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Décisions

CA Chambéry, ch. civ. sect. 1, 6 novembre 2012, n° 11-01466

CHAMBÉRY

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

L'Auto Marché (SARL), Administrateurs Judiciaires Partenaires (ès qual.)

Défendeur :

Barone, Sodaco (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Billy

Conseillers :

MM. Leclercq, Morel

Avocats :

SCP Bollonjeon Arnaud Bollonjeon, SCP Forquin Remondin, SCP Fillard Cochet-Barbuat, Mes Zaiem, Tidjani, Bessy

TGI Grenoble, du 30 mai 2005

30 mai 2005

FAITS ET PROCÉDURE

La société l'Auto Marché a fait l'objet d'un redressement fiscal au titre de la taxe sur la valeur ajoutée omise sur des acquisitions intracommunautaires de véhicules réalisées par son agent commercial M. Rémi Barone pour les années 1997, 1998 et 1999.

Estimant que M. Barone n'avait pas accompli correctement les formalités nécessaires à ces opérations, la société l'Auto Marché, par acte du 4 juillet 2001, l'a assigné devant le Tribunal de grande instance de Grenoble en paiement d'une somme de 297 672,39 euro à titre de dommages et intérêts représentant les pénalités fiscales et les commissions, selon elle, versées à tort.

M. Barone a appelé en garantie la société Sodaco, expert-comptable de la société l'Auto Marché et reconventionnellement demandé la condamnation de la société l'Auto Marché à lui payer une somme de 86 613,40 euro, à titre d'indemnité de rupture de son contrat d'agent commercial.

Par jugement du 30 mai 2005 le Tribunal de grande instance de Grenoble a :

- débouté la société l'Auto Marché de ses demandes à l'encontre de M. Barone,

- dit n'y avoir lieu de statuer sur la demande de garantie de M. Barone contre la société Sodaco,

- condamné la société l'Auto Marché à payer à M. Barone une indemnité de rupture de 86 613,40 euro outre intérêts au taux légal à compter du 21 décembre 2004 et une somme de 1 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

- débouté M. Barone de ses demandes de dommages et intérêts supplémentaires,

- condamné la société Sodaco à dédommager et garantir la société l'Auto Marché à concurrence du tiers des pénalités et majorations qui seront liquidées et mises en recouvrement après épuisement des voies de recours,

- débouté la société l'Auto Marché de ses demandes d'indemnisation totales du montant des redressements initialement notifiés,

- partagé les dépens à concurrence d'un tiers à la charge de Sodaco et de deux tiers à la charge de l'Auto Marché.

La société l'Auto Marché a relevé appel de ce jugement.

La société l'Auto Marché a ensuite été placée en redressement judiciaire le 18 novembre 2005 et son administrateur judiciaire, Me Sapin, est intervenu à l'instance.

Par arrêt du 3 novembre 2009 la Cour d'appel de Grenoble a :

- infirmé le jugement déféré en ce qu'il avait débouté la société l'Auto Marché de sa demande en paiement à l'encontre de M. Barone,

- statuant à nouveau, déclaré irrecevable en cause d'appel la demande de la société l'Auto Marché à l'encontre de M. Barone,

- confirmé pour le surplus le jugement, sauf à fixer à la créance de M. Barone au passif du redressement judiciaire de la société l'Auto Marché à la somme de 86 613,40 euro outre intérêts au taux légal du 21 septembre 2004 au 18 novembre 2005 et à condamner la société Sodaco à relever et garantir la société l'Auto Marché à concurrence de 32 832 euro,

- condamné en cause d'appel la société l'Auto Marché à payer à M. Barone une somme de 1 500 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

- débouté la société l'Auto Marché et la société Sodaco de leur demande au titre de leurs frais irrépétibles de première instance et d'appel,

- fait masse des dépens d'appel partagés à hauteur d'un tiers à la charge de Sodaco et des deux tiers à la charge de la société l'Auto Marché.

La société l'Auto Marché s'est pourvue en cassation à l'encontre de cet arrêt.

Par arrêt du 8 février 2011, la Cour de cassation a cassé et annulé l'arrêt grenoblois mais seulement en ce qu'il avait fixé la créance de M. Barone au passif du redressement judiciaire de la société l'Auto Marché à la somme de 86 613,40 euro, outre intérêts au taux légal du 21 septembre 2004 au 18 novembre 2005, remis en conséquence, sur ce point, la cause et les parties en l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et les a renvoyées devant la Cour d'appel de Chambéry.

