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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 5, 22 novembre 2012, n° 11-03992

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Sautron

Défendeur :

Tek Import (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Perrin

Conseillers :

Mmes Pomonti, Michel-Amsellem

Avocats :

Mes Fromantin, Canciani, Hardouin, Cordelle

T. com. Paris, du 30 nov. 2010

30 novembre 2010

FAITS CONSTANTS ET PROCEDURE

La société Tek Import commercialise des meubles d'intérieur et d'extérieur en bois, principalement par l'intermédiaire de son site Internet, meubles qu'elle importe depuis l'Asie et l'Indonésie.

Ayant constaté que sur un site Internet apparaissait en gros le nom de "Teck Import", elle a, par acte du 19 novembre 2009, engagé une action en référé à l'encontre du titulaire dudit site, Monsieur Didier Sautron.

Monsieur Sautron affirme avoir modifié le nom commercial de son entreprise à la fin du mois de novembre 2009, ce dont il a informé la société Teck Import par courriers officiels des 24 novembre et 7 décembre 2009.

Toutefois, la société Tek Import affirme que, si Monsieur Sautron a bien supprimé le site Internet litigieux, il continue par contre d'utiliser "Teck Import" comme nom commercial.

Par acte du 11 mars 2010, la société Tek Import a assigné Monsieur Sautron devant le Tribunal de commerce de Paris, aux fins faire cesser la concurrence déloyale dont elle s'estime victime et d'obtenir réparation de son préjudice.

Par un jugement en date du 30 novembre 2010, assorti de l'exécution provisoire, le Tribunal de commerce de Paris a :

- dit que Monsieur Sautron s'est rendu coupable d'actes de concurrence déloyale à l'encontre de la société Tek Import,

- condamné Monsieur Sautron à payer à la société Tek Import la somme de 5 000 euro à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi,

- ordonné à Monsieur Sautron de cesser toute utilisation du nom Teck Import dans un délai de 15 jours passé le délai de 48 heures à compter de la signification du présent jugement, ce sous astreinte de 1 000 euro par infraction constatée,

- condamné Monsieur Sautron à payer à la société Tek Import la somme de 2 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

- dit les parties mal fondées en leurs demandes plus amples ou contraires et les en déboute respectivement.

Vu l'appel interjeté le 3 mars 2011 par Monsieur Sautron contre cette décision.

Vu les dernières conclusions, signifiées le 20 septembre 2012, par lesquelles Monsieur Sautron demande à la cour de :

- dire que la société Tek Import ne rapporte pas la preuve qu'elle a été en situation de concurrence avec Monsieur Sautron,

- dire en conséquence que la société Tek Import n'établit pas la réalité des actes de concurrence déloyale qu'elle allègue,

- dire que la société Tek Import n'établit pas la preuve qu'elle serait connue dans le département de la Réunion,

- dire que la société Tek Import n'établit pas davantage que Monsieur Sautron aurait cherché à tirer profit de sa prétendue notoriété sans rien dépenser en commercialisant dans le département de la Réunion, pendant une période de 4 mois, du mobilier en rotin et des jacuzzi, par l'intermédiaire d'un site Internet dénommé "teckimport974.com" ou en utilisant le nom commercial "Teck Import",

- dire à titre infiniment subsidiaire que la société Tek Import ne rapporte pas la preuve, en tout état de cause, du préjudice financier dont elle réclame réparation à Monsieur Sautron,

en conséquence,

- infirmer en tous ses chefs le jugement du Tribunal de commerce de Paris en date du 30 novembre 2010,

en tout état de cause,

- débouter la société Tek Import de l'intégralité de ses demandes,

- condamner la société Tek Import à payer à Maître Canciani la somme de 1 500 euro au titre des dommages et intérêts et frais non compris dans les dépens sur le fondement des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Monsieur Sautron soutient que la suppression de son site Internet exploité sous le domaine teckimport974.com, ainsi que la modification du nom commercial de son entreprise n'ont aucune incidence sur la preuve des prétendus actes de concurrence déloyale allégués par la société Tek Import.

Il affirme qu'il n'y a aucune situation de concurrence entre lui et la société Tek Import, excluant par conséquent l'existence d'actes de concurrence déloyale au préjudice de la société Tek Import.

Monsieur Sautron considère également qu'il n'y a aucune preuve du parasitisme, allégué pour la première fois en cause d'appel par la société Tek Import.

Subsidiairement, Monsieur Sautron estime que la société Tek Import n'apporte pas la preuve du préjudice financier qu'elle allègue.

Vu les dernières conclusions, signifiées le 14 août 2012, par lesquelles la société Tek Import demande à la cour de :

- juger que l'utilisation du nom commercial Teck Import par Monsieur Sautron porte à confusion les consommateurs, au préjudice de la société Tek Import et constitue donc un acte de concurrence déloyale,

- juger que l'utilisation du nom commercial Teck Import est constitutive de parasitisme au préjudice de la société Tek Import et constitue un acte de concurrence déloyale,

- juger que l'utilisation du nom de domaine teckimport974.com par Monsieur Sautron a porté à confusion les consommateurs, au préjudice de la société Tek Import et donc a constitué un acte de concurrence déloyale,

- juger que l'utilisation du nom de domaine teckimport974.com par Monsieur Sautron a été constitutive de parasitisme au préjudice de la société Tek Import et a donc constitué un acte de concurrence déloyale.

