CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 16 février 2011, n° 08-08727
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Le Gouessant (SCA)
Défendeur :
Ceva Santé Animale (SA), Ajinomoto Eurolysine (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Le Fevre
Conseillers :
MM. Roche, Vert
Avoués :
SCP Taze-Bernard - Belfayol-Broquet, SCP Hardouin, SCP Bernabe-Chardin-Cheviller
Avocats :
Mes Depasse, Fribourg, Michot, Bertrou
Vu le jugement du 22 janvier 2008 du Tribunal de commerce de Paris qui a débouté la société Coopérative Le Gouessant de ses demandes, notamment de dommages et intérêts, formulées à l'encontre de la SAS Ajinomoto Eurolysine, fondées sur des pratiques d'entente anticoncurrentielle reconnues par décision de la commission des Communautés européennes du 7 juin 2000, pour défaut de preuve d'un préjudice en lien de causalité avec la faute, et a accordé 2 500 à la SA Ceva Santé Animale fournisseur de lysine de la Coopérative Le Gouessant, se fournissant elle-même auprès d'Ajinomoto, mise en cause mais à laquelle rien n'était demandé ;
Vu le jugement du même jour du même tribunal qui, statuant dans un litige analogue concernant la SAS Société française d'aliments ci-après Sofral demandeur en dommages et intérêts à l'encontre de la société Ajinomoto Eurolysine, l'a déboutée de ses demandes et accordé à Ceva Santé Animale 2 500 au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;
Vu les appels respectifs des sociétés Coopérative Le Gouessant et Sofral ;
Vu les conclusions du 30 décembre 2010 de la société Coopérative agricole Le Gouessant qui demande à la cour de réformer le jugement la concernant, condamner la société Ajinomoto Eurolysine à lui payer les sommes de 267 722 HT "pour les sommes payées à l'excès", 128 700,42 "en raison du retard dans le paiement" , 12 000 en application de l'article 700 du Code de procédure civile, lui donner acte de ce que la facturation est réservée ;
Vu les conclusions du 7 décembre 2010, de la société Ajinomoto Eurolysine qui demande à la cour de constater que les demandes de la Coopérative Le Gouessant sont irrecevables pour défaut de démonstration d'un intérêt à agir, à tout le moins mal fondées pour défaut de démonstration d'un préjudice lié aux pratiques sanctionnées par la Commission européenne ; confirmer le jugement ; débouter la Coopérative Le Gouessant ; la condamner à lui payer 10 000 au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;
Vu les conclusions du 14 décembre 2010 de la société Sofral qui demande à la cour d'infirmer le jugement la concernant, condamner Ajinomoto Eurolysine à lui payer 59 859 HT pour les sommes payées à l'excès ; 24 735, 48 en raison du retard dans le paiement, 8 000 au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, lui donner acte de ce que la facturation de la TVA est réservée ;
Vu les conclusions du 6 décembre 2010 de la société Ajinomoto Eurolysine qui fait les mêmes demandes à l'encontre de la société Sofral qu'à l'encontre de la Coopérative Le Gouessant ;
Vu les conclusions de la société Ceva Santé Animale du 7 septembre 2010 dans l'affaire n° 08-8727 dans laquelle la société Coopérative Le Gouessant est appelante et du 22 septembre 2010 dans l'affaire n° 08-08734, par lesquelles elle demande sa mise hors de cause respectivement dans les deux affaires et réclame chaque fois 3 000 au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;
Considérant que les litiges étant fondés sur des mêmes faits et les argumentations des parties ayant le même fondement juridique, la cour estime de bonne administration de la justice de joindre les causes instruites sous les numéros 08-727 et 08-734 du rôle général de la cour et de statuer par un seul arrêt ;
Considérant que les appelantes ont intimé la société Ceva mais ne lui reprochent aucune faute et ne formulent pas de demande à son encontre ; qu'il y a lieu de la mettre hors de cause ; qu'il est équitable de lui accorder 1 500 pour ses frais irrépétibles d'appel ;
Considérant que la société Ceva est ou était le fournisseur d'Eurolysine des sociétés Coopérative Le Gouessant et Sofral, Ajinomoto Eurolysine étant elle-même son fournisseur ; qu'Ajinomoto Eurolysine a fait l'objet de condamnation à une amende ainsi que d'autres sociétés productrices de lysine par décision du 7 juin 2000 de la Commission des Communautés européennes pour pratiques d'ententes anticoncurrentielles ; que les sociétés Coopératives Le Gouessant et Sofral soutiennent que ces pratiques leur ont causé préjudice en raison des surcoûts qu'elles ont générés ;
