Livv
Décisions

CA Toulouse, 2e ch. sect. 2, 8 janvier 2013, n° 11-02510

TOULOUSE

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Sapa Distribution (SARL)

Défendeur :

Pages (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Legras

Conseillers :

Mmes Pellarin, Salmeron

Avocats :

SCP Bayer & Garce, SCP Cantaloube-Ferrieu Cerri, Selas Fidal, Me Elloff-Petros

T. com. Toulouse, du 18 avr. 2011

18 avril 2011

Exposé des faits :

La SARL Sapa Distribution exerce une activité d'agent commercial en matière agroalimentaire.

Par lettre du 8 mars 2004, la SAS Pages lui a confié la distribution des thés et infusions Pages sur un secteur de 5 départements de Midi Pyrénées.

Cet accord a fonctionné convenablement jusqu'en 2007 ; la SARL Sapa Distribution a alors été informée que la SAS Pages avait réalisé des ventes sur son secteur géographique sans qu'elle soit commissionnée.

La SAS Pages n'ayant pas donné suite aux demandes de la SARL Sapa Distribution, notamment à celle du 26 décembre 2007, leurs relations se sont dégradées.

La SAS Pages a décidé de cesser sa collaboration avec la SARL Sapa Distribution avec effet immédiat mais avec un préavis de 3 mois pour le paiement des commissions par un courrier recommandé avec accusé de réception du 11 février 2008.

La SARL Sapa Distribution a demandé une indemnité de rupture et un rappel des commissions à établir sur les ventes opérées directement par la SAS Pages.

Par acte du 25 février 2009, la SARL Sapa Distribution a fait assigner la SAS Pages devant le tribunal de commerce en paiement.

Après radiation de l'affaire, elle a été réinscrite au rôle.

Par jugement du 18 avril 2011, le Tribunal de commerce de Toulouse a :

- dit que le contrat du 8 mars 2004 relevait exclusivement de la qualification de contrat de prestations de services et ne saurait être confondu avec le contrat d'agent commercial conclu le même jour entre les mêmes parties,

- dit que la résiliation du contrat de prestation de services du 8 mars 2004 est exclusive de toute compensation,

- condamné la SAS Pages à payer à la SARL Sapa Distribution une indemnité de rupture égale à 12 mois de commissions calculée par moyenne des années 2006, 2007 et 2008 et donc fixée à la somme de 7 482 euros,

- ordonné à la SAS Pages de communiquer à la SARL Sapa Distribution les chiffres de ventes réalisées directement sur la période 2006 à 2008 aux fins d'établir le montant définitif des commissions et de réviser le montant de l'indemnité de rupture, sous astreinte provisoire de 100 euros par jour de retard au-delà du 45e jour à compter de la signification du présent jugement,

- s'est réservé le pouvoir de liquider l'astreinte,

- condamné la SAS Pages à payer à la SARL Sapa Distribution 1 500 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

- condamné la SAS Pages aux dépens.

Par déclaration en date du 20 mai 2011, la SARL Sapa Distribution a relevé appel du jugement.

La clôture est intervenue le 22 octobre 2012.

Moyens des parties

Par conclusions notifiées le 19 décembre 2011 auxquelles il est fait expressément référence pour l'énoncé du détail de l'argumentation, la SARL Sapa Distribution demande la confirmation du jugement sauf sur le montant de l'indemnité de rupture et la condamnation de la SAS Pages à lui verser une indemnité uniquement à titre provisionnelle dans l'attente de la production du chiffre d'affaire réalisé sur son secteur, d'une assiette équivalant à deux années de commission soit 20 086 euros et l'allocation de 3 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile.

