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Décisions

CA Colmar, 1re ch. civ. A, 14 novembre 2012, n° 11-04117

COLMAR

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Varriale

Défendeur :

Brasserie Météor (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Vallens

Conseillers :

MM. Cuenot, Allard

Avocats :

SCP Cahn-Cahn-Borghi, Me Heichelbech

TGI Strasbourg, ch. com., du 30 juin 201…

30 juin 2011

Par un contrat du 6 février 2008, La Brasserie Météor (Météor) a conclu avec M. Almaboudi un accord de fourniture de bière en contrepartie d'une caution bancaire pour son fonds de commerce de bar tabac PMU Le Saint-Germain. Par un acte du 30 septembre 2008, M. Almaboudi a cédé son fonds de commerce à M. Varriale, l'acte de cession mentionnant la reprise du contrat de fourniture de bière.

Au mois de janvier 2009, M. Varriale a cessé de s'approvisionner en bières Météor auprès de son distributeur la société Murgier.

Par un acte d'huissier du 11 février 2009, Météor a assigné M. Varriale devant le Tribunal de grande instance de Strasbourg aux fins de résiliation du contrat et de paiement d'une indemnité de rupture de 32 197,38 euro en principal. Par un jugement du 30 juin 2011, le tribunal a fait droit à la demande de Météor.

M. Varriale en a interjeté appel. Il demande à la cour, au visa notamment de la réglementation européenne, de rejeter la demande, de prononcer la nullité du contrat et de condamner Météor à lui payer les sommes de 6 250 euro à titre de pénalité plancher, 5 000 euro au titre des versements effectués à l'huissier, 8 892,61 euro correspondant à une condamnation obtenue contre lui par la société Murgier et 2 500 euro pour les frais irrépétibles.

Il expose : contrairement à l'avis des premiers juges, le contrat est soumis au règlement communautaire 2790-1999 qui doit s'appliquer ; le contrat constitue une concentration verticale et a une incidence sur le marché pertinent ; il entraîne une entrave à la libre circulation des marchandises par l'effet cumulé d'autres contrats du même type ; il a une durée de 7 ans, supérieure à celle prescrite par le règlement communautaire ; le contrat lui confère une exclusivité totale pour les bières, soit plus que les 80 % tolérés par ce règlement ; l'acte de cession du fonds n'a pas été repris par une volonté claire et non équivoque de sa part ; le contrat de fourniture contient en outre une condition potestative en imposant la reprise du contrat en cas de vente du fonds à l'initiative de l'exploitant ; au jour de la cession du fonds, la contrepartie alléguée par Météor était inexistante ; le prêt consenti à M. Alamboudi a été remboursé ; pour ces différents motifs, le contrat de fourniture est nul ; Météor doit lui rembourser les sommes versées en exécution de la condamnation prononcée contre lui au profit du distributeur, en raison de la connexité des obligations entre le contrat de fourniture et le contrat de distribution ; Météor doit également l'indemniser au titre des paiements indûs effectués en exécution d'un contrat nul ; le contrat prévoyait contre lui une pénalité minimum de 6 250 euro qu'il réclame reconventionnellement à titre de dommages et intérêts.

Météor sollicite la confirmation du jugement et le paiement d'une somme de 2 000 euro pour les frais irrépétibles. Elle fait valoir : en l'absence d'incidence sur les échanges intracommunautaires, le contrat de fourniture n'est pas soumis au règlement 2790-1999 ; Météor est une PME en raison d'un chiffre d'affaires qui était en 2009 de 37 426 582 euro soit en dessous du seuil de 40 millions euro prévu par la réglementation européenne et un nombre de salariés de 160, inférieur au seuil de 250 salariés prévu par cette réglementation ; sa part de marché n'est que de 3,70 % soit moins que le seuil de 15 % prévu par la même réglementation ; la mention du règlement communautaire sur le contrat ne démontre pas par là même qu'il a vocation à s'appliquer ; le contrat permettait aux débitants d'acheter de la bière provenant d'autres Etats membres ; si le règlement communautaire s'applique, à titre subsidiaire, le contrat de fourniture n'imposait pas le prix des bières pour la revente aux consommateurs et la durée du contrat pouvait être supérieure à la durée prévue par le règlement communautaire, sans que ce dépassement entraîne la nullité du contrat ; elle écarterait simplement l'application de l'exemption ; au regard du droit national, le contrat n'était pas soumis à une condition potestative, qui aurait subordonné son entrée en vigueur à une condition préalable qu'elle pouvait empêcher ou imposer ; l'obligation de transférer le contrat de fourniture en cas de vente du fonds est une promesse de porte fort ; de plus, M. Varriale s'est engagé dans l'acte de cession à reprendre ce contrat ; il n'entraine pas une novation car le vendeur est resté tenu des obligations vis-à-vis de Météor ; la cause de l'obligation existait bien au jour de la conclusion du contrat de fourniture ; de plus M. Varriale a bénéficié du prêt, qui a permis à son vendeur de réaliser des travaux d'amélioration du fonds de commerce ; la réclamation de M. Varriale n'est pas fondée ; le contrat liant M. Varriale avec la société de distribution est distinct.