En conséquence,

- infirmer le jugement en ce qu'il a rejeté les demandes de la société Tek Import de voir condamner Monsieur Sautron pour parasitisme,

- condamner M. Sautron à payer à la société Tek Import une somme de 25 000 euro à titre de dommages et intérêts,

- confirmer le jugement en ces autres dispositions,

- condamner Monsieur Sautron à payer à la société Tek Import une somme de 2 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile.

La société Tek Import soutient que Monsieur Sautron a commis des actes de concurrence déloyale du fait de la confusion engendrée par son choix de nom commercial et de nom de domaine, et du fait du parasitisme dont il a fait preuve à son égard. Elle affirme qu'elle se trouvait bien en situation de concurrence avec Monsieur Sautron, que le signe exploité revêtait un caractère distinctif, et que l'usage commercial qu'elle en faisait était antérieur à celui de Monsieur Sautron.

La société Tek Import considère également que Monsieur Sautron a entendu profiter de sa notoriété, de son savoir-faire et de la réputation qu'elle s'est construite au fil des années, dans la vente par Internet de meubles d'intérieur et d'extérieur réalisés en Asie et en Indonésie. De plus, elle estime que Monsieur Sautron a, contrairement à ce qu'il tente de faire croire, les outils, les qualités et l'expérience nécessaire pour avoir pleinement connaissance des entreprises existantes sur les marchés qu'il vise, et notamment d'une entreprise comme Tek Import, particulièrement visible sur Internet.

Enfin, la société Tek Import fait état d'un trouble commercial important, du fait de la confusion engendrée par l'adoption d'un nom commercial et d'un nom de domaine similaire au sien et du parasitisme dont s'est rendu coupable Monsieur Sautron.

La cour renvoie, pour un plus ample exposé des faits et prétentions initiales des parties, à la décision déférée et aux écritures susvisées, par application des dispositions de l'article 455 du Code de procédure civile.

MOTIFS

Le fait de créer volontairement ou par imprudence ou négligence une confusion ou un risque de confusion avec l'entreprise d'un concurrent ou avec ses produits ou services constitue un acte de concurrence déloyale.

En l'espèce, les parties ont, au moins pour une partie d'entre elles, des activités similaires à savoir la vente de meubles d'intérieur et d'extérieur "en provenance d'Asie et d'Indonésie" (pièces n° 2 et 5 de la société Tek Import) à partir de leur site Internet.

S'agissant de ventes sur Internet, elles ont vocation à toucher un large public et non simplement un public local comme voudrait le soutenir M. Sautron.

En choisissant comme nom commercial "Teck Import" et comme nom de domaine teckimport974, M. Sautron a exploité un signe revêtant un caractère significatif pour la société Tek Import puisqu'il s'agit de sa dénomination sociale.

Cette dénomination sociale présente un caractère original puisqu'elle n'est pas composée d'un terme générique ou de termes limités à la description de son activité.

La proximité du nom commercial "Teck Import" avec la dénomination sociale de la société Tek Import entraîne inévitablement une confusion pour le consommateur.

En effet, ces deux appellations sont phonétiquement identiques. Elles sont similaires à une lettre près, de sorte qu'il est également difficile de les distinguer visuellement.

M. Sautron ne saurait sérieusement soutenir que le terme 'teck' devrait être compris comme un raccourci de "technologie" alors qu'il renvoie à l'évidence à un bois exotique et non au terme "technologie".

Ainsi, un consommateur internaute d'attention moyenne, en arrivant sur le site Internet de M. Sautron peut croire qu'il s'agit de la société Tek Import. La confusion pour le consommateur est également évidente en ce qui concerne le nom de domaine teckimport974.com, le suffixe 974, faisant référence au Code postal de La Réunion, n'étant pas de nature à empêcher cette confusion.

Or, il résulte des pièces produites par la société Tek Import que sa présence sur Internet et son référencement sur le moteur de recherche Google sont importants puisqu'elle arrive en tête des résultats, que la recherche soit faite avec le mot "tek" ou avec le mot "teck", de sorte que M. Sautron ne pouvait ignorer son existence.

En outre, la société Tek Import existe depuis 2001 alors que M. Sautron n'a développé son activité que depuis le mois d'août 2008, de sorte que l'antériorité de l'utilisation de la dénomination sociale "Tek Import" par la société du même nom ne fait aucun doute.

Dès lors, l'existence d'actes de concurrence déloyale dont M. Sautron s'est rendu coupable entre août 2008 et décembre 2009 envers la société Tek Import est établie.

La société Tek Import soutient que M. Sautron s'est également rendu coupable à son égard de parasitisme pendant la même période pour avoir vécu en parasite, dans son sillage, en profitant de ses efforts et de la réputation de son nom et de ses produits.

