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Décisions

CJUE, 1re ch., 15 décembre 2011, n° C-126/11

COUR DE JUSTICE DE L’UNION EUROPEENNE

Ordonnance

PARTIES

Demandeur :

INNO NV

Défendeur :

Unie van Zelfstandige Ondernemers VZW, Organisatie voor de Zelfstandige Modedetailhandel VZW , Couture Albert BVBA

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Tizzano (rapporteur)

Avocat général :

Mme Trstenjak

Juges :

MM. Safjan, Borg Barthet, Ilešic, Mme Berger

CJUE n° C-126/11

15 décembre 2011

LA COUR (première chambre),

1 La demande de décision préjudicielle porte sur l'interprétation de la directive 2005-29-CE du Parlement européen et du Conseil, du 11 mai 2005, relative aux pratiques commerciales déloyales des entreprises vis-à-vis des consommateurs dans le marché intérieur et modifiant la directive 84-450-CEE du Conseil et les directives 97-7-CE, 98-27-CE et 2002-65-CE du Parlement européen et du Conseil et le règlement (CE) n° 2006-2004 du Parlement européen et du Conseil ("directive sur les pratiques commerciales déloyales") (JO L 149, p. 22).

2 Cette demande a été présentée dans le cadre d'un litige opposant INNO NV (ci-après "INNO"), qui exploite une chaîne de magasins homonyme, à l'Unie van Zelfstandige Ondernemers VZW (UNIZO) (Union des entrepreneurs indépendants), à l'Organisatie voor de Zelfstandige Modedetailhandel VZW (Mode Unie) (Organisation des détaillants de mode indépendants) et à Couture Albert BVBA, au sujet d'annonces de réduction de prix envoyées par INNO à ses clients.

Le cadre juridique

Le droit de l'Union

3 Les sixième, huitième et dix-septième considérants de la directive sur les pratiques commerciales déloyales énoncent ce qui suit:

"(6) La présente directive a [...] pour objet de rapprocher les législations des États membres relatives aux pratiques commerciales déloyales, y compris la publicité déloyale, portant atteinte directement aux intérêts économiques des consommateurs et, par conséquent, indirectement aux intérêts économiques des concurrents légitimes. [...] Elle ne couvre ni n'affecte les législations nationales relatives aux pratiques commerciales déloyales qui portent atteinte uniquement aux intérêts économiques de concurrents ou qui concernent une transaction entre professionnels; pour tenir pleinement compte du principe de subsidiarité, les États membres conserveront, s'ils le souhaitent, la faculté de réglementer les pratiques visées, conformément à la législation communautaire. [...]

[...]

(8) La présente directive protège expressément les intérêts économiques des consommateurs contre les pratiques commerciales déloyales des entreprises à leur égard. [...]

[...]

(17) Afin d'apporter une plus grande sécurité juridique, il est souhaitable d'identifier les pratiques commerciales qui sont, en toutes circonstances, déloyales. L'annexe I contient donc la liste complète de toutes ces pratiques. Il s'agit des seules pratiques commerciales qui peuvent être considérées comme déloyales sans une évaluation au cas par cas au titre des dispositions des articles 5 à 9. Cette liste ne peut être modifiée que par une révision de la directive."

4 L'article 1er de cette directive dispose:

"L'objectif de la présente directive est de contribuer au bon fonctionnement du marché intérieur et d'assurer un niveau élevé de protection des consommateurs en rapprochant les dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres relatives aux pratiques commerciales déloyales qui portent atteinte aux intérêts économiques des consommateurs."

5 L'article 2 de ladite directive prévoit:

"Aux fins de la présente directive, on entend par:

[...]

d) 'pratiques commerciales des entreprises vis-à-vis des consommateurs' (ci-après également dénommées 'pratiques commerciales'): toute action, omission, conduite, démarche ou communication commerciale, y compris la publicité et le marketing, de la part d'un professionnel, en relation directe avec la promotion, la vente ou la fourniture d'un produit aux consommateurs;

[...]"

6 L'article 3, paragraphe 1, de la même directive est libellé en ces termes:

"La présente directive s'applique aux pratiques commerciales déloyales des entreprises vis-à-vis des consommateurs, telles que définies à l'article 5, avant, pendant et après une transaction commerciale portant sur un produit."

7 Aux termes de l'article 4 de la directive sur les pratiques commerciales déloyales:

"Les États membres ne restreignent ni la libre prestation de services, ni la libre circulation des marchandises pour des raisons relevant du domaine dans lequel la présente directive vise au rapprochement des dispositions en vigueur."

8 L'article 5 de cette directive, intitulé "Interdiction des pratiques commerciales déloyales", est ainsi rédigé:

"1. Les pratiques commerciales déloyales sont interdites.

