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Décisions

CA Versailles, 12e ch., 15 janvier 2013, n° 11-05157

VERSAILLES

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

LRCB (SARL)

Défendeur :

Linget (Epoux)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Rosenthal

Conseillers :

Mmes Brylinski, Orsini

Avocats :

Mes Debray, Albertini, Jullien, Laugier

T. com. Versailles, 1re ch., du 25 mai 2…

25 mai 2011

Vu l'appel interjeté le 4 juillet 2011 par la société LRCB à l'encontre d'un jugement rendu le 25 mai 2011 par le Tribunal de commerce de Versailles qui a :

- reçu la société Lindes, Jean Claude Linget et Evelyne Linget en leur déclinatoire de compétence et les en a déboutés,

- débouté la société LRCB de toutes ses demandes,

- rejeté la demande reconventionnelle de M. et Mme Linget et de la société Lindes,

- condamné la société LRCB à payer conjointement à M. et Mme Linget et la société Lindes la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens ;

Vu les dernières écritures en date du 6 novembre 2002 par lesquelles la société LRCB demande à la cour de :

- confirmer le jugement en ce qu'il a débouté la société Lindes et les consorts Linget de leur exception d'incompétence ;

- dire que les consorts Linget ont violé l'obligation de non-concurrence,

- dire que les consorts Linget et la société Lindes ont commis des actes de concurrence déloyale au préjudice de la société LRCB

- condamner M. et Mme Linget et la société Lindes, in solidum, à verser à la société LRCB, à titre principal, la somme de 138 629,67 euros à titre de dommages-intérêts, sur le fondement des dispositions des articles 1134 et 1147 du Code civil et subsidiairement sur le fondement des articles 1134 et 1147 du Code civil et 1382 du même Code à l'égard de la société Lindes,

- dire que cette somme portera intérêts au taux légal à compter de l'assignation,

A titre subsidiaire,

- condamner M. et Mme Linget et la société Lindes, in solidum, à verser à la société LRCB la somme de 88 944,87 euros à titre de dommages-intérêts, sur les mêmes fondements, outre intérêts,

A titre infiniment subsidiaire :

- désigner un expert aux fins d'examiner la comptabilité de l'hôtel les nymphéas (société Lindes) exploité par M. et Mme Linget, de recenser les soirées étapes et séminaires et ventes diverses et calculer à partir d'un prix moyen de repas le montant de la perte réalisée par la société LRCB du fait des agissements des consorts Linget,

- débouter les époux Linget et la société Lindes de l'intégralité de leurs demandes reconventionnelles,

- condamner M. et Mme Linget et la société Lindes, in solidum, à verser à la société LRCB la somme de 6 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens dont distraction ;

Vu les dernières écritures signifiées le 25 septembre 2012 aux termes desquelles M. et Mme Linget et la société Lindes prient la cour de :

- confirmer le jugement entrepris,

- déclarer irrecevable, sinon débouter la société LRCB de toutes ses demandes, fins et conclusions,

- condamner la société LRCB à payer conjointement à Monsieur et Madame Linget et à la société Lindes les sommes de 8 000 euros à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive et 7 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens dont distraction ;

SUR CE, LA COUR,

Considérant que, pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens et prétentions des parties, il est expressément renvoyé au jugement entrepris ainsi qu'aux écritures des parties ; qu'il sera seulement rappelé que :

- Jean Claude Linget et son épouse Evelyne Desbordes ont créé en 1996 la société Lindes qui exploite un hôtel de 24 chambres sous l'enseigne "les nymphéas", (...),

- Ils étaient propriétaires depuis 1982 d'un fonds de commerce de bar, restaurant, débit de boisson, vente à emporter sur place, sous l'enseigne le Relais, dans des locaux leur appartenant également situés à (...) ;

- Par acte du 9 mai 2000, contenant une clause de non-concurrence, les époux Linget ont cédé ce fonds de commerce de café restaurant à la société Le relais restauration et lui ont consenti, par acte du même jour, un bail commercial ;

- le 29 juillet 2004, la société Le relais restauration a cédé le fonds de commerce comprenant le droit au bail à la société LRCB, qui l'exploite sous l'enseigne l'os à moelle ;

