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Décisions

CA Versailles, 12e ch., 15 janvier 2013, n° 12-00079

VERSAILLES

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

T2SC (SAS), Jousset, Pierrat

Défendeur :

Servinam (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Rosenthal

Conseillers :

Mmes Poinseaux, Orsini

Avocats :

Mes Jullien, Morinet, Debray, Mckay

T. com. Nanterre, du 29 juin 2010

29 juin 2010

Vu l'appel interjeté le 21 juillet 2010, par la société T2SC d'un jugement rendu le 29 juin 2010 par le Tribunal de commerce de Nanterre qui :

* l'a déboutée de ses demandes,

* l'a condamnée à payer à la société Serviman la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et aux dépens ;

Vu l'ordonnance d'interruption d'instance prononcée le 21 septembre 2011 ;

Vu les dernières écritures en date du 27 décembre 2011, par lesquelles la société T2SC, maître Jousset ès qualités de liquidateur judiciaire de la société T2SC, maître Pierrat ès qualités d'ancien mandataire judiciaire de cette société, poursuivant l'infirmation du jugement entrepris, demandent à la cour de :

* condamner la société Serviman à payer à maître Jousset ès qualités la somme de 2 250 000 euros en réparation du préjudice économique résultant de la brutalité de la rupture du contrat et assortir cette condamnation de l'intérêt au taux légal à compter de la mise en demeure du 8 octobre 2009,

* condamner la société Serviman à payer à maître Jousset ès qualités la somme de 10 000 euros en réparation du préjudice moral résultant de la brutalité de la rupture du contrat,

* condamner la société Serviman à payer à maître Jousset ès qualités la somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et aux dépens ;

Vu les dernières écritures en date du 5 novembre 2012, aux termes desquelles la société Serviman prie la cour, outre divers visas et constater, de :

principalement :

* confirmer le jugement en toutes ses dispositions,

* débouter maître Jousset ès qualités de liquidateur judiciaire de la société T2SC de ses demandes,

subsidiairement :

* réduire le préavis à une durée qui ne saurait dépasser 3 mois,

* réduire le taux de marge brute de la société T2SC à 15 %,

* réduire le montant réclamé à titre de dommages et intérêts à de plus juste proportions,

en tout état de cause :

* condamner maître Jousset ès qualités au versement de la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et aux dépens de la procédure ;

Sur ce, la cour,

Considérant que, pour un exposé complet des faits et de la procédure, il est expressément renvoyé au jugement déféré et aux écritures des parties ; qu'il convient de rappeler que :

* la société T2SC, constituée en 1997, a pour activité le conditionnement, la réparation et la remise en état de compacteurs à déchets, la réalisation de prestations connexes de transport, manutention, stockage et installation sur le site de l'utilisateur,

* la société Serviman fait partie du groupe Sita et a pour activité de fournir aux sociétés du groupe Sita les matériels et machines utiles au traitement des déchets,

* aucun contrat cadre n'a été formalisé entre les parties, mais la société Serviman a régulièrement commandé des prestations à la société T2SC depuis 1999,

* la société Serviman aurait appris au mois d'octobre 2008, que la société T2SC utiliserait pour son bénéfice et pour le compte d'un concurrent un compacteur lui appartenant,

* estimant que la confiance nécessaire à la relation commerciale était rompue, le 27 avril 2009, la société Serviman a demandé à la société Moulet de transférer sur son site soixante machines stockées sur le parc de la société T2SC,

* les relations commerciales ont pris fin, à l'exception de quelques commandes résiduelles,

* par courrier du 8 octobre 2009, le conseil de la société T2SC a dénoncé la rupture brutale des relations commerciales en l'absence d'écrit et d'un préavis suffisant,

* c'est dans ces circonstances, que la société T2SC, reprochant à la société Serviman d'avoir procédé à une rupture brutale sans préavis de la relation commerciale, l'a assignée devant le Tribunal de commerce de Nanterre, au fondement des articles L. 442-6 du Code de commerce et 1382 du Code civil, afin d'obtenir sa condamnation au paiement de la somme de 2 250 000 euros à titre de dommages et intérêts ;

Sur la rupture des relations commerciales :