La Cour de cassation a relevé qu'en retenant, pour fixer la créance de M. Barone au passif de la société l'Auto Marché, que la faute grave de M. Barone n'était pas fondée en l'état de l'irrecevabilité de la demande de la société l'Auto Marché à son encontre, alors que l'irrecevabilité de la demande nouvelle formée en cause d'appel par la société l'Auto Marché était sans incidence sur l'existence éventuelle de la faute grave imputée par cette société à M. Barone, invoquée à titre de moyen de défense, la cour d'appel, qui ne s'était pas expliquée sur cette faute, n'avait pas donné de base légale à sa décision.

PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

La société l'Auto Marché demande à la cour :

- de débouter M. Barone de sa demande d'indemnité de rupture,

- subsidiairement, de dire que le droit à indemnité de M. Barone doit être calculé compensation faite de la somme de 297 672,39 euro au titre de l'indemnité compensatrice du montant des commissions versées à tort au cours des années 1997, 1998 et 1999,

- de dire que le droit à indemnité doit être calculé sur le montant des deux dernières années ayant précédé la rupture des relations,

- de condamner M. Barone au paiement de la somme de 4 573,47 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile.

Elle fait valoir :

- que M. Barone a perdu son droit à indemnisation dans la mesure où il ne prouve pas avoir satisfait aux exigences de l'article L. 134-12 du Code de commerce, faute d'établir la réalité et la date de la cessation de ses relations avec la société l'Auto Marché, les premiers juges et la cour d'appel ayant retenu à tort que la rupture du contrat résultait de l'assignation en paiement qu'elle avait délivrée à son encontre et que le délai d'action de un an prévu par le texte précité avait donc été respecté,

- qu'en application de l'article L. 134-13 du Code de commerce, M. Barone ne peut prétendre à une indemnité de rupture puisque la cessation du contrat a été provoquée par sa faute grave étant donné qu'en application de son contrat M. Barone, professionnel expérimenté en matière de transaction sur des véhicules provenant de l'étranger, avait l'exclusivité des achats et était responsable de leur politique, qu'il lui appartenait d'envisager le problème de la TVA afin de définir la marge réelle des acquisitions qu'il effectuait, qu'il avait l'obligation d'entreprendre toutes démarches et formalités nécessaires à la conclusion de l'achat ou de la vente ce qui impliquait nécessairement l'obligation de renseigner son mandant sur les règles applicables en matière de TVA et de lui fournir l'ensemble des documents nécessaires à la tenue d'une comptabilité exempte d'erreur ou d'omission, étant soumis à l'obligation de loyauté de l'article L. 134-4 du Code de commerce et à la présomption de faute en cas de mandat onéreux de l'article 1992 du Code civil, étant précisé qu'il a perçu des commissions plus fortes en raison de leur calcul sur une marge erronée, qu'il n'avait donc pas intérêt à dénoncer,

- que l'indemnité doit être calculée conformément au contrat, c'est-à-dire sur la moyenne des commissions versées pendant les deux dernières années et non sur la moyenne des années 1997 à 1999 comme l'a fait le tribunal confirmé par la Cour de Grenoble,

- qu'en tout état de cause, l'indemnité accordée doit être calculée compensation faite de la somme de 297 672,39 euro au titre de l'indemnité compensatrice du montant des commissions qu'elle a versées à tort au cours des années 1997, 1998 et 1999.

M. Rémi Barone demande à la cour :

- de confirmer en toutes ses dispositions le jugement du 30 mai 2005, ainsi que l'arrêt de la Cour d'appel de Grenoble,

- de condamner la société l'Auto Marché à lui payer la somme de 5 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

Il fait valoir :

- que l'article L. 134-12 du Code de commerce confère à l'agent commercial en cas de rupture des relations avec son mandant, le droit à une indemnité compensatrice du préjudice subi et que l'assignation délivrée à son encontre par la société l'Auto Marché marquait la rupture irréversible des relations contractuelles, de sorte que sa demande indemnitaire a bien été formée dans le délai de un an prévu par le texte,

