Cass. crim., 23 octobre 2012, n° 11-88.865
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Louvel
Rapporteur :
Mme Radenne
Avocats :
SCP de Chaisemartin, Courjon
LA COUR : - Statuant sur les pourvois formés par la société X, M. Y, contre l'arrêt de la Cour d'appel de Rouen, chambre correctionnelle, en date du 6 octobre 2011, qui, pour pratique commerciale trompeuse, a condamné la première, à 10 000 euros d'amende, et le second, à 1 000 euros d'amende, a ordonné des mesures de publication, et a prononcé sur les intérêts civils ; - Joignant les pourvois en raison de la connexité ; - Vu le mémoire produit, commun aux demandeurs ;
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 6 § 3 a de la Convention européenne des droits de l'Homme, 551, 591 et 593 du Code de procédure pénale, du principe des droits de la défense, défaut et contradiction de motifs, manque de base légale ;
" en ce que l'arrêt confirmatif attaqué a déclaré la société X et M. Y coupables des faits de publicité mensongère ou de nature à induire en erreur commis les 14 septembre et 4 décembre 2006 à Gonfreville-l'Orcher et les a condamnés, en répression, pour la société X au paiement d'une amende de 10 000 euros et à la publication à ses frais de la décision intégrale dans les journaux Havre Libre et Paris Normandie, et pour M. Y, au paiement d'une amende de 1 000 euros et à la publication à ses frais du dispositif de la décision dans les mêmes journaux ;
" aux motifs qu'à l'audience de la cour, la SA X et M. Y ont soulevé in limine litis la nullité des citations au motif qu'elles ne comportent pas les éléments détaillés permettant aux prévenus de mesurer la portée de ce qui leur est reproché et sont trop imprécises pour qu'ils puissent organiser correctement leur défense ; que le Ministère public et les parties civiles ont demandé le rejet de cette exception ; qu'il convient de joindre l'incident au fond ; qu'il résulte de la procédure que les deux agents de la DGCCRF se sont présentés les 14 septembre et 4 décembre 2006 dans l'hypermarché Z de Gonfreville-l'Orcher exploité par la société X, pour contrôler des produits dont l'emballage laissait apparaître une offre promotionnelle du type " plus X % de produits gratuits " ou " dont X % produits gratuits " : que les citations ne peuvent être critiquées dès lors qu'elles sont clairement articulées et n'ont pu induire en erreur la SA X et M. Y, directeur et délégataire de pouvoir de la société exploitante et qui a signé le procès-verbal de déclarations et de saisie de documents du 4 décembre 2006, reprenant ce qui leur était reproché ; que le terme de " gratuité " dans la citation ne saurait être critiqué alors qu'il était mentionné dans les offres promotionnelles faisant l'objet du contrôle ; qu'au surplus, M. Y a bien signé le procès-verbal de déclaration et de saisie de documents du 4 décembre 2006 et avait donc pleinement connaissance des motifs de l'intervention de l'Administration ; qu'en conséquence, les citations énonçant clairement les faits poursuivis, indiquant la date et le lieu des actes dénoncés et visant les textes de loi qui les répriment, il convient de confirmer le jugement rejetant cette exception de nullité ;
" 1) alors que la citation doit mettre le prévenu en mesure de connaître avec précision les faits qui lui sont reprochés et le texte de loi qui les réprime ; qu'en l'espèce, il résulte de l'arrêt et des pièces de procédure que la société X et M. Y ont été cités devant le tribunal correctionnel pour avoir, " les 14 et 4 décembre 2006 ", mis en œuvre de la publicité trompeuse " en effectuant des annonces promotionnelles de gratuité non concordantes avec les prix affichés au sein de l'établissement commercial " ; que comme le soutenaient les prévenus dans leurs conclusions d'appel, en l'absence de toute indication sur les opérations ou marchandises concernées par la gratuité promise et l'absence de concordance reprochée, les citations des 20 juillet et 30 août 2010 - au demeurant affectées d'erreur quant à la date des faits poursuivis - étaient imprécises et ne leur permettaient pas de savoir exactement ce qui leur était reproché ; qu'il était en outre constant que ces citations ne faisaient aucune référence au procès-verbal d'infraction dressé par la DGCCRF, ni même au procès-verbal de déclaration et de saisie de documents signé par M. Y le 4 décembre 