Cass. com., 15 janvier 2013, n° 11-17.797
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
PARTIES
Demandeur :
Financière Victor Hugo (SA), Distridom (SAS), Expansion Holding Mauritius Ltd
Défendeur :
Baud (Consorts), Baudinter (Sté), Geimeix (SNC), Chriqui (ès qual.), Casino Guichard Perrachon (SA), Distribution Leader Price (SNC)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Espel
Rapporteur :
Mme Mandel
Avocat général :
Mme Batut
Avocats :
SCP Defrenois, Levis, SCP Delaporte, Briard, Trichet, SCP Célice, Blancpain, Soltner, Me Carbonnier
LA COUR : - Joint les pourvois n° 11-24.155 et 11-17.797 qui attaquent le même arrêt ; - Statuant tant sur les pourvois principaux formés par les sociétés Financière Victor Hugo, Distridom et Expansion Holding Mauritius et par la société Générale d'importation et d'exportation Geimex et M. Chriqui, administrateur provisoire de cette société, que sur le pourvoi incident relevé par la société Casino Guichard Perrachon et la société Distribution Leader Price sur le pourvoi principal n° 11-24.155 ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 22 février 2011), que la société Générale d'importation et d'exportation (la société Geimex), dont le capital était détenu à concurrence de 50 % par les membres de la famille Baud et à concurrence de 50 % par M. Baussan, et qui était licenciée exclusive, pour la France métropolitaine et les DOM-TOM de la marque "Leader Price", propriété de la société SNC Distribution Leader Price, a consenti, le 16 octobre 1997, la sous-licence de cette marque à la société Financière Victor Hugo (la société FVH) pour une durée de huit ans et pour la Réunion, l'Ile Maurice, les Comores, les Seychelles et Mayotte ; que le 26 mai 2003, les sociétés Geimex et FVH ont conclu un contrat de licence de cette même marque pour une période de trente-cinq années, renouvelable par une ou plusieurs périodes de même durée ; que la société FVH a elle-même consenti des sous-licences de la marque à diverses filiales de sa propre filiale, la société Expansion Holding Mauritius (la société Expansion) ; que le 28 novembre 2003, la société Geimex a conclu avec les sociétés FVH et Expansion une convention donnant à la première le droit d'acquérir les titres ou les fonds de commerce des magasins exploitant la marque "Leader Price" à la Réunion pour le cas où le licencié ou ses filiales envisageraient de céder ces magasins ; qu'après la cession par M. Baussan de sa participation dans la société Geimex à la société Casino Guichard Perrachon (la société Casino), une mésentente est survenue entre les deux groupes d'actionnaires de la société Geimex et M. Chriqui a été désigné en qualité d'administrateur provisoire ; que le 28 juillet 2008, la société FVH a notifié aux sociétés Geimex et Casino qu'elle mettait un terme à l'ensemble des relations commerciales avec la société Geimex avec effet au 1er mars 2009 ; que cette rupture a été réitérée par les sociétés FVH, Distridom, centrale d'achat de la société FVH, et Expansion ; que ces trois sociétés ont fait assigner les sociétés Geimex et Casino ainsi que M. Chriqui, ès qualités, aux fins de voir constater la résiliation à bon droit par la société FVH de ses relations commerciales et obtenir paiement de dommages-intérêts ; que la société Distribution Leader Price a été assignée en intervention forcée ; que M. Jean Baud et la société Baudinter sont intervenus volontairement ; que les sociétés Geimex, Casino et Distribution Leader Price ont formé des demandes reconventionnelles en paiement de dommages-intérêts ;
Sur le premier moyen du pourvoi principal n° 11-24.155 : - Attendu que la société Geimex et M. Chriqui, ès qualités, font grief à l'arrêt d'avoir constaté que la résiliation par la société FVH de ses relations avec la société Geimex n'était pas fautive et d'avoir rejeté ses demandes de dommages-intérêts formées à l'encontre de la société FVH, alors, selon le moyen : 1°) qu'en jugeant que l'article 7 des contrats des 16 octobre 1997 et 26 mai 2003 serait une clause d'exclusivité au sens de l'article L. 330-1 du Code de commerce tout en constatant que cet article 7 autorise expressément le licencié à s'approvisionner auprès d'autres fournisseurs en produits concurrents, la cour d'appel a violé l'article L. 330-1 du Code de commerce ; 2°) que l'article 7 des contrats des 16 octobre 1997 et 26 mai 2003 autorise en des termes clairs et précis le licencié à commercialiser des produits spécifiques à la région, des produits dont la date limite de vente est rapprochée et des produits