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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 11, 26 octobre 2012, n° 10-23329

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Alliance Networks (SARL)

Défendeur :

Natixis Financement (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Bouly de Lesdain

Conseillers :

Mmes Chandelon, Saint-Schroeder

Avocats :

Mes Hardouin, Poupet, Teytaud, Sedallian

T. com. Paris, 16e ch., du 9 nov. 2010

9 novembre 2010

La SA Natixis Financement a passé commande à la SARL Alliance Networks le 24 juin 2008 de matériels informatiques Cisco destinés à remplacer son cœur de réseau et d'une prestation de mise en redondance de ses équipement de sécurité Juniper pour un montant total de 102 238,39 € TTC. Le 5 août suivant, Natixis Financement annulait la commande au motif que le matériel que s'apprêtait à lui livrer Alliance Networks "ne satisfai[sait] pas aux conditions de licence, de maintenance et de garantie nécessaires à une exécution conforme de la commande". Après avoir vainement mis en demeure Natixis Financement de l'indemniser de son préjudice résultant de l'annulation de la commande, Alliance Networks a fait assigner cette société aux fins de voir prononcer la résolution du contrat à ses torts et en payement de dommages-intérêts devant le Tribunal de commerce de Paris qui, par jugement du 9 novembre 2010 assorti de l'exécution provisoire, a prononcé la résolution du contrat aux torts de Alliance Networks et condamné celle-ci à payer à Natixis Financement la somme de 8 000 € en application de l'article 700 du Code de procédure civile.

Aux termes de ses dernières conclusions du 20 septembre 2012, Alliance Networks, appelante, demande à la cour, au visa des articles 1134 et suivants du Code civil, 1184 et 1382 du Code civil et L. 442-6 5° du Code de commerce, de réformer le jugement en toutes ses dispositions, de prononcer la résolution du contrat aux torts de Natixis Financement, de condamner celle-ci à lui payer les sommes de 23 000 € à titre de dommages-intérêts liés à sa perte de marge, de 10 000 € au titre des dépenses engagées, d'une somme de même montant en réparation de son préjudice moral, ainsi que celle de 14 000 € à titre de dommages-intérêts au titre de la rupture brutale de la relation commerciale et celle de 4 500 € sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile. Subsidiairement, elle sollicite la réduction du montant de la somme qui a été allouée de ce chef à Natixis Financement par le tribunal.

Aux termes de ses dernières écritures du 17 septembre 2012, Natixis Financement conclut, au visa des articles 1604 et 1184 du Code civil et du règlement n° 97-02 du 21 février 1997 du Comité de la réglementation bancaire et financière relatif au contrôle interne des établissements de crédit et des entreprises d'investissement à la confirmation de la décision déférée, à l'irrecevabilité de la demande afférente à la rupture des relations commerciales établies et à la condamnation de l'appelante à lui payer la somme de 7 000 € au titre de ses frais irrépétibles. Subsidiairement, elle demande à la cour de constater que cette dernière ne justifie d'aucun préjudice et de la débouter de ses demandes.

Sur ce

Considérant que Alliance Networks fait valoir au soutien de son appel que le matériel qu'elle a commandé et qui a été livré par la société Réseaux One informatique était bien un matériel neuf contrairement à ce qu'a jugé le tribunal et que le fait que ce matériel ait été déclaré pour d'autres utilisateurs que Natixis Financement ne signifie pas pour autant qu'il a été vendu et utilisé une première fois pour être revendu à Réseaux One informatique ; qu'elle reproche à l'intimée d'avoir résilié brutalement le contrat et la relation commerciale qui les liait depuis plusieurs années sans même l'avoir informée des griefs à l'origine de cette résiliation, faisant observer que les courriers électroniques adressés par Cisco, fabricant du matériel, à Natixis Financement lui faisant part de ce que le matériel litigieux avait été acheté pour d'autres sociétés, ne lui ont pas alors été transmis ; qu'elle ajoute que Natixis Financement a commis une faute en résiliant l'ensemble des prestations énumérées au contrat alors que la mise en redondance des équipements Juniper constituait une prestation distincte ; qu'elle prétend que cette résiliation fautive s'est accompagnée d'une rupture brutale de la relation commerciale établie depuis 2002 avec la Caisse d'épargne Financement (Cefi) dénommée Natixis Financement depuis 2007 et que cette société aurait dû, en conséquence, respecter un préavis de six mois ;

Considérant que Natixis Financement objecte que le matériel livré par Réseaux One informatique à Alliance Networks avait, aux dires de Cisco, déjà été déclaré pour d'autres utilisateurs et qu'il s'agissait donc bien de matériel de seconde main, ne provenant pas d'un fournisseur agréé et ne bénéficiant pas des garanties Cisco ; qu'elle rappelle qu'aucune disposition légale n'impose l'envoi préalable d'une mise en demeure et qu'elle était bien fondée au regard de la gravité des faits et de l'urgence de même que de la perte de confiance en son prestataire à prendre les mesures appropriées au sens de l'article 37-2 du règlement n° 97-02 du 21 février 1997 et à mettre fin à la commande ; que s'agissant de la deuxième prestation, elle affirme qu'elle était liée à la première avec laquelle elle formait un ensemble indissociable ; qu'elle demande à la cour de déclarer irrecevable la demande fondée sur la brusque rupture d'une relation commerciale établie ;

Considérant, cela exposé, que par lettre recommandée du 5 août 2008, Natixis Financement informait Alliance Netwoks de ce qu'elle annulait la commande au motif que Cisco lui avait fait savoir qu'elle n'était pas le "end-user" déclaré pour la majeure partie des produits, lesquels avaient été achetés entre le 21 juin 2007 et le 10 juin 2008, ce qui signifiait que la garantie de 90 jours était expirée pour la plupart d'entre eux, que les numéros de série qu'Alliance Networks avait communiqués au fabricant avaient confirmé l'absence de licence et de garantie à son profit et lui reprochait de ne pas l'avoir informée de la gravité de la situation ;

