ADLC, 14 février 2012, n° 12-A-03
AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE
Avis
concernant un projet de décret relatif à l'automatisation de la procédure d'attribution des tarifs sociaux du gaz et de l'électricité
L'Autorité de la concurrence (commission permanente),
Vu la demande d'avis en date du 19 décembre 2011 du Gouvernement, enregistrée sous le numéro 11/0093 A ; Vu le livre IV du Code de commerce relatif à la liberté des prix et de la concurrence ; Vu le Code de l'énergie ; Vu la directive 2009-72-CE du Parlement et du Conseil du 13 juillet 2009 concernant des règles communes pour le marché intérieur de l'électricité ; Vu le Traité sur le Fonctionnement de l'Union Européenne (TFUE) ; Le rapporteur, le rapporteur général adjoint, le commissaire du Gouvernement et le représentant du ministère de l'écologie, du développement durable, des transports et du logement (direction générale de l'énergie et du climat) entendus lors de la séance du 8 février 2012 ; Le représentant de l'Association nationale des opérateurs détaillants en énergie (ANODE) entendu sur le fondement de l'article L. 463-7 du Code de commerce ; Est d'avis de répondre à la demande présentée dans le sens des observations qui suivent :
1. Par courrier du 19 décembre 2011, enregistré sous le numéro 11/0093A, le Gouvernement a transmis à l'Autorité de la concurrence une demande d'avis concernant un projet de décret relatif à l'automatisation de la procédure d'attribution des tarifs sociaux du gaz et de l'électricité.
I. Constatations
A. DESCRIPTION DES TARIFS SOCIAUX DU GAZ ET DE L'ÉLECTRICITÉ
1. LA PRÉCARITÉ ÉNERGÉTIQUE EN FRANCE
2. Une définition de la précarité énergétique a été introduite dans la loi du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l'environnement. Selon l'article 4 de cette loi, « est en situation de précarité énergétique ( ) une personne qui éprouve dans son logement des difficultés particulières à disposer de la fourniture d'énergie nécessaire à la satisfaction de ses besoins élémentaires en raison de l'inadaptation de ses ressources ou de ses conditions d'habitat ».
3. Selon le ministère de l'écologie, du développement durable, des transports et du logement, un foyer qui dépense plus de 10 % de son budget pour ses factures d'énergie (énergie domestique et carburants), est considéré en situation de précarité énergétique. En 2010, un ménage a consacré en moyenne par an 1 600 euros pour l'énergie domestique et 1 300 euros pour les carburants, soit 2 900 euros, correspondant à 7,2 % de son budget. Le nombre de ménages en précarité énergétique est évalué à 3,8 millions, soit 14,4 % des foyers français.
4. Parmi les instruments mis en place par la puissance publique pour lutter contre la précarité énergétique, figurent le tarif de première nécessité (TPN) de l'électricité et le tarif spécial de solidarité (TSS) du gaz naturel.
2. LE TARIF DE PREMIÈRE NÉCESSITÉ (TPN) DE L'ÉLECTRICITÉ
5. Le tarif de première nécessité (TPN) de l'électricité a été créé par le décret du 8 avril 2004. Entré en vigueur le 1er janvier 2005, il est proposé par les fournisseurs historiques (EDF et les entreprises locales de distribution -ELD-), sous forme d'une réduction variant de 40 à 60 % par rapport aux tarifs réglementés. Ce pourcentage de réduction varie en fonction du nombre de personnes composant le foyer. Le volume de consommation sur lequel s'applique la réduction est plafonné à 1 200 kWh/an, soit un volume de consommation correspondant au fonctionnement normal d'un frigidaire, de plaques de cuisson et de l'éclairage d'un foyer. Selon la direction générale de l'énergie et du climat (DGEC), le rabais est en moyenne de l'ordre de 90 euros par an.
6. Les bénéficiaires du TPN bénéficient en outre de la gratuité de la mise en service lors de l'installation du ménage dans un logement et d'un abattement de 80 % du coût d'un déplacement facturé au client lorsque ce dernier, en raison d'un défaut de paiement, fait l'objet d'une interruption de fourniture.
7. Le coût total du TPN est évalué à environ 45 millions d'euros par an et est financé par le biais de la contribution du service public de l'électricité (CSPE) qui est payée par l'ensemble des consommateurs d'électricité en fonction des volumes consommés.
8. Le Conseil de la concurrence a rendu un avis sur le projet de décret instaurant le TPN le 23 octobre 2002 (avis n° 02-A-13).