- reprochant à la société Lindes et aux époux Linget d'avoir commis des actes de concurrence déloyale, la société LRCB, par acte d'huissier de justice du 28 octobre 2010, les a assignés en paiement de la somme de 600 000 euros à titre de dommages-intérêts ;

C'est dans ces conditions qu'a été rendu le jugement entrepris ;

Sur la demande de dommages-intérêts pour concurrence déloyale :

Considérant qu'au soutien de sa demande de dommages-intérêts, la société LRCB invoque la violation par les époux Linget de la clause de non-concurrence contenue dans l'acte de cession du 9 mai 2000, clause aux termes de laquelle :

Le vendeur (les époux Linget) s'interdit formellement le droit de se rétablir ou de s'intéresser directement ou indirectement, même comme simples associés commanditaires dans un commerce de la nature de celui vendu, pendant une durée de dix années à compter de ce jour et dans un rayon de vingt kilomètres à vol d'oiseau du siège actuel faisant l'objet de la présente vente.

Toutefois il est ici précisé que ces interdictions ne s'appliquent pas aux activités exercées à ce jour par la SARL Lindes, dont le siège social est à (...), à l'exception de l'activité de restauration.

Le tout sous peine de dommages-intérêts envers "l'acquéreur" ou ses cessionnaires

(...)

Monsieur et Madame Linget s'obligent à interdire à l'exploitant de l'hôtel restant sa propriété d'exercer la restauration pendant 10 ans à compter de ce jour.

Que la société LRCB fait valoir que la société Lindes, exploitante de l'hôtel Les Nymphéas, proposait des forfaits "soirées étapes" à ses clients, forfaits comprenant le prix de la chambre et celui d'un repas confectionné par un restaurateur partenaire et qu'ainsi, en proposant une prestation de restauration à des concurrents du restaurant "l'os à moelle", les époux Linget n'ont pas respecté l'engagement qu'ils avaient pris de ne pas exercer d'activité de restauration dans le cadre de leur exploitation hôtelière et de ne pas s'intéresser directement ou indirectement à une telle activité ;

Que la société LRCB ne conteste pas avoir elle-même été partenaire de la société Lindes dans le cadre des forfaits "soirées étapes" proposés par l'hôtel Les Nymphéas et ce jusqu'en 2006 ;

Qu'elle soutient que si la société Lindes n'est pas signataire de la clause de non-concurrence ainsi que le font valoir les époux Linget, elle est néanmoins visée par l'acte de cession du 9 mai 2000 et qu'en tout état de cause, elle n'est que l'outil de la violation par les époux Linget de la clause de non-concurrence, de sorte que sa responsabilité peut être recherchée sur le fondement de l'article 1382 du Code civil ;

Que la société LRCB fonde en outre sa demande de dommages-intérêts sur le dénigrement dont elle dit avoir été victime de la part des époux Linget au profit de l'hôtel exploité par la société Lindes, et ce par l'intermédiaire d'un journaliste, ayant qualifié de "miséreux" leur restaurant ou ayant vanté les mérites du foie gras de "M. Linget" ou encore les petits déjeuners de l'hôtel ;

Considérant que les époux Linget et la société Lindes font valoir que la société Lindes, qui n'est pas partie à l'acte du 9 mai 2000, n'est pas débitrice de l'obligation contractuelle de non-concurrence que cet acte prévoit, que sa responsabilité ne peut dès lors être recherchée que sur le terrain délictuel et qu'elle n'a commis aucune acte de concurrence déloyale ;

Qu'ils soutiennent que la société Lindes ne fait pas de restauration dès lors qu'elle ne procède pas à des achats de marchandises pour confectionner des plats, qu'il n'existe aucun rapport de concurrence entre un hôtel et un restaurant et que les forfaits "soirée étape" proposés par la société Lindes ne constituent pas des actes de concurrence déloyale ;

Qu'ils ajoutent que la société LRCB a profité de 2004 à 2006 des soirées étapes proposés par la société Lindes avant de décider de mettre un terme à ce partenariat, qu'elle a donc eu connaissance de cette pratique depuis cette date, de sorte que son action en concurrence déloyale est prescrite depuis 2009 ;