La société Tek Import établit le savoir-faire et la réputation qu'elle s'est construite au fil des années dans la vente par Internet de meubles d'intérieur et d'extérieur réalisés en Asie et en Indonésie par la production d'articles de magazines d'ameublements, tels que Mon Jardin & Ma Maison, Côté Découverte, Rendez-Vous Déco, Résidences et Décoration, le Journal de la Maison ou de magazines généralistes comme le Figaro Madame ou Entreprendre, qui lui ont consacré de nombreux articles, vantant la qualité et l'originalité de son travail.

Elle démontre des partenariats avec le ministère de la Culture et de la Communication, le ministère de la Jeunesse, de l'Education et de la Recherche ainsi qu'avec de grandes entreprises privées comme BMW ou le Crédit Lyonnais.

Elle produit également une liste impressionnante de témoignages élogieux laissés par des clients sur son site Internet.

L'ensemble de ces éléments souligne la réputation de savoir-faire et de qualité de la société Tek Import, de sorte que l'utilisation par M. Sautron d'un nom commercial et d'un nom de domaine très proches de la dénomination sociale de la société Tek Import établit qu'il a entendu tirer parti des efforts consentis par cette dernière pour développer la qualité de ses prestations, pour bénéficier du renom de la société Tek Import afin d'asseoir sa propre réputation et de tenter de rallier une partie de sa clientèle sans procéder aux investissements inhérents à tout démarrage d'une activité commerciale, dont notamment le coût du référencement sur Google.

M. Sautron ne saurait soutenir qu'il ignorait l'existence de la société Tek Import alors que, comme cela a déjà été souligné ci-dessus, elle arrive en tête des résultats de recherche sur le moteur de recherche Google, que la recherche soit faite avec le mot "tek" ou avec le mot "teck".

De surcroît, M. Sautron est diplômé d'une école supérieure de commerce, et il n'est pas un béotien en matière commerciale puisqu'il a développé des activités liées au commerce de la vanille, via une société SBS Trading, laquelle est en lien avec l'entreprise Teck Import, de sorte qu'il avait les connaissances et l'expérience nécessaires pour connaître les entreprises existantes sur les marchés qu'il visait, et particulièrement d'une société comme l'intimée, extrêmement visible sur Internet.

Dès lors, l'existence d'un parasitisme par M. Sautron de la société Tek Import entre août 2008 et décembre 2009 est établi.

La société Tek Import évalue son préjudice à la somme de 25 000 euro, qui résulterait, selon elle, d'une perte de commandes, de clientèle et de fréquentation de son site Internet ainsi qu'une atteinte à son image.

Cependant, elle ne produit aucune pièce financière, ni document comptable, permettant d'évaluer les pertes alléguées alors que parallèlement, M. Sautron fait état d'un chiffre d'affaires extrêmement réduit pour la période considérée (819 euro en 2008 et 452 euro en 2009), démontrant ainsi le caractère extrêmement limité du préjudice qui a pu être subi par la société Tek Import.

Il y a également lieu de prendre en considération le fait que M. Sautron a procédé au changement de son nom de domaine et a supprimé le site Internet litigieux dans les meilleurs délais puisqu'il a reçu le courrier du conseil de l'intimée lui intimant de cesser ses actes de concurrence déloyale le 2 novembre 2009 et qu'il a fait les démarches nécessaires dès la fin du même mois, ce dont il a informé le conseil de la société Tek Import par lettres officielles des 24 novembre et 7 décembre 2009, le fait que sa demande de modification de son nom commercial n'ait été prise en compte par le centre de formalités des entreprises qu'en mars 2010 ne lui étant pas imputable.

S'agissant par ailleurs, des frais exposés par la société Tek Import pour faire cesser les agissements déloyaux, notamment les frais d'huissier et les frais d'avocat, ils seront indemnisés au titre des frais irrépétibles de la procédure.

Dès lors, compte tenu de l'ensemble de ces éléments, il convient de limiter à la somme de 2 000 euro les dommages et intérêts alloués à la société Tek Import en réparation de son préjudice résultant des actes de concurrence déloyale et de parasitisme commis par M. Sautron à son encontre.

Il convient encore de relever que la société Tek Import ne demande plus qu'il soit ordonné à M. Sautron de cesser toute utilisation du nom "Teck Import" sous astreinte puisque cette utilisation a cessé. Le jugement dont appel ne peut donc qu'être infirmé sur ce point.

L'équité commande d'allouer à la société Tek Import une indemnité de 2 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par ces motifs : Et, adoptant ceux non contraires des premiers juges, LA COUR, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, Infirme le jugement déféré, sauf en ce qu'il a dit que M. Didier Sautron s'était rendu coupable d'actes de concurrence déloyale à l'encontre de la société Tek Import et en ce qu'il a condamné M. Sautron aux dépens, Statuant à nouveau, Dit que M. Didier Sautron s'est également rendu coupable de parasitisme à l'encontre de la société Tek Import, Condamne M. Didier Sautron à payer à la société Tek Import une indemnité de 2 000 euro à titre de dommages et intérêts, Déboute les parties de leurs plus amples demandes, Condamne M. Didier Sautron à payer à la société Tek Import la somme de 2 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, Condamne M. Didier Sautron aux dépens d'appel, qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.