- qu'il n'a commis aucune faute grave, puisque son contrat ne mettait à sa charge qu'une obligation de présentation de clientèle, de relation entre clients et fournisseurs, d'entreprise des formalités nécessaires à la conclusion de la vente pour le compte du mandant, la présomption de faute de l'article 1992 ne pouvant jouer sur des éléments étrangers à la mission confiée au mandataire, étant observé que les déductions de TVA critiquées par les services fiscaux et ayant donné lieu à redressement relèvent d'opérations de technique comptable dont la charge incombait à la société l'Auto Marché et à son expert-comptable,

- que le lien de causalité n'est pas non plus établi, sa mission étant étrangère au redressement intervenu, puisqu'il n'avait pas à sa charge la réalisation de la comptabilité de la société l'Auto Marché, étant précisé que, après son intervention concernant le rapport avec la clientèle et les fournisseurs, la passation de la commande, comme le stipule le contrat, était faite sous la responsabilité du mandant et qu'à la suite de la réception de la commande, celle-ci était traitée par les services de la société l'Auto Marché puis par son expert-comptable,

- qu'il ressort de ce que l'Auto Marché se refuse à communiquer l'ensemble des pièces relatives au redressement et de l'étude réalisée par un avocat spécialisé en droit fiscal que le redressement ne fait que corriger une erreur volontaire de la société l'Auto Marché dans la rédaction de ses déclarations de TVA,

- que l'indemnité a été correctement calculée, en fonction des indications fournies par la société l'Auto Marché dans ses écritures, sur la moyenne annuelle des commissions des années 97, 98 et 99,

- qu'il n'y pas lieu de déduire de cette indemnité les commissions prétendument indument versées puisqu'aucune faute n'est établie à son encontre.

La société Sodaco demande à la cour :

- de déclarer sans objet son appel en cause,

- de condamner la société l'Auto Marché à lui payer la somme de 4 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

Elle fait valoir :

- qu'à la suite de l'arrêt de la Cour de cassation, les dispositions de l'arrêt grenoblois la concernant sont devenues irrévocables, de sorte qu'elle a été assignée à tort par la société l'Auto Marché dans la présente procédure sur renvoi de cassation,

- qu'il y a donc lieu de la mettre purement et simplement hors de cause et de lui allouer une indemnité en dédommagement de ses frais irrépétibles.

MOTIFS

Attendu qu'en assignant, par acte du 4 juillet 2001, M. Barone en paiement d'une somme équivalente à 297 672,39 euro à titre de dommages et intérêts en raison du préjudice résultant des fautes graves qu'elle reprochait à celui-ci dans l'exécution de son mandat, la société l'Auto Marché a implicitement mais nécessairement manifesté sa volonté irrévocable de mettre fin au contrat d'agent commercial qui l'unissait à M. Barone, pareille action étant incompatible avec les obligations de réciprocité et d'entraide mises à la charge des parties par l'article L. 134-4 du Code de commerce dans l'exécution de ce contrat d'intérêt commun ;

Que la demande reconventionnelle en paiement de l'indemnité de rupture prévue par l'article L. 134-12 du Code de commerce formée par M. Barone par conclusions signifiées le 21 décembre 2001 est donc recevable pour avoir été formée dans le délai de un an de la cessation du contrat, étant relevé que la circonstance que la dernière année de versement des commissions ait été 1999 n'implique pas nécessairement rupture du contrat en l'absence de mise en œuvre des modalités prévues à cet effet par la convention ou de tout autre acte positif manifestant une volonté non équivoque des parties en ce sens ;

Attendu que le contrat d'agent commercial conclu entre la société l'Auto Marché et M. Barone, après avoir rappelé l'expérience professionnelle de ce dernier et les capacités qu'il estimait avoir pour développer une activité de vente et d'achat de véhicules neufs et d'occasion en France et à l'exportation, donne mandat à celui-ci de négocier au nom et pour le compte du mandant l'achat et la vente des produits commercialisés par lui ainsi que, le cas échéant, la reprise de véhicules effectuée accessoirement à une vente et dispose qu'à ce titre, il aura tout pouvoir pour :

- négocier tous achats desdits produits,

- présenter les produits aux acquéreurs éventuels et susciter leurs commandes,

- préparer la réalisation définitive de l'accord à intervenir entre le mandant et le fournisseur ou le client, étant encore précisé qu'en tout état de cause, tout achat ou vente ne sera définitivement conclu qu'après acceptation définitive du mandant et que dans le cadre de ce mandat, l'agent reçoit en outre pouvoirs pour négocier des accords et mettre en place un partenariat avec des organismes de financement ;

