CA Paris, Pôle 1 ch. 2, 17 janvier 2013, n° 11-17764
PARIS
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
3W Santé (SAS)
Défendeur :
Pierre Fabre Dermo Cosmétique (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Louys
Conseillers :
Mmes Graff-Daudret, Lesault
Avocats :
Mes Teytaud, Audran, Galland, Morvilliers
Faits constants :
La SAS 3W Santé (3W) a pour activité l'exploitation d'une parapharmacie à travers le site Internet www.lecomptoirsante.com. Ce site a pour objet de commercialiser des produits de beauté et de parapharmacie.
La SAS Pierre Fabre Dermo-Cosmétique (Pierre Fabre) commercialise des produits d'hygiène et de beauté, notamment sous les marques Aderma, Avène, Ducray, Galénic et Klorane.
Le 7 mars 2011, Pierre Fabre, invoquant le trouble manifestement illicite, a fait assigner 3W devant le juge des référés du Tribunal de commerce de Bordeaux, lui reprochant de commercialiser la gamme Klorane sur son site www.lecomptoirsante.com, au motif qu'elle avait mis en place un réseau de distribution sélective et qu'elle s'opposait à la vente de ses produits sur Internet, ce type de commercialisation excluant, selon elle, "notamment le conseil par l'exercice pertinent, visuel ou tactile des caractéristiques de la peau ou du cheveu présentées par le consommateur".
Par ordonnance du 14 juin 2011, le juge des référés du Tribunal de commerce de Bordeaux a accueilli les demandes de Pierre Fabre. Cette ordonnance a été frappée d'appel par 3W devant la Cour d'appel de Bordeaux.
Pierre Fabre a soulevé l'incompétence de ladite Cour d'appel de Bordeaux, en soutenant que, l'ordonnance du 14 juin 2011, ayant été rendue au visa de l'article L. 442-6 du Code de commerce, la juridiction d'appel spécialement compétente pour connaître du recours contre cette ordonnance est la Cour d'appel de Paris conformément à l'article D. 442-3 du même code.
Par déclaration du 4 octobre 2011, 3W a interjeté appel de la même ordonnance du 14 juin 2011 devant la Cour d'appel de Paris.
Par arrêt du 26 septembre 2012, la Cour d'appel de Bordeaux :
Vu les dispositions des articles 401 et 403 du Code de procédure civile,
- a constaté que le désistement de la société 3W avait été fait avec la réserve expresse qu'il ne valait pas acquiescement à l'ordonnance du 14 juin 2011 et que la société Pierre Fabre n'avait pas accepté le désistement de la société 3W,
- a dit en conséquence que ce désistement était dépourvu d'effet et que la cour devait statuer sur les prétentions des parties,
Vu les dispositions des articles L. 442-6 alinéa 6 et D. 442-3 du Code de commerce,
- s'est déclaré incompétente pour connaître du recours formé à l'encontre de l'ordonnance de référé rendue le 14 juin 2011 par le Tribunal de commerce de Bordeaux, et dit que la juridiction compétente était la Cour d'appel de Paris à laquelle le dossier serait transmis,
- a débouté Pierre Fabre de sa demande de dommages et intérêts pour abus manifeste des voies de recours,
- a dit n'y avoir lieu de faire application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile,
- a condamné 3W à supporter les dépens d'appel qui seraient recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.
Par arrêt du 10 octobre 2012, la présente cour, aux motifs suivants :
" Considérant que la cour d'appel lui a transmis, en cours de délibéré, son arrêt du 26 septembre 2012, sur l'appel interjeté contre la même ordonnance rendue le 14 juin 2011 par le juge des référés du Tribunal de commerce de Bordeaux, ainsi que l'entier dossier de la procédure ;
Considérant que cette transmission justifie, dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice et pour assurer le respect du principe de la contradiction, la réouverture des débats pour que les parties s'expliquent sur l'incidence de l'arrêt de la Cour d'appel de Bordeaux, leurs notes en délibéré sur ce point étant irrecevables par application de l'article 445 du CPC ; " a :
- révoqué l'ordonnance de clôture,
- ordonné la réouverture des débats à l'audience du 28 novembre 2012 à 14h, la clôture étant fixée au 14 novembre 2012 à 13h,
- réservé les dépens.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 21 novembre 2011 après report de la clôture.
