CA Lyon, 3e ch. A, 28 septembre 2012, n° 11-07382
LYON
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Dubois (ès qual.)
Défendeur :
Chronopost International (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Gaget
Conseillers :
Mme Cuny, M. Maunier
Avocats :
Mes Nief, di Vetta
EXPOSE DU LITIGE
La société Safi Transports exerce depuis le 1er juillet 2004 une activité de transport routier de marchandises.
La société Chronopost International est spécialisée dans l'acheminement exprès de colis et s'est dotée à cette fin d'un réseau de prestataires locaux.
Une collaboration s'est instaurée entre les deux sociétés en mai 2006, initialement sans contrat écrit, jusqu'à ce que la société Chronopost International intègre par contrat n° 794 du 2 novembre 2006 la société Safi Transports dans son réseau de partenariat.
Un nouveau contrat n° 908 ayant le même objet était signé le 9 juin 2008 pour une zone différente du premier.
Au cours de cette collaboration, divers conflits sont réciproquement apparus, ce qui a amené la société Chronopost International à résilier le contrat n° 908 pour faute de la société Safi Transports et le contrat n° 794 suite à appel d'offres.
La société Safi Transports a estimé être gravement lésée par les agissements de la société Chronopost International.
Aucun accord n'ayant pu être trouvé entre les parties, la société Safi Transports a fait assigner la société Chronopost International devant le Tribunal de commerce de Lyon en paiement de solde de factures et dommages et intérêts.
La société Chronopost International a soulevé l'incompétence du Tribunal de commerce de Lyon au profit du Tribunal de commerce de Nanterre concernant le contrat n° 794 et au profit du Tribunal de commerce de Paris concernant le contrat n° 908.
Par jugement en date du 12 octobre 2011, le Tribunal de commerce de Lyon s'est déclaré incompétent au profit du Tribunal de commerce de Nanterre concernant le contrat n° 794 et au profit du Tribunal de commerce de Paris concernant le contrat n° 908.
Maître Dubois ès qualités de liquidateur judiciaire de la société Safi Transports (jugement de liquidation judiciaire du Tribunal de commerce de Lyon en date du 20 septembre 2011) a formé contredit à l'encontre de ce jugement le 28 octobre 2011.
Il demandait à la cour de :
"Reformant le jugement du Tribunal de commerce de Lyon en date du 12 octobre 2011,
Vu l'indivisibilité du litige lié aux conséquences de la dépendance économique de la Société Safi Transports par application des articles L. 420-2 et suivants du Code de commerce,
Vu l'intérêt de donner une réponse commune aux moyens de défense tel qu'en particulier la prescription tirée de l'article L. 133-6 du Code du commerce,
Vu les conclusions de la société Chronopost admettant que dans l'intérêt d'une bonne administration de la Justice, une seule et même juridiction pourrait être saisie,
Vu l'article 46 du Nouveau Code de procédure civile, attribuant la compétence territoriale à la juridiction du lieu d'exécution de la prestation de service en matière contractuelle,
Dire et juger que la juridiction territorialement compétente était le Tribunal de commerce de Lyon pour connaître de l'entier litige entre les parties,
Vu les dispositions de l'article 89 du Nouveau Code de procédure civile,
Evoquer de l'affaire sur le fond du litige,
Inviter en conséquence les parties à constituer Avoué pour conclure sur le fond du litige,
Réserver les dépens d'instance"
La société Chronopost demandait quant à elle à la cour de :
- confirmer le jugement entrepris,
- subsidiairement,
- dire n'y avoir lieu à évocation,
- condamner Maître Dubois ès-qualités au paiement de la somme de 3 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile et aux dépens.
Par arrêt en date du 30 mars 2012, la cour a, avant dire droit sur le contredit, ordonné la réouverture des débats pour que les parties s'expliquent sur les conséquences de l'invocation de l'article L. 442-6 du Code de commerce sur la détermination de la juridiction compétente.
Par voie de conclusions après arrêt de réouverture des débats, Maître Dubois ès-qualités fait valoir :
- que le fait de rompre une relation contractuelle établie engage la responsabilité de son auteur,
- qu'en vertu de l'article 46 alinéa 3 du Code de procédure civile, en matière délictuelle, le demandeur peut saisir le lieu du fait dommageable,
- que le lieu du fait dommageable est celui où s'exerce l'activité de l'entreprise et celui du siège de sa liquidation,
- qu'il convient dès lors de retenir la compétence du Tribunal de commerce de Lyon.