Considérant que selon les dispositions de l'article L. 442-6-I 5°) du Code de commerce, engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé, le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers, de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels. (...) Les dispositions qui précèdent ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure ;

considérant que maître Jousset ès qualités fait valoir que les sociétés T2SC et Serviman sont entrées en relation d'affaires à compter de l'année 1998, que cette relation s'est révélée fructueuse de telle sorte que la part de chiffre d'affaires réalisées par la société T2SC avec la société Serviman s'est élevée à 28 % au titre de l'année 2007 et à 32 % au titre de l'année 2008 ;

qu'il expose que, sans notifier son intention de mettre fin au contrat, le 27 avril 2009, la société Serviman a ordonné à la société T2SC de mettre à sa disposition l'ensemble des machines entreposées dans ses locaux (près de 60) en vue de les transporter chez un concurrent, que l'enlèvement a été réalisé entre le 30 avril et le 4 mai 2009 par les transporteurs requis par la société Serviman ;

qu'il soutient que cette manière de procéder, tout en cessant de passer des commandes pour ne finalement conserver qu'une activité extrêmement résiduelle, le tout sur une période de temps très brève au regard de la durée globale du contrat, revêt le caractère de la brutalité de la rupture imprévisible, soudaine et violente ;

considérant que la société Serviman réplique que la société T2SC a commis un manquement grave à ses obligations de nature à justifier une résiliation sans préavis du contrat en cours ;

qu'elle expose que :

- le 19 novembre 2001, elle a acquis de la société T2SC un compacteur reconditionné type Pressor PT20 n° S8666 et un lève conteneur intégré neuf avec grilles de protection,

- le 29 mars 2008, elle a donné instruction à la société T2SC de récupérer chez la société DHL, client du groupe Sita, un compacteur portant le n° S8666 pour retour sur le parc de T2SC,

- le 4 avril 2008, la société T2SC a procédé à l'enlèvement de ce compacteur et lui a envoyé une facture pour cette prestation,

- depuis cette date, ce compacteur devait être stocké chez la société T2SC sur son site d'entreposage pour démontage et reconditionnement selon devis qui a fait l'objet d'un bon de commande,

- le 1er octobre 2008, une filiale du groupe Sita, la société Sita Centre Ouest, a découvert sur le site du CHU La Milétrie à Poitiers, un compacteur maquillé portant le n°S8666 alors que la société Sita Centre Ouest avait quelques mois auparavant, suite à un appel d'offres, perdu le marché de la collecte des déchets de ce CHU au profit d'un concurrent la société SVO Séché,

- le même jour, a été dressé un procès-verbal de constat d'huissier,

- le 23 décembre 2008, elle a obtenu du juge de l'exécution du Tribunal de grande instance de Poitiers une ordonnance l'autorisant à pratiquer une saisie-revendication sur le compacteur n° S8666 entreposé au CHU La Milétrie et utilisé par la société SVO Séché,

- contactée par la société Serviman, la société T2SC a procédé à l'enlèvement de ce compacteur pour qu'il revienne sur son site de stockage ;

que la société Serviman, qui rappelle que l'une des prestations de la société T2SC était d'entreposer ses compacteurs avant de les reconditionner, fait valoir qu'en détournant le compacteur n° S8666 lui appartenant, contrairement au principe même de la garde d'une chose dont on a le dépôt, pour le mettre à la disposition à titre onéreux d'un concurrent, la société T2SC a rompu la confiance nécessaire à toute relation commerciale ;

considérant que maître Jousset ès qualités contestant les allégations de la société Serviman, soutient que le manquement reproché à la société T2SC ne présente aucune caractéristique de la faute grave ;

qu'il prétend qu'à la faveur d'une erreur de gestion du parc, la société T2SC a confié le compacteur litigieux à l'un de ses clients, la société Matex, dans le cadre d'un prêt à titre gratuit en dépannage, dès lors qu'elle n'a aucun compacteur propre, et en prête certains à la demande de ses collègues quand ceux-ci sont à flux tendu, comme le veut l'usage de la profession ;

