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Décisions

ADLC, 20 mars 2012, n° 12-A-08

AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE

Avis

relatif au cadre réglementaire concernant l'appel à candidature des attributions de fréquences « 4 G »

ADLC n° 12-A-08

20 mars 2012

L'Autorité de la concurrence (commission permanente),

Vu la lettre, enregistrée le 14 septembre 2011 sous le numéro 11/0071 A, par laquelle les Syndicat National des Télécoms SNT-CGC et syndicat CFE-CGC France Télécom Orange ont saisi l'Autorité de la concurrence d'une demande d'avis relative au cadre réglementaire concernant l'appel à candidature des attributions de fréquences « 4 G » ; Vu le Traité instituant la Communauté européenne ; Vu le livre IV du Code de commerce relatif à la liberté des prix et de la concurrence ; Vu les autres pièces du dossier ; La rapporteure, le rapporteur général adjoint, le commissaire du Gouvernement et les représentants des syndicats saisissants entendus au cours de la séance du 14 février 2012 ; Est d'avis de répondre à la demande présentée dans le sens des observations qui suivent :

1. Aux termes de l'article L. 462-1 du Code de commerce, l'Autorité de la concurrence « donne son avis sur toute question de concurrence à la demande […] des organisations professionnelles […] en ce qui concerne les intérêts dont elles ont la charge ».

2. Le 14 septembre 2011, le Syndicat National des Télécoms SNT-CGC et le syndicat CFE-CGC France Télécom Orange ont formulé une demande d'avis enregistrée sous le numéro 11/0071 A. Cette demande d'avis est relative au cadre réglementaire instauré par le décret n° 2011-659 du 14 juin 2011 et les arrêtés adoptés le même jour concernant l'appel à candidature pour l'attribution des fréquences radioélectriques dites de quatrième génération, ci-après « 4 G ».

3. Les saisissants estiment que le cadre réglementaire nouvellement instauré engendre des distorsions de concurrence.

I. Présentation des conditions d'attribution des fréquences de quatrième génération

A. LE CADRE RÉGLEMENTAIRE

4. Le 14 juin 2011, un décret n° 2011-659 et trois arrêtés ont été promulgués par le ministre chargé de l'industrie, de l'énergie et de l'économie numérique organisant ainsi l'attribution des licences de téléphonie mobile à très haut débit, dites de quatrième génération « 4G » qui utilisent des bandes de fréquences autour de 800 MHz et de 2,6 GHz.

5. Ces textes fixent respectivement les redevances dues pour l'utilisation de ces fréquences, les conditions d'attribution des autorisations d'utilisation de fréquences de très haut débit mobile et les conditions techniques d'utilisation de ces fréquences. Le décret et les trois arrêtés reprennent les propositions formulées par l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ARCEP).

6. L'ARCEP indiquait dans sa décision du 31 mai 2011 n° 2011-0600 que : « […], afin de contribuer au développement des MVNO, les procédures d'attribution de fréquences pour le très haut débit mobile incluent un dispositif incitatif, de nature à encourager les candidats à offrir des conditions d'accueil favorables aux MVNO ». Les MVNO (mobile virtual network operators) sont des opérateurs sans fréquences qui louent les réseaux des opérateurs mobiles pour fournir des services sur le marché de détail de la téléphonie mobile.

7. S'agissant de l'attribution de la bande 800 MHz, la rubrique « Notation des offres des candidats » du dispositif réglementaire dispose, (s'agissant de l'attribution de la bande 800MHz) que : « Pour chaque lot de fréquences auquel postule un candidat, une note est attribuée à son offre, en prenant en compte les paramètres liés aux trois critères de sélection que sont :

• M fin : le montant financier en euros proposé par le candidat pour ce lot de fréquences,

• Cmvno : le coefficient lié à l'engagement d'accueil des MVNO,

• Cadt : le coefficient lié à l'engagement d'aménagement du territoire,

La note obtenue par le candidat pour son offre sur ce lot est égale à la multiplication de ces trois paramètres, […] »

8. Le coefficient multiplicateur Cmvno est d'autant plus élevé que l'opérateur souscrit à des engagements importants d'accueil des MVNO sur son réseau, pour les fréquences auxquelles il candidate. Cette procédure instaure donc une incitation financière à l'accueil des MVNO. Il en est de même des modalités et conditions d'attribution de la bande 2,6GHz qui valorisent l'engagement d'accueil des MVNO.

B. LA SAISINE

9. Selon les saisissants, le cadre réglementaire rendrait quasi obligatoire l'engagement d'accueillir des opérateurs de réseaux mobiles virtuels de la part des candidats à la procédure d'attribution des fréquences « 4 G ». Le ministre aurait ainsi fait passer l'accueil des MVNO du champ contractuel au champ réglementaire et les candidats à l'attribution des nouvelles fréquences n'auraient de fait aucun choix. Bien que les textes laissent les candidats libres de prendre cet engagement, les opérateurs qui ne souscriraient pas cet engagement se verraient écartés de facto de l'attribution des fréquences « 4 G » car l'arrêté du 14 juin 2011 a adopté dans ses annexes les propositions faites par l'ARCEP concernant les modalités du dispositif incitatif.

