CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 16 janvier 2013, n° 11-09594
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Matis (SA)
Défendeur :
C Cubed LLC (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Roche
Conseillers :
Mme Luc, M. Vert
Avocats :
Mes Ingold, Henry, Fisselier, Moreuil
Vu le jugement en date du 2 mai 2011, par lequel le Tribunal de commerce de Paris a condamné la société Matis à payer à la société C Cubed LLC les sommes de 213 462 euros au titre de dommages et intérêts, outre la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;
Vu l'appel interjeté le 20 mai 2011, par la société Matis et ses conclusions du 8 octobre 2012, tendant à voir infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions et condamner la société C Cubed LLC à lui payer la somme de 15 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;
Vu les conclusions signifiées par la société C Cubed LLC le 23 mars 2012, demandant à titre principal de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a dit que la résiliation par la société Matis du contrat à durée déterminée conclu avec la société C Cubed LLC était abusive, et demandant en outre de condamner la société Matis à lui verser la somme de 1 156 602,48 euros à titre de dommages et intérêts, tous postes de préjudices confondus, ainsi qu'à lui verser la somme de 40 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;
SUR CE
Considérant qu'il résulte de l'instruction les faits suivants :
La société Matis a pour objet la conception et la fabrication de produits de soins esthétiques pour le visage et le corps, dont la distribution est assurée en France et à l'étranger par le biais de réseaux sélectifs et professionnels.
Hors de France, le développement de ces réseaux professionnels est confié à des distributeurs locaux qui sont liés par un contrat d'exclusivité territoriale avec la société Matis et s'engagent notamment à assurer la promotion des ventes de la marque, le développement du réseau local de professionnels chargés de vendre les soins et les produits, la formation professionnelle des esthéticiennes aux soins, appareils et produits.
Par contrat en date du 1er décembre 1998, la société Matis a confié à titre exclusif à la société C Cubed LLC la distribution de sa ligne de produits de beauté sur le territoire des États-Unis.
Ce contrat a été conclu pour une durée déterminée de cinq ans, avec une clause de renouvellement tacite pour des périodes successives de même durée, sauf dénonciation par l'une ou l'autre des parties par lettre recommandée avec accusé de réception adressée cinq mois avant la date d'échéance du contrat, c'est-à-dire avant le 1er juillet.
Durant l'exécution du contrat aucune dénonciation n'est intervenue et le contrat a été renouvelé pour cinq années supplémentaires en 2003, puis de nouveau en 2008.
Par courrier du 13 septembre 2010, la société Matis a résilié le contrat en invoquant la clause résolutoire.
Par courrier en date du 26 octobre 2010, le conseil de la société C Cubed LLC annonçait son intention de demander réparation du préjudice ainsi causé. Par courrier en réponse du 8 novembre 2010, la société Matis s'étonnant du préjudice allégué proposait de revoir sa position afin d'améliorer le développement de la marque aux États-Unis. Le 25 novembre 2010 le conseil de la société C Cubed LLC lui a opposé une fin de non-recevoir.
Par assignation à bref délai en date du 14 décembre 2010, autorisée par ordonnance du 8 décembre 2010, la société C Cubed LLC a saisi le Tribunal de commerce de Paris aux fins de voir condamner la société Matis au paiement de la somme de 1 400 000 euros à titre de dommages et intérêts, outre la somme de 15 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
C'est dans ces conditions de fait et de droit qu'est intervenu le jugement susvisé et présentement déféré.
Sur la nature du lien contractuel :
Considérant que la société Matis soulève que le contrat initial de distribution signé entre les parties le premier décembre 1998 avait pris fin suite à une décision des deux parties d'y mettre terme et de modifier le cadre de leurs relations commerciales ; que d'après les conclusions de la société Matis, cette dernière s'est adressée le 20 novembre 2008 à la société C Cubed LLC afin de lui communiquer un nouveau contrat comportant des obligations plus strictes, ainsi que des engagements nouveaux et pour une durée de 3 ans ; que la société C Cubed LLC a étudié cette nouvelle proposition et s'est exprimée sur le contenu de certaines des nouvelles clauses proposées ; que toutefois, la société C Cubed LLC n'a pas conclu un nouveau contrat de distribution, et la société Matis n'apporte pas la preuve de la conclusion verbale d'un nouvel engagement ; qu'en effet, le contrat du premier décembre 1998 n'a pas été dénoncé par la société Matis pour son échéance du 30 novembre 2008, étant ainsi acquis son renouvellement pour cinq années supplémentaires, soit jusqu'au 30 novembre 2013 ; que la société C Cubed LLC n'a pas accepté le projet de contrat que la société Matis lui avait soumis en décembre 2008, ceci n'ayant aucune incidence sur le contrat initial de distribution conclu entre les parties depuis 1998 et renouvelé par tacite reconduction ; qu'en outre la société Matis ne saurait sans se contredire, invoquer la supposée conclusion verbale d'un nouveau contrat à durée indéterminée, tout en visant dans son courrier de résiliation du 13 décembre 2010 "la rupture du contrat de distribution exclusive signé le premier décembre 1998" ; que dès lors, au moment de la rupture, les parties étaient liées par le contrat de distribution exclusive conclu entre elles le premier décembre 1998, qui s'était renouvelé par tacite reconduction le 1er décembre 2008 pour une durée de cinq ans à défaut de dénonciation ;