qu'il ajoute que la société T2SC a fait preuve de bonne foi et de la plus grande diligence pour aller retirer le compacteur retrouvé sur le site du CHU La Milétrie du fait de son erreur, que la société Serviman ne justifie pas avoir déposé plainte pour détournement de matériel ;

qu'il en conclut que le manquement reproché n'a pas fait naître une situation d'une gravité et d'une urgence telle qu'elle justifierait la résiliation unilatérale et immédiate du contrat ;

considérant qu'aux termes du procès-verbal de constat d'huissier du 1er octobre 2008, dressé sur le site du CHU La Milétrie à Poitiers, dans la zone de stockage et d'enlèvement des déchets, est stationné un compacteur, comportant les caractéristiques suivantes :

- Sur le côté droit une plaque métallique de couleur noire rivetée, portant l'inscription :

TSSC la distillerie 45330 Sainte-Geneviève-des-Bois N° de reconditionnement 06/01/02,

- Une autre plaque de couleur blanche portant l'inscription : Propriété de la société T2SC matériel en prêt N°3,

- L'apposition gravée dans le métal du numéro : S8666,

que sur la partie du conteneur destinée à la conservation des déchets, l'huissier a relevé : Je constate la présence de traces d'ancien adhésif. Je distingue les inscriptions Sita et en dessous Suez ;

que sur l'avant du compacteur, au niveau du lève conteneur, l'huissier a constaté : la présence d'une inscription à la peinture blanche mentionnant Agence Sud. Les lettres "c" et "e" du mot agence sont partiellement effacées ;

considérant que la société Serviman soutient, sans être sérieusement démentie, que le compacteur litigieux a été débarrassé des logos et des marquages "Sita", qu'une plaque a été rivetée avec la mention 'propriété de la société T2SC' "matériel en prêt" ;

qu'ainsi, la société Serviman fait justement valoir que son matériel, qui était en dépôt chez la société T2SC, a été maquillé, loué à un tiers et qu'il ne s'agit pas d'une simple erreur de gestion de parc comme le prétend la société T2SC ;

que relevant qu'au visa de l'article 1930 du Code civil, le dépositaire ne peut se servir de la chose déposée, sans la permission expresse ou présumée du déposant, la société Serviman oppose pertinemment que la bonne foi et la confiance sont des obligations inhérentes à toute relation commerciale établie et que la société T2SC ne pouvait, sans son autorisation, mettre à la disposition d'un tiers son matériel qui a été reconditionné et utilisé par l'un de ses concurrents ;

que dans ces circonstances, la société Serviman est en droit d'opposer à la société T2SC un manquement suffisamment grave, contraire à la bonne foi, à la loyauté et à la confiance nécessaire à toute relation commerciale, pour justifier la rupture unilatérale de la relation établie sans préavis ;

considérant qu'il s'ensuit que la décision déférée, qui a débouté T2SC de ses demandes formées au visa de l'article L. 442-6 du Code de commerce, sera confirmée ;

considérant que maître Jousset ès qualités de liquidateur judiciaire de la société T2SC ne saurait davantage invoquer les dispositions de l'article 1382 du Code civil, la société Serviman n'ayant commis aucune faute compte tenu du manquement grave de la société T2SC, seul à l'origine du préjudice qu'elle allègue ;

Sur les autres demandes :

Considérant que le premier juge a exactement statué sur le sort des dépens et les dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile dont il a fait une équitable application ;

qu'en vertu de ce texte, il y a lieu de faire partiellement droit aux prétentions de la société Serviman, au titre de ses frais irrépétibles exposés à l'occasion de ce recours, contre maître Jousset ès qualités de liquidateur judiciaire de la société T2SC qui succombe et doit supporter la charge des dépens ;

Par ces motifs : Statuant par décision contradictoire, Confirme en toutes ses dispositions le jugement déféré, Y ajoutant, Condamne maître Jousset ès qualités de liquidateur judiciaire de la société T2SC à payer à la société Serviman la somme de 4 000 euros au titre des frais irrépétibles d'appel, Rejette toutes autres demandes Condamne maître Jousset ès qualités de liquidateur judiciaire de la société T2SC aux dépens et dit que ceux-ci pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile. Prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.