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Décisions

CA Aix-en-Provence, 2e ch., 25 janvier 2012, n° 10-17553

AIX-EN-PROVENCE

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Achre (SARL)

Défendeur :

La Demeure (SARL), Dumay

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Simon

Conseillers :

MM. Fohlen, Prieur

Avoués :

SCP Cohen Guedj, SCP Sider

Avocat :

Me Mamelli

T. com. Marseille, du 23 sept. 2010

23 septembre 2010

La SARL Achre qui édite un magazine annuel ayant pour titre "Maguen David Magazine" a conclu, le 20 novembre 2008, dans des circonstances aujourd'hui controversées, un contrat d'insertion publicitaire portant sur une page du magazine avec la SARL La Demeure ou monsieur Charles Dumay, exploitant un fonds artisanal dénommé La Demeure inscrit au Répertoire des Métiers. Son interlocuteur lors de la signature était monsieur Jacques Dumay. Monsieur Charles Dumay, par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 3 décembre 2008, a "annulé" le contrat d'insertion publicitaire d'un montant de 4 305,60 euro TTC au motif d'une confusion entre les deux entités portant le même nom.

Par jugement contradictoire en date du 23 septembre 2010, le Tribunal de commerce de Marseille a débouté la SARL Achre de sa demande en paiement dirigée contre monsieur Charles Dumay et la SARL La Demeure au motif d'une exécution de mauvaise foi du contrat de la part de la SARL Achre et l'a condamnée à payer à la SARL La Demeure la somme de 1 500 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

La SARL Achre a régulièrement fait appel de ce jugement dans les formes et délais légaux.

Vu les dispositions des articles 455 et 954 du Code de procédure civile dans leur rédaction issue du décret N° 98-1231 en date du 28 décembre 1998.

Vu les conclusions au fond de la SARL Achre en date du 8 février 2011 tendant à faire juger :

- que tant Monsieur Charles Dumay que la SARL La Demeure ne sont pas fondés à se prévaloir des dispositions protectrices du Code de la consommation, s'agissant d'un contrat conclu par un commerçant ou artisan pour les besoins de son activité professionnelle,

- que la clause du contrat d'insertion publicitaire par laquelle il est interdit à l'annonceur d'annuler le contrat une fois celui-ci signé est valide et n'est pas léonine, l'invocation de l'usage contraire invoqué d'une annulation possible jusqu'au bon à tirer étant inopérante,

- que la condamnation au paiement doit être prononcée solidairement, le tampon commercial apposé sur le contrat étant au nom de l'entreprise artisanale et les deux lettres de change remises lors de la conclusion du contrat étant également au nom de l'entreprise artisanale et tirées sur son compte bancaire, par contre un RIB au nom de la SARL La Demeure étant remis à la SARL Achre,

- que des liens étroits existent entre les deux entités proximité géographique, activités voisines, identité de modes de prospection, usage de la même désignation, liens familiaux révélés par l'homonymie des dirigeants (...), et que les deux entités ont entretenu volontairement une confusion entre elles et n'ont pas entendu retourner le bon à tirer dans le délai de huit jours qui leur avait été imparti ;

Vu les conclusions de l'entreprise artisanale La Demeure exploitée par Monsieur Charles Dumay et de la SARL La Demeure en date du 19 mai 2011 tendant à faire juger :

- que les deux entités juridiques étant distinctes, il ne peut être imputé à la SARL La Demeure la conclusion du contrat litigieux par le simple fait de la remise d'un RIB,

- que la clause 12 du contrat litigieux privant l'annonceur de la possibilité d'annuler sa commande est nulle au regard du Code de la consommation tant il présente un caractère léonin,

- subsidiairement, qu'au regard du Code de commerce, le contrat d'insertion publicitaire est nul car il comporte un déséquilibre significatif entre les droits respectifs des parties (contrat d'adhésion préétablie sans réelle négociation, ni possibilité de rétractation ou d'annulation),

- qu'il existe un usage professionnel voulant que l'annulation reste possible jusqu'à un court délai avant la parution de la publicité (en l'espèce, l'annulation est intervenue cinq mois avant la date prévue pour la parution),

- que la SARL Achre est de mauvaise foi et n'a pas véritablement subi de préjudice découlant de l'annulation bien antérieure à la parution ;

L'ordonnance de clôture de l'instruction de l'affaire a été rendue le 18 novembre 2011.

