CA Versailles, 12e ch., 2 octobre 2012, n° 11-03641
VERSAILLES
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Schmidt Technology GmbH (SARL)
Défendeur :
Steinel (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Rosenthal
Conseillers :
Mmes Brylinski, Poinseaux
Avocats :
SCP Debray Chemin, Mes Riedel, Binoche, Canton
Vu l'appel interjeté par la société Schmidt Technology GmbH d'un jugement rendu le 3 mai 2011 par le Tribunal de commerce de Nanterre lequel, sous le bénéfice de l'exécution provisoire :
* a rejeté l'exception d'incompétence soulevée par la société Schmidt Technology GmbH et s'est déclaré compétent,
* a dit que le droit français devait s'appliquer,
* l'a condamnée à payer à la société Steinel la somme de 294 000 euro à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait du caractère brutal de la rupture de la relation commerciale établie entre les deux sociétés,
* l'a condamnée à payer à la société Steinel la somme de 10 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux dépens,
* a débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires ;
Vu les écritures en date du 7 mars 2012, par lesquelles la société Schmidt Technology GmbH demande à la cour, au visa des articles D. 442-3 et suivants et L. 442-6 I 5° du Code de commerce, 1134 et 1135 du Code civil, outre divers constater et dire, d'infirmer cette décision et :
* principalement, de débouter la société Steinel de toutes ses demandes et de son appel incident, et subsidiairement, de fixer son préjudice, pour un préavis n'excédant pas trois mois, à partir de la marge brute calculée sur le chiffre d'affaires de la seule année 2008, avec abattement de 15 %,
* de condamner la société Steinel à lui payer les sommes de 326 893 euro à titre de dommages et intérêts à raison de la perte de marge qui aurait dû être réalisée en France de 2005 à 2008 et de 50 000 euro en réparation d'un préjudice d'image,
* de condamner la société Steinel à lui verser la somme de 80 000 euro par application de l'article 700 du Code de procédure civile et aux dépens avec distraction ;
Vu les dernières écritures en date du 23 mai 2012 par lesquelles la société Steinel prie la cour, au visa des articles L. 442-6 I 5° du Code de commerce et 1382 du Code civil, outre divers dire et juger :
* de confirmer le jugement entrepris sauf en ce qu'il a fixé la durée du préavis à dix-huit mois et retenu comme base de calcul les chiffres d'affaires des trois derniers exercices connus précédant la rupture de la relation commerciale,
* de fixer cette durée à vingt-quatre mois et de retenir comme base le chiffre d'affaires des cinq derniers exercices précédant la rupture,
* de condamner la société Schmidt à lui verser la somme de 480 645,90 euro en réparation du préjudice résultant de la rupture brutale de la relation commerciale établie,
* de débouter la société Schmidt de sa demande reconventionnelle,
* de condamner la société Schmidt à lui payer la somme de 90 469,73 euro hors taxes au titre du remboursement des frais irrépétibles et aux entiers dépens avec distraction ;
SUR CE, LA COUR,
Considérant que, pour un exposé complet des faits et de la procédure, il est expressément renvoyé au jugement déféré et aux écritures des parties ; qu'il convient de rappeler que :
* Le 9 octobre 1985, la société Schmidt, fabricant de presses, a confirmé par courrier la société Steinel en qualité de distributeur exclusif pour la France, cette dernière cessant de distribuer les presses concurrentes, et les relations entre les parties se sont poursuivies à compter de cette date ;
* le 17 janvier 2007, la société Schmidt a informé la société Steinel par courriel que sa limite de crédit était dépassée et a demandé, comme préalable à la poursuite de ses livraisons, le paiement d'un solde de 114 810,16 euro, intégralement effectué le 29 mars 2007 par la société Steinel, laquelle a protesté par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 19 avril 2007 ;
* à la suite d'échanges entre les deux sociétés, la société Schmidt a indiqué par courrier du 30 septembre 2008 à la société Steinel l'expiration de son contrat de distribution au 31 décembre 2008,