Sur ce, LA COUR,

Le contrat d'approvisionnement de bière a été conclu entre Météor et M. Almaboudi, propriétaire d'un fonds de commerce de bar tabac à Saint-Germain au Mont d'or le 6 février 2008 avait les particularités suivantes : la brasserie apportait comme prestation sa caution solidaire sur un prêt bancaire de 25 000 euro souscrit par son client auprès du Crédit Lyonnais et une ristourne de 15 euro par hectolitre de bière vendue ; les obligations du débitant consistaient en un approvisionnement exclusif en bières fabriquées ou commercialisées par Météor pour une quantité minimum de 70 hl par an et une durée de 7 ans, soit un approvisionnement total minimum de 470 hl, l'achat des bières auprès du distributeur désigné les établissements Murgier, et l'obligation de transmettre ces obligations à l'acquéreur éventuel de son fonds, tout en restant garant du respect des obligations prévues.

Il est constant que M. Almaboudi a cédé son fonds à M. Varriale par un acte authentique du 30 septembre 2008 pour un prix de 150 000 euro en mettant à sa charge le "contrat de brasseur" du 6 février 1008 conclu avec Météor et dont l'acquéreur a déclaré avoir connaissance. Bien que seule une copie non signée de l'acte ait été produite (d'ailleurs par les deux parties) il est reconnu que M. Varriale a eu connaissance de la convention d'approvisionnement en bière, convention qui a été annexée à l'acte selon ses mentions.

La convention a été ainsi valablement transmise à l'acquéreur du fonds.

Il est établi que, après seulement 7 mois d'exécution par le débiteur initial de l'obligation d'approvisionnement exclusif, celui-ci a cédé son fonds tout en se conformant à l'engagement figurant au contrat de céder cette obligation et que M. Varriale, contrairement aux stipulations de l'acte de cession, n'a pas repris l'engagement mais conclu un contrat similaire avec un autre fournisseur, sans donner suite à une mise en demeure du conseil de Météor du 23 octobre 2009.

En droit, l'article 81 du Traité CE interdit les accords qui sont susceptibles d'affecter le commerce entre Etats membres et qui ont pour objet ou pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence. De tels accords sont nuls de plein droit. Un règlement d'exemption, pris pour l'application de ces principes, prohibe les contrats d'approvisionnement conclus pour une durée supérieure à 5 ans lorsqu'ils imposent des achats de produits pour plus de 80 % auprès d'un fournisseur désigné avec exclusivité, selon l'article 5 du règlement CE 2790-1999 du 22 décembre 1999. Le contrat dénommé accord de fourniture de bière est soumis à ce règlement, auquel il fait expressément référence en son en-tête, mais la nullité d'un tel contrat n'est encourue que s'il a eu un impact sur le jeu de la concurrence dans les termes ci-dessus, au besoin par un effet cumulatif des contrats similaires conclus sur le même marché.

La nullité ne peut être prononcée que si le contrat rend difficile pour des fournisseurs concurrents la pénétration du marché pour des produits similaires ou les empêchent de s'y développer comme l'ont souligné la Cour de justice de l'Union européenne (CJCE du 28 février 1991, Demilitis) et la Commission européenne selon des lignes directrices contenues dans une communication du 27 avril 2004 sur les conditions dans lesquelles le commerce peut être affecté au sens des articles 81 et 82 du Traité.

En l'espèce, l'association des brasseurs de France a établi un relevé détaillé de la production et des ventes de bière en France, qui indique un chiffre de 21 076 687 hl en 2011. Or Météor ne commercialise, selon une attestation de son commissaire aux comptes, non utilement contredite, que 491 761 hl, ce qui ne représente que 2,3 %.

Météor reconnait détenir une part de marché de 3,70 % en 2007 et 3,72 % en 2009, ce qui est un peu supérieur mais qui reste particulièrement faible.

Le cafetier ayant conclu le contrat litigieux avait quant à lui à acquérir 70 hl par an, ce qui constitue une quantité faible de produits de même nature.

Même en présence de contrats similaires que Météor a pu conclure avec d'autres détaillants et portant sur les mêmes produits, Météor n'avait donc pas la possibilité par le jeu d'une clause d'approvisionnement exclusif de fausser de manière significative le jeu de la concurrence sur le marché français de la bière.

L'appelant de son côté n'apporte aucun élément de fait probant contredisant de façon pertinente la part de marché détenue par Météor y compris par une application cumulative de contrats similaires.