2. Une pratique commerciale est déloyale si:

a) elle est contraire aux exigences de la diligence professionnelle,

et

b) elle altère ou est susceptible d'altérer de manière substantielle le comportement économique, par rapport au produit, du consommateur moyen qu'elle touche ou auquel elle s'adresse, ou du membre moyen du groupe lorsqu'une pratique commerciale est ciblée vers un groupe particulier de consommateurs.

[...]

4. En particulier, sont déloyales les pratiques commerciales qui sont:

a) trompeuses au sens des articles 6 et 7,

ou

b) agressives au sens des articles 8 et 9.

5. L'annexe I contient la liste des pratiques commerciales réputées déloyales en toutes circonstances. Cette liste unique s'applique dans tous les États membres et ne peut être modifiée qu'au travers d'une révision de la présente directive."

Le droit national

9 L'article 53 de la loi du 14 juillet 1991 sur les pratiques du commerce et sur l'information et la protection du consommateur (Belgisch Staatsblad, 29 août 1991, p. 18712), telle que modifiée par la loi du 13 janvier 1999 (Belgisch Staatsblad, 23 février 1999, p. 5265, ci-après la "LPPC"), était ainsi rédigé:

"1. Durant les périodes d'attente du 15 novembre au 2 janvier inclus et du 15 mai au 30 juin inclus, dans les secteurs visés à l'article 52, paragraphe 1er, il est interdit d'effectuer [des annonces de réduction de prix et celles suggérant une réduction de prix,] quels que soient le lieu ou les moyens de communication mis en œuvre.

Avant une période d'attente, il est interdit d'effectuer des annonces de réduction de prix ou des annonces suggérant une réduction de prix, qui sortent leurs effets pendant cette période d'attente.

Sans préjudice des dispositions de l'article 48, paragraphe 4, les ventes en liquidation effectuées pendant une période d'attente ne peuvent être assorties d'une annonce de réduction de prix sauf dans les cas et aux conditions que le Roi détermine.

2. Les arrêtés pris en application de l'article 52, paragraphe 2, mentionnent les périodes d'attente pendant lesquelles l'interdiction visée au paragraphe 1 s'applique.

À défaut de réglementation au sens de l'article 52, paragraphe 2, l'interdiction visée au paragraphe 1 s'applique également aux [ventes en solde] visées par ledit article 52, paragraphe 2.

[...]

4. L'interdiction d'annonce de réduction de prix visée aux paragraphes 1er et 2 n'est pas applicable aux ventes de produits effectuées au cours de manifestations commerciales occasionnelles, d'une durée maximale de quatre jours, organisées au maximum une fois par an par des groupements locaux de vendeurs ou avec leur participation.

Le Roi peut fixer les conditions dans lesquelles ces manifestations peuvent être organisées."

10 La LPPC a été abrogée par la loi du 6 avril 2010 relative aux pratiques du marché et à la protection du consommateur (Belgisch Staatsblad, 12 avril 2010, p. 20803). Cette loi est entrée en vigueur le 12 mai 2010 et prévoit, à son article 32, une disposition de même nature que l'article 53 de la LPPC.

Le litige au principal et la question préjudicielle

11 Il ressort de la décision de renvoi qu'INNO exploite en Belgique une chaîne de magasins qui vend aux consommateurs notamment des vêtements de confection, de la lingerie, des accessoires textiles et des articles de maroquinerie.

12 En 2005, INNO a proposé à ses clients la carte de fidélité "Advantage", qui permettait à ceux-ci, moyennant le paiement d'une contribution de 5 euros, de bénéficier d'un certain nombre d'actions promotionnelles.

13 Le 20 décembre 2007, les clients d'INNO titulaires de la carte Advantage qui avaient effectué au moins deux achats au cours de la période allant de septembre 2006 au 30 novembre 2007 ont reçu un courrier les informant que, pour des achats effectués durant la période allant du 26 au 31 décembre 2007 et sur présentation de l'original de ce courrier, ils avaient droit à une réduction pouvant atteindre 50 % du prix de certains produits.

14 Estimant qu'INNO avait enfreint l'interdiction d'annoncer des réductions de prix durant la période d'attente - allant du 15 novembre au 2 janvier inclus et du 15 mai au 30 juin inclus - prévue à l'article 53 de la LPPC, l'UNIZO, Mode Unie et Couture Albert BVBA ont, le 12 février 2008, demandé au juge de cessation d'interdire cette pratique commerciale.

