Cass. com., 15 janvier 2013, n° 12-17.553
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
PARTIES
Demandeur :
Haulotte Group (SA)
Défendeur :
Soudacier (SAS), Mequinion (ès qual.)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Espel
Rapporteur :
Mme Mouillard
Avocat général :
Mme Batut
Avocats :
SCP Fabiani, Luc-Thaler, SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle, Hannotin
LA COUR : - Attendu, selon l'arrêt attaqué, que la société Haulotte Group, qui exerce une activité de fabrication et de commercialisation d'engins de manutention et de levage, était depuis 1996 en relation de sous-traitance avec la société Soudacier, à qui elle confiait la fabrication d'éléments de ces engins ; qu'en octobre 2007, la société Haulotte Group a mis fin à la relation ; que la société Soudacier l'a fait assigner en paiement de dommages-intérêts pour rupture brutale d'une relation commerciale établie ;
Sur le premier moyen : - Attendu que la société Haulotte Group fait grief à l'arrêt de retenir sa responsabilité dans la rupture de ses relations contractuelles avec la société Soudacier et de la condamner à payer à cette dernière la somme de 1 568 109 euros en réparation de son préjudice, alors, selon le moyen : 1°) qu'aux termes de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce, la rupture de relations commerciales établies n'est brutale que si elle intervient sans préavis écrit ; que l'exigence d'un préavis écrit est respectée dès lors qu'il résulte des éléments de la cause que la rupture des relations a été notifiée sans équivoque et que son auteur a respecté un préavis avant de rompre les relations commerciales ; qu'en l'espèce, il résulte des propres constatations de l'arrêt attaqué que la société Haulotte Haulotte group a notifié à la société Soudacier le 1er juin 2007 la rupture des relations commerciales et a confirmé à celle-ci cette rupture, par écrit, les 5 et 22 juin 2007 puis a continué, jusqu'au 10 octobre 2007, à lui passer commande ; qu'en affirmant que la société Haulotte Group avait mis fin, de façon brutale, aux relations commerciales quand elle avait elle-même relevé qu'à la suite de la notification de la rupture, celle-ci avait continué à passer commande auprès de la société Soudacier pendant plus de quatre mois, ce dont il résultait qu'elle avait, sans équivoque, mis fin aux relations commerciales liant les deux sociétés et avait respecté un préavis, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et a violé l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce ; 2°) que l'existence d'une négociation, postérieurement à la notification de la rupture de relations commerciales établies, tendant à déterminer la durée du préavis exclut le caractère brutal de la rupture dès lors que durant cette négociation, les relations commerciales se poursuivent ; qu'en jugeant brutale la rupture quand il résulte de son arrêt qu'après la notification de celle-ci, des négociations se sont engagées visant à déterminer la durée du préavis de la société Soudacier, négociations durant lesquelles les relations commerciales se sont poursuivies au moins jusqu'au 10 octobre 2007, date de la dernière commande passée par la société Haulotte Group, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations et a violé l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce ; 3°) que durant le préavis, les relations commerciales se poursuivent jusqu'à leur rupture effective ; qu'en affirmant, par motifs adoptés des premiers juges, que la société Haulotte Group aurait eu une " attitude ambivalente " dès lors qu'elle avait notifié à la société Soudacier l'arrêt des relations commerciales pour ensuite augmenter ses commandes quand ces commandes, intervenues postérieurement à la notification de la rupture, n'étaient que la simple exécution d'un préavis précédant l'arrêt définitif des relations commerciales, la cour d'appel a derechef violé l'article L 442-6, I, 5° du Code de commerce ; 4°) que dans ses conclusions d'appel, la société Haulotte Group soutenait, en se référant à cet égard à deux lettres que lui avait adressées la société Soudacier les 7 et 12 juin 2007 et à une lettre qu'elle avait adressée le 13 juin 2007 à l'un de ses fournisseurs, la société Profilafroid, que la société Soudacier avait elle-même fixé la date de la cessation des relations commerciales à la fin du mois d'octobre 2007 et avait en prévision, dès le mois de juin 2007, cessé de passer commande auprès de ses fournisseurs avant de se rétracter et de prétendre que la rupture des relations commerciales avait été brutale ; qu'en s'abstenant de se prononcer sur l'une quelconque de ces lettres qui démontraient pourtant qu'un préavis avait bel et bien été fixé par la société Soudacier, avant d'être remis en cause par celle-ci, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce ;
