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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 7 novembre 2012, n° 11-05382

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Aprochim (SA)

Défendeur :

Tredi (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Roche

Conseillers :

M. Vert, Mme Luc

Avocats :

SCP Fisselier-Chiloux-Boulay, Mes Mazet, Michel, Serra, De Bussy

T. com. Paris, du 2 mars 2011

2 mars 2011

Vu le jugement rendu par le Tribunal de commerce de Paris le 2 mars 2011, par lequel celui-ci a, sous le régime de l'exécution provisoire, déclaré la société Aprochim mal fondée en ses demandes pour concurrence déloyale et l'a condamnée à payer à la SA Tredi la somme de 10 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Vu l'appel formé le 21 mars 2011 par la société Aprochim et ses conclusions du 3 avril 2012 demandant à la cour d'infirmer le jugement entrepris, dire que la société Tredi s'est livrée à son égard à des actes de concurrence déloyale, à savoir le débauchage de ses salariés, le détournement déloyal de sa clientèle et l'atteinte à sa réputation, la condamner à lui payer la somme de 1 160 000 euro, à titre de dommages et intérêts, ordonner la publication du dispositif de l'arrêt à intervenir dans trois journaux ou revues au choix d'Aprochim et aux frais de Tredi, et ce dans la limite de 4 000 euro HT par insertion, ordonner à cette fin la consignation de la somme de 12 000 euro HT entre les mains de Monsieur le Bâtonnier de Paris en qualité de séquestre sous astreinte, ordonner l'exécution provisoire, et condamner la société Tredi à payer à la société Aprochim une indemnité de 10 000 euro par application de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Vu les conclusions de la société Tredi, enregistrées le 19 juin 2012, dans lesquelles elle demande à la cour de confirmer le jugement du 2 mars 2011 en ce qu'il a jugé qu'Aprochim ne rapportait pas la preuve d'actes de concurrence déloyale de sa part, et lui allouer une indemnité complémentaire de 10 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Sur ce,

La société Aprochim, filiale du groupe Chimirec, est spécialisée dans la collecte et le traitement de déchets industriels, notamment dans la décontamination des équipements pollués par des PCB (polychlorobiphényles).

La société Aprochim soutient que la société Tredi, filiale de la société Seche Environnement, concurrent direct, a débauché trois de ses anciens salariés, MM. Demortiere, Laratte et Palfray, qui se sont vus confier les mêmes secteurs géographiques que ceux dont ils avaient la responsabilité au sein de la société Aprochim, et dont il aurait résulté un démarchage massif de ses clients, à la suite du détournement du fichier de clientèle commis par l'un d'entre eux.

La société Aprochim a engagé une instance devant les juridictions prudhommales à l'encontre d'un des trois salariés, Monsieur Laratte. La Cour d'appel de Nancy a, par arrêt du 24 février 2010, confirmé la sentence prudhommale l'ayant condamné au paiement de la somme de 5 000 euro à titre de dommages-intérêts, en réparation du préjudice causé par son manquement à son obligation contractuelle de loyauté et de confidentialité envers la société Aprochim, celui-ci ayant, pendant l'exécution de son préavis, procédé à une copie illicite du fichier clientèle de son employeur.

Par courrier du 22 février 2007, la société Aprochim a mis en demeure la société Tredi de cesser ses agissements prétendument déloyaux, puis l'a assignée devant le Tribunal de commerce de Paris sur le fondement de la concurrence déloyale.

Par jugement avant dire droit du 16 octobre 2009, le tribunal a eu recours à une mesure d'instruction sous forme d'une consultation auprès d'un technicien.

Le tribunal de commerce a rendu le jugement susvisé, dont il a été interjeté appel par la société Aprochim.

Considérant que si la société Aprochim soutient que la société Tredi se serait livrée à une concurrence déloyale à son encontre en se livrant au débauchage massif de ses salariés, au détournement de sa clientèle et à des pratiques de dénigrement, il convient de rappeler que l'action en concurrence déloyale, qui repose non sur la présomption de responsabilité de l'article 1384 du Code civil, mais sur une faute engageant la responsabilité civile quasi-délictuelle de son auteur au sens des articles 1382 et 1383 du même code, suppose l'accomplissement d'actes positifs et caractérisés dont la preuve, selon les dispositions de l'article 1315 du même code, incombe à celui qui s'en déclare victime ;

Sur le débauchage massif :

Considérant qu'il appartient au demandeur de prouver la commission d'agissements contraires aux usages loyaux du commerce, étant précisé que le débauchage, consistant à inciter certains salariés d'un concurrent à quitter leur emploi pour les attirer dans sa propre entreprise, n'est pas illicite en soi, sauf s'il résulte de manœuvres déloyales ou tend à l'obtention déloyale d'avantages dans la concurrence, de nature à désorganiser l'entreprise ;

Considérant que ne constituent pas en soi des manœuvres déloyales la simple constatation de l'embauche par un concurrent de salariés démissionnaires, de l'attribution à ce personnel de fonctions identiques et du transfert d'une partie important de la clientèle dans les mois ayant suivi l'embauche ; qu'en effet, nul ne dispose d'un quelconque droit privatif sur sa clientèle et le simple déplacement d'une clientèle d'un fond à un autre n'est pas, à lui seul et en l'absence de manœuvres déloyales, révélateur d'un comportement fautif de la part du bénéficiaire et, plus précisément d'une action organisée de détournement de clientèle ;