fabriqués localement donc susceptibles de concurrencer les produits de la marque Leader Price ; ainsi en estimant que les exceptions prévues par l'article 7 ne constitueraient pas les "objets semblables ou complémentaires" visés par l'article L. 330-1 du Code de commerce, la cour d'appel a dénaturé les termes clairs et précis de l'article 7 des contrats litigieux, en violation de l'article 1134 du Code civil ; 3°) qu'en estimant que le contrat du 26 mai 2003 serait devenu caduc, la cour d'appel a violé les articles L. 330-1 et L. 330-2 du Code de commerce ; 4°) qu'en estimant que la licence de marque aurait été consubstantielle à la clause d'exclusivité sans justifier de ce que la durée d'exclusivité prévue aurait été déterminante de la conclusion de ce contrat, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 330-1 du Code de commerce ; 5°) qu'il résulte des stipulations claires et précises du contrat du 26 mai 2003 que celui-ci avait pour objet une "nouvelle licence" conclue pour une durée différente de celle prévue par le contrat du 16 octobre 1997, donc qu'il s'agissait non de la prolongation du contrat du 16 octobre 1997 lequel était résilié, mais d'un nouveau contrat ; ainsi en estimant que le contrat du 26 mai 2003 n'aurait été que la prolongation du contrat du 16 octobre 1997, la cour d'appel a dénaturé les termes clairs et précis du contrat de licence de marque du 26 mai 2003 ; 6°) qu'en estimant que la société FVH n'aurait à aucun moment recouvré sa liberté tout en constatant que le contrat du 16 octobre 1997 pouvait avoir été résilié avant la conclusion du contrat du 26 mai 2003, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales qui s'évinçaient de ses propres constatations, en violation des articles L. 330-1 et L. 330-2 du Code de commerce ; 7°) que la cassation de l'arrêt en ce qu'il a déclaré la rupture par la société FVH de ses relations contractuelles avec la société Geimex non fautive emportera par voie de conséquence cassation de l'arrêt en ce qu'il a rejeté les demandes de dommages-intérêts des exposants, fondées sur le caractère fautif de la rupture ;
Mais attendu, en premier lieu, que l'arrêt relève, par motifs propres et adoptés, que tant le contrat du 16 octobre 1997 que celui du 26 mai 2003 font obligation à la société FVH de se fournir exclusivement auprès de la société Geimex et de ne vendre dans ses magasins à l'enseigne "Leader Price" que des produits portant la marque "Leader Price" ; qu'il relève encore que, si contractuellement la société FVH peut, pour des produits spécifiques de la région, ceux à date limite de vente trop courte pour être commandés en métropole et ceux fabriqués localement, se fournir auprès d'autres fournisseurs et les vendre dans d'autres magasins que ceux portant l'enseigne "Leader Price", la société Geimex n'était pas en mesure de lui fournir les deux premiers types de produits et exerçait un contrôle étroit avant d'autoriser l'apposition de la marque Leader Price sur les produits locaux ; que de ces constatations et appréciations, la cour d'appel a pu déduire, sans dénaturer les termes ambigus de l'article 7 des contrats, que les dérogations ne visaient pas des produits concurrents de ceux de la société Geimex et que la clause litigieuse constituait une clause d'exclusivité ;
Attendu, en deuxième lieu, que l'arrêt relève, par motifs propres et adoptés, que la clause d'exclusivité d'approvisionnement était d'une durée supérieure à dix ans mais que, la société FVH ne pouvant continuer à commercialiser, dans les département et territoires concédés, les produits portant la marque "Leader Price" sans s'approvisionner auprès de la société Geimex licenciée exclusive, la licence de marque ne pouvait survivre indépendamment de la clause d'exclusivité ; que de ces constatations, dont il résulte que, dans la commune intention des parties, la clause d'exclusivité d'exploitation participait de l'économie générale de l'opération et était indissociable de la concession de sous-licence de marque, la cour d'appel a pu déduire que sa nullité rendait caduc, à compter du 16 octobre 2007, le contrat du 26 mai 2003, pris dans son ensemble ;
Attendu, en troisième lieu, que l'arrêt relève que les contrats des 16 octobre 1997 et 26 mai 2003, conclus entre les mêmes parties, comportent la même clause d'exclusivité, qu'il n'existe aucun acte de résiliation du contrat du 16 octobre 1997 et que le second a été signé avant l'échéance du premier et "en lieu et place" ; que de ces constatations, dont il résultait que les sociétés FVH et Geimex ne s'étaient pas dégagées du contrat du 16 octobre 1997 et que celui du 26 mai 2003 ne constituait que la prolongation du premier, la cour d'appel a, hors toute dénaturation, légalement justifié sa décision ;
