CA Paris, Pôle 5 ch. 2, 8 février 2013, n° 11-15074
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Déco Privée (SARL)
Défendeur :
Sel (SAS), Robin
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Lachacinski
Conseillers :
Mme Nerot, M. Coujard
Avocats :
Mes Pelit-Jumel, Boutboul, Autier, Galvaire
Monsieur Claude Robin se présente comme un "auteur-créateur" reconnu de mobilier, incluant des meubles de jardin, exploité sous licence exclusive dûment enregistrée par la société Sel, et, en particulier, d'un bar d'extérieur en bois de teck référencé "Demi-Lune".
Il précise que ce modèle de bar a fait l'objet d'un dépôt de dessin et modèle à l'Institut national de la propriété industrielle le 17 octobre 2003, n° 035151.
Informés de l'offre à la vente, sur le site Internet de la société Déco Privée, d'un bar d'extérieur reproduisant, selon eux, quasi-servilement le modèle "Demi-Lune", ils ont fait procéder à une mesure de constat sur Internet, le 23 novembre 2007, avant de l'assigner, selon acte du 28 décembre 2007, en contrefaçon de droits d'auteur et de modèle, sollicitant en outre l'indemnisation du préjudice résultant de faits de concurrence déloyale.
Par jugement rendu le 19 mars 2009, le Tribunal de grande instance de Paris a, avec exécution provisoire :
- dit que la société Déco Privée, en représentant et en offrant à la vente sur son site Internet "www.deco-privee.com" un modèle de bar d'extérieur reproduisant servilement les caractéristiques de l'œuvre dont Monsieur Claude Robin est l'auteur et que la société Sel exploite en qualité de licencié exclusif, sans l'autorisation de ceux-ci et sans mention du nom de l'auteur, a commis des actes de contrefaçon de droits d'auteur au préjudice de Monsieur Claude Robin et des actes de concurrence déloyale au préjudice de la société Sel,
- condamné la société Déco Privée à verser à Monsieur Robin les sommes indemnitaires de 3 000 euros et de 5 000 euros en réparation de ses préjudices, respectivement moral et patrimoniaux d'auteur, ainsi que la somme de 5 000 euros au profit de la société Sel au titre de la concurrence déloyale,
- prononcé les interdictions d'usage, sous astreinte,
- rejeté les demandes des requérants fondées sur la contrefaçon de dessins et modèles et débouté les parties du surplus de leurs prétentions,
- condamné la société Déco Privée à verser aux demandeurs la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile et à supporter les entiers dépens.
Par arrêt rendu le 26 octobre 2012, la présente chambre de la cour d'appel, au constat d'un incident de faux initié par Monsieur Robin et la société Sel intimés concernant un catalogue produit par l'appelante, du prononcé de l'ordonnance de clôture et de la renonciation oralement exprimée par les intimés d'y renoncer, a révoqué l'ordonnance de clôture et renvoyé la cause et les parties à une audience de procédure pour formaliser cette renonciation.
Par conclusions signifiées le 15 novembre 2012, Monsieur Robin et la société Sel ont demandé à la cour de leur donner acte de ce qu'ils renoncent à leur incident de faux et sollicitent le bénéfice de leurs précédentes écritures au fond.
Par dernières conclusions signifiées le 13 septembre 2012, la société à responsabilité limitée Déco Privée, appelante, demande à la cour, sur l'incident, de déclarer les intimés mal fondés en leur incident de faux et, au fond, d'infirmer le jugement entrepris, de débouter purement et simplement Monsieur Robin et la société Sel de l'ensemble de leurs demandes, en les condamnant "solidairement" à lui verser la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et à supporter les entiers dépens.
Par dernières conclusions au fond signifiées le 6 septembre 2012, Monsieur Claude Robin et la société par actions simplifiée Sel demandent en substance à la cour, au visa des articles L. 111-1 et suivants, L. 121-1 et suivants, L. 123-1 et suivants, L. 331-1, L. 335-3 et suivants du Code de la propriété intellectuelle, 1382 du Code civil, 42 et suivants, 515, 699 et 700 du Code de procédure civile et de l'article 10 du décret du 8 mars 2001 modifiant le décret n° 96-1080 du 12 décembre 1996 relatif aux huissiers de justice, de confirmer le jugement en toutes ses dispositions, ceci sous divers constats tenant à la démonstration de la commercialisation du modèle de bar revendiqué depuis 1999, à celle de la création de celui-ci par Monsieur Robin et non par les sociétés, française et indonésienne, DPI et Harapan Kita qui ont commencé à le contrefaire à compter de 2002 ainsi qu'à la circonstance qu'est produit en justice par l'intimée un faux catalogue.