Qu'ils affirment que les époux Linget ne se sont intéressés "ni directement ni indirectement" à un commerce de restauration et soutiennent sur ce point, d'une part, que la société Lindes n'exerce pas l'activité de restaurateur et que le forfait "soirée étape" qui ne génère aucune marge est économiquement neutre pour la société Lindes et, d'autre part, que le développement de la clientèle de l'hôtel n'influe pas sur la concurrence entre les restaurateurs qui ont tous pu participer aux forfaits ;

Qu'ils contestent en outre tout dénigrement du restaurant l'os à moelle ;

Considérant qu'il est acquis et non contesté que la société LRCB peut se prévaloir de la clause de non-rétablissement ou non-concurrence prévue à l'acte du 9 mai 2000 ;

Que cette clause fait interdiction aux époux Linget, pendant 10 ans, de s'intéresser directement ou indirectement dans un commerce de bar-restaurant, débit de boisson, vente à emporter sur place ;

Qu'elle précise que l'interdiction de l'activité de restauration vise notamment la société Lindes qui exploite l'hôtel les Nymphéas et que les époux Linget s'engagent à interdire à l'exploitant de cet hôtel d'exercer la restauration pendant ce délai ;

Que cette clause doit être interprétée comme ayant eu pour objet d'interdire aux époux Linget qui cédaient leur fonds de commerce de restauration de s'intéresser à un commerce susceptible de faire concurrence à l'acquéreur du fonds cédé, dans le domaine de la restauration ;

Que les époux Linget sont associés de la société Lindes qu'ils ont créée, Mme Linget en étant la gérante ;

Que s'il n'est pas contesté que l'hôtel Les nymphéas exploité par la société Lindes n'a jamais confectionné de repas pour sa clientèle, il est en revanche acquis que l'hôtel a proposé à ses clients des forfaits "soirée-repas", forfaits incluant une prestation de restauration assurée par des restaurateurs des environs, autres que la société LRCB, et ce de janvier 2007 à mai 2010 ;

Qu'en proposant de tels forfaits à ses clients incluant une prestation de restauration assurée par des restaurateurs autres que la société LRCB, bénéficiaire de la clause de non-concurrence, l'hôtel Les nymphéas a exercé une activité concurrente de celle de la société LRCB, dans le domaine de la restauration ;

Qu'il résulte de ces éléments que les époux Linget, qui étaient, à l'époque des faits, les seuls associés de la société Lindes qu'ils avaient créée en 1996 et dont Mme Lindes était la gérante, ont manqué à leur obligation contractuelle de non-concurrence et à l'engagement qu'ils avaient pris lors de la cession de leur fond ;

Considérant que s'agissant de la société Lindes, non liée par la clause de non-concurrence, cette société, gérée par Mme Linget, a participé sciemment et en connaissance de cause à la violation par les époux Linget de leurs obligations contractuelles, en proposant aux clients de l'hôtel les nymphéas des forfaits "soirées-étape" incluant des repas confectionnés, à partir de janvier 2007 et jusqu'en mai 2010, par des restaurateurs concurrents de la société LRCB ;

Que la violation par les époux Linget de leurs obligations contractuelles par l'intermédiaire et avec la complicité de la société Lindes a eu pour effet de priver la société LRCB de clients pour son restaurant, peu important que la société Lindes ne réalise pas de marge sur la prestation de restauration, ainsi qu'elle le soutient ;

Qu'il résulte de ces éléments que la demande de réparation formée par la société LRCB est fondée en son principe ;

Que la demande qui porte sur des agissements commis entre janvier 2007 et le 9 mai 2010, date d'expiration de la clause de non-concurrence, n'est nullement prescrite ;

Que la réalité du dénigrement allégué par la société LRCB n'est, en revanche, pas démontrée ;

Considérant que la progression du chiffre d'affaires de la société LRCB entre 2008 et 2010 invoquée par les intimés n'est pas de nature à établir l'inexistence du préjudice consécutif à la concurrence subie par la société LRCB par suite des manquements des époux Linget à leurs obligations contractuelles et ce, avec la complicité de la société Lindes ;

Que la société LRCB doit être indemnisée de la perte de clientèle qui en est nécessairement résultée ;