Prétentions et moyens de 3W :
Par dernières conclusions du 21 novembre 2012, auxquelles il convient de se reporter, 3W fait valoir :
Sur les moyens de procédure soulevés par Pierre Fabre,
- que son appel devant la Cour d'appel de Paris n'est pas tardif, en raison de l'irrégularité des actes de signification de l'ordonnance de référé litigieuse,
. que les significations de l'ordonnance entreprise, des 11 août et 2 septembre 2011, qui lui ont été faites, mentionnaient la Cour d'appel de Bordeaux comme étant la juridiction de recours compétente,
. que le délai d'appel de 15 jours commence à courir à la condition que la signification soit régulière (article 680 du CPC),
. que selon la jurisprudence de la Cour de cassation, la désignation du lieu où un recours doit être exercé constitue une modalité du recours au sens de l'article 680 du CPC,
. que son grief réside dans l'impossibilité d'exercer un recours dans les délais requis,
. que par conséquent, le délai d'appel n'a jamais commencé à courir,
- que son appel formé devant la Cour d'appel de Paris est recevable, le moyen tendant à le voir déclarer irrecevable en raison de l'appel pendant devant la Cour de Bordeaux n'ayant désormais plus lieu d'être puisque cette dernière cour s'est déclarée incompétente au profit de la Cour d'appel de Paris,
. qu'elle n'a jamais acquiescé à l'ordonnance de référé du 14 juin 2011,
- qu'il y a absence de fondement à la demande de sursis à statuer, du fait de la déclaration d'incompétence de la Cour d'appel de Bordeaux,
- qu'il n'y a pas de caducité au visa de l'article 902 du CPC, les formalités de ce texte et la sanction de la caducité n'étant pas applicables en l'absence de désignation d'un conseiller de la mise en état, que cette solution résulte des dispositions des articles 905 et 911-1 du CPC,
Sur l'absence des conditions du référé,
- qu'il y a des erreurs d'analyse, en fait comme en droit, du premier juge,
. que l'ordonnance entreprise ne comporte aucun fondement textuel,
. que les contrats proposés par Pierre Fabre prohibent, de manière absolue, la vente par Internet, mais que, pour qu'une atteinte à un réseau puisse constituer un trouble manifestement illicite, il faut que ce réseau apparaisse comme manifestement licite, ce qui n'est pas le cas, la Cour de cassation ayant considéré, dans un arrêt du 21 juin 2011, que Pierre Fabre ne rapportait pas la preuve de la licéité de son réseau, que l'intimée se fonde devant la présente cour sur un arrêt de la Cour d'appel d'Aix-en-Provence qui a été cassé,
. qu'en retenant que "rien ne démontrait dans les pièces produites par les parties que le réseau de distribution sélective de la société Pierre Fabre n'était pas licite", le premier juge a inversé la charge de la preuve, car il est de jurisprudence constante qu'il revient à un fournisseur qui invoque la violation de son réseau de distribution sélective de faire la preuve de la prétendue licéité de celui-ci pour demander des mesures à l'égard de tiers,
. que le premier juge a commis une erreur de fait en considérant qu'une distribution par Internet des produits Pierre Fabre serait possible, en retenant que "Pierre Fabre exigeait que ceux qui effectuent de la vente de ses produits sur Internet aient également une surface de vente et soient agréés par elle", affirmation qui induit que Pierre Fabre accepterait que ses distributeurs agréés puissent vendre ses produits via Internet, alors que tel n'est pas le cas, même s'agissant des distributeurs agréés,
- que Pierre Fabre n'apporte pas la preuve de la licéité de son réseau,
. qu'il y a identité de situation avec l'arrêt du 21 juin 2011 dans l'affaire Pierre Fabre c/ Easyparapharmacie.com, que l'infirmation s'impose d'autant plus au vu de l'arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne du 13 octobre 2011,
. que l'arrêt précité de la Cour d'appel d'Aix-en-Provence du 11 octobre 2012 est une position isolée et infondée,
. que le réseau Pierre Fabre est à l'évidence illicite au regard du droit de la concurrence puisqu'il impose un critère restrictif de concurrence, dès lors que :
* l'interdiction absolue de vendre sur Internet est une restriction de concurrence par objet, que si Pierre Fabre justifie l'interdiction de vendre ses produits sur Internet par la nécessaire présence physique d'une personne avisée pour délivrer les conseils nécessaires au consommateur, un tel critère est illicite en droit, selon le Conseil de la concurrence, la Cour d'appel de Paris, la Commission et le juge communautaire,