2006, près de quatre ans auparavant, qui n'y étaient pas joints ; que, dès lors, en retenant, pour écarter les exceptions de nullité soulevées par les prévenus, que ces citations étaient clairement articulées et n'avaient pu induire en erreur les prévenus, M. Y, directeur et délégataire de pouvoir de la société exploitante, ayant signé le procès-verbal de déclaration et de saisie de documents du 4 décembre 2006 reprenant ce qui leur était reproché, bien que lesdites citations auxquelles n'était joint aucun procès-verbal en précisant l'objet, ne permettaient pas aux prévenus, en l'absence d'indication précise sur la matérialité des opérations incriminées, de connaître les faits qui leur étaient reprochés, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
" 2) alors, en tout état de cause, qu'en déclarant que le procès-verbal de déclaration et de saisie de documents du 4 décembre 2006 reprenait ce qui était reproché aux prévenus, bien que ce procès-verbal ne mentionnait pas les infractions poursuivies et se bornait à reproduire les déclarations de M. Y sur les conditions de négociation des prix des produits avec gratuité annoncée sur l'emballage et sur sa qualité de légalement responsable en cas d'infraction reprochée à la société X, la cour d'appel a dénaturé ce document et s'est par là-même contredite, en violation de l'article 593 du code de procédure pénale " ;
Vu l'article 551, alinéa 2, du Code de procédure pénale, ensemble l'article 6 § 3 de la Convention européenne des droits de l'Homme et l'article préliminaire du Code de procédure pénale ; - Attendu que, selon ces textes, d'une part, la citation doit énoncer le fait poursuivi et viser le texte de loi qui le réprime, d'autre part, tout prévenu a le droit d'être informé avec certitude et précision de la nature et de la cause de la prévention dont il est l'objet ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure que les contrôles opérés les 14 septembre et 4 décembre 2006 par les fonctionnaires de la direction de la concurrence et de la répression des fraudes de la Seine-Maritime dans l'hypermarché à l'enseigne Z de Gonfreville-l'Orcher, exploité par la société X, ayant révélé que pour onze des vingt produits en promotion annonçant sur leurs emballages un certain pourcentage de produits gratuits ce pourcentage n'était pas atteint, cette société ainsi que M. Y, directeur de l'hypermarché, qui disposait d'une délégation de pouvoir en matière de réglementation économique et commerciale, ont été cités devant le tribunal correctionnel, pour avoir mis en œuvre de la publicité comportant des allégations, indications ou présentations fausses ou de nature à induire en erreur, portant sur le prix ou les conditions de vente des biens en faisant l'objet, en l'espèce en ayant effectué des annonces promotionnelles de gratuité non concordantes avec les prix affichés au sein de l'établissement commercial ;
Attendu que, pour rejeter l'exception de nullité soulevée par les prévenus, qui soutenaient que les citations, qui ne permettaient pas d'identifier les messages et les supports publicitaires en cause et qui comportaient une erreur de date, ne les avaient pas mis, du fait de ces imprécisions, en mesure d'assurer correctement leur défense, l'arrêt retient, notamment, par motifs propres et adoptés, que les citations énoncent clairement les faits poursuivis, indiquent la date et le lieu des actes dénoncés et visent les textes de loi qui les répriment ; que les juges ajoutent que M. Y, qui a signé le procès-verbal de déclaration et de saisie de documents du 4 décembre 2006, avait pleinement connaissance des motifs de l'intervention de l'Administration ;
Mais attendu qu'en statuant ainsi, alors que ni la citation ni le procès-verbal du 4 décembre 2006 ne permettent de déterminer les publicités incriminées et les produits concernés par celles-ci, la cour d'appel a méconnu les textes susvisés et le principe ci-dessus rappelé ; d'où il suit que la cassation est encourue ;
Par ces motifs, et sans qu'il soit besoin d'examiner le second moyen de cassation proposé : Casse et annule, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la Cour d'appel de Rouen, en date du 6 octobre 2011, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi, Renvoie la cause et les parties devant la Cour d'appel de Caen, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil.