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Décisions

CA Rennes, 3e ch. corr., 1 avril 1993, n° 602-93

RENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

X

Défendeur :

Syndicat des Horlogers Bijoutiers du Morbihan, Ministère public

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Casorla

Avocat général :

M. Lagriffoul

Conseillers :

Mme Algier, M. le Quinquis

Avocat :

Mes Fourgoux Dupeux

T. corr. Vannes, du 4 juin 1992

4 juin 1992

Statuant sur les appels interjetés le 7 juillet 1992 par la prévenue et la partie civile d'un jugement contradictoirement rendu le 4 juin 1992 avant dire droit par le Tribunal correctionnel de Vannes qui a rejeté une demande d'un sursis à statuer et par la partie civile le 13 juillet 1992, le 7 juillet 1992 par la prévenue et le Ministère public d'un jugement contradictoirement rendu le 2 juillet 1992 qui, statuant au fond, après avoir rejeté l'exception d'illégalité soulevée a condamné X Maryvonne à 20 000 F d'amende et a dit n'y avoir lieu à confiscation des bijoux mis en vente et sur l'action civile a condamné X Maryvonne à payer au syndicat des Bijoutiers, Horlogers Joailliers du Morbihan la somme de 1 F à titre de dommages intérêts et a ordonné à titre de réparation du préjudice la publication du jugement dans les journaux Ouest France, la Liberté du Morbihan, la France Horlogère et la Lettre d'Orion dans la limite de 3 000 F par insertion ;

Sur l'appel formé contre le jugement avant dire droit prononcé le 4 juin 1992 :

Considérant que le jugement du 4 juin 1992 prononcé contradictoirement a été frappé d'appel par la prévenue le 7 juillet 1992 et par la partie civile le 13 juillet 1992 ;

Considérant que si le jugement était distinct de la décision sur le fond, il n'en incombait pas moins aux parties qui estimaient devoir en faire appel d'interjeter celui-ci dans le délai de 10 jours prévu par l'article 498 du Code de procédure pénale suivant le prononcé du jugement avant dire droit, conformément aux prescriptions de l'article 507 du Code de procédure pénale ;

Considérant que l'appel principal du prévenu a été interjeté plus de 10 jours après le prononcé du jugement avant dire droit ; qu'il est irrecevable ; qu'il en est de même de l'appel incident de la partie civile ;

Considérant en revanche que les appels formés contre le jugement sur le fond sont recevables ;

Considérant qu'il est fait grief à la prévenue d'avoir à Vannes, le 22 novembre 1991, en tout cas courant novembre 1991, depuis moins de trois ans :

1°) contrevenu à la législation et à la règlementation sur les ventes ou déballage, sous forme de liquidations, par violation des dispositions liées : au changement d'enseigne, au changement de structure (travaux insuffisants), aux marchandises en stock (dont certaines avaient été achetées moins de 3 mois avant la demande d'autorisation)

2°) commis le délit de publicité mensongère en ayant indiqué par voie d'affichage ou par tout autre moyen qu'il s'agissait d'une "liquidation totale", alors que près de 50% du stock ne pouvait aux termes de la prévention n° 1, être effectivement "liquidé".

Faits prévus et réprimés par les articles 2, 3, 6-4 et 7 du décret 62-1463 du 26 novembre 1962 pris en application de la loi du 30 décembre 1906, 44-1 de la loi du 27 décembre 1973 sur la publicité mensongère, 1er de la loi du 1er août 1905.

Considérant qu'il ressort du dossier et des débats les éléments suivants :

A la suite de plaintes déposées par 5 concurrents à l'encontre de Mme X, PDG de la SA X Bijoutier Joaillier centre commercial Continent à Vannes, la Direction de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes du Morbihan (DGCCRF) ouvrait une enquête sur la licéité d'une opération de liquidation totale de la marchandise du fonds de commerce exploité par cette société, se déroulant du 14 novembre 1991 au 7 décembre 1991. Il apparaissait que Mme X avait déposé une demande le 4 octobre 1991 à la mairie de Vannes pour être autorisée à procéder à cette liquidation en y joignant les documents obligatoires prévus par les dispositions en vigueur. Elle justifiait sa demande par un changement d'enseigne et des travaux de rénovation du magasin. L'autorisation était accordée par arrêté municipal du 18 octobre 1991.