Attendu que l'ordre d'insertion publicitaire, signé le 20 novembre 2008, porte le timbre humide de l'entreprise artisanale "La Demeure" exploitée par Monsieur Charles Dumay à titre individuel, (...), cette entreprise étant représentée pour la conclusion du contrat par une personne se présentant comme étant Monsieur Jacques Dumay ; que le paiement devait être effectué au mois de juin 2009 ; que deux lettres de change d'un montant total de 2 418,60 euro étaient créées, le 20 novembre 2008, avec indication des références bancaires de la SARL La Demeure, portaient le timbre humide de l'entreprise artisanale "La Demeure" et étaient remises à la SARL Achre ; que ces lettres de change ont été acceptées par le tiré, le 15 mai 2009 ;

Attendu que l'ordre d'insertion a été souscrit par l'entreprise artisanale "La Demeure" qui y a apposé son timbre humide, avec son adresse et son numéro de téléphone ; que Monsieur Charles Dumay, dont l'entreprise individuelle est immatriculée au répertoire des Métiers sous l'appellation "La Demeure", informé de l'existence du contrat par "l'un de ses collaborateurs" a d'ailleurs écrit, le 3 décembre 2008, à la SARL Achre pour "dénoncer le contrat" qu'il considérait comme nul dès lors qu'il était seul "décisionnaire" pour engager son entreprise ;

Attendu qu'il ressort de ces éléments que le contrat a été conclu par l'entreprise artisanale "La Demeure", désignée précisément comme l'annonceur ; que Monsieur Jacques Dumay, par ailleurs gérant de la SARL La Demeure, dont le siège social est situé (...) et qui a une activité connexe à celle de l'entreprise artisanale "La Demeure", outre l'existence de liens familiaux entre les deux entités, a engagé l'entreprise artisanale "La Demeure" en signant un ordre d'insertion publicitaire et en remettant à la SARL Achre deux lettres de change acceptées ;

Attendu que la SARL La Demeure n'est pas liée avec SARL la Achre par des engagements contractuels dont elle est demeurée totalement étrangère, la remise par l'entreprise artisanale "La Demeure" (celle de Monsieur Charles Dumay) d'un RIB comportant les références bancaires de la SARL La Demeure, qui ont été utilisées pour confectionner les lettres de change étant inopérante pour conférer à la SARL La Demeure la qualité de partie au contrat ;

Attendu que le bon d'insertion comportait des conditions générales de vente très lisibles selon lesquelles "le présent ordre une fois signé ne pourra plus faire l'objet d'aucune annulation une fois signé par l'annonceur" ; que le caractère définitif de la commande est expressément rappelé, outre qu'il est "confirmé" par le fait que l'annonceur, Monsieur Jacques Dumay pour le compte de l'entreprise artisanale "La Demeure" a remis, le jour de la conclusion du bon d'insertion publicitaire, à la SARL Achre deux lettres de change en paiement de la prestation de publicité ;

Attendu que l'entreprise artisanale "La Demeure" n'est pas fondée à invoquer les dispositions protectrices du Code de la consommation (relativement au délai de rétractation, à des clauses prétendument léonines (...)) ; qu'elles ne s'appliquent pas lorsque le contrat a un rapport direct avec l'activité artisanale ; qu'en l'espèce, il s'agit d'un contrat d'annonce publicitaire conclu pour les besoins de son activité professionnelle par l'entreprise artisanale "La Demeure" ; que de même l'entreprise artisanale "La Demeure" ne peut se prévaloir de l'usage professionnel qui voudrait qu'une faculté d'annulation demeure pendant un certain délai avant la parution de l'annonce ; qu'une telle faculté avait été expressément exclue par le bon d'insertion publicitaire aux termes de stipulations parfaitement valables, même si elles peuvent être contraires à l'usage professionnel invoqué ;

Attendu que l'entreprise artisanale "La Demeure" ne peut invoquer l'absence d'un bon à tirer dès lors qu'elle a été mise en demeure de fournir les éléments graphiques permettant la réalisation de l'annonce publicitaire et qu'elle ne les a pas communiqués à la SARL Achre dans le délai imparti ; qu'il convient d'entrer en voie de condamnation pour le montant convenu ;

Attendu qu'il n'y a pas lieu de faire application de l'article 9 (et non 11 comme il a été sollicité) du contrat relatif à une clause pénale ;

Attendu qu'il n'y a pas lieu de faire application de l'article 700 du Code de procédure civile ;

LA COUR, statuant suivant arrêt contradictoire par sa mise à la disposition des parties au greffe de la cour d'appel, Déclare recevable l'appel interjeté par la SARL Achre. Réforme le jugement déféré en toutes ses dispositions. Statuant à nouveau, condamne Monsieur Charles Dumay exploitant à titre individuel l'entreprise artisanale "La Demeure" à porter et payer à la SARL Achre la somme de 4 305,60 euro TTC, outre intérêts au taux légal à compter de la demande en justice. Condamne l'entreprise artisanale "La Demeure" aux dépens d'appel dont distraction au profit de la S.C.P. d'Avoués Associés Hervé Cohen - Laurent Cohen & Paul Guedj, qui en a fait la demande, conformément à l'article 699 du Code de procédure civile.