentielles attendues de son cocontractant, à savoir, le marketing, une distribution effectuée dans les meilleurs points de vente, une politique de prix, ainsi que l'organisation d'un "stock tampon" pour assurer le réassort des marchandises.

Lors de l'exécution du contrat de distribution, la société ICD a estimé, qu'en raison des carences reprochées à la société Aitek, tant dans la distribution des produits que dans ses rapports avec son partenaire, leur relation commerciale devait cesser et par lettre datée du 9 mai 2007, mis un terme immédiat aux relations contractuelles entre les parties. Elle faisait part, dans cette lettre, de "notre insatisfaction quant aux résultats des ventes (saison printemps/été 2007)" et rapportait les manquements suivants : "les graves carences de votre organisation, qui est parfaitement inadéquate pour garantir la couverture du territoire qui vous a été confié (...)" ; "l'absence de toute initiative publicitaire (...)" ; "l'omission de toute information sur votre activité" ; "votre capacité financière apparemment insuffisante qui comporte des retards constants dans les paiements (...)" ; "vos retards dans la transmission des ordres et dans les ouvertures des lettres de crédit (...)".

C'est dans ces conditions de fait et de droit que, par acte du 17 avril 2008, la société Aitek a assigné la société ICD devant le Tribunal de commerce de Paris aux fins d'indemnisation du préjudice matériel qu'elle estimait avoir subi, du fait de la rupture abusive et brutale du contrat de distribution, et qu'est intervenu le jugement susvisé et présentement déféré.

Sur l'exécution du contrat par la société ICD

Considérant, tout d'abord, qu'un accord de distribution se forme par le simple échange des consentements et, en l'absence de toute forme requise, peut se prouver par tous moyens ; qu'en l'espèce, compte tenu des constatations relatives au comportement des parties pendant la période considérée qui ont entretenu des relations commerciales suivies et exécuté des prestations réciproques, ainsi qu'aux échanges de correspondance de nature commerciale où les prestations essentielles attendues des parties étaient clairement définies, il convient de constater l'existence d'un accord de distribution entre la société ICD et la société Aitek ;

Considérant que si le jugement entrepris a estimé que la société ICD n'avait pas apporté la preuve de la fourniture du matériel publicitaire à la société Aitek et si la société ICD n'a pas livré la plupart des échantillons Printemps/Eté 2007 à la société Aitek, ce qui aurait nui aux efforts de commercialisation de celle-ci, il résulte cependant de l'examen des pièces du dossier que les parties n'ont jamais convenu d'un quota minimum de livraison d'échantillons ; qu'en outre, les échantillons délivrés étaient amplement suffisants pour alimenter les points de diffusion connus de la société Aitek ; que, par conséquent il ne saurait être retenu un quelconque manquement contractuel, de ce seul fait, de la part de la société ICD et le jugement déféré sera infirmé sur ce point ;

Considérant, également, qu'il a été reproché à la société ICD de n'avoir pas donné suite au signalement, par la société Aitek, de contrefaçons de sacs de la marque Bensimon ; que cependant, la société Aitek ne démontre pas que les sacs litigieux étaient des contrefaçons et ne peut donc utilement soutenir l'existence d'un quelconque préjudice lié à cette prétendue absence de réaction de la société ICD ; qu'au surplus, aucune preuve n'est apportée quant à l'éventuel préjudice subi en terme d'image et en ce qui concerne les prétendues annulations de commandes dont la société Aitek aurait été victime, à la suite de ces faits litigieux ; que, par suite, le jugement entrepris sera infirmé en ce qu'il a retenu ce comportement comme un manquement contractuel de la société ICD ;

