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Décisions

Cass. soc., 9 janvier 2013, n° 11-20.597

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

PARTIES

Demandeur :

Laboratoires de biologie végétale Yves Rocher (SA)

Défendeur :

Marin, Pôle emploi

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Blatman

Rapporteur :

M. Ludet

Avocats :

SCP Célice, Blancpain, Soltner, SCP Hémery, Thomas-Raquin

Rouen, ch. soc., du 10 mai 2011

10 mai 2011

LA COUR : - Attendu, selon l'arrêt attaqué, que la société Laboratoires de biologie végétale Yves Rocher (la société Yves Rocher) a conclu le 8 avril 2005 avec Mme Marin un contrat de gérance libre d'un fonds de commerce de vente de produits de beauté, d'hygiène et de soins esthétiques, sous le nom d'Institut de beauté Yves Rocher, exploité à Rouen ; que Mme Marin a saisi la juridiction prud'homale afin de voir notamment requalifier le contrat de gérance en contrat de travail et juger que la rupture du 20 mai 2009 était imputable à la société Yves Rocher ;

Sur le premier moyen, pris en sa première branche : - Attendu que la société Yves Rocher fait grief à l'arrêt de rejeter son exception d'incompétence, de juger applicables les dispositions du Code du travail au bénéfice de Mme Marin, de requalifier le contrat de location-gérance de celle-ci en un contrat de travail, de requalifier la rupture du contrat de Mme Marin en un licenciement sans cause réelle et sérieuse, et d'accueillir les demandes de cette dernière tendant au paiement de diverses sommes alors, selon le moyen, qu'en vertu du règlement CE 2790-1999 applicable en la cause et du nouveau règlement 330-2010 (art. 4), les accords verticaux relatifs aux conditions de prix entre des partenaires qui se situent à un niveau différent au sein d'un même réseau peuvent améliorer l'efficience d'une chaîne de distribution et autoriser le fournisseur à imposer un " prix de vente maximal " ou à " recommander " un prix de vente sous certaines conditions ; que la société Yves Rocher faisait précisément valoir qu'elle se borne à fixer des prix maximaux en cas de campagne promotionnelle et, pour les autres cas, à indiquer dans le logiciel de gestion des " prix conseillés " que le distributeur est totalement libre de modifier par une simple manipulation informatique ce que confirmait l'analyse à laquelle avait procédé le Conseil de la concurrence dans sa décision du 6 juillet 1999 ; qu'en refusant d'examiner ces pratiques particulières, propres au réseau de distribution, et en affirmant sans discernement que " la société fixait les prix " des produits, que Mme Marin " ne pouvant disposer de la liberté de fixer le prix de vente des marchandises déposées ", était fondée à remettre en cause le contrat de location-gérance au profit d'un contrat de travail, la Cour d'appel de Rouen a privé la société Yves Rocher de la faculté d'exercer normalement son activité en pratiquant seulement des " prix maxima " ou des " prix conseillés " dans un réseau constitué par des entreprises intervenant à un niveau différent, en conformité avec le droit européen et a violé ensemble les articles 101, § 3 du Traité, et les articles 4 des règlements 2790-1999 et 330-2010, les principes de primauté, d'effet direct, d'effectivité et de confiance légitime relevant du droit européen, et, par fausse application les articles L. 7321-1 et L. 7321-2 du Code du travail ;

Mais attendu que le moyen est inopérant, la circonstance que les pratiques de prix mises en œuvre par la société Yves Rocher dans ses rapports avec ses distributeurs échapperaient à la prohibition des ententes entre entreprises découlant des articles 81 et 82 du traité CE étant dépourvue de lien avec la prise en considération, au titre des dispositions de l'article L. 7321-2, 2° du Code du travail, qui permettent à des gérants de succursales de bénéficier de l'application de dispositions de ce Code, de l'existence de prix imposés aux gérants de ses succursales par la société Yves Rocher ;

Sur le premier moyen, pris en ses deuxième, troisième et quatrième branches, et sur le deuxième moyen : - Attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer sur ces griefs, qui ne seraient pas de nature à permettre l'admission du pourvoi ;

Mais sur le quatrième moyen : - Vu l'article L. 1221-1 du Code du travail ; - Attendu que pour requalifier le contrat de gérance en contrat de travail, l'arrêt retient que Mme Marin assurait l'exploitation d'un fonds de commerce sous l'enseigne Institut de beauté Yves Rocher, consistant essentiellement à vendre des produits de beauté que la société Yves Rocher lui fournissait exclusivement, les conditions d'exercice de cette activité étant définies par cette société et Mme Marin ne pouvant disposer de la liberté de fixer le prix de vente des marchandises déposées, que les dispositions du Code du travail lui sont donc applicables ainsi que la convention collective de la parfumerie esthétique à laquelle est soumise la société Yves Rocher qui l'emploie ;

Qu'en se déterminant ainsi par des motifs faisant découler l'existence d'un contrat de travail de la seule réunion des conditions posées par l'article L. 7321-1 2° du Code du travail, conditions qui sont distinctes de celles déterminant l'existence d'un contrat de travail proprement dit, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ;

Et sur le cinquième moyen, pris en sa deuxième branche : - Vu l'article 455 du Code de procédure civile ; - Attendu que pour condamner la société Yves Rocher à payer à Mme Marin une somme au titre des heures supplémentaires, l'arrêt, après avoir constaté que le conseil de prud'hommes ne pouvait statuer au fond sans avoir mis à même la société Yves Rocher de présenter ses explications, retient que la cour d'appel fait sienne la motivation pertinente et complète et les calculs du conseil de prud'hommes ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel qui, ne pouvant adopter des motifs contraires aux siens, n'a pas motivé elle-même sa décision, a violé le texte susvisé ;

Et attendu que la cassation à intervenir sur le cinquième moyen ne concerne que le chef du dispositif de l'arrêt ayant condamné la société Yves Rocher à payer la somme de 54 229 (cinquante-quatre mille deux cent vingt-neuf) euros à titre de rappel pour heures supplémentaires ;

Par ces motifs, et sans qu'il soit nécessaire de statuer sur le troisième moyen, que la cassation prononcée sur le quatrième moyen rend sans objet : Casse et annule, mais seulement en ce qu'il a requalifié le contrat de gérance en contrat de travail et en ce qu'il a condamné la société Yves Rocher à payer à Mme Marin la somme de 54 229 euros au titre des heures supplémentaires, l'arrêt rendu le 10 mai 2011, entre les parties, par la Cour d'appel de Rouen ; remet, en conséquence, sur ces points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la Cour d'appel de Paris.