* le 14 octobre 2008, la société Steinel a contesté par lettre recommandée avec accusé réception cette décision, que la société Schmidt a confirmée par courrier du 28 octobre 2008 ;
* par acte d'huissier de justice du 8 avril 2009, la société Steinel a assigné la société Schmidt devant le Tribunal de commerce de Nanterre aux fins de réparation de ses préjudices causés par la rupture brutale de la relation commerciale ;
Sur les conditions de la rupture des relations commerciales :
Considérant que la société Schmidt demande l'infirmation du jugement ayant porté le délai du préavis de trois à dix-huit mois, soutenant qu'elle était en droit de résilier ses relations avec la société Steinel sans aucun préavis, en raison de l'inexécution par celle-ci de ses obligations, à défaut d'exécution loyale et active de son rôle de distributeur de ses produits ;
qu'elle reproche à la société Steinel l'arrêt de ses efforts de commercialisation de ses produits à compter de l'année 2003, époque de son dernier plan d'action à cet égard après la chute brutale du montant de ses achats, puis la réduction de ses moyens, de son personnel à un unique agent commercial et de la surface de ses locaux à 55 m², excluant l'exposition du matériel ;
qu'elle fait valoir ses réclamations sur ces points en 2003, 2007 et 2008, ainsi que ses demandes d'explications sur la baisse du chiffre d'affaires en 2003 et 2007, nonobstant l'absence de chiffre convenu, mais justifiées par sa baisse de 30 % entre 2002 et 2007 ;
qu'elle souligne que la société Steinel a bénéficié du temps nécessaire, mais ne s'est pas réorganisée, la présente comme un distributeur multimarques, n'ayant effectué aucun investissement pour la marque Schmidt, ne finançant aucun stock et l'ayant très rapidement remplacée par la société Mäder, dont elle présentait les presses au salon Motek le 10 mars 2009, et observe que la rupture était prévisible pour la société Steinel, ainsi que le démontre sa lettre du 10 septembre 2008 ;
qu'elle demande subsidiairement le calcul du préjudice de la société Steinel par référence à la seule année 2008, en lui affectant un coefficient de réduction de 10 %, au vu de la chute constante du chiffre d'affaires depuis 2003, et de 15 % au titre des coûts variables économisés, et en appliquant un correctif pour tenir compte de la poursuite des livraisons Schmidt en 2009 et du chiffre d'affaires réalisé avec des produits concurrents ;
Considérant que la société Steinel soutient le caractère brutal et infondé, au sens de l'article L. 442-6-I 5° du Code de commerce, de la rupture des relations commerciales, comme représentant et importateur exclusif, bénéficiant d'un rabais de 25 %, établies depuis 1985 ;
qu'elle fait valoir la continuité de ces relations durant vingt-deux ans, l'intensité de la coopération commerciale entre les parties, et sa relation de dépendance à la société Schmidt, son premier fournisseur ;
qu'elle reproche à la société Schmidt ses agissements fautifs caractérisant la rupture brutale, lorsque ses pressions commerciales destinées à influer sur sa structure, ont été mises en échec, l'amenant à reprendre à son compte la distribution de ses produits en France, par la création d'une filiale en janvier 2009 ;
qu'elle considère comme fautives la création d'une limite de crédit en janvier 2007, permettant à la société Schmidt de refuser d'honorer ses commandes en janvier et mars de la même année, en contradiction avec la pratique suivie jusqu'alors, ainsi que l'exigence du remboursement, en avril 2007, à hauteur de 46 000 euro, des frais exposés à un salon professionnel ;
qu'elle conteste les vagues griefs exposés par la société Schmidt dans sa lettre de rupture, ainsi que le préavis d'une durée de trois mois accordé au terme d'une relation commerciale de vingt-deux ans, au cours de laquelle le chiffre d'affaires a constamment progressé durant dix-huit ans ;
qu'elle souligne le défaut de réclamation de la société Schmidt, lors des événements qu'elle lui reproche a posteriori, tels que l'insuffisance de personnel, dont le rapport avec la baisse conjoncturelle du chiffre d'affaires n'est pas démontré en période de crise économique, et en comparaison avec les résultats réalisés dans d'autres pays européens, et soutient l'absence d'objectif contractuel de chiffre d'affaires ;