Et attendu que le rejet du moyen en ses six premières branches rend le septième grief sans objet ; d'où il suit que le moyen ne peut être accueilli en aucune de ses branches ;
Sur le deuxième moyen du pourvoi principal n° 11-24.155 : - Attendu que la société Geimex et M. Chriqui, ès qualités, font grief à l'arrêt d'avoir annulé les cessions des titres des sociétés Mahdd, Semad, Distri Savannah et Rhdoi en 2004 et 2005 à la société Geimex et condamné cette dernière à restituer à la société FVH les titres de ces sociétés, contre remboursement par la société FVH du prix payé par la société Geimex pour procéder à leur acquisition, alors, selon le moyen : 1°) que la cassation de l'arrêt qui interviendra sur le premier moyen emportera par voie de conséquence cassation de l'arrêt en ce qu'il a annulé les cessions des titres des sociétés Mahdd, Semad Distri Possession, Distri Savannah et Rhdoi ; 2°) qu'en toute hypothèse, en étendant la sanction de la clause d'exclusivité des contrats des 16 octobre 1997 et 26 mai 2003 à la convention du 28 novembre 2003 et aux cessions des titres des sociétés Mahdd, Semad Distri Possession, Distri Savannah et Rhdoi, la cour d'appel a violé les articles L. 330-1 et L. 330-2 du Code de commerce ;
Mais attendu, d'une part, que le rejet du premier moyen rend le premier grief sans objet ;
Et attendu, d'autre part, que l'arrêt relève par motifs propres et adoptés que la convention du 28 novembre 2003 a été conclue en contrepartie de l'accord de licence d'une durée de 35 ans et que l'article 2 énonce que ces deux accords sont indissociables ; que par ce seul motif, non critiqué, la cour d'appel a légalement justifié sa décision ; d'où il suit que le moyen ne peut être accueilli en aucune de ses branches ;
Et sur le troisième moyen du pourvoi principal n° 11-24.155 : - Attendu que la société Geimex et M. Chriqui, ès qualités, font grief à l'arrêt d'avoir rejeté la demande en paiement de dommages-intérêts formées par la société Geimex au titre de la perte de marge durant le préavis, alors, selon le moyen, qu'en affirmant de manière péremptoire que la durée de préavis décidée par la société FVH aurait été raisonnable, sans justifier de ce caractère raisonnable, notamment en considération de l'ancienneté des relations entre les parties, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1184 du Code civil ;
Mais attendu qu'il résulte de l'arrêt et des conclusions de la société Geimex et de M. Chriqui, ès qualités, que devant la cour d'appel ils ont uniquement fait valoir que, pendant le préavis, la société FVH n'avait pas respecté ses obligations contractuelles, sans émettre de contestation sur le caractère déraisonnable de sa durée; que le moyen pris de cet élément est nouveau et mélangé de fait et de droit et donc irrecevable ;
Sur le moyen unique du pourvoi incident : - Attendu que les sociétés Casino et Distribution Leader Price font grief à l'arrêt d'avoir rejeté la demande en paiement de dommages-intérêts formée par la société DLP à l'encontre de la société DVH, alors, selon le moyen, que la société DLP, titulaire de la marque "Leader Price" ne demandait pas seulement la réparation du préjudice par ricochet que lui avait causé le non-respect du préavis de rupture de la société FVH, mais surtout la réparation du préjudice que lui avait causée la résiliation fautive du contrat de sous-licence de marque du 26 mai 2003 par la société FVH ; que pour rejeter cette demande, la cour d'appel s'est fondée sur ce seul motif que ce contrat de sous-licence était devenu caduc à partir du 16 octobre 2007 et que la société FVH s'était trouvée libérée de toute obligation contractuelle ; qu'ainsi, la cassation de l'arrêt en ce qu'il a déclaré la rupture par la société FVH de ses relations contractuelles avec la société Geimex non fautive, du chef du pourvoi principal de la société Geimex, emportera par voie de conséquence l'anéantissement de l'arrêt en ce qu'il a débouté la société DLP de sa demande par application de l'article 624 du Code de procédure civile ;
Mais attendu que le premier moyen du pourvoi principal n° 11-24.155 ayant été rejeté, le moyen est devenu sans objet ;
Et attendu que le moyen unique du pourvoi principal n° 11-17.797 ne serait pas de nature à permettre l'admission du pourvoi ;
Par ces motifs : Rejette les pourvois principaux et incident.