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Décisions

CA Aix-en-Provence, 8e ch. A, 25 octobre 2012, n° 11-01157

AIX-EN-PROVENCE

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Ristorcelli

Défendeur :

Les Quatre Trèfles Les Mercuriales (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Schmitt

Conseillers :

Mmes Durand, Verdeaux

Avocats :

SCP Latil Penarroya-Latil Alligier, SCP Badie Juston, Mes Guidi, Cusinato

T. com. Marseille, du 13 déc. 2010

13 décembre 2010

Faits - procédure - prétentions des parties

Monsieur Ristorcelli, exploitant une pharmacie à Marseille, approvisionnait régulièrement depuis 2003 la maison de retraite Les Quatre Trèfles Les Mercuriales en médicaments au profit de ses résidents, pour un chiffre d'affaires mensuel de 26 470 euro.

Après un changement dans son actionnariat la société Les Quatre Trèfles Les Mercuriales a mis fin par courrier du 3 mai 2010 à leurs relations commerciales avec préavis de 2 mois eu égard à la durée des relations.

Monsieur Ristorcelli, soutenant que le motif allégué était abusif (volonté de sécuriser le circuit médicament dans l'établissement), que la durée du préavis était insuffisante et que la convention de reversion imposée par l'établissement les 4 Trèfles était nulle pour défaut de cause, a fait assigner à jour fixe, sur autorisation présidentielle, devant le Tribunal de commerce de Marseille sa cocontractante, par exploit du 27 octobre 2010, pour avoir paiement de diverses sommes au titre du non-respect du préavis proposé, et de celles de 264 705,80 euro au titre du non-respect du préavis d'usage fixant celui-ci à 12 mois, et de celle de 310 646,96 euro au titre de la rupture abusive de la relations contractuelles, celle de 37 150 euro au titre des sommes abusivement perçues du fait de la convention de reversion.

Il fondait son action sur les articles 1235, 1371, 1134 et suivants du Code civil, et L. 4113-5 R. 4235-8 et L. 5213-3 du Code de la santé publique.

Par jugement du 13 décembre 2010 la juridiction consulaire a :

Condamné la société Les Quatre Trèfles Les Mercuriales à payer à Monsieur Ristorcelli la somme de 2 000 euro à titre de dommages et intérêts pour le non-respect de l'exécution du préavis, celle de 22 942 euro de dommages et intérêts au titre du préavis découlant de la rupture des relations commerciales, celle de 3 000 euro par application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile,

Débouté Monsieur Ristorcelli de ses autres demandes, fins et conclusions,

Condamné la société Les Quatre Trèfles Les Mercuriales aux entiers dépens,

Ordonné l'exécution provisoire,

Rejeté pour le surplus les autres demandes.

Le tribunal, au regard de la durée des relations 7 ans et du chiffre d'affaires annuel représentant 30 % de celui réalisé par Monsieur Ristorcelli, a fixé la durée du préavis à 6 mois.

Il a estimé qu'il n'avait pas à apprécier les motifs de résiliation invoqués ni le caractère abusif ou non de la rupture de relations commerciales.

Sur la convention de reversion il a retenu que celle-ci était mentionnée sur toutes les factures depuis le début des relations et avait toujours été exécutée par Monsieur Ristorcelli ce qui démontre que les parties l'ont acceptée.

Par acte du 20 janvier 2011 Monsieur Ristorcelli a interjeté appel.

Par conclusions déposées et notifiées le 22 août 2012 il demande à la cour de :

Vu les articles 1235, 1371, 1134, 1135, 1142, 1147 et suivants du Code civil,

Vu les articles L. 4113-5, R. 4235-8 et L. 5213-3 du Code de la santé publique,

Vu l'article L. 442-6 et l'article L. 420-2 du Code de commerce,

Réformer le jugement attaqué,

Condamner la société les 4 Trèfles les Mercuriales au paiement des sommes de :

6 075,21 euro pour la durée du préavis,

13 084,17 euro au titre de l'exécution du préavis,

264 705,80 euro au titre du non-respect du préavis d'usage,

397 690 euro au titre de la rupture abusive des relations contractuelles,

37 150 euro au titre des sommes indûment perçues pour cause nulle,

10 000 euro par application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par conclusions déposées et notifiées le 4 septembre 2012 la société intimée, appelante incidente, demande à la cour de :

Sur l'absence de brutalité de la rupture,

Vu l'article L. 442-6 I 5e du Code de commerce, 1134 et 1315 du Code civil, 9 du Code de procédure civile,

Dire que l'appelant ne justifie pas de la brutalité de la rupture, ni avoir critiqué et contesté le préavis proposé,

Dire qu'il ne peut se prévaloir d'une rupture brutale des relations commerciales établies,