Il demande à la cour de :
"Reformant le jugement du Tribunal de commerce de Lyon en date du 12 octobre 2011,
Vu l'indivisibilité du litige lié aux conséquences de la dépendance économique de la Société Safi Transports par application des articles L. 420-2, L. 442-6 du Code de commerce,
Vu l'intérêt de donner une réponse commune aux moyens de défense tel qu'en particulier la prescription tirée de l'article L. 133-6 du Code du commerce,
Vu les conclusions de la société Chronopost admettant que dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice, une seule et même juridiction pourrait être saisie,
Vu l'article 46 du Nouveau Code de procédure civile, attribuant la compétence territoriale à la juridiction du lieu d'exécution de la prestation de service en matière contractuelle,
Vu l'article 46 alinéa 3 du Nouveau Code de procédure civile attribuant la compétence territoriale à la matière délictuelle à la juridiction du dommage subi,
Vu la jurisprudence constante de la Cour Suprême retenant que le dommage a été subi au lieu où s'exerçait l'activité de l'entreprise,
Dire et juger que la juridiction territorialement compétente était le Tribunal de commerce de Lyon pour connaître de l'entier litige entre les parties,
Vu les dispositions de l'article 89 du Nouveau Code de procédure civile,
Evoquer l'affaire sur le fond du litige,
Inviter en conséquence les parties à constituer Avoué pour conclure sur le fond du litige,
Réserver les dépens d'instances."
La société Chronopost International se prévaut quant à elle des clauses attributives de compétence figurant au contrat.
Elle ajoute :
- que dans son acte introductif d'instance, la société Safi Transports se fondait exclusivement sur les articles 1134 et L. 420-2 du Code de commerce, que ce n'est que par conclusions adressées au conseil de la société Chronopost deux jours avant l'audience de plaidoirie, qu'il a invoqué également l'article L. 442-6 du Code de commerce,
- que le tribunal a écarté les dernières écritures déposées par la société Safi Transports et par lesquelles elle invoquait pour la première fois les dispositions de l'article L. 442-6 1 5° du Code de commerce,
- que le moyen n'a pas été régulièrement invoqué devant le premier juge, qu'il ne peut davantage l'être devant la cour, qu'il serait inopérant comme contraire au principe du non-cumul des responsabilités contractuelles ou délictuelles,
- que la compétence doit être déterminée au vu de l'acte introductif d'instance et non de l'éventuelle modification de fondement juridique ultérieure,
- qu'il ne peut être fait échec à l'application d'une clause attributive de compétence territoriale au profit de celle résultant de l'éventuelle application de l'article L. 442-6 1 5° du Code de commerce qu'à la condition que ce fondement ait été invoqué à titre exclusif.
Elle demande à la cour de :
"Vu les articles 48, 73, 74 et 75 du CPC.
Vu l'article 1134 du Code civil.
Vu le contrat n° 794.
Vu le contrat n° 908.
Vu la jurisprudence.
Confirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu par le Tribunal de commerce de Lyon le 12 octobre 2011 s'étant :
* déclaré incompétent au profit du Tribunal de commerce de Nanterre, en ce qui concerne le litige né du contrat n° 794
* déclaré incompétent au profit du Tribunal de commerce de Paris, pour ce qui concerne le litige né du contrat n° 908
Subsidiairement :
Dire n'y avoir lieu à évocation en application de l'article 89 du Code de procédure civile.
Condamner Maître Dubois, es qualité de mandataire judiciaire de la Société Safi Transports à régler à la société Chronopost la somme de 3 000 euro sur le fondement de l'article 700 du CPC au titre de la procédure de contredit.
Le condamner aux dépens."
SUR CE, LA COUR
Attendu que l'article L. 442-6 1 5° du Code de commerce dispose que les litiges relatifs à l'application dudit article sont attribués aux juridictions dont le siège et le ressort sont fixés par décret ;
Que selon l'article D. 442-3 du Code de commerce : "Pour l'application de l'article L. 442-6, le siège et le ressort des juridictions commerciales compétentes en métropole et dans les départements d'outre-mer sont fixés conformément au tableau de l'annexe 4-2-1 du présent livre".