10. Selon les saisissants, cet engagement d'accueil des MVNO générerait des distorsions de concurrence au détriment des opérateurs sélectionnés en France par rapport aux opérateurs européens ou non européens.

11. Les syndicats saisissants font valoir que l'accueil de l'opérateur étranger prenant la qualité de MVNO pourrait entraîner pour les opérateurs sélectionnés de lourdes charges notamment en raison des obligations en termes de fixation de leurs tarifs par des règlements communautaires qui seraient élaborés sans référence aux coûts qu'ils supportent. La demande d'avis cite ainsi les coûts d'itinérance internationale dits de « roaming » et de tarification des SMS. Les opérateurs non européens pourraient ainsi bénéficier sans contrepartie de la qualité de MVNO et pratiquer des prix prédateurs. L'absence de réciprocité d'accueil des MVNO par les opérateurs étrangers hors CEE conduirait, toujours selon la saisine, à un déplacement des parts de marchés au détriment des opérateurs sélectionnés pour l'attribution des licences.

12. Par conséquent, les demandeurs estiment que l'obligation d'accueil des MVNO s'imposera aux opérateurs sélectionnés « sans aucune contrepartie » et entraînera des effets anticoncurrentiels supérieurs aux bénéfices qui résulteront de l'entrée de nouveaux opérateurs sur le marché.

13. Par ailleurs, les saisissants indiquent que ce dispositif réglementaire a fait l'objet d'un recours pour excès de pouvoir déposé auprès du Conseil d'État le 16 août 2011. Ce recours est toujours pendant.

14. Les saisissants ont également déposé le 15 novembre 2011 un recours pour excès de pouvoir devant le Conseil d'Etat qui vise à obtenir l'annulation des décisions de l'ARCEP d'attribution des fréquences dans la bande 2,6 GHz.

II. Analyse

15. L'Autorité relève que la demande d'avis ne formule aucune question de concurrence d'ordre général mais l'invite à se prononcer sur le dispositif réglementaire organisant l'attribution des fréquences « 4G ».

16. Ainsi qu'elle l'indique régulièrement, lorsqu'elle est consultée en application de l'article L. 462-1 du Code de commerce, l'Autorité de la concurrence ne se prononce que sur des questions générales de concurrence. Par exemple, l'Autorité ne répond pas aux questions qui impliquent en fait de qualifier soit une pratique anticoncurrentielle, soit plus globalement des atteintes à la concurrence dans des cas déterminés. Une telle qualification ne peut intervenir qu'au terme d'une instruction contradictoire, dans le cadre d'une procédure contentieuse (voir l'avis n° 05-A-22 et de nombreux avis plus récents en ce sens, et notamment l'avis n° 11-A-11).

17. La présente demande d'avis ne soumet pas de question de concurrence au sens où elle amènerait à s'interroger sur les conditions d'attribution des fréquences permettant d'assurer le bon fonctionnement du secteur de la téléphonie mobile. Les saisissants se bornent à inviter l'Autorité à porter une appréciation sur un possible handicap que supporteraient les opérateurs français par rapport aux opérateurs étrangers du fait des spécificités du cadre réglementaire national. Or, cette question de l'équité réglementaire entre les régimes nationaux des membres de l'Union européenne et des pays extra-européens relève plutôt de la compétence du gouvernement et le cas échéant des instances internationales, que de celle de l'Autorité de la concurrence.

18. Dans ces conditions, il y a lieu de considérer que la demande d'avis enregistrée sous le numéro 11/0041A n'entre pas dans le champ de l'article L. 462-1 du Code de commerce.

19. En tout état de cause, s'agissant de la question du développement des MVNO sur le marché, l'Autorité invite les saisissants à prendre connaissance de l'avis n° 08-A-16 du Conseil de la concurrence du 30 juillet 2008. Dans cet avis, le Conseil de la concurrence expose en détail la situation des opérateurs de réseaux mobiles virtuels sur le marché français de la téléphonie mobile et considère que l'existence de ces opérateurs sur le marché constitue un facteur d'animation de la concurrence. Après avoir relevé que de nombreux verrous contraignaient le développement des MVNO, le Conseil a considéré qu'il était impératif de créer de nouvelles incitations concurrentielles qui pourraient venir du marché lui-même, de l'attribution d'une quatrième licence ou encore d'initiatives prises par le régulateur.

20. Enfin, l'Autorité relève que le Conseil d'État étant saisi d'un recours pour excès de pouvoir contre le dispositif réglementaire organisant les modalités d'attribution des fréquences «4 G», il ne lui appartient pas de prendre parti dans un débat soumis à l'examen contentieux du juge administratif, à moins que ce dernier ne lui demande son avis comme les textes lui en donnent la possibilité.

Conclusion

21. L'Autorité estime qu'il n'y a pas lieu de répondre à la demande d'avis concernant le dispositif règlementaire organisant les modalités d'attribution des fréquences « 4G ».

Délibéré sur le rapport de Mme Frédérique Laporte, rapporteure, et l'intervention de M. Sébastien Soriano, rapporteur général adjoint, par Mme Françoise Aubert, vice-présidente, présidente de séance, Mme Elisabeth Flüry-Hérard vice-présidente, M.Patrick Spilliaert vice-président.