Considérant que l'exclusivité dans un contrat de distribution ne se présume pas ; que la preuve de l'exclusivité incombe à celui qui s'en prétend bénéficiaire et ce dernier doit prouver que la convention prévoit de manière précise et non équivoque, l'objet de la concession, sa durée, ainsi que la délimitation exacte du territoire concédé ; qu'en l'espèce, il n'est pas démontré que les parties aient conclu un contrat de distribution exclusive ; que le seul document qui y fasse référence est un compte rendu de réunion du 26 septembre 2003, rédigé par M. Al Cadosch, de la société Affectio societatis, conseil de la société ICD, "à partir d'informations collectées auprès des parties" ; que ce document intitulé "Deal memo - Bensimon Italia - september 2003" n'a jamais reçu la moindre approbation des participants à la réunion et n'est pas même signé ; qu'il ne saurait à lui seul, valoir engagement de distribution exclusive au profit de la société Aitek ; qu'ainsi la participation de la société ICD au salon Pitti Homme en janvier 2007, ainsi que la distribution directe, par l'intéressée, de certains produits Bensimon en Italie ne peuvent être considérées comme des violations d'engagements contractuels liant les parties ; que, dès lors, la société Aitek ne saurait se prévaloir d'une exclusivité non prévue contractuellement et donc, ne peut valablement s'estimer lésée à ce titre ; que, sur ce point également, le jugement entrepris sera infirmé ;

Considérant qu'il résulte de cette absence de manquements contractuels imputables à la société ICD qu'aucune indemnité ne saurait être allouée à la société Aitek pour violation de l'exclusivité ou livraison insuffisante d'échantillons ; que le jugement déféré sera donc confirmé en ce qu'il a débouté la société Aitek de sa demande en paiement des sommes respectives de 48 000 et 91 243 euro, avec une substitution de motifs ;

Sur le caractère abusif de la rupture

Considérant que si les parties à un contrat de distribution disposent de la faculté d'y mettre fin sans devoir motiver leur décision, l'obligation de bonne foi contractuelle et de loyauté s'impose néanmoins à elles, en vertu des dispositions de l'article 1134 alinéa 3 du Code civil et exclut toute résiliation qui se fonderait sur des motifs dépourvus d'exactitude matérielle ;

Considérant qu'en l'espèce, par courrier du 9 mai 2007, la société ICD a mis fin à la relation contractuelle avec la société Aitek, dans les termes suivants : "l'arrêt de notre collaboration prend effet immédiatement" ;

Considérant qu'aucune pièce produite par la société ICD ne permet de démontrer le bien-fondé des motifs de la rupture avancés par elle pour résilier le contrat et tirés du non-respect, par la société Aitek, des objectifs de vente et du retard persistant dans les passations des commandes et les paiements ; qu'en effet, il ressort de l'instruction que les parties n'avaient pas établi d'objectifs de vente avant le 29 juin 2006, des objectifs n'ayant été fixés que pour la saison printemps/été 2007 ; qu'aucune date limite de commandes n'avait été déterminée au préalable et aucun délai de paiement n'avait été convenu, les parties s'en étant remises à l'usage sur ces deux points ; que les délais en cause pour la saison automne/hiver 2008 ne sont pas manifestement contraires aux usages de la profession ou aux usages installés entre les deux parties ; que le défaut de communication, de "reporting" et la faiblesse des résultats obtenus, reprochés à la société Aitek, ne sont pas davantage démontrés par les pièces versées au dossier ; que, par suite, la rupture intervenue doit être regardée comme abusive et de nature à engager la responsabilité de la société ICD ;

Sur la rupture brutale des relations commerciales

Considérant que cette résiliation abusive et sans préavis est nécessairement brutale ;

Considérant qu'il convient, à cet égard, de rappeler qu'en vertu de l'article L. 442-6-I-5°, engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers, de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels ;

Considérant que la société ICD a rompu le contrat de distribution conclu avec la société Aitek sans respecter le moindre préavis ; que le fournisseur a engagé sa responsabilité en ayant mis unilatéralement fin au contrat à durée indéterminée sans respecter un préavis suffisant, que ce dernier ait été prévu ou non dans la convention ; qu'en outre, la partie appelante ne démontre pas que la société Aitek ait été à l'origine de fautes contractuelles de nature à justifier une rupture sans préavis, ainsi qu'il a été vu plus haut ; que la société ICD ne peut prétendre avoir consenti un préavis implicite à la société Aitek en lui confiant le droit d'exploiter la collection automne/hiver 2007/2008, alors qu'elle y mettait des conditions excessivement restrictives en termes de délais, rendant les commandes irréalisables en pratique ; que la durée du préavis doit tenir compte de celle du contrat, de la durée des relations antérieures, de leur importance financière et des usages de la profession ; que les relations commerciales entre les parties ont débuté au cours de l'année 2003 pour prendre fin brutalement en 2007 ; que ces échanges commerciaux étaient à l'origine d'un chiffre d'affaire annuel, pour la société Aitek, de près de 270 000 euro ; que, dès lors, c'est par une juste appréciation des circonstances de la cause que les Premiers Juges ont estimé que le préavis qui aurait dû être respecté par la société ICD était d'une durée d'un an, donnant ainsi le temps nécessaire à la société Aitek de procéder à sa reconversion ;