3. LE TARIF SPÉCIAL DE SOLIDARITÉ (TSS) DU GAZ NATUREL
9. Le tarif social de solidarité (TSS) a été mis en place par le décret du 13 août 2008. Il consiste en une réduction forfaitaire, établie en fonction, d'une part, de la consommation du foyer et, d'autre part, de la taille du foyer. En fonction de ces deux paramètres, le rabais varie en pratique entre 20 et 142 euros par an.
10. Les bénéficiaires du TSS disposent en outre de la gratuité de la mise en service lors de l'installation dans un logement et d'un abattement de 80 % du coût d'un déplacement facturé au client lorsque ce dernier, en raison d'un défaut de paiement, fait l'objet d'une interruption de fourniture.
11. Le TSS, qui coûte environ 20 millions d'euros par an, est financé par la contribution au tarif spécial de solidarité (CTSS) payée par les fournisseurs de gaz en fonction des volumes de gaz fournis.
12. Le Conseil de la concurrence a rendu un avis sur le projet de décret instaurant le TSS le 8 avril 2008 (avis n° 08-A-04).
4. LES BÉNÉFICIAIRES DES TARIFS SOCIAUX DU GAZ ET DE L'ÉLECTRICITÉ
13. Le TPN et le TSS sont accordés aux personnes bénéficiant de la couverture maladie universelle complémentaire (CMU C). Depuis le 1er juillet 2011, le plafond de revenus mensuels donnant droit à la CMU complémentaire est le suivant :
<EMPLACEMENT TABLEAU>
Il est estimé que le nombre de ménages éligibles au TPN s'élève à 2 millions de ménages et que le nombre de ménages éligibles au TSS s'élève à 800 000 ménages.
5. LE PROCESSUS ACTUEL D'ATTRIBUTION DES TARIFS SOCIAUX ET SES LIMITES
15. Le processus actuel d'attribution des tarifs sociaux est le suivant.
16. Les organismes d'assurance maladie adressent le fichier des ayants droit à la couverture maladie universelle complémentaire (CMU C) à un prestataire de service mandaté par les fournisseurs d'énergie. Ce prestataire imprime les attestations de droits et les formulaires de demande du TPN/TSS. Il les envoie aux ayants droit de la CMU C. Les ayants droit retournent à ce prestataire leur formulaire complété du nom de leur fournisseur (ou du fournisseur de la chaudière de leur immeuble dans le cas du chauffage collectif au gaz). Le prestataire contacte ensuite les fournisseurs pour qu'ils appliquent le TPN/TSS à leurs clients.
17. Lorsque le fournisseur du consommateur en question ne peut appliquer le TPN (seuls les fournisseurs historiques peuvent proposer le TPN comme mentionné ci-dessus), le consommateur souhaitant bénéficier du TPN doit opérer, en outre, un changement de fournisseur pour retourner chez le fournisseur historique.
18. La direction générale de l'énergie et du climat a constaté que le fonctionnement actuel des tarifs sociaux n'était pas pleinement satisfaisant dans la mesure où seule une fraction des ayants droit bénéficie effectivement du TPN et du TSS. Ainsi, à la fin 2010, il est estimé que 615 000 ayants droit (sur 2 millions d'ayants droit) bénéficient effectivement du TPN. Ce chiffre atteint 307 000 (sur 800 000 ayants droit) pour le TSS.
19. Il apparaît en effet que seule une minorité des ayants droit renvoie effectivement les formulaires et bénéficie ainsi des tarifs sociaux. Les procédures peuvent apparaître compliquées pour des personnes en situation de précarité et/ou pour lesquelles le rapport à l'écrit est malaisé (demande à remplir, envoi d'attestation, etc ). De plus, pour ce qui est de l'habitat chauffé collectivement au gaz, les ayants droit ne savent pas nécessairement qu'ils sont chauffés au gaz ou n'arrivent pas à identifier le fournisseur de la chaudière avec lequel ils n'ont pas personnellement de contrat.
B. DESCRIPTION DU PROJET DE DÉCRET
20. Dans le cadre du projet de décret soumis à l'avis de l'Autorité, le gouvernement souhaite modifier la procédure actuelle d'attribution des tarifs sociaux (TPN et TSS) en l'automatisant afin de réduire l'écart entre le nombre d'ayants droit et le nombre de bénéficiaires effectifs.