* l'interdiction de vendre sur Internet de Pierre Fabre ne remplit pas les conditions des articles L. 420-1 du Code de commerce et 101, paragraphe 3, TFUE (Cour d'appel de Toulouse 17 janvier 2012), que les décisions citées par Pierre Fabre ne sont plus d'actualité, que la Cour de cassation n'a pas "revu sa position" dans un arrêt du 15 novembre 2011, les faits de cette espèce étant différents de ceux du présent litige, que la dernière décision du Conseil de la concurrence n'est pas obsolète, que la Cour de cassation a, dans un arrêt du 20 mars 2012, censuré un arrêt de la Cour d'appel de Toulouse du 24 février 2010 qui avait considéré comme valide le réseau de distribution sélective de Pierre Fabre,
- que le réseau de distribution sélective de Pierre Fabre est donc aujourd'hui considéré comme étant illicite et que Pierre Fabre ne parvient pas à faire la preuve de la licéité de son réseau de distribution sélective au regard du droit de la concurrence,
- que son approvisionnement est licite, qu'il y a inapplicabilité des dispositions sur l'approvisionnement illicite en raison de la non satisfaction des conditions d'exemption de l'article 101 § 3 TFUE, qu'il s'agisse de l'exemption par catégorie ou de l'exemption individuelle, que les dispositions de l'article L. 442-6 6è du Code de commerce ne trouvent pas à s'appliquer,
- qu'il y a absence de trouble manifestement illicite, en l'absence de preuve de la licéité du réseau, et absence de dommage imminent, Pierre Fabre critiquant le comportement d'un seul revendeur (elle-même) et son réseau étant illicite ou, du moins, étant l'objet d'un doute sérieux sur sa licéité.
Elle demande à la cour :
- de dire que les actes de signification du "jugement" du Tribunal de commerce de Bordeaux méconnaissent les termes de l'article 680 du CPC et sont irréguliers,
- de dire que la demande de sursis à statuer n'est pas fondée,
- de dire que la demande de déchéance de l'appel n'est pas fondée,
- de dire qu'elle est recevable et bien fondée en son appel,
- de dire que Pierre Fabre n'apporte pas la preuve de la licéité de son réseau de distribution sélective pour les produits Klorane,
- de dire que le réseau de Pierre Fabre est illicite,
- de dire qu'il n'existe aucun trouble manifestement illicite ou un quelconque dommage imminent,
En conséquence,
- d'infirmer dans sa globalité l'ordonnance entreprise,
- de condamner Pierre Fabre à lui payer la somme de 30 000 euros au titre de l'article 700 du CPC,
- de lui accorder le bénéfice des dispositions de l'article 699 du CPC.
Prétentions et moyens de Pierre Fabre :
Par dernières conclusions du 14 novembre 2012, auxquelles il convient de se reporter, Pierre Fabre fait valoir :
In limine litis, qu'il y a irrecevabilité de l'appel,
- qu'il y a prohibition des appels successifs, que le 20 septembre 2011, 3W a développé l'ensemble de ses moyens devant la Cour d'appel de Bordeaux, qu'elle a ainsi usé de la faculté de l'article 542 du CPC, que cet appel, non cantonné, entraîne dévolution de l'intégralité du contentieux par application des articles 561 et 562 du CPC, que ce choix procédural rend irrecevable la saisine postérieure d'une autre juridiction, l'ensemble du contentieux ayant été antérieurement dévolu à la Cour d'appel de Bordeaux, que 3W ne disposait d'aucune " faculté de repentir ", que le second appel, formé postérieurement à la date à laquelle la déchéance du premier appel était encourue, doit être déclaré irrecevable,
- subsidiairement, que la procédure initiale n'a pas de caractère définitif, dès lors qu'elle s'est pourvue en cassation contre l'arrêt de la Cour d'appel de Bordeaux et que tant qu'il n'a pas été statué sur le mérite de ce pourvoi, la Cour d'appel de Paris ne saurait valablement trancher la question qui lui est soumise,
A titre subsidiaire, que l'appel est tardif,
que l'ordonnance a été signifiée le 11 août 2011 et le second appel interjeté le 4 octobre 2011, que par arrêt du 12 février 2004, la Cour de cassation a considéré que l'absence de mention ou la mention erronée dans l'acte de signification d'un jugement de la voie de recours ouverte, de son délai ou de ses modalités, a pour effet de ne pas faire courir le délai de recours, mais que cette jurisprudence ne concerne que l'hypothèse dans laquelle une partie est induite en erreur par les mentions de la signification, que la désignation du lieu où le recours doit être exercé ne constitue pas une nullité de fond définie à l'article 117 du CPC mais suppose la démonstration d'un grief, au sens de l'article 114 du CPC, non rapportée ici,
A titre très subsidiaire, qu'il y a lieu d'ordonner le sursis à statuer, en raison de la saisine antérieure d'une autre juridiction, la procédure poursuivant son cours légitime devant la Cour de cassation,
A titre infiniment subsidiaire, qu'il convient de confirmer l'ordonnance entreprise,
- qu'elle commercialise ses produits d'hygiène et de beauté, vendus exclusivement sur conseils pharmaceutiques, à travers un réseau de distribution sélective, dont elle rappelle les caractéristiques (p. 7),
- qu'elle a constaté l'existence d'un site Internet www.lecomptoirsante.com, sur lequel des produits de sa gamme Klorane sont proposés à la vente par 3W (constat d'huissier du 18 janvier 2011), que la vente par les distributeurs non agréés, comme 3W, est interdite,
- que son réseau est licite et opposable aux "pure players",
- que, sur la charge de la preuve, l'arrêt de la Cour de cassation du 21 juin 2011 dont se prévaut 3W n'a pas la portée que celle-ci entend lui donner, qu'il ne s'agit pas d'un arrêt de principe, que plus encore, dans un arrêt du 15 novembre 2011, la Cour de cassation a précisé "qu'il appartient au défendeur qui soulève l'illicéité d'une clause contractuelle dont il est demandé l'application d'en rapporter la preuve", qu'il convient de se reporter à l'arrêt de la Cour d'appel d'Aix-en-Provence du 11 octobre 2012,
- que, sur la licéité du réseau, la discussion relative à la validité de l'interdiction de ventes par Internet pour les distributeurs agréés ne saurait avoir l'incidence procédurale que l'appelante entend lui donner, qu'elle présente la position du Conseil de la concurrence, des juridictions judiciaires, la décision du 29 octobre 2008 du Conseil de la concurrence, l'ordonnance du 18 février 2009 du délégataire du premier président de la Cour d'appel de Paris, l'arrêt de la Cour d'appel du Paris du 29 octobre 2009, la décision de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) du 13 octobre 2011, que la position de la CJUE est en opposition avec celle du Conseil de la concurrence, que la CJUE a renvoyé l'examen de la licéité à la Cour d'appel de Paris et que cette juridiction, seule compétente, ne s'est pas prononcée au fond, qu'elle maintient, quant à elle, devant le juge du fond, que l'interdiction de la vente en ligne a pour unique objet d'assurer le niveau le plus adéquat de conseils au profit des consommateurs et n'a, à ce titre, pas d'objet restrictif de concurrence mais permet à l'inverse de stimuler la concurrence par la qualité du service rendu,
- que, sur le trouble manifestement illicite et le dommage imminent, il n'appartient pas au juge des référés de se substituer au juge du fond en présence d'une obligation contractuelle dont la licéité est par ailleurs contestée devant celui-ci, que l'ordonnance du 18 février 2009 consacre son droit à se prévaloir des dispositions de l'article L. 442-6-6è du Code de commerce sanctionnant les atteintes au réseau de distribution sélective, que le premier juge a exactement tiré les conséquences procédurales de cette situation, que l'argumentaire de 3W caractérise, outre un trouble manifestement illicite, un dommage imminent, dans la mesure où celle-ci ne disconvient plus de n'être ni agréée ni ne respecter aucune des conditions du réseau de distribution, que l'autoriser à poursuivre implique ou caractérise les conséquences manifestement excessives pour le réseau,
- que l'approvisionnement de 3W est illicite, que ses conditions générales de distribution et de vente imposent de "ne vendre les produits Klorane qu'au détail directement au consommateur ou à tout autre distributeur agréé par les Laboratoires Klorane", que 3W a participé sciemment à la violation de l'interdiction de revente hors réseau au sens de l'article L. 442-6-6è du Code de commerce, ce qui caractérise le trouble manifestement illicite, qu'elle justifie d'un intérêt particulièrement sérieux à maintenir l'étanchéité de son réseau jusqu'à l'arrêt de la cour d'appel à intervenir au fond,
- qu'à titre extrêmement subsidiaire, si la cour estimait que la discussion au fond constituait une difficulté sérieuse s'opposant à la demande de mesures provisoires, il y aurait lieu d'ordonner également de ce chef le sursis à statuer dans l'attente de la décision de la Cour d'appel de Paris statuant au fond.