Ils sollicitent, outre la condamnation de l'appelante à réparer le préjudice causé par la production d'un faux catalogue, l'allocation d'une somme complémentaire de 15 000 euros au titre de leurs frais non répétibles et sa condamnation aux entiers dépens, demandant à la cour de dire, en cas d'exécution forcée, que le montant des sommes retenues par l'huissier (selon l'article 10 du décret susvisé) sera supporté par la société Déco Privée en sus des sommes mises à sa charge en application de l'article 700 du Code de procédure civile.
SUR CE,
Sur l'incident de faux :
Considérant que ce grief, encore formulé par les intimés dans leurs conclusions au fond signifiées le 6 septembre 2012 et qui portait sur un catalogue de la société Teak Garden, est désormais abandonné ;
Qu'il convient de donner acte à Monsieur Robin et à la société Sel de ce qu'ils y renoncent, comme requis dans leurs conclusions sur ce point signifiées le 15 novembre 2012 et d'en tirer toutes conséquences utiles sur les condamnations sollicitées à ce titre ;
Sur la protection au titre du dessin et modèle :
Considérant que Monsieur Robin, qui a été débouté de cette demande à ce titre du fait d'une divulgation antérieure, sollicite la confirmation pure et simple du jugement et doit être considéré comme y acquiesçant ;
Que l'argumentation développée par l'appelante et qui porte sur des divulgations antérieures au dépôt doit, par conséquent, être considérée comme dépourvue d'objet ;
Sur la protection au titre du droit d'auteur :
Considérant que Monsieur Robin caractérise l'originalité du modèle de bar référencé "Demi-Lune" qu'il déclare avoir créé en 1998 par la combinaison de huit éléments ainsi présentés :
- le choix du matériau utilisé, un bar en bois de teck,
- un bar d'extérieur constitué d'un plateau s'inscrivant dans un angle de 120°,
- lequel est positionné en décroché par rapport au coffre, à claire-voie,
- constitué d'un corps dont les façades sont constituées d'un cadre enfermant un jeu de lattes concentriques s'inscrivant dans un cadre,
- avec un plateau constitué de lattes concentriques disposées dans un cadre,
- lequel plateau est formé d'un cadre constitué de deux bandes courbes parallèles,
- avec une façade avant constituée de deux cadres séparés en leur milieu par une poutrelle verticale reposant jusqu'au sol,
- ce bar étant articulé en trois pans, les deux pans externes, repliables, présentant une largeur égale à la moitié de celui qui constitue la façade avant ;
Considérant qu'alors que le tribunal a retenu un certain nombre de documents permettant à Monsieur Robin de se prévaloir de la qualité d'auteur de ce bar extérieur (en particulier un rapport de télécopie daté du 21 décembre 1998 auquel étaient agrafés des plans d'exécution) et a considéré qu'il était éligible à la protection conférée par le droit d'auteur, la société Déco Privée appelante soutient d'abord que les décisions de justice précédemment rendues sur ce point et dont se prévalent les intimés concernent des espèces différentes de la présente espèce et ne peuvent y "trouver écho" ;
Qu'en revanche, ajoute-t-elle, une décision rendue postérieurement au jugement entrepris, portant sur une action en contrefaçon dirigée contre une autre société, a débouté Monsieur Claude Robin et la société Sel en énonçant que seule pouvait être retenue comme date certaine de création l'année 2003 (en l'absence de preuves pertinentes antérieures à celle que constitue le catalogue 2003) et que la société poursuivie en contrefaçon dans cette affaire distincte établissait qu'elle s'était fournie auprès d'une société indonésienne et avait commercialisé le modèle dès l'année 2002 ;
Considérant, ceci rappelé, qu'il peut d'abord être observé que l'argumentation de l'appelante recèle quelques contradictions puisqu'elle affirme tout à la fois (en page 6/10 de ses conclusions) que les décisions favorables aux intimés précédemment rendues ne sauraient être prises en considération et (en pages 8 et 9/10) que la cour doit reprendre la solution donnée par le Tribunal de grande instance de Paris, le 24 septembre 2010, à un litige opposant les intimés à une autre société commercialisant du mobilier d'extérieur ;
Qu'il convient de relever qu'il s'agit d'espèces différentes n'opposant pas les mêmes parties ; qu'en toute hypothèse, la dernière référence invoquée est sans portée puisqu'appel a été interjeté de la décision rendue le 24 septembre 2010 et que la cour d'appel rend, au jour du présent arrêt, un autre arrêt qui prive la société Déco Privée de son argument ;