La cour d'appel compétente pour connaître des décisions rendues par ces juridictions est celle de Paris ;
Que selon l'annexe 4-2-1, sont compétents les Tribunaux de commerce de Marseille, Bordeaux, Lille, Fort-de-France, Lyon, Nancy, Paris et Rennes ;
Attendu qu'il existe donc une compétence exclusive des juridictions ci-dessus citées pour connaître des litiges relatifs à la rupture brutale de relations commerciales établies ;
Attendu que si dans son acte introductif d'instance en date du 28 juin 2010, la société Safi Transports ne citait pas expressément l'article L. 442-6 1 5° du Code de commerce, elle faisait néanmoins état d'une rupture "immédiate", "soudaine", "brutale" ;
Que par des conclusions déposées le 16 mai 2011 et donc deux jours avant l'audience du tribunal de commerce où la procédure est orale, lesquelles conclusions n'ont été déclarées irrecevables que dans les motifs du jugement et non dans son dispositif, elle a expressément invoqué la rupture brutale des relations commerciales établies et l'article L. 442-6 1 5° du Code de commerce ;
Qu'elle réitère le visa de ce texte dans ses dernières écritures devant la cour où il est possible de soulever pour la première fois un moyen nouveau au fond ou un fondement nouveau;
Attendu que dès lors qu'est invoquée la rupture brutale de relations commerciales établies, il y a lieu à application des dispositions de l'article D. 442-3 du Code de commerce et de l'annexe 4-2-1, peu important que d'autres demandes soient formulées qui pourraient justifier la compétence territoriale d'une autre juridiction ;
Attendu en outre qu'il n'appartient pas à la cour saisie en matière de contredit de compétence de se prononcer sur le non cumul des responsabilités contractuelles et délictuelles étant au surplus relevé que la jurisprudence apporte une atténuation à l'application de cette règle lorsque la qualification donnée à la responsabilité est sans incidence sur le régime applicable ;
Attendu enfin que les parties ne peuvent conventionnellement déroger à la règle de la compétence exclusive de juridictions déterminées pour connaître des litiges relatifs à la rupture des relations commerciales ; que la société Chronopost International ne peut donc se prévaloir des clauses attributives de compétence figurant dans chacun des deux contrats qui la liaient à la société Safi Transports d'autant que :
- ces clauses libellées comme suit : "Tout litige né de l'interprétation et/ou de l'exécution du contrat est soumis au droit français et relève de la compétence exclusive du tribunal de commerce de (...), même en cas d'appel en garantie ou de pluralité de défendeurs", ne visent pas les litiges relatifs à la rupture du contrat,
- l'une (celle du contrant n° 794) donne compétence au tribunal de commerce de Nanterre, l'autre (celle du contrat n° 908) donne compétence au Tribunal de commerce de Paris étant relevé que si les deux contrats sont indépendants l'un de l'autre, ont été conclus à des dates différentes et concernent des prestations différentes à exécuter sur des territoires différents, il n'en demeure pas moins que l'action de la société Safi Transports SARL à l'encontre de la société Chronopost International a pour fondement l'exécution et la rupture de l'ensemble de ses relations contractuelles avec la société Chronopost International, que les deux contrats liaient les mêmes parties, qu'ils comportent des clauses identiques ou similaires dont il conviendra d'apprécier le sens et la portée, que le litige soulève des questions communes aux deux contrats et qu'il est sollicité l'indemnisation d'un préjudice tenant à la dépendance économique de la société Safi Transports SARL par rapport à la société Chronopost International du fait du volume d'affaires que représentaient les transports qui lui étaient confiés en exécution des deux contrats ; qu'ainsi il existe un lien de connexité entre les litiges nés de l'exécution et de la résiliation des deux contrats et qu'il est de l'intérêt d'une bonne administration de la justice qu'ils soient jugés ensemble ;
Attendu qu'il est constant que l'action au titre de la rupture brutale de relations commerciales établies est de nature délictuelle ; qu'en matière délictuelle, le demandeur peut saisir à son choix, outre la juridiction du lieu où demeure le défendeur, celle du lieu du fait dommageable ou celle dans le ressort de laquelle le dommage a été subi ; qu'en l'espèce, le dommage a été subi.
* au lieu du siège social de la société Safi Transports à Vaulx en Velin qui par suite de la perte des deux contrats a subi une perte de gain et a dû cesser son activité de sorte qu'elle est sous le coup d'une procédure collective ouverte par le Tribunal de commerce de Lyon,
* ou à tout le moins au lieu où s'exerçait l'activité, à savoir le département 42 et le département 69, ces deux départements relevant en ce qui concerne l'article L. 442-6 1 5° du Tribunal de commerce de Lyon ;
Attendu dans ces conditions que la société Safi Transports désormais représentée par son liquidateur judiciaire, Maître Dubois, a pu valablement introduire la présente action devant le Tribunal de commerce de Lyon ;
Attendu qu'il y a lieu, par infirmation du jugement entrepris, de déclarer le Tribunal de commerce de Lyon compétent ;
Attendu qu'il ne saurait y avoir lieu à évocation par la présente cour alors que seule la Cour d'appel de Paris est compétente pour connaître des appels à l'encontre des jugements des juridictions désignées par l'article 4-1-2 ; que la cause et les parties seront donc renvoyées devant le Tribunal de commerce de Lyon à qui le greffier transmettra le dossier ;
Attendu que vu les éléments du litige, sa solution et la situation respective des parties, il n'y a pas lieu à application de l'article 700 du Code de procédure civile ;
Attendu que la société Chronopost International sera condamnée aux dépens du contredit ;
Par ces motifs : LA COUR, Statuant contradictoirement, Infirme le jugement entrepris, Dit que le Tribunal de commerce de Lyon est compétent pour connaître de l'action de la société Safi Transports prise en la personne de son liquidateur judiciaire, Maître Dubois, à l'encontre de la société Chronopost International, Renvoie la cause et les parties devant ce tribunal à qui le dossier sera retransmis par le greffier, Rejette toutes autres demandes plus amples ou contraires, Condamne la société Chronopost International aux dépens du contredit.