Sur le préjudice né de la rupture brutale

Considérant que le préjudice qui découle d'une rupture brutale de relations commerciales établies est constitué de la perte subie ou du gain dont la victime a été privée ; que l'indemnité qui tend à réparer ce type de préjudice correspond à la perte de marge brute sur le chiffre d'affaires qui aurait dû être perçue si un préavis conforme aux usages du commerce avait été consenti ;

Considérant que pour les années 2005 et 2006, le chiffre d'affaires réalisé par la société Aitek avec les produits de la société ICD s'est élevé à respectivement 391 003,05 et 435 525 euro, soit une moyenne annuelle de 413 264 euro ; que, compte tenu du taux de marge brute de 40 % attesté par la société Aitek et non contesté par la société ICD, l'indemnité à allouer à la société Aitek s'élève à : 413 264 euro X 40 % = 165 305, 60 euro ; que le jugement entrepris sera donc infirmé sur le quantum de cette indemnisation ;

Sur le préjudice né de la rupture abusive

Considérant, que la cour ne disposant d'aucun élément pour évaluer le préjudice subi par la société Aitek du fait de la rupture abusive, la société Aitek sera déboutée de cette demande de paiement de la somme de 100 000 euro et le jugement entrepris sera confirmé de ce chef ;

Sur la demande d'indemnisation de la société Aitek au titre des livraisons contractuelles non effectuées

Considérant que le tribunal a, à juste titre, considéré que le chiffre d'affaires perdu sur la saison automne/hiver 2007 était pris en compte dans le montant de l'indemnité de préavis et qu'en revanche, il convenait d'indemniser la société Aitek au titre de la perte de son chiffre d'affaires due aux livraisons non effectuées des commandes passées en novembre 2006, pour la collection printemps/été 2007, soit la somme de 40 % X 185 199,64 euro = 74 079, 86 euro ; que le jugement déféré sera confirmé sur ce point ;

Sur la demande d'indemnisation de la société Aitek pour mauvaise foi de la société ICD

Considérant que, faute de tout élément de nature à étayer l'existence de ce préjudice, il convient de débouter la société Aitek de cette demande et de confirmer le jugement déféré sur ce point ;

Sur la demande reconventionnelle de la société ICD

Considérant que la société ICD ne démontre pas avoir subi un préjudice du fait de la non-livraison de la saison automne/hiver 2007-2008, dont elle est, d'ailleurs, en grande partie responsable ; que le jugement déféré sera donc confirmé en ce qu'il l'a déboutée de ce chef ;

Par ces motifs : LA COUR, statuant publiquement et contradictoirement. Confirme le jugement déféré, sauf en ce qu'il a estimé fautive l'exécution du contrat par la société ICD, en ce qu'il a considéré qu'il s'agissait d'un contrat de distribution à caractère exclusif et en ce qu'il a condamné la société ICD à payer à la société Aitek la somme de 300 000 euro au titre de l'indemnité de préavis. L'Infirme de ces chefs. Et statuant à nouveau, Déclare non fautive l'exécution du contrat de la part de la société ICD et dit que le contrat de distribution susvisé n'était pas un contrat de distribution exclusive, Condamne la société ICD à payer à la société Aitek la somme de 165 305, 60 euro au titre préjudice découlant de l'absence de préavis, y ajoutant, Déboute les parties du surplus de leurs prétentions, Laisse à chaque partie la charge des dépens d'appel qui seront recouvrés selon les modalités définies à l'article 699 du Code procédure civile, Dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.