Les enquêteurs relevaient que si la SA X avait quitté au cours de l'année 1991 le groupement Codhor qui avait été placé en redressement judiciaire pour adhérer au groupement Les Nouveaux Bijoutiers et si le nom de ce groupement allait, sur les éléments de publicité remplacer le précédent, demeurait à titre principal sur l'enseigne la mention "X" de sorte que n'apparaissait pas véritablement un changement de cette enseigne ;

Ils constataient encore que les travaux d'aménagement du magasin étaient d'importance minime (2 492 000 F HT pour un chiffre d'affaire annuel d'environ 7 000 000 F) et ne tendaient pas à modifier la structure du magasin ;

Ils observaient enfin qu'en déposant sa demande Mme X avait l'obligation de justifier qu'elle était en possession des marchandises à écouler depuis au moins 3 mois soit avant le 4 juillet 1991 alors qu'il résultait de la liste des marchandises déposée par elle à la mairie que les articles dans la proportion de 45,96 % du total avaient été achetées entre le 4 juillet et le 19 août 1991, des réassortiments ayant au surplus été achetés durant la 2ème quinzaine du mois d'août et en septembre 1991 ;

Il leur apparaissait ainsi que les marchandises avaient été achetées en vue de la liquidation ;

Ils relevaient une infraction au décret du 6 novembre 1962 et à la loi du 30 décembre 1906 ;

Enfin la SA X ayant réalisé une abondante publicité, notamment sous la forme de prospectus portant les termes "liquidation totale", alors que 45,96 % des marchandises mise en vente outre les réassortiments ne rentraient pas dans le cadre de la liquidation, cette publicité avait abusé le consommateur sur les motifs ou procédés de vente au sens de l'article 44-1 de la loi du 27 décembre 1973. Ils relevaient en conséquence une infraction de publicité mensongère ou de nature à induire en erreur ;

Maryvonne X demande de réformer le jugement qui a rejeté une exception d'illégalité de l'article 6-7° et 6-4° du décret du 26 novembre 1962 et de faire droit à cette exception au motif que l'autorité règlementaire a outrepassé les prescriptions de la loi du 30 décembre 1906 sur les ventes au déballage dont ledit décret précisait les modalités d'application,

A titre plus subsidiaire encore, elle sollicite la relaxe au motif que le changement d'enseigne du magasin ainsi que les travaux d'aménagement réalisés constituaient au sens de l'article 3 du décret du 26 novembre 1962 une modification de la structure et des conditions d'exploitation du commerce permettant de demander l'autorisation de procéder à une liquidation.

En ce qui concerne l'obligation imposée par l'article 6-7° du décret de justifier qu'elle était en possession des marchandises depuis 3 mois au moins elle fait valoir, que des circonstances exceptionnelles, admises par le décret, l'affranchissaient de cette contrainte ;

Le syndicat des Horlogers Bijoutiers, Joailliers du Morbihan demande de confirmer les jugements et de condamner Maryvonne PICARD à lui verser la somme de 10 000 F par application de l'article 475-1 du Code de procédure pénale ;

DISCUSSION

Sur l'exception d'illégalité des dispositions de l'article 6-7° et 6-4° du décret du 26 novembre 1962 :

Considérant que les juges doivent apprécier la légalité d'une disposition règlementaire dès lors qu'ils sont saisis d'une exception à cet égard et que cette disposition sert de fondement aux poursuites ;

Considérant qu'il est fait grief à Maryvonne X suivant la citation directe d'avoir contrevenu à la législation et la règlementation sur les ventes au déballage sous forme de liquidation par violation des dispositions liées notamment aux marchandises en stock (dont certaines avaient été achetées moins de 3 mois avant la demande d'autorisations) et d'avoir "commis le délit de publicité mensongère en ayant indiqué par voie d'affichage ou par tout autre moyen qu'ils s'agissait d'une "liquidation totale" alors que près de 50 % du stock ne pouvait aux termes de la prévention n° 1 être effectivement liquidé" ;

Considérant que la prévention se réfère aux termes de l'article 6-7° et 4° du décret du 26 novembre 1962, cet article étant visé dans la citation ; qu'il sert ainsi de fondement aux poursuites ;