Que si la société appelante soutient qu'il existait, à la date à laquelle les demandeurs à l'action affirment qu'a été créé le modèle revendiqué, un bar d'extérieur reprenant la même combinaison de caractéristiques que celle qui est revendiquée et versent, pour en attester, le catalogue 1996/1997 de la société "Teak Garden", force est de relever que les intimés font justement valoir que ce catalogue qui ne contient aucune date d'édition ou d'impression ni de mention relative à son éditeur ne peut être considéré comme ayant date certaine et que l'appelante n'y apporte aucune réponse ni ne fournit, près de trois années après le prononcé du jugement, de preuves supplémentaires permettant de mettre à mal ce grief ; que cette preuve d'une création antérieure ne saurait, par conséquent, emporter la conviction de la cour ;
Que l'appelante produit, par ailleurs, l'attestation d'une association indonésienne Asmindo selon laquelle le bar commercialisé par la société Deco Privée était fabriqué et vendu dans le monde entier, sous le nom de "bar table", par les adhérents de l'association fabriquant des meubles à Jepara (Java Centrale) et ceci depuis 1998 ;
Que, toutefois, cette attestation, faute de plus amples éléments de preuve, doit être considérée comme insuffisante pour établir une commercialisation au cours de l'année 1998 d'un bar reprenant dans la même combinaison l'ensemble des caractéristiques du bar d'extérieur revendiqué ;
Qu'en revanche, Monsieur Robin et la société Sel versent en cause d'appel un grand nombre de documents de nature à attester d'une exploitation effective de ce bar d'extérieur à compter de 1999 (pièces 76 bis à 109), qu'il s'agisse de l'édition de son catalogue 1999, de bons de commande, de factures, de bons de livraison, de vérifications et attestations comptables ou d'attestations de filiales de la SAS Sel ;
Que l'appelante ne développe, par ailleurs, aucune argumentation précise relative aux caractéristiques du bar d'extérieur revendiqué et à leur combinaison alors qu'il convient de considérer que le choix d'agencer de manière singulière diverses formes géométriques constituées de lattes en bois de teck placées, sans nécessité, dans des encadrements, ceci afin de suggérer, une fois déployé, les contours d'une demi-lune, révèle un parti-pris esthétique et un effort créatif portant l'empreinte de la personnalité de son auteur ;
Que ce bar d'extérieur doit, en conséquence, être considéré comme éligible à la protection instaurée par les Livres I et III du Code de la propriété intellectuelle ; que le jugement sera donc confirmé sur ce point ;
Sur la contrefaçon :
Considérant qu'au soutien de son appel, la société Déco Privée fait d'abord valoir que le constat sur Internet réalisé le 23 novembre 2007 est dépourvu de force probante du fait que l'huissier n'a pas satisfait aux formalités préalables auxquelles il était tenu, relatives, plus précisément, à l'existence d'une connexion à un serveur proxy et à la vérification des caches, de l'heure et de la date du système d'exploitation ;
Que sur le fond, elle reproche aux intimés de ne pas démontrer l'identité du bar extérieur reproduit dans ce constat, argué de contrefaçon, et le modèle "Demi-Lune", faute, en particulier, d'éléments précis relatifs à l'agencement des différentes pièces ;
Considérant, ceci rappelé, que les critiques formulées à l'encontre du constat d'huissier ne résultent que d'une lecture hâtive de cet acte puisqu'il en ressort que l'huissier instrumentaire, précisant la date et l'heure et décrivant de manière exhaustive le matériel utilisé, s'est conformé à tous les prérequis prétendument omis ;
Que, sur le fond, c'est par motifs pertinents que la cour adopte, que le tribunal au visa de l'article L. 122-4 du Code de la propriété intellectuelle, a considéré que le modèle de bar extérieur référencé "YA 224 T meuble bar en teck" figuré dans le constat d'huissier reproduisait de manière servile, dans la même combinaison, les caractéristiques au fondement de l'originalité du modèle de bar revendiqué ;
Qu'il sera ajouté qu'il y est clairement visible et que l'examen des deux photographies de modèles opposés auquel la cour s'est livré suffit à emporter sa conviction sans que soit nécessaire la fourniture de dimensions précises ;