21. Ainsi, selon le projet de décret, pour ce qui est des modalités d'attribution du TPN, les organismes d'assurance maladie adressent le fichier des ayants droit aux fournisseurs historiques (qui sont les seuls fournisseurs à pouvoir proposer le TPN). Ces fournisseurs historiques font parvenir à leurs clients ayants droit une attestation qui mentionne que le TPN leur sera appliqué, sauf refus exprès de leur part. Dans le même temps, les fournisseurs historiques font parvenir aux ayants droit qui sont localisés sur leur zone de desserte mais qui ne sont pas clients de ces fournisseurs historiques une attestation les informant qu'ils remplissent les conditions ouvrant droit au bénéfice du TPN. Cette attestation mentionne par ailleurs la procédure pour en bénéficier. S'ils souhaitent bénéficier du TPN, ces clients doivent résilier leur contrat de fourniture avec leur fournisseur alternatif et renvoyer l'attestation dûment complétée au fournisseur historique qui leur appliquera ensuite le TPN.
22. Pour ce qui est des modalités d'attribution du TSS (cas d'un contrat individuel), les organismes d'assurance maladie communiquent le fichier des ayants droit à tous les fournisseurs de gaz naturel ou à leurs prestataires de service expressément mandatés. Si un prestataire a été mandaté, celui-ci croisera le fichier des ayants droit avec celui du gestionnaire de réseau de distribution de gaz afin d'identifier, pour chaque fournisseur, la liste des ayants droit. Si le fournisseur n'a pas mandaté de prestataire, il croisera lui-même son propre fichier client avec celui des ayants droit afin de déterminer la liste des ayants droit parmi ses clients. Sur la base de ces informations, le fournisseur envoie alors à chaque client ayant droit une attestation qui mentionne que, sauf refus exprès de sa part, il se verra appliquer le TSS. Chaque fournisseur applique alors le TSS à ses clients ayants droit sauf s'ils ont expressément refusé l'application du TSS.
23. Pour ce qui est des modalités d'attribution du TSS (cas des consommateurs habitant dans des habitats collectifs chauffés au gaz), il est prévu que le bailleur de l'immeuble transmette à son fournisseur de gaz (ou à son prestataire mandaté) l'adresse de la chaufferie. Le fournisseur croise ce fichier avec le fichier des ayants droit à la CMU C (fichier qui lui aura été communiqué par les organismes d'assurance maladie). Le fournisseur sera ainsi en mesure d'identifier les coordonnées des ayants droit qui habitent dans des immeubles dont les bailleurs sont clients de ce fournisseur. Le fournisseur pourra ainsi envoyer directement aux ayants droit les chèques relatifs au TSS collectif.
24. Enfin, afin de prévenir les ruptures de droit principalement pour les personnes qui auraient omis de faire reconduire leurs droits à la CMU complémentaire, il est prévu de prolonger automatiquement les droits au TPN/TSS de six mois et d'informer les intéressés de la nécessité de faire reconduire leurs droits à la CMU C.
II. Analyse concurrentielle
25. A titre liminaire, il peut être rappelé qu'il n'existe pas d'incompatibilité entre la mise en place de mécanismes sociaux visant à protéger les consommateurs vulnérables d'une part, et l'application du droit de la concurrence d'autre part. Ainsi, dans certains secteurs d'activité, l'intervention des pouvoirs publics est légitime, dès lors qu'elle vise à corriger une défaillance du marché et à remplir un objectif d'intérêt général.
26. Comme le Conseil, puis l'Autorité de la concurrence l'ont mentionné à plusieurs reprises (voir notamment l'avis n° 05-A-08 du 31 mars 2005 concernant la mise en place d'un service bancaire de base ou, plus récemment, l'avis n° 11-A-10 du 29 juin 2011 concernant la mise en place d'un tarif social pour l'accès Internet haut débit), quels que soient les modes d'attribution et de financement retenus, les dispositifs sociaux doivent néanmoins introduire le moins de distorsions de concurrence possibles.
27. Le projet de décret qui a été soumis à l'avis de l'Autorité modifie le processus actuel d'attribution des tarifs sociaux du gaz et de l'électricité. Si ces modifications du processus d'attribution des tarifs sociaux ne soulèvent pas en elles-mêmes d'enjeux concurrentiels significatifs, il en va autrement d'une caractéristique essentielle du tarif de première nécessité (TPN) de l'électricité qu'il convient d'analyser plus en détail dans le cadre de cet avis : le fait que le TPN ne puisse pas être proposé par les fournisseurs alternatifs.
28. Dans le cadre de son avis n° 02-A-13 du 23 octobre 2002 relatif au projet de décret fixant le tarif spécial de l'électricité dit "produit de première nécessité", le Conseil de la concurrence n'avait pas fait mention de cet aspect dans la mesure où le marché aux particuliers n'était pas ouvert à la concurrence. Le fait que le TPN ne puisse être proposé que par les fournisseurs historiques ne soulevait donc pas d'enjeu concurrentiel particulier à cette époque. Désormais, depuis le 1er juillet 2007, tous les consommateurs français ont la possibilité de choisir leur fournisseur d'électricité, ce qui conduit l'Autorité à réexaminer le TPN à la lumière de l'évolution du cadre réglementaire.
29. Selon la directive 2009-72-CE du Parlement et du Conseil du 13 juillet 2009 concernant des règles communes pour le marché intérieur de l'électricité, il est précisé à l'article 3 que «les États membres veillent à ce que tous les clients aient le droit de se procurer leur électricité auprès du fournisseur de leur choix ( ) À cet égard, les États membres prennent toutes les mesures nécessaires pour garantir que les procédures administratives ne constituent pas une discrimination envers les entreprises déjà enregistrées en tant que fournisseurs dans un autre État membre ». Par ailleurs, il est fait mention au considérant 50 qu'« il convient de renforcer encore les obligations de service public, y compris en matière de service universel, et les normes minimales communes qui en résultent, afin que tous les consommateurs, en particulier les consommateurs vulnérables, puissent profiter de la concurrence et bénéficier de prix équitables ». La directive dispose donc que les Etats membres doivent garantir que les procédures administratives nationales ne traitent pas certains fournisseurs d'énergie européens de manière moins favorable que les fournisseurs nationaux. En outre, la directive prévoit que les consommateurs en situation de précarité énergétique doivent avoir la possibilité de bénéficier des bienfaits qu'apporte la concurrence comme des prix de fourniture plus bas et/ou de services innovants qui ne sont pas proposés par le fournisseur historique par exemple.
30. Or, il apparaît que, selon l'article L. 121-5 du Code de l'énergie, seuls les fournisseurs historiques (EDF et les distributeurs non nationalisés) peuvent proposer le tarif de première nécessité (TPN) de l'électricité aux consommateurs en situation de précarité énergétique.
31. Il s'ensuit que, si, en théorie, les consommateurs vulnérables ont la possibilité de choisir leur fournisseur d'électricité, ils n'auront sans doute pas intérêt, en pratique, à quitter le fournisseur historique pour un fournisseur alternatif car ils perdraient de facto les avantages procurés par le TPN (et notamment la réduction du prix de leur facture d'électricité sur les 1200 premiers kWh de consommation). C'est d'autant plus le cas que le prix de fourniture est, à l'heure actuelle, le principal élément de différenciation des offres des fournisseurs (l'offre des fournisseurs alternatifs à destination du marché de masse est souvent basée sur une réduction de prix par rapport aux tarifs réglementés).
32. Il ne peut donc être exclu que le fait que seuls les fournisseurs historiques puissent proposer le TPN soit contraire à la directive précitée.
33. En séance, le représentant de l'association des fournisseurs alternatifs a par ailleurs indiqué que les consommateurs vulnérables représentaient une population significative (2 millions de clients éligibles au tarif social de l'électricité sur 33 millions de consommateurs) et que les fournisseurs alternatifs souhaitaient alimenter ces consommateurs vulnérables au même titre que les autres consommateurs français de manière notamment à acquérir une taille critique suffisante pour leur permettre de concurrencer de manière efficace les fournisseurs historiques sur le marché français.
34. De plus, s'ils avaient la possibilité de proposer le TPN aux consommateurs vulnérables, les fournisseurs alternatifs pourraient proposer des prix plus bas sur la fraction de la consommation des consommateurs vulnérables non couverte par le TPN. Ainsi, dans l'hypothèse où un consommateur vulnérable serait alimenté par un fournisseur alternatif au TPN et aurait une consommation d'électricité de 3 000 kWh/an, le fournisseur appliquerait le TPN sur les premiers 1 200 kWh de consommation (conformément au dispositif légal relatif au TPN) et pourrait, de plus, proposer une réduction par rapport aux tarifs réglementés de vente sur les 1 800 kWh restants. Ouvrir la possibilité à tous les fournisseurs de proposer le TPN viendrait ainsi diminuer le montant de la facture d'électricité globale des consommateurs les plus fragiles.
35. Le fait de réserver aux seuls fournisseurs historiques le soin de proposer le TPN est donc un frein significatif au développement des fournisseurs alternatifs sur le marché de la fourniture d'électricité, au détriment des consommateurs vulnérables. C'est d'autant plus le cas que, selon le représentant de l'association des fournisseurs alternatifs entendu en séance, la part des consommateurs vulnérables dans la clientèle des fournisseurs alternatifs serait trois fois plus importante que celle d'EDF.