Considérant que l'appelante affirme, sans être contredite par Natixis Financement, que celle-ci a résilié le contrat sans lui donner connaissance des courriers électroniques de Cisco qui l'ont conduite à cette résiliation la mettant dans l'impossibilité de s'expliquer et de procéder à un nouvel approvisionnement ; qu'alors que Natixis Financement avait déclaré le 1er août 2008 à la représentante de Cisco que si elle n'était pas titulaire des licences nécessaires ni en droit de recourir aux prestations de maintenance sur les matériels et logiciels achetés et si Alliance Networks avait été avertie de cette situation, elle notifierait l'annulation de la commande "sauf à ce que la société Alliance Networks soit à même de fournir un équipement bénéficiant de toutes les garanties et de la maintenance de Cisco, à la date prévue", cette société s'est abstenue de prendre contact à cette fin avec son vendeur et a rompu le contrat le 5 août suivant ; qu'en résiliant le contrat sans permettre à son cocontractant de lui fournir les explications nécessaires qu'appelaient les courriers émanant de Cisco ni d'acquérir un nouveau matériel alors que l'intervention était prévue pour le mois de septembre, ce qui laissait à l'appelante le temps nécessaire pour ce faire, et en méconnaissance de la règle selon laquelle les conventions doivent être exécutées de bonne foi, Natixis Financement a commis une faute engageant sa responsabilité ;

Qu'il s'ensuit que le jugement doit être infirmé ;

Considérant que le préjudice matériel et moral subi par Alliance Networks du fait de cette résiliation fautive sera réparé, au regard des termes de l'attestation de son expert-comptable sur la perte de marges auxquelles elle aurait pu prétendre sur les produits et prestations, du défaut de production du prix d'achat interne des prestations, prix qui a été déterminé par Alliance Financement, et en l'absence de pièces justifiant des dépenses engagées, par l'allocation de la somme globale de 15 000 € ;

Considérant que l'appelante demande, en outre, réparation du préjudice résultant de la brusque rupture d'une relation commerciale établie depuis 2002 ; que Natixis Financement soutient que cette demande est irrecevable comme nouvelle en appel et, en tout état de cause, prétend que la Caisse d'épargne est un groupe différent avec une direction des achats distincte ;

Mais considérant, d'une part, que la lecture du jugement révèle que Alliance Networks avait déjà soutenu devant le tribunal qu'elle n'était pas "un fournisseur occasionnel du groupe Caisse d'épargne, groupe auquel appartient Natixis, avec lequel elle [avait] une relation commerciale régulière depuis 2001, qu'elle [était] intervenue pour assister Natixis en 2007 et qu'elle [avait] fourni une prestation à CGE Newtec, membre du groupe caisse d'épargne en décembre 2007" ; que, d'autre part, cette demande tendant à la réparation de son préjudice né de la résiliation du contrat constitue la conséquence de cette résiliation et est donc recevable en application de l'article 566 du Code de procédure civile ;

Considérant que pour justifier de l'existence d'une relation commerciale établie, l'appelante produit des contrats, bons de commande et factures dont il ressort qu'elle a initié une relation commerciale avec Cefi à compter du mois de janvier 2002 ; que le numéro d'inscription au registre du commerce et des sociétés de cette dernière étant le même que celui de Natixis Financement, cette date doit être retenue comme le point de départ de la relation commerciale nouée par les parties ; que l'intimée a rompu brutalement cette relation le 5 août 2008 sans préavis écrit tenant compte de sa durée ; que ce préavis doit être fixé en prenant en considération non seulement l'ancienneté de la relation mais également le volume d'affaires traitées ; que le chiffre d'affaires réalisé avec Cefi par Alliance Networks de 2002 à 2005 apparaît très faible aux dires mêmes de cette société ; qu'après un chiffre d'affaires plus important en 2005-2006 (222 008,08 € HT), celui-ci a de nouveau chuté pour n'être plus, d'après l'attestation de l'expert-comptable de l'appelante, de 67 365 € sur la période 2006-2007 et de 24 419 € pour l'exercice allant du 1er octobre 2007 au 30 septembre 2008 ;

Qu'au vu de ces éléments, il y a lieu de fixer à trois mois la durée du préavis qu'aurait dû respecter l'intimée ;

Considérant que le préjudice résultant de la brusque rupture de la relation commerciale doit être réparé au regard de la marge brute qui aurait dû être réalisée au cours du préavis ; qu'eu égard au chiffre d'affaires obtenu avec Natixis au cours des deux dernières années précédant la rupture et le taux de 27 % retenu par Alliance Networks n'étant pas critiqué par l'intimée, il convient de fixer la perte de marge brute à la somme de 6 000 € ;

Et considérant qu'il y a lieu d'allouer à l'appelante une indemnité en application de l'article 700 du Code de procédure civile, la demande formée du même chef par Natixis Financement étant rejetée ;

Par ces motifs : Infirme le jugement et statuant à nouveau, Condamne la société Natixis Financement à payer à la société Alliance Networks les sommes de 15 000 € et de 6 000 € à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi résultant de la résiliation fautive du contrat du 24 juin 2008 et de celui issu de la brusque rupture de la relation commerciale établie, Condamne la société Natixis Financement à payer à la société Alliance Networks la somme de 3 000 € en application de l'article 700 du Code de procédure civile, Rejette toute autre demande, Condamne la société Natixis Financement aux dépens de première instance et d'appel lesquels pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.