15 Ayant succombé en première et en deuxième instance, INNO s'est pourvue en cassation.

16 Considérant que la solution du litige dont elle est saisie dépend de l'interprétation de la directive sur les pratiques commerciales déloyales, le Hof van Cassatie a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante:

"La [directive sur les pratiques commerciales déloyales] et notamment ses articles 1er, 2, sous d), 3, paragraphe 1, et 5, doivent-ils être interprétés en ce sens que ces dispositions s'opposent à une législation nationale qui, à l'instar de l'article 53, paragraphe 1, premier et troisième alinéas, de la [LPPC], fait interdiction aux commerçants, dans les secteurs visés à l'article 52, paragraphe 1, de cette loi, d'effectuer, durant les périodes d'attente du 15 novembre au 2 janvier inclus et du 15 mai au 30 juin inclus, quels que soient le lieu ou les moyens de communication mis en œuvre, les annonces de réduction de prix et celles suggérant une réduction de prix, telles que visées à l'article 42 de cette loi, ainsi que d'effectuer, avant une période d'attente, des annonces de réduction de prix ou des annonces suggérant une réduction de prix qui sortent leurs effets pendant cette période d'attente, même si, en dépit du double objectif invoqué par le législateur national, à savoir, d'une part, protéger les intérêts des consommateurs et, d'autre part, réglementer les relations concurrentielles entre commerçants, la mesure visée a en réalité pour objet de réglementer ces relations et, vu les autres garanties offertes par la loi, ne contribue pas effectivement à la protection des consommateurs?"

17 Par lettre du 14 juillet 2011, le greffe de la Cour a transmis à la juridiction de renvoi l'ordonnance de la Cour du 30 juin 2011, Wamo (C-288-10, non encore publiée au Recueil), portant sur une demande de décision préjudicielle en substance identique à celle posée dans la présente affaire, en lui demandant si, au vu de cette ordonnance, elle maintenait sa demande de décision préjudicielle.

18 Par lettre déposée le 26 août 2011, ladite juridiction a informé la Cour de son intention de maintenir sa demande.

Sur la question préjudicielle

19 Par sa question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si la directive sur les pratiques commerciales déloyales doit être interprétée en ce sens qu'elle s'oppose à une disposition nationale, telle que celle en cause au principal, qui prévoit une interdiction générale des annonces de réduction de prix et de celles suggérant une telle réduction au cours de la période précédant celle des ventes en solde, dans des secteurs déterminés, compte tenu du fait que, contrairement aux finalités invoquées par le législateur national, cette disposition ne contribuerait pas effectivement à la protection des consommateurs, mais viserait uniquement à régler les relations concurrentielles entre commerçants.

20 En vertu de l'article 104, paragraphe 3, premier alinéa, de son règlement de procédure, lorsque la réponse à une question posée à titre préjudiciel peut être clairement déduite de la jurisprudence, la Cour peut, après avoir entendu l'avocat général, à tout moment, statuer par voie d'ordonnance motivée comportant référence à la jurisprudence en cause.

21 La Cour estime que tel est le cas dans la présente affaire dans la mesure où la réponse à la question posée peut être clairement déduite des arrêts du 14 janvier 2010, Plus Warenhandelsgesellschaft (C-304-08, Rec. p. I-217, points 35 à 51), et du 9 novembre 2010, Mediaprint Zeitungs- und Zeitschriftenverlag (C-540-08, non encore publié au Recueil, points 15 à 38), ainsi que de l'ordonnance Wamo, précitée (points 20 à 40).

22 Afin de répondre à la question posée, il importe, à titre liminaire, de déterminer si l'article 53, paragraphe 1, de la LPPC, qui constitue ratione temporis la disposition applicable aux faits au principal, poursuit des finalités tenant à la protection des consommateurs, de sorte qu'il est susceptible de relever du champ d'application de la directive sur les pratiques commerciales déloyales.

23 À cet égard, dans sa décision de renvoi, le Hof van Cassatie fait état d'une divergence d'interprétation entre celle qu'il donne des finalités de l'article 53, paragraphe 1, de la LPPC et celle opérée par le législateur national. En effet, cette juridiction relève que l'interdiction prévue audit article ne poursuivrait pas l'objectif de protection des consommateurs invoqué par le législateur national, mais viserait seulement à réglementer les relations concurrentielles entre commerçants.

24 C'est précisément compte tenu des finalités de ladite disposition ainsi identifiées, et malgré l'interprétation différente que semble en fournir le législateur national, que la juridiction de renvoi demande à la Cour si la directive sur les pratiques commerciales déloyales s'oppose à une telle norme.

