CA Paris, Pôle 5 ch. 1, 24 octobre 2012, n° 10-24018
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Andros France (SNC)
Défendeur :
Lactalis Nestlé Ultra-Frais Marques (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Rajbaut
Conseillers :
Mmes Chokron, Gaber
Avocats :
Mes de la Taille, Boespflug, Teytaud, Pech de Laclause
EXPOSÉ DU LITIGE
La SNC Andros France commercialise des desserts lactés sous la marque Bonne Maman tandis que la SA Lactalis Nestlé Ultra-Frais Marques (ci-après LNUF Marques) commercialise des desserts sous la marque La Laitière.
Le 28 avril 2008 la société Andros France a fait assigner la société LNUF Marques devant le tribunal de grande instance de Paris en concurrence déloyale, remettant en cause la représentation graphique des aromates figurant sur certains produits commercialisés sous la marque La Laitière.
Vu le jugement avant dire droit rendu le 8 juillet 2009 par le Tribunal de grande instance de Paris, ordonnant une mesure de consultation confiée à M. Hervé This.
Vu le procès-verbal d'audition de M. Hervé This en date du 25 septembre 2009.
Vu le jugement rendu contradictoirement le 19 novembre 2010 par le Tribunal de grande instance de Paris qui a :
- débouté la société Andros de l'ensemble de ses demandes,
- condamné la société Andros à payer à la société LNUF Marques la somme de 20 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile,
- condamné la société Andros aux entiers dépens,
- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire.
Vu l'appel interjeté le 14 décembre 2010 par la SNC Andros France.
Vu les dernières conclusions de la SNC Andros France, signifiées le 12 avril 2011.
Vu les dernières conclusions de la SA LNUF Marques, signifiées le 06 septembre 2011.
Vu l'ordonnance de clôture en date du 20 mars 2012.
MOTIFS DE L'ARRÊT
Considérant que, pour un exposé complet des faits de la cause et de la procédure, il est expressément renvoyé au jugement déféré et aux écritures des parties ;
Considérant qu'il suffit de rappeler que la SA LNUF Marques commercialise sous la marque La Laitière avec un emballage reproduisant notamment la laitière du célèbre tableau éponyme peint au XVIIème siècle par Johannes Vermeer, les produits suivants : "secret de mousse chocolat au lait", "secret de mousse chocolat noir", "secret de mousse chocolat blanc sauce chocolat", "secret de mousse vanille sauce chocolat", "secret de mousse caramel au beurre salé", "secret de mousse saveur praliné sauce chocolat", "craquant et fondant caramel" et "craquant et fondant saveur vanille" ;
Considérant que la SNC Andros France reproche à la SA LNUF Marques de présenter ces produits comme des produits laitiers alors que la matière grasse végétale hydrogénée qu'ils contiennent y remplace un constituant du lait, ce qu'interdit l'article III 2 de l'annexe XII du règlement du 22 octobre 2007 ;
Considérant que l'appelante fait valoir que la SA LNUF Marques a inclus dans les produits litigieux de la matière grasse végétale hydrogénée alors qu'elle aurait pu obtenir le même résultat en utilisant du lait ou de la crème, ce qui lui interdit de les présenter comme des produits laitiers conformément aux dispositions susvisées ;
Considérant que l'appelante souligne que selon le consultant, M. Hervé This, la matière grasse végétale hydrogénée présente dans les produits litigieux y remplace bien un constituant du lait et que la SA LNUF Marques aurait pu obtenir l'effet structurant de cette matière grasse végétale hydrogénée au moyen de la matière grasse laitière ;
Considérant que l'appelante fait encore valoir que la puissance évocatrice de la marque La Laitière suggère au consommateur qu'il s'agit de produits laitiers et qu'en commercialisant des produits dont la présentation n'est pas conforme à la réglementation et qui est donc trompeuse, la SA LNUF Marques a commis des actes de concurrence déloyale à son encontre ;
Considérant que la SNC Andros France demande l'interdiction sous astreinte de commercialisation des produits litigieux sous la marque La Laitière en utilisant le représentation d'une laitière ainsi qu'en les décrivant comme des mousses lactées ou des crèmes dessert et le retrait du marché sous astreinte de ces produits ;
Considérant qu'elle réclame encore la somme de 1 000 000 euro à titre de dommages et intérêts et la publication de la décision à intervenir dans cinq supports à son choix ;
Considérant que la SA LNUF Marques conclut à titre principal à la confirmation du jugement entrepris en toutes ses dispositions en répliquant que la matière grasse végétale n'a été ajoutée que pour permettre aux produits d'avoir la tenue souhaitée par son cahier des charges et que la SNC Andros France ne rapporte pas la preuve qu'elle remplacerait un constituant du lait ;
Considérant que l'intimée en conclut que ses produits sont conformes à la catégorie des produits composés tels que définis au point II.3 de l'annexe XII du règlement susvisé ;
Considérant qu'à titre subsidiaire la SA LNUF Marques soutient que l'emploi des termes La Laitière sur l'emballage des produits litigieux n'est pas trompeur, aucun emballage n'employant les termes "produit laitier" et qu'il n'y a aucune ambiguïté sur le fait que ces produits ne sont pas exclusivement dérivés du lait ;