Mais attendu que, par motifs propres et adoptés, l'arrêt constate qu'à l'occasion d'une réunion entre les dirigeants des deux sociétés, le 1er juin 2007, la société Haulotte Group a informé la société Soudacier qu'elle souhaitait mettre un terme à la relation commerciale, ce qu'elle a confirmé par un message électronique du 5 juin 2007 dans lequel elle s'engageait à respecter un délai raisonnable pour lui permettre de s'organiser, que par une lettre recommandée du 22 juin 2007, elle a renouvelé son intention de respecter ses engagements contractuels sans toutefois fixer de délai de préavis, que les parties ont échangé plusieurs courriers, la société Soudacier revendiquant, le 13 juillet 2007, un préavis de 18 mois que la société Haulotte Group a refusé le 2 août 2007 toujours sans proposer de préavis ; qu'il relève encore que, bien qu'un message électronique du 19 novembre 2007 fît état d'une réunion du 29 octobre 2007 ayant eu pour objet de reconduire certaines livraisons pour l'année 2008, l'ultime commande de la société Haulotte group est intervenue le 10 octobre 2007 ; que l'arrêt en déduit que la société Haulotte Group, non seulement n'a pas donné de préavis écrit mais, en annonçant officiellement l'arrêt de la relation puis en poursuivant la demande de production, a eu une attitude ambivalente qui a empêché la société Soudacier de prendre les mesures adéquates pour faire face à la situation, notamment pour chercher de nouveaux partenaires ; qu'en l'état de ces constatations et appréciations, dont il résulte que la société Haulotte Group s'est abstenue de notifier la durée du préavis qu'elle entendait octroyer et a, postérieurement à la notification de la rupture, entretenu l'incertitude sur son intention de rompre, mettant la société Soudacier dans l'impossibilité de mettre à profit le préavis finalement exécuté, la cour d'appel, qui n'avait pas à effectuer une recherche que ses constatations rendaient inopérante, a pu estimer que la rupture avait été brutale ; que le moyen n'est pas fondé ;
Mais sur le second moyen, pris en sa deuxième branche : - Vu l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce ; - Attendu qu'après avoir retenu que la rupture avait été brutale, l'arrêt alloue à la société Soudacier une somme de 200 000 euros pour des investissements très importants réalisés en 2005 et 2006 dans le cadre de ses relations avec la société Haulotte Group ;
Attendu qu'en se déterminant ainsi, sans préciser en quoi l'absence de préavis avait été de nature à engendrer un préjudice à ce titre, la cour d'appel a privé sa décision de base légale ;
Et sur le même moyen, pris en sa troisième branche : - Vu l'article 16 du Code de procédure civile ; - Attendu que, statuant sur les demandes d'indemnisation de la société Soudacier au titre des conséquences de la fermeture du site du Creusot, du coût des licenciements et de celui des stocks inutilisés, l'arrêt lui alloue diverses sommes en réparation de la perte des chances de déménager, de mettre fin à la convention d'occupation de manière non précipitée et de trouver une solution de rechange, comme d'organiser la restructuration sociale pendant la durée du préavis ainsi qu'une parfaite gestion des stocks ;
Attendu qu'en statuant ainsi, la cour d'appel, qui a relevé d'office le moyen tiré de ce que les préjudices allégués par la société Soudacier consistaient en des pertes de chance, sans inviter préalablement les parties à s'en expliquer, a violé le texte susvisé ;
Par ces motifs et sans qu'il y ait lieu des statuer sur le dernier grief : Casse et annule, mais seulement en ce qu'il condamne la société Haulotte Group à payer à la société Soudacier la somme de 1 568 109 euros en réparation de son préjudice, l'arrêt rendu le 23 février 2012, entre les parties, par la Cour d'appel de Bourges ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la Cour d'appel d'Orléans.