Le débouter de ses demandes,

Le débouter de l'ensemble de ses demandes,

Dire subsidiairement que la durée du préavis ne saurait excéder trois mois,

Subsidiairement, sur le préjudice,

Dire qu'il ne saurait réclamer une indemnisation assise sur le chiffre d'affaires non réalisé,

Dire qu'il ne justifie ni de son taux de marge nette ni de son excédent d'exploitation,

Dire qu'il est défaillant dans la charge de l'administration d'une preuve qui lui incombe,

Le débouter en conséquence de ses demandes infondées dans leur principe et injustifiées dans leur quantum,

Dire que les dispositions de l'article L. 4113-5 du Code de la santé publique ne sont pas opposables entre un pharmacien et un établissement de soins,

Dire que la convention de réversion a pour contrepartie l'exclusivité accordée à Monsieur Ristorcelli,

Le débouter de toutes demandes de ce chef,

Très subsidiairement,

Dire que le préjudice ne saurait excéder celui résultant de brutalité de la rupture elle-même indépendamment de ses motifs,

Rejeter la demande présentée à ce titre,

Le condamner au paiement d'une somme de 10 000 euro par application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile et aux dépens.

L'affaire a été clôturée en l'état le 5 septembre 2012.

Motifs

Sur le caractère abusif de la résiliation :

Attendu qu'en matière de relations commerciales la rupture de ces relations est régie par l'article L. 442-6 I 5e du Code du commerce qui dispose qu'engage sa responsabilité un commerçant qui rompt brutalement une relation commerciale établie sans préavis écrit tenant compte de la durée de cette relation ;

Attendu que la société les Quatre Trèfles Les Mercuriales a motivé sa décision de rupture par sa volonté de sécuriser le circuit du médicament au sein de l'établissement ;

Attendu que Monsieur Ristorcelli soutient que ce motif est erroné et abusif ;

Attendu cependant que les parties étant libres de mettre fin à leurs relations, sous la réserve de respecter une durée de préavis suffisante, et aucun contrat n'ayant fixé une durée de relations entre les parties, le moyen tiré du caractère abusif du motif mentionné dans le courrier de rupture est ici sans emport, la rupture pouvant intervenir sans qu'il ne soit justifié d'aucun motif ;

Attendu que Monsieur Ristorcelli sera en conséquence débouté de sa demande de condamnation des intimées au paiement de la somme de 397 690 euro au titre de la rupture abusive des relations contractuelles ;

Sur la durée du préavis et l'indemnisation :

Attendu qu'en l'espèce les parties reconnaissent qu'elles étaient en relations commerciales suivies depuis 7 années à la date de la résiliation des conventions par courrier du 3 mai reçu le 6 mai 2010 ;

Attendu que ce courrier prévoyait un préavis de deux mois, d'une durée insuffisante au regard de la durée des relations ;

Attendu qu'il ne résulte d'aucun élément du dossier que Monsieur Ristorcelli, qui a assigné la société Quatre Trèfles Les Mercuriales en indemnisation de son préjudice dès le 27 octobre 2010, soit trois mois après la cessation totale de leurs relations en réclamant un préavis d'une durée de 12 mois, ait accepté tacitement un préavis de deux mois ;

Attendu que Monsieur Ristorcelli ne produit aux débats aucun élément attestant de ce que d'autres pharmaciens en relations avec la société Les Quatre Trèfles Les Mercuriales pour des situations d'ancienneté équivalente aient bénéficié, comme il l'allègue, d'un préavis de 12 mois à la suite de la rupture des relations ;

Attendu que par des motifs pertinents les premiers juges ont justement fixé la durée suffisante du préavis à 6 mois ;

Attendu qu'au regard des pièces produites et de l'attestation du comptable du pharmacien, non utilement contredites par les pièces de l'adversaire relatives à des tendances générales de la profession, la fixation par les premiers juges de l'indemnité de préavis à la somme de 22 942 euro pour les 4 mois de préavis restant à courir, calculée sur la marge commerciale de la pharmacie ressortant des éléments comptables produits, sera confirmée par la cour ;

Sur l'inexécution par la société Les Quatre Trèfles Les Mercuriales du préavis :

Attendu que l'appelant reproche à la société les Quatre Trèfles Les Mercuriales de n'avoir pas exécuté le préavis loyalement, faisant valoir que le chiffre d'affaires réalisé au cours de ces deux mois est d'un montant inférieur à celui réalisé habituellement ;

Attendu que le chiffre d'affaires se divise en "règlements sécu et organismes" et "règlements directs" des résidents ;

Attendu ainsi que l'ont relevé justement les premiers juges il ressort du tableau détaillé des deux chiffres d'affaires effectués de décembre 2003 à juin 2010, que leur montant global n'était pas constant mais fluctuait d'un mois sur l'autre, variant de 15 973 euro en septembre 2008 à 41 370,67 euro en juillet 2008 ;