Considérant que si la société Aprochim expose que le débauchage de ses trois salariés, qualifiés et spécialisés, a affecté le tiers de ses effectifs et n'avait d'autre objet que sa désorganisation et le détournement de sa clientèle, grâce à l'accès à des informations stratégiques sur sa politique commerciale détenues par ces salariés, la société Tredi prétend que les salariés en cause ont présenté spontanément leur démission, sans que l'absence de motivation de celles-ci ne permette d'en inférer une quelconque manœuvre de la société Tredi ;

Considérant que M. Demortiere a donné sa démission le 10 mai 2005, MM. Laratte et Palfray, respectivement les 10 et 11 mars 2006 ; que ces trois salariés sont partis volontairement sans qu'il soit démontré que la société Tredi les ait incités de quelque manière à le faire, ni que cette société ait été complice de ces départs, par des manœuvres frauduleuses, la seule circonstance que ces démissions n'aient pas été motivées ne pouvant en rapporter la preuve, les simples présomptions ne suffisant pas en l'espèce ; qu'il ressort des pièces du dossier une certaine détérioration des relations sociales au sein de l'entreprise qui pourrait expliquer les autres départs constatés au sein de la société Aprochim ; qu'aucune obligation de non concurrence ne pesait sur ces salariés, libres de proposer leurs services à des sociétés concurrentes ; que l'embauche de ces salariés par la société Tredi ne peut être qualifiée de débauchage massif, même s'il porte sur le tiers des effectifs et concerne des salariés chevronnés ; qu'il n'est pas davantage démontré qu'ils aient été embauchés afin de fournir des informations confidentielles à la société Tredi, ni que ces seuls trois salariés, "'technico-commercial'" aient maîtrisé toute la force de vente de la société Aprochim ; qu'ainsi, aucune preuve n'est versée aux débats concernant la prétendue volonté de la société Tredi de désorganiser l'entreprise Aprochim, ni la désorganisation effective de cette société ; qu'aucun débauchage massif fautif ne peut donc être imputé à la société Tredi ;

Sur le détournement de clientèle :

Considérant que si Monsieur Laratte a été sanctionné par la cour d'appel pour détournement illicite d'informations confidentielles, à savoir le fichier national des clients de la société Aprochim, aucune preuve n'est rapportée de sa transmission et de son utilisation par la société Tredi, seule en cause dans la présente instance ; que la preuve des prétendus agissements déloyaux de cette société ne saurait résulter de présomptions ou de supputations ; que, sans qu'il soit besoin de s'appuyer sur les expertises produites par les parties qui disculpent M. Laratte, la société Tredi n'est pas impliquée dans ce détournement, à le supposer avéré, et tel qu'il est établi et reconnu par la cour d'appel dans l'instance prudhommale : que la circonstance, alléguée par la société Aprochim, que M. Laratte ait formulé une offre au nom de la société Tredi, alors qu'il était encore au sein de la société Aprochim en utilisant l'étude faite pour cette société, ne démontre pas davantage que la société Tredi ait été au courant de cette déloyauté du salarié à l'égard de son employeur ;

Considérant, au surplus, que la société Aprochim ne démontre pas avoir subi une désorganisation, la simple baisse conjoncturelle de son chiffre d'affaires à la suite du départ de ses commerciaux étant conforme aux aléas de la vie économique et ne dépassant pas un niveau prévisible, compte tenu de la tendance à la baisse de son chiffre d'affaires, constatée dès 2005 ; qu'aucun démarchage systématique des clients de la société Aprochim n'est par ailleurs démontré ; qu'aucun détournement fautif de clientèle ne peut donc être imputé à la société Tredi ;

Sur le dénigrement :

Considérant que le dénigrement consiste à jeter publiquement le discrédit sur une personne, un produit ou un service identifié et se distingue de la critique dans la mesure où il émane d'un acteur économique qui cherche à bénéficier d'un avantage concurrentiel en jetant le discrédit sur son concurrent ou sur les produits de ce dernier ;

Considérant que les échanges de courriers entre cabinets de conseil en propriété intellectuelle des deux parties, dont la société Aprochim excipe pour démontrer le dénigrement de la société Tredi, se sont déroulés dans la confidentialité, et dans un objectif, a priori légitime, de protection des droits de propriété intellectuelle ,de la société Tredi sans que soit démontrée la volonté de jeter le discrédit sur la société Aprochim ; que ces échanges ont eu lieu sans aucune publicité, pour solliciter des éléments d'informations et de clarification ; qu'ils ne contiennent, en toute hypothèse, aucun propos dénigrant ; que l'évocation par la société Tredi, dans le cadre de sa défense dans la présente instance, de l'enquête de l'Office central de lutte contre les atteintes à l'environnement concernant la société appelante, ne constitue pas davantage une pratique de dénigrement, en l'absence de diffusion de ce document et de propos dénigrants ; qu'au surplus, ce document n'est pas dépourvu de tout lien avec la défense de la société Tredi, car de nature à expliquer le mauvais climat social régnant au sein de la société Aprochim ; que le grief de dénigrement n'est donc pas constitué ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le jugement entrepris sera confirmé en toutes ses dispositions et les demandes de la société Aprochim seront écartées, y compris celles tendant à ordonner la publication de l'arrêt à intervenir ;

Par ces motifs : - Confirme le jugement entrepris, - Rejette les demandes de la société Aprochim, - Condamne la société Aprochim aux dépens de l'appel, qui seront recouvrés selon les dispositions de l'article 699 du Code procédure civile, - La Condamne à payer à la société Tredi la somme de 5 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.