Considérant que la loi du 30 décembre 1906 complétant la loi du 25 juin 1841 a règlementé les ventes au déballage ; qu'un décret a été pris le 26 novembre 1962 "précisant les modalités d'application de la loi du 30 novembre 1906 sur les ventes au déballage complétant la loi du 25 juin 1841" ;

Considérant que le décret constituait non un règlement autonome au sens de l'article 37 de la Constitution du 4 octobre 1958 mais un règlement pris en application d'une loi antérieure ; qu'il convient de rechercher si les dispositions de ce décret n'ont pas violé la loi dont il devait préciser les modalités d'application ;

Considérant que l'article 1er de la loi du 30 décembre 1906 édicte que les ventes de marchandises neuves ne pourront être faites sous la forme de liquidations sans une autorisation spéciale du Maire ; que le demandeur sera tenu de fournir un inventaire détaillé des marchandises à liquider, en indiquant leur importance en numéraire et le délai nécessaire pour leur écoulement ; qu'il pourra être tenu de justifier de la provenance des marchandises par la production de ses livres et de ses factures ; qu'enfin pendant la durée de la liquidation il lui sera interdit de recevoir d'autres marchandises que celles figurant à l'inventaire pour lequel l'autorisation aura été accordée ;

Considérant que l'article 6 du décret énumère les justifications que le vendeur est tenu de présenter à l'appui de sa demande d'autorisation ; que l'article 6-4° précise qu'il devra justifier de sa qualité de propriétaire des marchandises ainsi que de leur provenance par la production de ses livres et factures et l'article 6-7° qu'en cas de liquidation et sauf circonstances exceptionnelles il devra justifier qu'il est en possession des marchandises à écouler depuis 3 mois au moins ;

Considérant qu'un décret d'application qui ajoute des conditions supplémentaires à celles prescrites par la loi est entaché d'illégalité ;

Considérant qu'en l'espèce, la loi avait édicté que pendant la durée de la liquidation il serait interdit au vendeur de recevoir d'autres marchandises que celles figurant à l'inventaire le commerçant n'étant pas soumis à des obligations particulières quant à la date d'acquisition des marchandises ; que le décret a imposé des conditions plus strictes et contraires à la loi puisque le vendeur devait justifier qu'il était en possession "des marchandises depuis 3 mois au moins à la date de la demande" ; que cette disposition est ainsi illégale ;

Considérant en outre qu'en imposant au vendeur de justifier de sa qualité de propriétaire des marchandises alors que la loi n'avait pas prévu une telle obligation le décret a abusivement restreint le champ d'application de la loi ; que cette disposition est illégale ;

Considérant qu'il sera ainsi fait droit à l'exception d'illégalité en ce qui concerne l'article 6-4° et 7° du décret ; que les autres dispositions du décret ne sont pas atteintes par cette illégalité dès lors qu'elles n'apparaissent pas indivisibles des premières, étant observé en outre que le demandeur à l'exception a limité ses demandes aux 2 dispositions analysées plus haut ;

Sur l'infraction à la loi sur les ventes au déballage :

Considérant que les dispositions du décret concernant l'obligation de justifier que le vendeur est en possession des marchandises depuis 3 mois au moins étant illégales il en découle qu'il ne peut être fait grief à Maryvonne X d'avoir violé ces dispositions ;

Considérant en revanche que la cour doit rechercher si elle a contrevenu aux dispositions du décret applicable au changement d'enseigne et aux changements de structure (travaux insuffisants) ;

Considérant que le décret du 26 décembre 1962 énonce que sont considérées comme liquidation au sens de la loi du 30 décembre 1906 les ventes accompagnées ou précédées de publicité présentant un caractère réellement ou apparemment occasionnel ou exceptionnel annoncées comme tendant à l'écoulement accéléré de la totalité ou d'une partie des marchandises d'une entreprise à la suite de la décision de cesser un commerce, d'en modifier la structure ou les conditions d'exploitation que cette décision soit volontaire ou qu'elle intervienne sous forme d'une vente forcée rendue nécessaire par un événement indépendant de la volonté du propriétaire ;