36. Cet élément pourrait, au surplus, avoir des effets négatifs sur le marché de la fourniture du gaz aux clients vulnérables, par le biais des offres dites « duales » (gaz et électricité). Les offres duales sont relativement attractives pour les consommateurs car elles leur permettent de bénéficier notamment d'une facture unique et de la présence d'un interlocuteur commercial unique pour le gaz et l'électricité. Elles permettent aux fournisseurs proposant à la fois du gaz et de l'électricité de faire des économies de structure qui peuvent être ensuite éventuellement répercutées sur le prix facturé au consommateur. L'existence de ces offres duales est d'ailleurs actuellement un élément important de l'animation du marché de détail, notamment pour les opérateurs alternatifs. Or, comme seuls les fournisseurs historiques ont la possibilité de faire des offres duales « sociales » (basées à la fois sur le TPN et sur le TSS) à destination des consommateurs vulnérables, la progression des fournisseurs alternatifs pourrait être rendue plus difficile sur le marché de la fourniture de gaz aux consommateurs vulnérables.
37. C'est, pour l'ensemble de ces raisons, non seulement le marché de l'électricité mais aussi celui du gaz qui sera affecté par la distorsion de concurrence décrite plus haut.
38. Il y a lieu enfin de souligner que le projet de décret est susceptible d'accentuer les difficultés des fournisseurs alternatifs dans la mesure où un certain nombre d'ayants droit aux tarifs sociaux sont actuellement clients de ces derniers (10 à 15 % de la clientèle des fournisseurs alternatifs serait composée de consommateurs vulnérables selon le représentant des fournisseurs alternatifs entendu en séance). Selon le projet de décret, ces consommateurs devraient recevoir un courrier de la part du fournisseur historique mentionnant qu'ils pourront bénéficier du tarif social de l'électricité à condition qu'ils quittent leur fournisseur actuel pour retourner chez le fournisseur historique. Il n'est pas à exclure que cette perte de clients fragilise la situation financière de certains fournisseurs alternatifs dans la mesure où les coûts d'acquisition de ces clients n'ont parfois pas encore été totalement amortis. Le projet de décret pourrait donc accentuer les obstacles à la concurrence induits par le fait que seuls les fournisseurs historiques ont la possibilité de proposer le TPN.
39. Afin de remédier à cet enjeu concurrentiel significatif, l'Autorité recommande au Gouvernement de transmettre au législateur, dans les plus brefs délais, une modification de l'article L. 121-5 du code de l'énergie, de manière à ce que tous les fournisseurs d'électricité puissent être en mesure de proposer le TPN à leurs clients (comme c'est déjà le cas pour le TSS avec les fournisseurs de gaz). L'instruction a montré qu'aucun obstacle d'ordre technique ne s'opposait à cet alignement.
40. La généralisation du TPN à l'ensemble des fournisseurs devra être accompagnée, par ailleurs, d'une compensation de la charge financière supplémentaire pesant sur l'ensemble des fournisseurs. Cette compensation pourrait être financée, comme c'est le cas actuellement, par la contribution au service public de l'électricité (CSPE) qui est payée par l'ensemble des consommateurs français en fonction des volumes consommés.
III. Conclusion
41. Le projet de décret soumis à l'avis de l'Autorité a pour objectif de rendre plus efficace le processus actuel d'attribution des tarifs sociaux de gaz et de l'électricité aux consommateurs en situation de précarité énergétique. Ce texte ne présente pas per se un enjeu concurrentiel significatif.
42. En revanche, le fait que le Tarif de première nécessité (TPN) de l'électricité ne puisse pas être proposé par les fournisseurs alternatifs soulève, lui, de vraies difficultés au regard de la concurrence, dans un contexte où l'ouverture à la concurrence du marché français de l'électricité peine à se concrétiser.
43. Cet élément est susceptible de rendre plus difficile le développement des fournisseurs alternatifs non seulement sur le marché de la fourniture d'électricité mais également sur le marché de la fourniture de gaz, au détriment des consommateurs vulnérables. Il est possible que ces derniers soient moins en mesure de bénéficier de baisses de prix pour leur facture d'électricité que les autres consommateurs.
44. Afin de remédier à cette situation, l'Autorité recommande au Gouvernement de transmettre au législateur, dans les plus brefs délais, une modification de l'article L. 121-5 du code de l'énergie, de manière à ce que tous les fournisseurs d'électricité puissent être en mesure de proposer le TPN.
Délibéré sur le rapport oral de M. Edouard Leduc, rapporteur et l'intervention de M. Pierre Debrock, rapporteur général adjoint, par Mme Françoise Aubert, vice-présidente, présidente de séance, Mmes Anne Perrot et Elisabeth Flüry-Hérard, vice-présidentes.