Elle demande :
In limine litis,
Au principal,
Vu l'article 902 du CPC,
- de constater la caducité de l'appel,
Subsidiairement, in limine litis,
Vu les articles 542, 461 et 562 du CPC,
- de déclarer l'appel interjeté le 4 octobre 2011 irrecevable et subsidiairement caduc,
Très subsidiairement, in limine litis,
Vu l'article 378 du CPC,
- d'ordonner le sursis à statuer jusqu'à ce que la procédure initiée par l'appel du 14 juin 2011 devant la Cour d'appel de Bordeaux ait été définitivement vidé,
- ou encore plus subsidiairement, d'ordonner le sursis à statuer dans l'attente de l'arrêt de la Cour d'appel de Paris statuant au fond,
A titre infiniment subsidiaire, sur le fond,
Vu l'article L. 442-6-6è du Code de commerce,
Vu l'article 873 du CPC,
- de confirmer en toutes ses dispositions l'ordonnance entreprise,
Y rajoutant,
- de condamner 3W au paiement de la somme de 20 000 euros sur le fondement de l'article 700 du CPC ainsi qu'aux entiers dépens de première instance et d'appel.
Sur quoi, LA COUR
Sur la caducité de l'appel :
Considérant que l'article 908 du Code de procédure civile énonce que " A peine de caducité de la déclaration d'appel relevée d'office, l'appelant dispose d'un délai de trois mois à compter de la déclaration d'appel pour conclure. " ;
Considérant que l'article 905 du même Code énonce que "lorsque l'affaire semble présenter un caractère d'urgence ou être en état d'être jugée ou lorsque l'appel est relatif à une ordonnance de référé ou à une des ordonnances de la mise en état énumérées aux 1° à 4° de l'article 776, le président de la chambre saisi, d'office ou à la demande d'une partie, fixe à bref délai l'audience à laquelle elle sera appelée ; au jour indiqué, il est procédé selon les modalités prévues aux articles 760 à 762 " ;
Considérant que, dans ce cas, il n'est pas imposé aux parties de conclure dans des délais dont le non-respect serait sanctionné et aucun conseiller de la mise en état n'est désigné ;
Considérant, par ailleurs, que l'article 911-1 du même Code, qui dispose que "La caducité de la déclaration d'appel en application des articles 902 et 908 ou l'irrecevabilité des conclusions en application des articles 909 et 910 sont prononcées par ordonnance du conseiller de la mise en état qui statue après avoir sollicité les observations écrites des parties. L'ordonnance qui prononce la caducité ne peut être rapportée", ne peut s'appliquer en l'espèce dès lors qu'aucun conseiller de la mise en état n'est désigné et qu'il n'est prévu aucune sanction de caducité prononcée par la cour elle-même dans l'hypothèse où l'article 905 s'applique ;
Considérant dès lors que la demande présentée par Pierre Fabre est irrecevable ;
Sur la recevabilité de l'appel du 4 octobre 2011 :
Considérant que la présente cour est saisie par l'arrêt de la Cour d'appel de Bordeaux du 26 septembre 2012, par laquelle ladite cour s'est déclarée incompétente pour connaître du recours formé à l'encontre de l'ordonnance de référé rendue le 14 juin 2011 par le Tribunal de commerce de Bordeaux et a dit que la juridiction compétente était la Cour d'appel de Paris ;
Que cette désignation s'impose au juge de renvoi, en application des dispositions de l'article 96, alinéa 2, du Code de procédure civile ;
Considérant que la cour de céant est, par conséquent, saisie de l'appel interjeté le 21 juin 2011 devant la Cour d'appel de Bordeaux, dont la tardiveté n'est pas soulevée ;
Que cet appel est recevable, peu important la recevabilité ou non de l'appel formé le 4 octobre 2011 devant la Cour d'appel de Paris, dont l'examen est sans objet ;
Qu'il n'existe aucun principe général de caducité, à raison d'appels successifs, ou de prohibition d'une " faculté de repentir ", dont le fondement n'est pas précisé par l'intimée ;
Considérant, dès lors, que l'appel dont est saisi la Cour d'appel de Paris, du 21 juin 2011, est recevable ;
Sur le sursis à statuer :
Considérant que le pourvoi en cassation n'est pas suspensif ; qu'il n'y a lieu, dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice, de surseoir à statuer dans l'attente de l'issue de la procédure devant la Cour de cassation sur le pourvoi formé contre l'arrêt de la Cour d'appel de Bordeaux, et pas davantage jusqu'à la solution du litige au fond devant la Cour d'appel de Paris ;
Sur le "fond" :