Mais considérant que la société Ajinomoto Eurolysine fait justement valoir qu'une action en dommages et intérêts fondée sur une décision des autorités de concurrence communautaires est soumise aux conditions prévues par le droit interne de l'Etat dans lequel l'action est introduite et qu'il appartient aux sociétés Coopérative Le Gouessant et Sofral de démontrer qu'elles ont subi un préjudice personnel résultant directement des pratiques sanctionnées par la Commission européenne ; qu'il n'y a pas de préjudice si les surcoûts éventuels ont été répercutés sur les prix des produits auprès des clients des sociétés Coopérative Le Gouessant et Sofral ; que la répercussion des coûts est la pratique commerciale habituelle et normale ; que le droit de la concurrence et la sanction des pratiques anticoncurrentielles ont d'ailleurs pour finalité principale la protection du consommateur ;
Considérant que les sociétés Coopérative Le Gouessant et Sofral se réfèrent essentiellement à des notes de M. Christian Mouchet, professeur à l'Ecole nationale supérieure d'agronomie de Rennes, expert près la Cour d'appel de Rennes, qui a établi une note sur l'évaluation du préjudice de chacune des sociétés Coopérative Le Gouessant et Sofral et des notes complémentaires en réponse à une note de M. David Spector, chargé de recherche au CNRS et enseignant à l'Ecole normale supérieure, qui concluait après "une analyse économétrique rigoureuse du prix de la lysine entre 1990 et 1991" que les estimations effectuées par lui indiquaient que l'entente n'avait eu "aucun impact statistiquement identifiable sur le prix de la lysine payé par les sociétés Coopérative Le Gouessant et Sofral" ;
Considérant que M. Mouchet, comme d'ailleurs M. Spector, se livrent à des appréciations générales, théoriques et abstraites plutôt qu'à des analyses concrètes des prix effectivement pratiqués ; qu'il calcule les préjudices à partir de diverses hypothèses après avoir affirmé que "le choix d'évaluer l'impact de l'entente en utilisant les prix facturés par Ajinomoto à ses fournisseurs est pertinent d'autant qu'il permet d'utiliser les données non contestables publiées dans la décision de la commission" ; qu'il déclare de manière dubitative qu'il est "raisonnable de penser" que la hausse des prix s'est répercutée sur tous les produits contenant de la lysine industrielle ; que cette phrase a été répétée dans les notes en réponse à celle de M. Spector ; que dans ces notes en réponse M. Mouchet déclare qu'en raison du caractère concurrentiel du marché "il n'est guère possible de répercuter sur les prix de vente une forte hausse du prix de l'aliment" et qu'il n'est pas possible, non plus, de répercuter la hausse du prix de l'aliment ; mais que ceci n'est pas démontré ; que précisément, le caractère concurrentiel des marchés a été faussé par l'entente; que la cour ne peut faire sienne la conclusion de M. Mouchet selon laquelle les sociétés appelantes ont été confrontées à une hausse de prix d'approvisionnement sans pouvoir en répercuter les effets sur leurs clients, cette affirmation n'étant pas suffisamment étayée par des éléments concrets de démonstration; que la perte de compétitivité, faute de comparaisons concrètes et fiables des prix des divers fournisseurs et distributeurs de produits contenant de la lysine, n'est pas plus démontrée ;
Considérant qu'en définitive, il résulte de ce qui précède et des motifs non contraires du tribunal que les sociétés Coopérative Le Gouessant et Sofral ne font pas suffisamment la preuve, qui leur incombe, du principe ni du montant de leur préjudice ;
Considérant qu'eu égard aux circonstances particulières du litige telles qu'elles résultent des jugements susvisés et du présent arrêt il est équitable de laisser à chacune des parties la charge des frais irrépétibles et dépens d'appel qu'elles ont engagées ;
Par ces motifs : Joint les causes n° 08-08727 et n° 08-08734 du rôle général de la cour. Met la société Ceva Santé Animale hors de cause. Condamne les sociétés Coopératives Le Gouessant et Sofral in solidum à payer à la société Ceva Santé Animale la somme supplémentaire de 1 500 en application de l'article 700 du Code de procédure civile. Confirme les jugements entrepris. Déboute les parties de leurs autres demandes. Laisse à chacune d'elles les dépens d'appel qu'elles ont engagés, sauf ceux engagés par Ceva qui sont à la charge de Coopératives Le Gouessant et Sofral in solidum et seront recouvrés selon les dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.