Considérant qu'à titre plus subsidiaire la SA LNUF Marques conteste la demande en dommages et intérêts de la SNC Andros France et les demandes réparatrices complémentaires en faisant valoir qu'elle ne justifie pas du préjudice qu'elle allègue non seulement dans son montant mais également dans son principe même ;
Considérant ceci exposé, que l'article 14 du règlement (CE) n° 1234-2007 du Conseil du 22 octobre 2007 portant organisation commune des marchés dans le secteur agricole dispose que les denrées alimentaires destinées à la consommation humaine ne peuvent être commercialisées sous l'étiquette "lait" ou "produits laitiers" que si elles sont conformes aux définitions et aux dénominations établies à l'annexe XII ;
Considérant que le point II2 de cette annexe précise qu'on entend par "produits laitiers" les produits dérivés exclusivement du lait (tels que par exemple la crème ou le beurre), étant entendu que des substances nécessaires pour leur fabrication peuvent être ajoutées, pourvu que ces substances ne soient pas utilisées en vue de remplacer, en tout ou partie, l'un quelconque des constituants du lait ;
Considérant que le point II3 ajoute que les dénominations utilisées pour désigner les produits laitiers peuvent également être employées conjointement avec un ou plusieurs termes pour désigner des produits composés dont aucun élément ne remplace ou est destiné à remplacer un constituant quelconque du lait et dont le lait ou un produit laitier est une partie essentielle, soit par sa quantité, soit par son effet caractérisant le produit ;
Considérant que le point III2 interdit, "en ce qui concerne les produits autres que les produits visés au point II", l'utilisation de toute étiquette, de tout document commercial, de tout matériel publicitaire, de toute forme de publicité et de toute forme de présentation indiquant, impliquant ou suggérant que les produits concernés sont des produits laitiers ;
Considérant que la composition des produits litigieux telle qu'indiquée sur les emballages comprend notamment du lait dans une proportion allant de 53 à 64 %, de la crème dans une proportion allant de 2 à 12 %, du beurre pour certains produits et de la matière grasse végétale hydrogénée, outre les ingrédients propres à chacun de ces produits (sauce chocolat, sauce caramel, vanille, etc.) ;
Considérant que pour les deux produits "craquant et fondant" la matière végétale grasse hydrogénée apparaît dans la composition de façon distincte de la composition de la couche de chocolat noir ; que pour le produit "secret de mousse caramel au beurre salé" elle apparaît dans la composition de la sauce de caramel au beurre salé (dans laquelle figure également du beurre) ; que pour les produits "secret de mousse vanille sauce chocolat, chocolat blanc sauce chocolat et saveur praliné sauce chocolat" elle apparaît à la fois dans la composition de la mousse et dans celle de la sauce chocolat ; que pour les produits "secret de mousse chocolat noir et chocolat au lait" elle apparaît dans la composition de la mousse ;
Considérant que s'agissant de produits composés dans lesquels le lait et des produits laitiers (crème, beurre) sont par leur quantité une partie essentielle, il convient de rechercher si, comme le soutient la SNC Andros France à qui incombe la charge de cette preuve, la matière grasse végétale hydrogénée présente ne remplace un constituant quelconque du lait ;
Considérant que le consultant désigné par le tribunal, M. Hervé This, expose que les matières grasses végétales hydrogénées sont initialement des matières grasses liquides à température d'utilisation que l'on a transformées pour leur donner notamment un comportement plus proche de celui d'un solide ; qu'elles peuvent servir à faire des mousses avec une stabilité augmentée aux températures auxquelles ces produits se trouvent stockés ou remplacer les matières grasses laitières plus coûteuses ;
Considérant qu'en ce qui concerne les produits "craquant et fondant", la SA LNUF Marques affirme avoir introduit de la matière végétale grasse hydrogénée afin de permettre la mise en place de la couche craquante au-dessus de la crème dessert et ajoute que la même viscosité n'aurait pas été obtenue avec de la crème ;
Considérant que M. Hervé This ne contredit pas formellement cette affirmation dans la mesure où il fait simplement observer que pour lui, la réalisation d'une centaine d'essais ne serait pas suffisante pour démontrer que la présence des matières grasses végétales hydrogénées est indispensable pour obtenir l'effet recherché, ce qui ne signifie pas pour autant que cette présence ne soit pas indispensable ;
Considérant qu'en ce qui concerne les mousses au chocolat, la SA LNUF Marques affirme que la matière grasse végétale hydrogénée présente dans la sauce au chocolat permet que celle-ci ne se mélange pas à la mousse et donne un aspect marbré au produit ;
Considérant que M. Hervé This admet que la matière grasse végétale hydrogénée est une des solutions techniques possibles pour contribuer à la structuration de la mousse et à la modification du comportement d'écoulement de la sauce ; qu'il se contente d'ajouter, sans être formellement affirmatif, que le même résultat aurait pu être "très probablement" obtenu avec de la matière grasse laitière en fonction du cahier des charges retenu, ce qui n'infirme pas les déclarations de la SA LNUF Marques ;