Attendu que les montants réalisés en mai et juin 2008 de 16 843,38 euro et 16 938,50 euro ne sont dès lors pas anormaux au regard de l'historique des relations des parties et que leur baisse par rapport aux mois précédents peut s'expliquer par les pathologies développées par les résidents alors hébergés ;

Attendu par contre qu'il est constant qu'aucun chiffre d'affaires n'a été réalisé ces deux mois au titre des "règlements directs" résidents, ce qui n'est jamais survenu antérieurement et ne peut s'expliquer que par la rupture des relations commerciales ;

Attendu que sur les douze mois écoulés la moyenne du chiffre d'affaires était de 640 euro, soit 1 280 euro pour mai et juin 2010 ;

Attendu par ailleurs que Monsieur Ristorcelli fait justement remarquer que le préavis démarrait à compter de la réception de la lettre de résiliation, soit en l'espèce le 6 mai 2010 ;

Attendu qu'en stoppant toute commande au 29 juin 2010 la société Les Quatre Trèfles Les Mercuriales n'a pas respecté la totalité des deux mois de préavis ;

Attendu que Monsieur Ristorcelli est fondé à se plaindre de cet arrêt prématuré des relations commerciales régulières, le privant d'une semaine de chiffre d'affaires, la situation des malades nécessitant des livraisons régulières de médicaments et produits pharmaceutiques quasi quotidiennement ;

Attendu qu'eu égard à la moyenne du chiffre d'affaires réalisé sur les 36 mois précédents la société Les Quatre Trèfles Les Mercuriales celui d'une semaine peut être fixé à 6 617 euro ;

Attendu cependant que le préjudice souffert par Monsieur Ristorcelli de l'arrêt prématuré des relations commerciales en méconnaissance du préavis proposé consiste en une perte de marge de 28,89 % sur les rentrées qu'il était en droit d'attendre ;

Attendu que la société Les Quatre Trèfles Les Mercuriales sera condamnée à lui verser de ces chefs la somme de (1 280 euro + 6 617 euro = 7 897 euro x 28,89 %) 2 281,45 euro ;

Sur la convention de reversion :

Attendu qu'il résulte des factures produites aux débats que Monsieur Ristorcelli a régulièrement réglé à la société Les Quatre Trèfles Les Mercuriales d'un montant de 1 000 euro HT par mois jusqu'au 1er septembre 2008 et de 850 euro HT par mois à compter du 1er octobre 2008 ;

Attendu que cette reversion convenue d'un commun accord entre les parties et exécutée sans aucune réserve ni observation par Monsieur Ristorcelli durant toute la période des relations commerciales, n'est pas illicite, le texte visé par Monsieur Ristorcelli prohibant cette pratique n'étant pas applicable aux pharmaciens ;

Attendu que c'est à bon droit que les premiers juges l'ont débouté de sa demande d'annulation de cette convention, qui, contrepartie l'exclusivité de la fourniture des produits pharmaceutiques consentie à Monsieur Ristorcelli, n'est pas entachée de nullité ;

Attendu qu'il a été justement débouté de sa demande en restitution des sommes versées en application de cet accord qu'il a accepté ;

Attendu qu'il n'y a pas lieu de faire application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Attendu que Monsieur Ristorcelli succombant pour partie dans son appel, les entiers dépens seront partagés pour 3/4 par la société Les Quatre Trèfles Les Mercuriales et pour 1/4 par Monsieur Ristorcelli ;

Par ces motifs : LA COUR statuant par mise à disposition au greffe, contradictoirement, Confirme le jugement attaqué en ce qu'il a condamné la société Les Quatre Trèfles Les Mercuriales à payer à Monsieur Ristorcelli la somme de 22 942 euro de dommages et intérêts au titre des 4 mois de préavis supplémentaire découlant de la rupture des relations commerciales, celle de 3 000 euro par application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens de première instance, Le Réforme pour le surplus, Statuant à nouveau sur les indemnités dues au titre de l'inexécution loyale du délai de préavis de deux mois par la société Les Quatre Trèfles Les Mercuriales, Condamne la société Les Quatre Trèfles Les Mercuriales à verser à Monsieur Ristorcelli une indemnité de 2 281,45 euro, outre intérêts au taux légal à compter de ce jour, Y ajoutant, Déboute Monsieur Ristorcelli de ses demandes de nullité de la convention de reversion, de restitution des sommes versées à ce titre, de paiement de dommages et intérêts pour rupture abusive, de fixation à 12 mois du délai de préavis, Rejette pour le surplus les demandes, fins et conclusions des parties, Dit n'y avoir lieu à faire application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile en cause d'appel, Dit que les dépens d'appel seront supportés pour les 3/4 par la société Les Quatre Trèfles Les Mercuriales et pour 1/4 par Monsieur Ristorcelli, ceux d'appel étant recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.