Elle fait valoir que le chiffre d'affaires n'a cessé d'augmenter entre le 1er juillet 2004 et le 11 mai 2008, preuve de son dynamisme. Par ailleurs, la SAS Pages a fait une distinction entre les commissions agent commercial (distribution) et celles liées aux prestations de services (relevé de prix de linéaires) mais les bordereaux de commissions ne font pas état de cette distinction. La SAS Pages fait état d'une perte très significative de son chiffre d'affaires lié au contrat d'agent commercial sans justifier de cette perte significative. Avant la lettre du 11 février 2008, la SAS Pages ne lui a jamais adressé le moindre reproche écrit et elle l'a même remerciée pour " le travail effectué jusqu'à ce jour " dans un courrier du 28 janvier 2008 soit 3 semaines avant la résiliation unilatérale. Elle écarte les critiques et attestations liées à l'augmentation de la diffusion des points de vente Socamil et des pertes liées aux DN (distribution numérique).

Sur le montant de l'assiette de l'indemnité de rupture, il convient de l'entendre comme étant l'équivalent de deux années de commissions sans distinguer la nature de rémunérations et il faut prendre en compte toutes les ventes réalisées sur le secteur. L'indemnité de rupture vise à réparer le préjudice subi qui comprend la perte de toutes les rémunérations acquises lors de l'activité développée dans l'intérêt commun des parties. Elle sera fixée à 20 086 euros à titre provisionnel dans l'attente des informations sur l'ensemble des commissions à percevoir.

Par conclusions notifiées le 18 octobre 2011 auxquelles il est fait expressément référence pour l'énoncé du détail de l'argumentation, la SAS Pages demande à titre principal d'infirmer le jugement du 18 avril 2011 en ce qu'il a considéré que les manquements de la SARL Sapa Distribution ne revêtaient pas une gravité suffisante pour exclure tout droit à indemnité au titre de l'article L. 134-12 du Code de commerce et constater que la communication des chiffres de vente qu'elle a réalisées directement sur le secteur géographique et de déclarer la demande de communication sans objet.

A titre subsidiaire, elle demande de confirmer le jugement sur la distinction des deux contrats et sur le fait que la résiliation du contrat de prestations de services est exclusive de toute compensation et qu'enfin, l'indemnité de rupture d'agent commercial ne saurait être supérieure à un an de commissions, confirmer le jugement sauf à exclure le montant des ventes réalisées directement par la SAS Pages sur le secteur géographique et, en tout état de cause, lui allouer 6 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile.

Elle reproche à la SARL Sapa Distribution une faute lourde par manquement à son obligation de démarchage et de prospection de la clientèle ; elle estime qu'elle s'est limitée à exploiter la clientèle développée initialement par la société Duprat et Delga. Elle n'a pas respecté les instructions données par son mandant concernant la grande distribution. Elle a manqué à son obligation de rendre des comptes.

Elle doit être déboutée de sa demande d'indemnité de rupture pour faute lourde.

A titre subsidiaire, elle insiste sur la distinction des deux contrats retenus par le tribunal :

- un contrat de prospection des points de vente, de présentation des produits aux marques et prises de commande auprès de la grande distribution,

- un contrat de prestations de services : effectuer des relevés de prix tous les deux mois pour les produits à marque distributeur fournis par Pages aux magasins de l'enseigne E. Leclerc (les agents commerciaux n'interviennent pas dans la représentation, la négociation ou vente des produits fournis aux magasins Leclerc) ; il est stipulé clairement dans le contrat d'agent commercial du 8 mars 2004 que la base du CA permettant de calculer l'indemnité ne pourrait en aucun cas inclure la CA Marque Distributeur Leclerc.

La cour devra exclure de l'assiette les ventes directes effectuées par la SAS Pages car la SARL Sapa Distribution a renoncé à toute commission sur ces ventes, l'article L. 134-6 du Code de commerce n'étant pas d'ordre public.

Sur le montant de l'indemnité, il ne peut qu'être d'une année de commissions comme l'a retenu le tribunal en raison de carences de l'agent commercial et notamment de sa piètre implication commerciale.