25 Or, il importe de rappeler que la procédure établie à l'article 267 TFUE se fonde, selon une jurisprudence constante, sur une nette séparation des fonctions entre les juridictions nationales et la Cour, cette dernière étant uniquement habilitée à se prononcer sur l'interprétation ou la validité des actes de l'Union visés à cet article. Dans ce cadre, il n'appartient pas à la Cour d'apprécier l'interprétation des dispositions du droit national ou de juger si l'interprétation que la juridiction nationale en donne est correcte (voir, notamment, arrêt du 7 octobre 2010, dos Santos Palhota e.a., C-515-08, non encore publié au Recueil, point 18 et jurisprudence citée).

26 Toutefois, dans le cadre du système de coopération judiciaire établi par la même disposition du traité, la Cour est compétente pour fournir à la juridiction de renvoi des indications de nature à permettre à celle-ci de trancher le litige dont elle est saisie (voir, en ce sens, arrêt du 14 juillet 2011, Henfling e.a., C-464-10, non encore publié au Recueil, point 41).

27 À cet égard, il y a lieu de rappeler que, conformément à son huitième considérant, ladite directive "protège expressément les intérêts économiques des consommateurs contre les pratiques commerciales déloyales des entreprises à leur égard" et assure, ainsi que l'énonce notamment son article 1er, "un niveau élevé de protection des consommateurs en rapprochant les dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres relatives aux pratiques commerciales déloyales qui portent atteinte aux intérêts économiques des consommateurs" (voir, en ce sens, arrêt Mediaprint Zeitungs- und Zeitschriftenverlag, précité, point 24).

28 Sont en revanche exclues du champ d'application de la directive sur les pratiques commerciales déloyales, conformément au sixième considérant de celle-ci, les législations nationales relatives aux pratiques commerciales déloyales qui portent atteinte "uniquement" aux intérêts économiques des concurrents ou qui concernent une transaction entre professionnels (voir arrêts précités Plus Warenhandelsgesellschaft, point 39, et Mediaprint Zeitungs- und Zeitschriftenverlag, point 21).

29 Dès lors, une disposition nationale telle que celle en cause au principal n'est pas susceptible de relever du champ d'application de la directive sur les pratiques commerciales déloyales si elle se limite seulement, comme le considère la juridiction de renvoi, à réglementer les relations concurrentielles entre commerçants et ne poursuit pas des finalités tenant à la protection des consommateurs.

30 En revanche, si l'article 53, paragraphe 1, de la LPPC vise, parmi ses finalités, à protéger les consommateurs de telles pratiques, il y a lieu de considérer que les annonces de réduction de prix et celles suggérant une telle réduction, objet de l'interdiction en cause au principal, constituent des pratiques commerciales au sens de l'article 2, sous d), de la directive sur les pratiques commerciales déloyales et sont, dès lors, soumises aux prescriptions édictées par cette dernière (voir ordonnance Wamo, précitée, points 29 à 31).

31 Toutefois, pour les raisons déjà exposées aux points 32 à 40 de l'ordonnance Wamo, précitée, il y a lieu de constater que l'article 53, paragraphe 1, de la LPPC, contrairement aux exigences de ladite directive, prohibe de manière générale les annonces de réduction de prix et celles suggérant une telle réduction, sans qu'il soit nécessaire de déterminer, au regard du contexte factuel de chaque espèce, si l'opération commerciale en cause présente un caractère "déloyal" à la lumière des critères énoncés aux articles 5 à 9 de la directive sur les pratiques commerciales déloyales.

32 Dans ces conditions, il y a lieu de répondre à la question posée que la directive sur les pratiques commerciales déloyales doit être interprétée en ce sens qu'elle s'oppose à une disposition nationale, telle que celle en cause au principal, qui prévoit une interdiction générale des annonces de réduction de prix et de celles suggérant une telle réduction au cours de la période précédant celle des ventes en solde, pour autant que cette disposition poursuit des finalités tenant à la protection des consommateurs.

Sur les dépens

33 La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (première chambre) dit pour droit:

La directive 2005-29-CE du Parlement européen et du Conseil, du 11 mai 2005, relative aux pratiques commerciales déloyales des entreprises vis-à-vis des consommateurs dans le marché intérieur et modifiant la directive 84-450-CEE du Conseil et les directives 97-7-CE, 98-27-CE et 2002-65-CE du Parlement européen et du Conseil et le règlement (CE) n° 2006-2004 du Parlement européen et du Conseil ("directive sur les pratiques commerciales déloyales"), doit être interprétée en ce sens qu'elle s'oppose à une disposition nationale, telle que celle en cause au principal, qui prévoit une interdiction générale des annonces de réduction de prix et de celles suggérant une telle réduction au cours de la période précédant celle des ventes en solde, pour autant que cette disposition poursuit des finalités tenant à la protection des consommateurs.