Quant au marché pertinent des cafetiers, hôteliers et restaurateurs, il n'est nullement établi par M. Varriale en quoi le contrat litigieux, même avec un effet cumulatif des autres contrats de même nature, serait susceptible d'affecter le commerce entre les Etats membres et aurait pour objet ou pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence intérieure du marché commun.

Il n'apporte ainsi aucun élément de fait concret démontrant ou faisant présumer que ce contrat contribuerait de manière significative à un effet de blocage produit par tout ou partie des contrats établis par Météor compte tenu de leur contexte économique et juridique.

En ce qui concerne le dépassement de la durée prescrite par le règlement communautaire, il n'emporte pas la nullité du contrat en l'absence d'effet manifeste sur le jeu de la concurrence.

Les moyens invoqués par M. Varriale pour se soustraire aux obligations découlant de l'engagement qu'il a repris ne sont donc pas fondés.

L'acte de cession conclu devant notaire contient un engagement express de M. Varriale de reprendre, parmi les différents contrats transférés, le "contrat de brasseur" conclu par son vendeur avec Météor. L'acte de cession mentionne, suivant la copie produite, que le contrat de bière a été annexé et que le cessionnaire a déclaré en avoir une parfaite connaissance. De plus, s'il a refusé de poursuivre l'exécution du contrat, c'est en raison des prix pratiqués par le distributeur de Météor la société Murgier, ainsi que cela ressort d'une lettre adressée à celle-ci le 8 janvier 2009 : il y réclame un alignement des tarifs sur ses principaux concurrents. Ce motif n'est pas de nature à révéler que le consentement de M. Varriale n'aurait pas été libre et suffisamment éclairé, sauf à admettre qu'il a acheté le fonds de commerce de son vendeur sans s'informer des tarifs du distributeur en vigueur, alors que ceux-ci figurent dans la documentation commerciale qui était disponible. Il n'allègue d'ailleurs pas que son vendeur lui aurait dissimulé des éléments utiles à son consentement.

Le moyen tiré de l'existence d'une condition potestative n'est pas plus pertinent, dans la mesure où Météor a imposé seulement à son cocontractant de transmettre les obligations résultant du contrat d'approvisionnement dans le cas où il céderait son fonds. Il n'était pas dans le pouvoir de Météor d'empêcher ou d'imposer à son cocontractant de céder son fonds, de sorte de cette clause n'entre pas dans les prévisions de l'article 1170 du Code civil.

Il importe peu également que la prestation de Météor ait profité avant tout à M. Almaboudi en garantissant le prêt que celui-ci avait souscrit : l'engagement de Météor avait été pris en considération de l'obligation du débitant d'un approvisionnement exclusif sur une durée suffisamment longue. Le prêt a permis à M. Almaboudi d'acquérir le fonds de commerce. Le fait que le prêt ait été remboursé par celui-ci, notamment grâce au prix de revente de ce fonds, ne prive pas non plus de cause le contrat de fourniture lors de sa conclusion.

Il ne saurait être non plus fait droit à la demande de M. Varriale tendant au remboursement des sommes réglées au distributeur la société Murgier, compte tenu de l'indépendance des obligations de M. Varriale tenu vis-à-vis de Météor d'un engagement d'approvisionnement exclusif et vis-à-vis du distributeur d'acquérir ces boissons.

Quant aux montants Météor a mis en compte des dommages intérêts dans les termes de l'article 11 du contrat, correspondant à la perte de marge brute par hectolitre, calculée sur le nombre des hectolitres restant à acheter. La marge brute indiquée est de 70,04 euro sur la production d'un hectolitre, montant qui n'est pas discuté dans les conclusions de l'appelant.

M. Varriale ne soutient pas que cette indemnité constituerait une clause pénale et présenterait un caractère manifestement excessif pouvant donnant lieu à réduction.

Météor indique que le vendeur du fonds n'avait acquis que 30,30 hl en 9 mois, sans que M. Varriale n'allègue qu'il aurait été difficile sinon impossible d'atteindre les quantités prévues de 70 hl par an.

Compte tenu de ces éléments, les dommages et intérêts prévus par le contrat s'établissent comme suit :

- hectolitres prévus : 490 hl

- hectolitres achetés : 30,30 hl

- hectolitres restant à prendre : 450,70 hl

- soit 70,04 euro X 459,70 = 32 197,38 euro.

Le jugement qui a alloué à Météor ce montant doit être confirmé.

Compte tenu du montant alloué en réparation à Météor, l'équité n'impose pas de lui allouer en sus une indemnité pour les frais irrépétibles engagés.

Par ces motifs : LA COUR, Confirme le jugement en toutes ses dispositions, Condamne M. Varriale aux dépens, Déboute la société Brasserie Météor de sa demande au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, Condamne M. Varriale aux dépens.