Que l'article 4 I. de cette convention stipule que l'agent s'oblige notamment à :

- identifier de nouveaux fournisseurs ou clients potentiels, à sa convenance et comme il le jugera utile et préférable,

- assurer les contacts avec les fournisseurs ou la clientèle, notamment au moyen de visites, en toute liberté, selon la voie qu'il choisira,

- entreprendre toutes démarches et exécuter toutes les formalités nécessaires à la conclusion de l'achat ou de la vente pour le compte du mandant,

- prendre des commandes pour le compte du mandant, à condition que lesdites commandes correspondent aux prix de vente et aux barèmes de remises du mandant et à ses conditions générales de vente et de distribution,

- transmettre régulièrement au mandant toute information qu'il jugera nécessaire et portant en particulier sur la situation du marché, les conditions de vente et les campagnes publicitaires de la concurrence ainsi que les réactions et souhaits de la clientèle actuelle et future ;

Que cette convention ne met aucunement à la charge de M. Barone les formalités fiscales postérieures à la régularisation des commandes, elle-même soumise à l'acceptation du mandant, ni la comptabilisation de la TVA applicable aux acquisitions réalisées, ni le recueil d'éléments utiles à l'établissement de déclarations incombant directement, de par la législation fiscale, à la société assujettie dont l'assistant naturel en la matière est le comptable et non l'agent commercial ;

Qu'ainsi la société l'Auto Marché n'est pas fondée à reprocher à M. Barone d'être à l'origine des redressements dont elle a fait l'objet, relatifs à des irrégularités en matière de TVA, ni à se prévaloir de la présomption de faute de l'article 1992 du Code civil, inapplicable lorsque la mission du mandataire est étrangère aux faits qui lui sont imputés ;

Que, par conséquent, M. Barone, qui n'a commis aucune faute grave au sens de l'article L. 134-13 du Code de commerce, peut prétendre à l'indemnité prévue par l'article L. 134-12 de ce même Code ;

Que l'usage en la matière, auquel se réfère l'article 7 I. 2 du contrat, conduit à évaluer cette indemnité à deux années de commissions calculées sur la moyenne des trois dernières années d'exécution du mandat ;

Que le montant des commissions versées à M. Barone pour 1997, 1998 et 1999, dernière année de leur versement, se monte, suivant l'attestation d'expert-comptable produite, à la somme de 852 219,98 F, soit une moyenne annuelle de 284 373,32 F, l'indemnité se chiffrant donc à la somme de 284 373,32 x 2 = 568 746,64 F soit 86 613,40 euro ;

Que vainement, la société l'Auto Marché prétend que cette indemnité devrait être calculée après déduction du montant des commissions indûment perçues sur une marge erronée pour les années 1997 à 1999, alors qu'elle doit être calculée sur les commissions effectivement versées et qu'aucune faute n'a été retenue à la charge de M. Barone ;

Que le jugement entrepris doit donc être confirmé en ses dispositions relatives à l'indemnité de rupture réclamée par M. Barone ;

Attendu que la société Sodaco, assignée par la société l'Auto Marché dans l'instance sur renvoi de cassation alors que cette procédure ne la concerne pas, sera mise hors de cause ;

Par ces motifs : LA COUR, statuant publiquement et contradictoirement, Vu l'arrêt de la Cour de cassation du 8 février 2011, Confirme le jugement du Tribunal de grande instance de Grenoble en date du 30 mai 2005 en ses dispositions relatives à l'indemnité de rupture demandée par M. Barone, Condamne la société l'Auto Marché à verser à M. Rémi Barone la somme de 1 000 euro en dédommagement des frais irrépétibles exposés après renvoi de cassation, Met la société Sodaco hors de cause de la présente instance sur renvoi de la Cour de cassation, Condamne la société l'Auto Marché à verser à la société Sodaco la somme de 700 euro en dédommagement des frais irrépétibles qu'elle a exposés après renvoi de cassation, Rejette les autres demandes, Condamne la société l'Auto Marché aux dépens exposés après l'arrêt de la Cour de cassation du 8 février 2011, dont distraction au profit de la SCP Forquin Remondin et de la SCP Fillard Cochet Barbuat.