Considérant que, dans ses dernières écritures, la société LRCB chiffre son préjudice à la somme de 138 629,67 euros en se basant sur les montants des repas achetés par la société Lindes, de 2006 à mai 2010, auprès d'autres restaurateurs qu'elle-même, pour en déduire le nombre de repas qu'elle aurait pu vendre et le chiffre d'affaires qu'elle a ainsi perdu ; qu'à titre subsidiaire elle réduit sa demande à la somme de 88 944,87 euros correspondant à la marge qu'elle aurait pu réaliser, si les clients de l'hôtel Les nymphéas ne s'étaient pas vus proposer des repas assurés par des restaurateurs partenaires de la société Lindes ;

Que la société LRCB reconnaissant s'être vu confier, courant 2006, des repas dans le cadre des forfaits "soirée étape" de l'hôtel Les Nymphéas, ne peut invoquer un préjudice au titre de cette année ; que seule sera pris en compte pour l'évaluation de son préjudice la perte de la clientèle qu'elle a subie entre le 1er janvier 2007 et le 9 mai 2010, période pendant laquelle il est établi qu'elle ne s'est vu confier aucun repas ;

Que si les comptes de la société Lindes révèlent des "achats repas" pour un coût de l'ordre de 100 000 euros durant cette période, ce chiffre ne correspond nullement au préjudice subi par la société LRCB, dès lors que seule une partie des clients de l'hôtel se serait rendue dans son restaurant "l'os à moelle" si le forfait "soirée-étape" ne leur avait pas été proposée, partie que l'on peut estimer à 40 %, et que le préjudice subi par la société LRCB consiste en une perte de marge et non en une perte de chiffre d'affaires, taux de marge de l'ordre de 18 à 30 % selon les époux Linget et la société Lindes, tandis que la société LRCB retient dans ses calculs une marge théorique de 75 % ;

Que la cour dispose des éléments suffisants, sans qu'il y ait lieu d'ordonner une expertise, pour chiffrer le préjudice subi par la société LRCB à la somme de 12 000 euros, calculée sur la base d'une marge de 30 % ;

Que le jugement sera infirmé en ce qu'il a rejeté la demande de dommages-intérêts formée par la société LRCB, la société Lindes et les époux Linget étant condamnés, in solidum, à lui payer la somme de 12 000 euros à titre de dommages-intérêts, assortie des intérêts au taux légal à compter du présent arrêt ;

Sur la demande de dommages-intérêts pour procédure abusive et les autres demandes

Considérant que la demande de dommages-intérêts pour procédure abusive formée par les époux Linget et la société Lindès ne peut qu'être rejetée, aucun abus ne pouvant être reproché à la société LRCB dont la demande est partiellement satisfaite ; qu'au surplus, les intimés n'établissent nullement la mauvaise foi ou la déloyauté dont aurait fait preuve, selon leurs allégations, la société LRCB au cours de la procédure ;

Considérant que le jugement sera réformé en ses dispositions relatives aux indemnités de procédure et dépens de première instance

Que la société Lindes et les époux Linget supporteront in solidum les dépens de première instance et d'appel, et devront verser à la société LRCB une indemnité de procédure que l'équité commande de fixer à la somme de 4 000 euros, leur demande à ce même titre étant rejetée ;

Par ces motifs : Statuant publiquement et par arrêt contradictoire, Confirme le jugement en ce qu'il a reçu la société Lindes, Jean Claude Linget et Evelyne Linget en leur déclinatoire de compétence et en leur demande reconventionnelle et les en a déboutés ; L'infirme pour le surplus ; Statuant à nouveau et y ajoutant : Dit n'y avoir lieu à expertise, Condamne in solidum la société Lindes, Jean Claude Linget et Evelyne Linget à payer à la société LRCB la somme de 12 000 euros à titre de dommages-intérêts, assortie des intérêts au taux légal à compter du présent arrêt, Déboute la société Lindes, Jean Claude et Evelyne Linget de leur demande de dommages-intérêts pour procédure abusive, Condamne la société Lindes Jean Claude Linget et Evelyne Linget, in solidum, à payer à la société LRCB la somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, Condamne la société Lindes, Jean Claude Linget et Evelyne Linget, in solidum, aux dépens de première instance et d'appel qui pourront être recouvrés selon les dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.