Considérant qu'il est fait grief à Maryvonne X d'avoir procédé à une liquidation alors que ni la structure ni les conditions d'exploitation du commerce n'étaient en réalité modifiées, le changement d'enseigne ne correspondant pas à la réalité et les travaux étaient insuffisants ;

Considérant en ce qui concerne le changement d'enseigne qu'il n'est pas contesté que jusqu'au 1er mai 1991 la SA Bijouterie Joaillerie "X" était adhérente à un groupement d'achat et de conseil dénommé Codhor qui a connu à cette date de graves difficultés ayant provoqué son redressement judiciaire ; que ces difficultés se sont répercutées sur la SA X ; que cette dernière a décidé alors d'adhérer à un autre groupement "Les Nouveaux Bijoutiers" ;

Considérant que l'enseigne de la bijouterie portait associés les noms X d'une part, Codhor d'autre part ; que dans le cadre de travaux de rénovation du magasin qui ont suivi l'opération de liquidation les enseignes ont été remplacées sur la façade du magasin par des panneaux de forme différente regroupant le nom X et la marque Les Nouveaux Bijoutiers ;

Considérant que des pièces produites il apparait que la substitution de la marque Les Nouveaux Bijoutiers à la marque Codhor constituait une modification des conditions d'exploitation du commerce, eu égard à l'importance que revêtait pour le fonctionnement de la bijouterie un tel groupement auprès duquel le commerçant s'approvisionnait pour la plus grande partie des marchandises proposée à la vente et qui lui prodiguait une assistance technique et eu égard à l'écho que ne pouvait manquer de susciter chez le consommateur l'usage de la marque dudit groupement au travers de la publicité qu'il effectuait pour assurer son renom ;

Considérant que la décision de modifier les conditions d'exploitation de la bijouterie légitimait la liquidation sollicitée par la SA Bijouterie X ; qu'une telle opération commerciale présentait un caractère exceptionnel cette SA, exploitant de longue date la bijouterie, n'ayant auparavant jamais réalisée une liquidation ;

Considérant qu'il est sans intérêt de rechercher si les travaux entrepris étaient d'une importante telle qu'il modifiaient la structure ou les conditions d'exploitation de l'entreprise commerciale dès lors que l'adhésion à un nouveau groupement constitue à elle seule une modification des conditions d'exploitation au sens du décret du 26 novembre 1962 légitimant la liquidation ;

Considérant qu'il apparait ainsi que la prévenue n'a pas contrevenu à la règlementation sur les ventes au déballage ; qu'il convient de réformer le jugement et de renvoyer Maryvonne PICARD des fins de la poursuite pour cette infraction ;

Sur le délit de publicité mensongère :

Considérant qu'il est fait grief à Maryvonne X d'avoir réalisé une publicité vantant la liquidation totale du stock de marchandises de la bijouterie alors que près de 50 % de ce stock ne pouvait être effectivement liquidés dans la mesure où il avait été acheté moins de 3 mois avant la demande d'autorisation ;

Considérant que l'illégalité affectant l'article 6-7° de la loi interdit d'invoquer cette disposition contre Maryvonne X ;

Qu'aucun autre grief n'est formulé contre la publicité ; qu'elle n'apparait pas critiquable ;

Considérant dès lors qu'il n'est pas établi que la publicité effectuée par Maryvonne X à l'occasion de la liquidation pour laquelle le Maire de Vannes avait délivré une autorisation soit mensongère ; qu'il convient de la renvoyer des fins de la poursuite pour cette infraction ;

SUR L'ACTION CIVILE :

Considérant que la prévenue étant relaxée, le syndicat des Horlogers Bijoutiers Joailliers du Morbihan sera débouté de toutes ses demandes ;

Par ces motifs : Statuant publiquement et contradictoirement ; En la forme : Déclare irrecevable l'appel formé par la prévenue et la partie civile contre le jugement avant dire droit prononcé le 4 juin 1992 ; Déclare recevable l'appel formé par la prévenue et le Ministère public contre le jugement au fond prononcé le 2 juillet 1992. Au fond : Réforme le jugement : Fait droit à l'exception d'illégalité, Renvoie la prévenue des fins de la poursuite ; Déboute la partie civile de ses demandes.