Considérant qu'en ce qui concerne les mousses vanille, chocolat blanc et praliné sauce chocolat, la SA LNUF Marques indique utiliser la matière grasse végétale hydrogénée comme agent structurant pour faire tenir ces mousses en l'absence de beurre de cacao ;
Considérant que M. Hervé This confirme que si on enlève la matière grasse du cacao il faut une matière grasse spécifique qui fasse tenir la mousse ; que s'il précise que cela pourrait être une matière grasse laitière, il n'est cependant pas formellement affirmatif dans la mesure où il ne connaît pas les proportions exactes des agents présents dans la composition des produits (amidon et émulsifiant, épaississant, gélatine, etc.) pouvant pallier l'absence du beurre de cacao ;
Considérant qu'en ce qui concerne la mousse caramel, M. Hervé This observe, à la lecture de la composition de ce produit, que le caramel censé structurer la mousse est très probablement un liquide peut-être visqueux et qu'en conséquence la tenue de la mousse ne peut pas reposer sur le caramel et résulte de la présence des autres ingrédients se trouvant dans la mousse ;
Considérant qu'à la question de savoir si on aurait pu obtenir le même produit avec la même liste d'ingrédients en remplaçant la matière grasse hydrogénée par de la matière grasse laitière, M. Hervé This répond "formellement oui, à condition de mettre un effort industriel suffisant" ; qu'il précise cependant aussitôt après que les matières grasses laitières sont plus variées chimiquement et n'ont pas les mêmes propriétés mécaniques et rhéologiques particulières mais que des fractionnements "pourraient" conduire à des fractions qui "devraient" donner aux mousses et aux sauces une consistance analogue ;
Mais considérant que M. Hervé This, par l'emploi du mode conditionnel, reste prudent dans sa réponse qu'il qualifie au demeurant de purement formelle, qu'il ne peut donc être affirmatif dans le cas d'espèce et admet au demeurant qu'il n'est pas dit qu'en pratique ces fractionnements soient très faciles ;
Considérant qu'en conclusion M. Hervé This indique qu'il est possible qu'en l'espèce la matière grasse végétale hydrogénée ait pu servir à structurer les produits conformément au cahier des charges et peut-être à en réduire le coût de revient ;
Considérant que le fait que le produit dénommé "secret de mousse chocolat noir avec zestes d'orange", commercialisé en Belgique par la SA LNUF Marques, ne contienne pas de matière grasse végétale hydrogénée n'est pas pertinent dans la mesure où il n'est pas démontré que ce produit serait le même que les produits litigieux commercialisés en France et qu'il comporterait notamment une sauce ;
Considérant que la SNC Andros France ne rapporte donc pas la preuve que la matière grasse végétale hydrogénée ait été introduite dans les produits litigieux pour remplacer le lait ou l'un des composants du lait ;
Considérant qu'il apparaît donc que ces produits, dont le lait et les produits laitiers que sont la crème et le beurre constituent une partie essentielle, sont bien conformes à la catégorie des produits composés tels que définis au point II3 de l'annexe XII au règlement du 22 octobre 2007 ;
Considérant dès lors que l'interdiction prévue par le point III2 de l'annexe n'est pas applicable à la présentation des produits litigieux dans la mesure où elle ne concerne que les produits autres que ceux visés au point II ;
Considérant en conséquence que les faits de concurrence déloyale allégués par la SNC Andros France au motif que la SA LNUF Marques commercialiserait des produits dont la présentation trompeuse ne serait pas conforme à la réglementation relative à la protection de la dénomination du lait et des produits laitiers lors de leur commercialisation, ne sont pas établis ;
Considérant que le jugement entrepris qui a débouté la SNC Andros France de l'ensemble de ses demandes sera donc confirmé en toutes ses dispositions ;
Considérant qu'il est équitable d'allouer à la SA LNUF Marques la somme complémentaire de 20 000 euro au titre des frais par elle exposés en cause d'appel et non compris dans les dépens, le jugement entrepris étant par ailleurs confirmé en ce qu'il a statué sur les frais irrépétibles de première instance ;
Considérant que la SNC Andros France, partie perdante en son appel, ne pourra qu'être déboutée de sa demande en paiement au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;
Considérant, pour les mêmes motifs, que la SNC Andros France sera condamnée au paiement des dépens de la procédure d'appel, le jugement entrepris étant par ailleurs confirmé en ce qu'il a statué sur la charge des dépens de première instance ;
Par ces motifs : LA COUR, statuant publiquement et contradictoirement. Confirme en toutes ses dispositions le jugement entrepris. Condamne la SNC Andros France à payer à la SA LNUF Marques la somme complémentaire de vingt mille euro (20 000 euro) au titre des frais exposés en cause d'appel et non compris dans les dépens. Déboute la SNC Andros France de sa demande en paiement au titre de l'article 700 du Code de procédure civile. Condamne la SNC Andros France aux dépens de la procédure d'appel, lesquels seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.