Que le jugement mérite, par conséquent, confirmation ;
Sur la concurrence déloyale :
Considérant que pour contester le jugement entrepris sur ce point, la société Déco Privée fait valoir que les faits qui lui sont imputés à faute n'ont produit aucun effet néfaste sur l'image de marque de la société Sel, qu'il n'y a pas eu "dénaturalisation" du produit ni dépréciation du modèle et que n'est pas rapportée la preuve de pertes d'exploitation ;
Mais considérant que la société Sel, bénéficiant d'une licence exclusive d'exploitation et qui ne dispose pas personnellement d'un droit privatif sur le bar d'extérieur revendiqué ne peut qu'agir en concurrence déloyale à l'encontre du contrefacteur ; qu'elle peut, à juste titre, se prévaloir du préjudice que lui cause la commercialisation de copies quasi-serviles du produit qu'elle exploite dès lors qu'elle le commercialise de longue date, en vertu d'une licence dont elle a obtenu l'exclusivité et qu'elle a eu soin de faire publier, et qu'elle lui consacre des efforts de promotion constants ;
Que la présence dans ses catalogues depuis près de dix ans au moment des faits litigieux de ce modèle de bar ne pourra que faire naître la confusion dans l'esprit du consommateur, en présence du modèle de bar commercialisé par la société Déco Privée, ou le conduira, à tout le moins, à faire une association entre ces deux produits ;
Qu'en réplique à l'argumentation de l'appelante relative au trouble commercial causé et sans que cette dernière n'y apporte réponse, la société Sel justifie de pertes d'exploitation résultant du "pillage" de son modèle de bar par de multiples concurrents, parmi lesquels figure la société Déco Privée, et de la nécessité qui a été la sienne, face à la perte d'attractivité du produit, de solliciter la création d'une nouvelle version d'un bar extérieur (pièce 75) ;
Que le jugement qui a retenu l'existence de faits de concurrence déloyale doit, par conséquent, être confirmé ;
Sur les mesures réparatrices :
Considérant qu'au soutien de sa demande d'infirmation du jugement, la société Déco Privée fait état du faible nombre de produits qu'elle a acquis en Indonésie puisque ses importations se limitent à trois unités ;
Que, toutefois, outre le fait que la facture qu'elle produit en pièce 4 porte sur la vente de quatre "bar cabine" et non point trois, il convient de relever qu'elle ne développe aucune argumentation sur le quantum des indemnisations fixé par le tribunal alors qu'aux termes de l'article 954 du Code de procédure civile "la partie qui conclut à l'infirmation du jugement doit expressément énoncer les moyens qu'elle invoque sans pouvoir procéder par voie de référence à ses conclusions de première instance" ;
Que les condamnations et la mesure d'interdiction telles que prononcées par les premiers juges et qui ne sont pas contestées par les intimées seront donc confirmées ;
Sur les autres demandes :
Considérant qu'il résulte de la teneur du présent arrêt, en ce qu'il porte sur une pièce arguée de faux, que la condamnation sollicitée à ce titre est devenue sans objet ;
Considérant que l'équité conduit à condamner la société Déco Privée à verser à Monsieur Claude Robin et à la société Sel une somme complémentaire de 6 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile ; que rien ne s'oppose par ailleurs à ce que soit accueillie la réclamation fondée sur l'article 10 du décret du 8 mars 2001 ;
Que, déboutée de ce dernier chef de prétentions, la société Déco Privée qui succombe supportera les dépens d'appel ;
Par ces motifs : Donne acte à Monsieur Christian Robin et à la société par actions simplifiée Sel de leur renonciation à poursuivre une procédure d'inscription de faux relative à un catalogue ; Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions ; Condamne la société à responsabilité limitée Déco Privée à verser à Monsieur Robin et la SAS Sel la somme complémentaire de 6 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ; Dit que dans l'hypothèse d'une exécution forcée le montant des sommes retenues par l'huissier selon l'article 10 du décret du 8 mars 2001 sera supporté par la société Déco Privée en sus des sommes mises à sa charge en application de l'article 700 du Code de procédure civile ; Rejette le surplus des prétentions des parties ; Condamne la société à responsabilité limitée Déco Privée aux dépens d'appel qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.