Motifs de la décision :

La cour confirme et adopte les motifs précis et pertinents du tribunal concernant le défaut de faute grave au sens de l'article L. 134-13 du Code de commerce établie à l'encontre de l'agent commercial alors que son chiffre d'affaire est en constante progression, qu'il n'a été destinataire d'aucune lettre de reproche ou de critique avant la lettre de rupture du 11 février 2008 et qu'il n'est pas démontré d'autres faits dans l'exercice de son mandat d'une gravité suffisante pour caractériser une telle faute.

La SA Sapa Distribution sollicite à bon droit une indemnité de rupture au visa de l'article L. 134-12 dudit code.

La cour confirme l'analyse du tribunal concernant la distinction dans la lettre de mission de l'agent commercial de deux types de prestations qui ne sont pas accessoires ou dépendantes l'une de l'autre : l'une de distribution d'agence commerciale et l'autre de prestation de service spécifique sur les produits de la marque Plantation d'Or dans les centres Leclerc du secteur géographique confié à la SA Sapa Distribution et correspondant au relevé de prix tous les deux mois du linéaire Plantation d'Or dans chaque point de vente Leclerc. Cette prestation de service était rémunérée de façon spécifique à raison de 2 % du chiffre d'affaires réalisé avec le dit produit dans les centres Leclerc.

D'ailleurs, le contrat de prestation de service a été rompu dès le 28 janvier 2008 sans indemnité alors que le contrat d'agence commerciale a été rompu le 11 février suivant, corroborant l'analyse distinctive des deux types de prestations.

Enfin, si, comme le fait observer la SA Sapa Distribution, la facturation produite à partir des fiches commissions envoyées à son agent commercial ne faisait pas de distinction entre les types de rémunération, le détail de la fiche permet de calculer la commission de prestation de service à partir de la livraison produit de la marque Plantation d'Or.

Enfin, la cour confirme l'analyse du tribunal sur l'assiette de l'indemnité de rupture sauf sur le nombre d'années de moyenne de commission.

Si la SAS Pages invoque une renonciation à commission sur les ventes directes dans les centres Leclerc, cette renonciation n'est pas établie comme l'a tranché à bon droit le tribunal. La seule renonciation porte sur le montant des commissions prestations de service dans le calcul de l'indemnité de rupture et non pas sur les ventes générées dans les magasins Leclerc sans l'intermédiation de la Sapa Distribution.

En effet, dans la lettre de mission du 8 mars 2004, il était stipulé, et ce juste à la suite de la rémunération spécifique de la prestation de services de relevé linéaire, que : " si l'une des deux parties prenait l'initiative d'interrompre le présent contrat de représentation, la base du chiffre d'affaires permettant de calculer l'indemnité ne pourrait en aucun cas inclure le CA Marque distributeur Leclerc ". Cette clause emporte donc bien renonciation à intégrer dans l'assiette de l'indemnité de rupture les commissions sur ce seul type d'opération commerciale. Mais il ne peut s'agir que de la rémunération spéciale, précédemment mentionnée, de relevé de prix linéaire, ce qui ressort d'ailleurs des écritures de la SAS Pages dans ses conclusions en page 13.

De plus, il a été reproché à l'agent commercial dans la lettre de rupture du 11 février 2008 de ne pas avoir augmenté suffisamment la diffusion sur les points de vente Socamil, preuve qu'il devait démarcher les points de vente Socamil dans le cadre de sa mission d'agent commercial et dont les commissions correspondantes sont nécessairement intégrées dans l'assiette de l'indemnité de rupture.

Enfin, sur les commissions sur ventes directes dans les magasins Leclerc, il convient de rappeler que lorsqu'il est chargé d'un secteur géographique ou d'un groupe de personnes déterminé, l'agent commercial a droit sauf convention contraire à commission pour toute opération conclue pendant la durée du contrat d'agence avec une personne appartenant à ce secteur ou à ce groupe. En application de l'article L. 134-6 du Code de commerce et à défaut de renonciation expresse à ce type de rémunération, et peu important que l'agent commercial ne dispose pas d'un mandat d'exclusivité sur son secteur géographique, les ventes directes réalisées sur son secteur géographique ouvrent droit à commission et en l'espèce elles ne l'ont pas été puisque la SAS Pages n'avait pas communiqué les chiffres correspondants à Sapa Distribution pour lui permettre d'établir une facturation complète.

