CA Paris, 1re ch. H, 8 novembre 1996
PARIS
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Conseil national des professions de l'automobile
Défendeur :
Ministre de l'Economie, des Finances et du Budget
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Feuillard
Conseillers :
Mmes Pinot, Kamara
Avoué :
SCP Roblin-Chaix de Lavarène
Avocat :
Me Guillin
LA COUR statue sur le recours en annulation et en réformation formé par le Conseil national des professions de l'automobile (CNPA) à l'encontre de la décision du Conseil de la concurrence (ci-après le conseil) n° 95-D-74 du 21 novembre 1995, qui a notamment infligé au CNPA une sanction pécuniaire de 250 000 F.
Référence faite à cette décision pour un plus ample exposé des faits et de la procédure initiale, il suffit de rappeler que le ministre de l'Economie a, par lettre enregistrée le 1er décembre 1983 saisi le Conseil de pratiques relevées dans le secteur de la réparation automobile dans le département de l'Indre.
Le Conseil a relevé :
- d'une part, que "le secteur départemental" du CNPA avait organisé au mois de décembre 1991 une réunion dite "agents/artisans" au cours de laquelle, sur sollicitation de certains de ses adhérents, avaient été préconisées des hausses à appliquer aux taux horaires de main-d'œuvre pour l'année 1992, ces indications portant soit sur un niveau de prix, soit sur un taux de hausse ou revêtant le caractère d'une incitation générale ;
- d'autre part, que ce même secteur avait effectué, en 1991, une enquête portant notamment sur les taux horaires de main-d'œuvre de la réparation automobile dans le département, que les résultats de cette enquête avaient été diffusés, en juin 1992, sous forme de tableaux récapitulant par catégorie les prix les plus hauts, les plus bas ainsi que les prix moyens observés.
Il a estimé :
- que la pratique du CNPA avait pour objet ou pouvait avoir pour effet de faire obstacle à la fixation des prix par le libre jeu du marché dans la mesure où cette organisation professionnelle avait préconisé à ses adhérents des hausses applicables au tarif d'une prestation et avait entraîné la modification de leurs tarifs par ces adhérents en fonction de ces directives ;
- que la diffusion d'une mercuriale, si elle pouvait avoir un effet potentiel sur la hausse des taux horaires de main-d'œuvre des entreprises concernées, était en l'espèce demeurée un acte isolé dont il n'était pas établi qu'il avait eu un effet sur le marché.
Au soutien de son recours, le CNPA soutient essentiellement :
En ce qui concerne le grief relatif, à l'établissement et la diffusion de la mercuriale de prix :
- que le Conseil ne pouvait retenir une pratique anticoncurrentielle en raison de son effet potentiel dans la mesure où cet effet ne pouvait atteindre un certain seuil de sensibilité, les critères retenus par le Conseil relatifs à la taille des entreprises adhérentes, au caractère homogène du chiffre d'affaires réalisé ainsi qu'à la connaissance de leurs propres coûts n'étant pas pertinents.
En ce qui concerne le grief relatif à la concertation tarifaire :
- que la matérialité des faits n'est pas établie dès lors que la sollicitation d'informations par une entreprise adhérente ne peut être assimilée à une pratique d'entente prohibée, que la communication d'informations sur les prix pratiqués sous forme de "données constatées et non individualisées" ne peut être assimilée à une préconisation de prix ou de taux de hausse.
En ce qui concerne la sanction :
- que celle-ci représente 10 % des cotisations reçues pour l'année 1994, ce qui me paraît excessif, que seule l'entente en cause doit être retenue pour la détermination de la sanction, qu'enfin le "caractère général et habituel" des pratiques alléguées n'est pas établi.
Le CNPA demande à la cour d'annuler, subsidiairement de réformer la décision attaquée et, en conséquence, de la décharger de toute sanction.
Le ministre, de l'Economie conclut à la confirmation de la décision du Conseil en ce qu'il a retenu que les pratiques incriminées justifiaient l'application de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 en considération, pour le grief relatif à l'établissement et la diffusion d'une mercuriale de la limitation de l'intensité de la concurrence pour les parts de marché concerné et, pour le grief relatif à la concertation tarifaire, au regard du caractère habituel et aggravant des pratiques de ce syndicat professionnel et de leurs, répercussions sur un marché de faible intensité concurrentielle et de petite dimension. Il estime que la sanction est appropriée tant à la gravité des faits qu'aux facultés contributives du CNPA.
Le Conseil de la concurrence n'a pas entendu user de la faculté de présenter des observations écrites.
Le Ministère public a conclu oralement à la confirmation de la décision critiquée.
Sur quoi, LA COUR,
Considérant que le grief tiré de l'établissement et de la diffusion d'une mercuriale de taux horaire de main-d'œuvre, n'a pas fait l'objet de sanction ;
Considérant que le grief portant sur une concertation relative à des niveaux de prix ou des taux de hausse de l'heure de main-d'œuvre a fait l'objet de la sanction contestée ;
Considérant que seule une atteinte sensible, avérée ou potentielle, au libre jeu de la concurrence est de nature à justifier la sanction d'une pratique prohibée par l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986.
Que, faute de preuve d'une incidence significative sur le fonctionnement du marché, une pratique anticoncurrentielle n'est pas susceptible d'être sanctionnée ;
Considérant, en l'espèce, qu'il ressort de la notification de griefs et qu'il est admis par le ministre de l'Economie que le syndicat avait fait l'objet de sollicitations de la part de neuf de ses adhérents alors que ce syndicat regroupe 154 entreprises sur les 250 professionnels de la réparation automobile que comporte le secteur de l'Indre, que les informations sur les tarifs T 1, T 2 et T 3 de la réparation automobile ont été fournies sous forme de "données constatées et non individualisées" (pages 8 et 9 de l'enquête) qu'il a été relevé une relative dispersion des tarifs puisque à partir des données informatives les trois entreprises dont les déclarations ont été retenues ont augmenté leurs tarifs propres dans des conditions variables (3 à 4 % pour M. Theurier, 6 % pour M. Tetot, 6 F (HT) pour les époux Langlois) ;
Que, en ce qui concerne l'intervention de Mme Pied, salariée du CNPA auprès du garage Bucheron, il a été reconnu que ce fait est resté isolé ;
Considérant qu'il s'ensuit que la pratique incriminée n'a eu sur le marché de la réparation automobile dans le département de l'Indre qu'une portée limitée ne pouvant restreindre de façon sensible le jeu de la concurrence ;
Que l'existence de précédentes condamnations à l'encontre du CNPA ne permet pas de retenir le caractère habituel de la pratique incriminée ;
Considérant en conséquence qu'il n y a pas lieu à sanction sur le fondement des dispositions de l'article 13 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;
Qu'il est par suite sans intérêt d'examiner la pertinence des autres moyens proposés par l'appelant desquels il ne résulte pas que la décision devrait à l'évidence être annulée ;
Considérant que les agissements répréhensibles du CNPA dont l'existence est admise ont été à l'origine de la présente procédure ;
Qu'il devra donc supporter la charge des dépens ;
Par ces motifs : Infirme la décision du Conseil de la concurrence n° 95-D-74 du 21 novembre 1995 ; Dit n'y avoir lieu à sanction à l'encontre du CNPA ; Dit, en tant que de besoin, que les sommes qui devront être restituées par le Trésor public porteront intérêts au taux légal à compter seulement de la notification du présent arrêt valant commandement de payer ; Met les dépens à la charge du requérant.