Considérant que Pierre Fabre demande au juge des référés de constater que la commercialisation par 3W sur le réseau Internet par l'intermédiaire de son site www.lecomptoirsante.com au mépris de ses conditions générales de distribution et de vente des produits de la gamme Klorane contrevient à l'existence de son réseau de distribution sélective et d'ordonner en conséquence la cessation de toute commercialisation des gammes de produits Klorane et la suppression de toutes les références à ces produits sur le site incriminé ;
Considérant qu'en vertu de l'article 873, alinéa 1er, du Code de procédure civile, le juge des référés peut, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite ;
Considérant qu'il appartient à Pierre Fabre, qui invoque l'existence d'un trouble manifestement illicite résultant de la commercialisation de ses produits hors réseau, d'établir la licéité de ce dernier au regard des règles du droit de la concurrence ;
Considérant qu'il résulte de l'arrêt de la CJUE du 13 octobre 2011, saisie d'une question préjudicielle posée par la Cour d'appel de Paris dans un arrêt du 29 octobre 2009, qu'une clause contractuelle, telle que celle comprise dans les contrats de distribution sélective de Pierre Fabre, interdisant de facto Internet comme mode de commercialisation a, à tout le moins, pour objet de restreindre les ventes passives aux utilisateurs finals désireux d'acheter par Internet et localisés en dehors de la zone de chalandise physique du membre concerné du système de distribution sélective et que l'exemption par catégorie ne s'applique pas à un contrat interdisant la vente par Internet ;
Considérant que si ce même arrêt énonce qu'un tel contrat peut, en revanche, bénéficier d'une exemption à titre individuel, encore faut-il que celui qui s'en prévaut établisse les conditions de l'article 101, paragraphe 3, TFUE, c'est-à-dire démontre qu'une telle pratique restrictive de concurrence contribue à améliorer la production ou la distribution des produits ou à promouvoir le progrès technique ou économique ;
Que le fait, derrière lequel l'intimée se retranche, que la CJUE aurait, par son arrêt du 13 octobre 2011, renvoyé l'examen des conditions de l'article 101, paragraphe 3, TFUE, à la Cour d'appel de Paris, juge du fond, ne fait pas obstacle à l'exercice par le juge des référés des pouvoirs qui sont les siens, d'examiner, à l'aune de l'évidence requise devant la juridiction des référés, la licéité du réseau de distribution sélective invoqué par Pierre Fabre ;
Qu'à cet égard, non seulement Pierre Fabre ne prétend pas faire la démonstration requise, mais encore l'Autorité de la concurrence a rappelé, dans son avis n° 12-A-20 du 18 septembre 2012 relatif au fonctionnement concurrentiel du commerce électronique (point 329), la décision n° 08-D-25 du 29 octobre 2008 du Conseil de la concurrence selon laquelle Pierre Fabre n'avait pas justifié des critères de l'article 81 devenu 101, paragraphe 3, TFUE, et que l'interdiction faite par ladite société à ses distributeurs agréés de vendre par le biais d'Internet constituait une restriction de concurrence contraire à ce texte et à l'article L. 420-1 du Code de commerce ;
Que de surcroît, Pierre Fabre propose elle-même directement des conseils et diagnostics personnalisés sur les différents sites Internet de ses marques ;
Considérant, en conséquence, que Pierre Fabre n'établit pas avec l'évidence requise en référé la licéité de son réseau de distribution sélective, de sorte que le trouble manifestement illicite imputé à 3W n'est pas caractérisé, pas plus que le dommage imminent ;
Que l'ordonnance entreprise sera infirmée, en toutes ses dispositions, et Pierre Fabre déboutée ;
Par ces motifs : Déclare irrecevable la demande de caducité sur le fondement de l'article 902 du CPC, Déclare sans objet la demande d'irrecevabilité et de caducité de l'appel du 4 octobre 2011, Déclare recevable l'appel du 21 juin 2011, Rejette la demande de sursis à statuer, Infirme l'ordonnance entreprise, Statuant à nouveau, Déboute la société Pierre Fabre Dermo-Cosmétique, Condamne la SAS Pierre Fabre Dermo-Cosmétique à payer à la SAS 3W Santé la somme de 20 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, Condamne la SAS Pierre Fabre Dermo-Cosmétique aux dépens de première instance et d'appel, qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.