Sur le caractère abusif de la rupture :
Considérant que si les parties à un contrat de distribution disposent de la faculté d'y mettre fin sans devoir motiver leur décision, l'obligation de bonne foi contractuelle s'impose néanmoins à celles-ci en vertu des dispositions de l'article 1134 al. 3 du Code civil et exclut toute résiliation qui se fonderait sur des motifs dépourvus d'exactitude matérielle ;
Considérant que la société Matis allègue le bien-fondé de la rupture unilatérale des relations contractuelles en dénonçant un comportement fautif de la part de la société C Cubed LLC qui aurait eu pour conséquence la mise en péril de la distribution des produits Matis sur le territoire des États-Unis ; que la société Matis a reproché principalement à la société C Cubed LLC une baisse continue du chiffre d'affaires depuis 2004, mais surtout aggravée en 2007 ; que cependant, il convient de rappeler que malgré les supposées "contre-performances" de la société C Cubed LLC, les relations commerciales des parties étaient régies par le contrat du premier décembre 1998, auquel les parties avaient librement consenti et étaient donc soumises à ses stipulations ; que tel qu'il a été justement rappelé par les premiers juges, l'article 11 dudit contrat stipule que "l'une ou l'autre des deux parties peut mettre fin au contrat immédiatement, sans préavis et sans aucune indemnité compensatoire d'aucune sorte, par lettre recommandée avec accusé de réception dans les cas suivants : (...) si la totalité ou une partie importante de la société de l'autre partie est transférée à une tierce personne, par contrat, décision judiciaire ou autre", que dans la lettre de résiliation, la société Matis motive sa rupture en visant, le changement d'actionnaire, les écarts importants entre les engagements d'achat et les réalisations et la non-application dans sa totalité du plan marketing Matis aux États-Unis ; que cependant, la société Matis ne saurait invoquer à son bénéfice la clause relative au changement d'actionnaire dès lors que l'article 11 du contrat ne vise que le changement d'actionnaire de l'autre partie ; qu'en outre, la clause résolutoire ne peut être mise en œuvre qu'à condition que l'écart entre l'objectif convenu et le chiffre des achats réalisés soit supérieur à 15 % ; que dès lors, selon les chiffres avancés par la société Matis, l'écart entre les prévisions et les achats réels, durant l'année 2008 est inférieur à 15 % et qu'en ce qui concerne l'année 2009 la société appelante a accepté les chiffres et durant l'année 2010 ce pourcentage n'a pas été dépassé dans la réalité des faits, malgré les allégations de la société Matis ; qu'il échet donc, de constater que la rupture contractuelle est abusive ouvrant droit à la société C Cubed LLC d'exiger réparation du préjudice qui en découle ;
Considérant que les parties ne se trouvant pas dans l'une des circonstances prévues par les stipulations de l'article 11 du contrat, la résiliation du contrat de distribution ne pouvait être immédiate et une mise en demeure préalable était exigée ; qu'en l'occurrence la société Matis n'a effectué aucune mise en demeure ;
Sur le préjudice :
Considérant que s'agissant du préjudice réclamé par la société C Cubed LLC, compte tenu du marché considéré ainsi que de la durée des relations commerciales entretenues entre les parties, la cour fait siens les motifs pertinents précis et détaillés retenus par les premiers juges pour procéder à son évaluation ; que le préjudice est, donc, calculé sur la base de la perte de marge brute sur le chiffre d'affaires qu'elle aurait réalisé avec la gamme de produits de la marque Matis jusqu'au terme prévu du contrat, à savoir le 30 novembre 2013, soit trois années de marge brute ; que cependant, c'est à bon droit que les juges du fond ont estimé que les coûts variables relatifs à la commercialisation des produits n'avaient pas à être comptabilisés dans le calcul du préjudice ; que l'année de base pour calculer le quantum du préjudice a été 2009, avec un chiffre d'affaires total de 1 009 212 dollars, dont 805 629 dollars pour les produits Matis ; que la marge de la société C Cubed LLC sur les produit Matis était de 405 668 dollars ; que les frais fixes étaient de 91 872 dollars après déduction de 50 % et les frais variables pour les produits Matis s'élevaient à 217 642 dollars ; que dès lors la marge annuelle sur les produits Matis retenue par le tribunal et suivie par la cour est de 405 668 dollars moins 91 872 dollars moins 217 642 dollars, ce qui donne 96 154 dollars, soit 71 154 euros ; que le préjudice économique retenu est de trois fois cette somme, à savoir, 213 462 euros, au titre de dommages et intérêts pour rupture abusive ;
Considérant qu'il résulte de l'ensemble de ce qui précède qu'il y a lieu de confirmer le jugement et de débouter les parties du surplus de leurs demandes respectives ;
Par ces motifs : Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions. Déboute les parties du surplus de leurs demandes respectives. Condamne la société Matis aux dépends d'appel avec recouvrement dans les conditions de l'article 699 du Code de procédure civile. La Condamne également à payer à la société C Cubed LLC la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.