qu'elle demande la prise en compte de sa situation de dépendance économique, la réparation de la perte subie et du gain manqué, alors que, les produits Schmidt représentant la moitié de son chiffre d'affaires lors de la rupture, un délai de trois mois était insuffisant pour permettre leur remplacement et la réparation du préjudice ainsi causé par sa désorganisation ;
qu'elle réfute l'utilité d'un hall d'exposition destiné à des clients peu mobiles, ainsi que d'un stock des produits, mais invoque la nécessité dans laquelle elle s'est trouvée d'embaucher deux commerciaux, pour pallier la perte de chiffre d'affaires subie, et d'externaliser la comptabilité et le traitement des commandes ;
qu'elle fait valoir n'avoir entamé qu'au mois de février 2009, postérieurement à l'expiration du préavis, des relations commerciales avec la société Mäder, dont la société Schmidt n'établit pas la qualité de concurrent ;
qu'elle soutient que la fixation de l'indemnité en référence à plusieurs exercices favorise l'objectivité et correspond à la pratique suivie par les tribunaux, que les tarifs appliqués par la société Schmidt en 2009 étaient dépourvus de rabais, et qu'une réfaction de 15 % sur la marge est fantaisiste ;
qu'elle sollicite l'aggravation des condamnations prononcées en première instance et demande la somme de 480 645,90 euro, calculée pour une durée de préavis de vingt-quatre mois, sur lequel trois mois ont été effectués, et une base de chiffre d'affaires de cinq ans, soit une moyenne de 653 940 euro, avec application d'un taux de marge de 42 % ;
Considérant qu'en droit, aux termes de l'article L. 442-6-I du Code de commerce, engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, (...) 5° De rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels. (...) Les dispositions qui précèdent ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure ;
que le caractère établi des relations commerciales entre les parties depuis 1985 n'est pas contesté, les causes de la rupture, la durée du préavis et la dépendance de la société Steinel demeurant en litige ;
que ces relations commerciales se rapportent, non aux achats de la société Steinel à la société Schmidt, mais à l'exclusivité de la distribution à laquelle la société Schmidt a mis fin, la société Steinel perdant la remise de 25 % sur l'achat des presses Schmidt ;
que par lettre du 30 juillet 2008, la société Schmidt a demandé à la société Steinel, la mise en place de mesures afin de redresser le chiffre d'affaires, se réservant le droit de résilier leurs relations ; qu'il résulte clairement des termes de ce courrier que la société Steinel a été avisée à cette date du terme possible des relations commerciales ;
mais Considérant que cet avertissement a été immédiatement suivi, en période estivale, par la rupture officialisée par lettre du 30 septembre 2008 et était en conséquence imprévisible pour la société Steinel ;
que la brutalité invoquée doit être appréciée eu égard au délai, permettant à la société Steinel de réorganiser son activité et de trouver un nouveau fournisseur ; que le préavis de trois mois caractérise la brutalité de la rupture de relations commerciales établies durant vingt-deux ans au sens de l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce ;
que la dépendance alléguée de la société Steinel à l'égard de la société Schmidt n'est cependant pas démontrée par la proportion de son chiffre d'affaires généré par les produits Schmidt, et, qu'en l'absence de démonstration d'une particulière difficulté à la remplacer, sa dépendance technique n'est pas plus établie ;
que la charge de la preuve de l'inexécution par la société Steinel de ses obligations incombe à la société Schmidt, la force majeure n'étant pas invoquée comme cause d'exonération de sa responsabilité délictuelle ;
qu'à cet égard, et faute de disposition contractuelle, la société Schmidt ne peut reprocher comme inexécution d'une obligation les mesures de gestion interne de la société Steinel, dans laquelle elle n'avait aucun droit à s'immiscer ; qu'elle peut en revanche se prévaloir d'une insuffisance de commandes, laquelle ne peut s'apprécier au regard du seul volume d'activité antérieur, faute d'objectif contractuel, mais de la conjoncture économique et de l'état du marché ;