En cause d'appel, la SAS Pages produit en pièce 15 a intitulée " des extraits du grand livre chiffres de vente réalisés directement sur la période 2006, 2007 et 2008 ". La pièce a été communiquée au plus tard le 18 octobre 2011 et, dans ses dernières conclusions du 19 décembre 2011, la SA Sapa Distribution ne la critique pas et ne fait aucune observation en se bornant à demander la confirmation de la condamnation sous astreinte de la SAS Pages à communiquer les chiffres de ventes réalisées directement sur la période 2006, 2007 et 2008.

A l'examen de cette pièce, la cour relève qu'elle n'est certifiée ni par un expert-comptable ni par un commissaire aux comptes et qu'elle est relative à la facturation et avoirs des magasins Socamil de Tournefeuille, Carrefour de Saint-Sulpice, Carrefour de Narbonne et Cedac de Castres. Il appartiendra à la SAS Pages de communiquer des pièces certifiées par son expert-comptable sur les chiffres demandés concernant les ventes directes sur l'ensemble du secteur géographique de la SA Sapa Distribution en 2006, 2007 et 2008. La cour modifiera à cette fin le point de départ de l'astreinte prononcée à bon droit par le tribunal.

En revanche, la cour estime que le manque de dynamisme commercial, le défaut de démarchage de clients potentiels et le défaut de loyauté de l'agent commercial reproché ne sont pas suffisamment établis pour justifier de réduire le montant de l'indemnité à un an de moyenne de commissions sur les trois dernières années après 4 années de relations contractuelles d'agence commerciale. En effet, la SAS Pages ne produit pour l'établir que la lettre de rupture faisant état de simples recommandations téléphoniques préalables et de deux attestations de ses salariés. La cour fixe donc le montant de l'indemnité à deux années de moyenne de commissions sur les trois dernières années.

La cour fixe donc les commissions retenues uniquement à titre de provision en attendant l'intégralité des chiffres d'affaires réalisés sur le secteur géographique de la SA Sapa Distribution soit un total de 2 ans x 7 482 euros après déduction de la facturation des prestations de services de relevé linéaire soit un chiffre d'affaire facturé à intégrer dans l'indemnité de rupture de :

- pour 2006 : 5 511,83 euros,

- pour 2007 : 7 773,08 euros,

- pour 2008 : 3 287,93 euros jusqu'au 11 mai 2008,

soit la provision demandée : à 2 X (5 512 + 7 773 + 3 288/131 x 365) /3 = 14 964 euros.

Par ces motifs : LA COUR, - confirme le jugement en toutes ses dispositions sauf sur le montant de l'indemnité de rupture et donc de la provision allouée et sur le point de départ de l'astreinte, et statuant à nouveau de ces seuls chefs, - condamne la SAS Pages à payer à la SA Sapa Distribution une indemnité de rupture égale à 24 mois de commissions, calculée par moyenne des années 2006, 2007 et 2008 et fixée à titre provisionnel à 14 964 euros, - dit que l'astreinte de 100 euros par jour de retard fixée par le tribunal pour communiquer à la SA Sapa Distribution les chiffres de vente réalisés directement sur la période 2006, 2007 et 2008 aux fins d'établir le montant définitif de commission et de réviser le montant de l'indemnité de rupture, courra à compter du 45e jour à compter de la signification du présent arrêt, - condamne la SAS Pages aux dépens d'appel avec distraction conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile. Vu l'article 700 du Code de procédure civile, - condamne la SAS Pages à payer à la SA Sapa Distribution la somme de 1 500 euros.