que si la société Schmidt reproche à la société Steinel une absence d'activité à compter de l'année 2003, il résulte cependant de ses propres écritures que les résultats de la société Steinel se sont améliorés, soit 438 676 et 392 308 euro en 2004 et 2005, au regard des chiffres de 2003, soit 327 844 euro, pour une part de marché en croissance constante ;
qu'au vu des importantes variations de chiffre d'affaires affectant les ventes des produits Schmidt en Europe, d'un pays à l'autre, les premiers juges ont justement apprécié celles de la société Steinel comme n'étant pas significatives d'une performance fautive ; que les arguments développés en cause d'appel ne caractérisent pas plus l'inexécution par la société Steinel de ses obligations ;
qu'au vu de ces éléments, la décision portant le préavis à une durée de dix-huit mois sera confirmée, ce délai permettant à la société Steinel de réorganiser son activité avec un nouveau partenaire ; que la référence aux exercices des trois années précédentes est pertinente, dans le contexte agité de l'année 2008, et conforme aux usages ;
que la demande de la société Schmidt d'application de deux coefficients de réduction, pour tenir compte de la chute constante du chiffre d'affaires depuis 2003 et des coûts variables économisés, ainsi que d'un correctif correspondant à la poursuite des livraisons Schmidt en 2009 et au chiffre d'affaires réalisé avec des produits concurrents ; que les dommages et intérêts alloués indemnisant, non les causes de la rupture, mais sa brutalité, ces demandes seront rejetées ;
Sur la demande reconventionnelle de la société Schmidt :
Considérant que la société Schmidt demande reconventionnellement réparation du préjudice que lui auraient occasionné les manquements de la société Steinel à l'exécution loyale de ses obligations de distributeur exclusif, à compter de l'année 2005 au plus tard, en l'absence de reconstitution de son équipe commerciale notoirement insuffisante et au vu de la réduction de sa structure, ainsi que de ses promesses non suivies d'effet ;
qu'elle fait valoir la conséquence de paralysie du marché pour ses produits qui en est résultée, alors que le maintien de leur part du marché, soit 0,46 % en 2004, lui aurait procuré un chiffre d'affaires complémentaire de 819,28 K euro de 2005 à 2008, soit un préjudice de 326 893 euro en appliquant un taux de marge de 39,9 % ;
qu'elle demande réparation à hauteur de 50 000 euro du préjudice d'image ainsi généré, aggravé par la manœuvre déloyale de la société Steinel, la présentant faussement en 2009 sur son site Internet comme son partenaire ;
Considérant que la société Steinel rappelle la progression des ventes et de la part du marché en France des produits Schmidt jusqu'en 2008, s'oppose à la demande adverse en indemnisation du chiffre d'affaires manqué, ne tenant pas compte des résultats de la nouvelle filiale, et conteste la pertinence des statistiques produites par la société Schmidt, ainsi que le préjudice d'image, non justifié ;
Considérant que la société Schmidt ne rapporte pas la preuve des manquements reprochés à la société Steinel et d'un lien de causalité suffisant avec le préjudice qu'elle allègue, correspondant à un gain manqué hypothétique, au vu des variations de chiffres d'affaires enregistrées dans des pays voisins, et ne justifie pas plus du préjudice d'image qu'elle allègue ;
Sur les autres demandes :
Considérant qu'il serait inéquitable de laisser totalement à la société Steinel la charge de ses frais irrépétibles exposés en cause d'appel ;
Par ces motifs : Statuant publiquement et contradictoirement, Confirme la décision déférée en toutes ses dispositions, Rejette le surplus des demandes, Y ajoutant, Condamne la société Schmidt à payer à la société Steinel la somme de 10 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, Condamne la société Schmidt aux dépens qui seront recouvrés conformément à l'article 699 du Code de procédure civile.