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Décisions

CA Rennes, 3e ch. com., 15 janvier 2013, n° 11-06193

RENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Pailleron

Défendeur :

Entreprise Milleville (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Poumarède

Conseillers :

Mmes Cocchiello, André

Avocats :

SCP Castres Colleu Perot Le Couls Bouvet, SCP Bourges, Mes Lopez, Claeys

T. com. Saint-Malo, du 26 juill. 2011

26 juillet 2011

EXPOSÉ DU LITIGE

Le 21 juin 2001, la société Milleville a confié à Monsieur Pailleron un contrat d'agent commercial, à durée indéterminée, portant sur la vente des menuiseries aluminium, PVC et Acoglass auprès des particuliers de la région Ouest.

L'article 6 du contrat intitulé "Commissions" stipulait : "Le mandant paiera à l'agent commercial une commission de 10 % sur le montant hors taxes, après déduction éventuelle des remises immédiates ou différées, des ventes réalisées par l'intervention de l'agent commercial et matérialisées par les bons de commande signés des clients et contresignés par l'agent commercial. Le droit à la commission est acquis à 50 % à l'agent commercial dès l'acceptation par le mandant de la commande qui lui est transmise et à 50 % à la fin des travaux."

Au titre des obligations de l'agent commercial figurait celle de réaliser un objectif minimum annuel de 1 700 000 F HT, soit 259 163 euros.

Durant les cinq dernières années, le chiffre d'affaires HT réalisé par Monsieur Pailleron s'est élevé à :

- en 2005, 143 080 euros

- en 2006, 135 136,01 euros

- en 2007, 72 400,85 euros

- en 2008, 165 278,52 euros

- en 2009, 170 760,98 euros.

Se prévalant de son état de santé, Monsieur Pailleron a, par lettre recommandée du 23 février 2010 émanant de son conseil, notifié sa décision de mettre un terme à son contrat, à l'expiration d'un préavis de 3 mois.

Le 3 juin 2010, il a assigné la société Milleville en paiement de la somme de 623 067,58 euros outre les intérêts au taux légal à compter du 23 février 2010, celle de 148 076 euros avec intérêts à compter de l'assignation et la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

Le 26 juillet 2011, le Tribunal de commerce de Saint-Malo a :

- dit que Monsieur Pailleron n'avait pas droit à commissions sur l'ensemble du chiffre d'affaires réalisé sur la Région Bretagne ;

- dit que la résiliation du contrat d'agent commercial était justifiée par son âge et son état de santé,

- fixé à la somme de 25 000 euros l'indemnité de fin de contrat.

Monsieur Pailleron a relevé appel de cette décision, demandant à la cour de condamner la société Milleville à lui payer :

- la somme de 3 765,08 euros au titre d'arriérés de commissions avec intérêt au taux légal à compter de la demande en justice et capitalisation des intérêts échus depuis plus d'un an ;

- la somme de 182 665 euros avec intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 23 février 2010 et capitalisation des intérêts,

- la somme de 96 279,33 euros avec intérêts au taux légal à compter de l'assignation et capitalisation des intérêts,

- 6 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

La société Milleville a quant à elle formé appel incident et demande à la cour de :

- dire que la rupture du contrat d'agent commercial à l'initiative de Monsieur Pailleron n'est pas justifiée par son état de santé ou son âge ;

- le débouter de sa demande d'indemnité de fin de contrat ;

- à titre subsidiaire, réduire fortement le montant de l'indemnité réclamée ;

- rejeter l'intégralité des demandes de Monsieur Pailleron,

- le condamner au paiement d'une somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure ainsi que des prétentions et moyens des parties, la cour se réfère aux énonciations de la décision attaquée ainsi qu'aux dernières conclusions déposées pour l'appelant le 25 septembre 2012 et pour l'intimée le 3 octobre 2012.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Sur la demande de paiement de commissions directes

La société Milleville reconnaît devoir une somme de 2 007,41 euros correspondant aux chantiers Toudic, Mesny, Rohart, Pigeon et Texier.

Elle justifie avoir réglé le chantier Leoncelli en janvier 2010 et démontre que le solde dû au titre du chantier Texier s'élève à 73,55 euros, les travaux d'électricité n'entrant pas dans le champ du mandat d'agent commercial.

Monsieur Pailleron réclame également des commissions sur un chantier Flahaut mais ne démontre pas le bien-fondé de sa prétention.

En conséquence, il sera fait droit à la demande de paiement des commissions pour un montant hors taxes de 2 007,41 euros, soit 2 400,86 euros TTC.

Sur la demande de paiement de commissions indirectes

Soutenant avoir bénéficié d'une exclusivité sur la clientèle de la région Bretagne, Monsieur Pailleron réclame rétroactivement, pour la période non prescrite, sur le fondement de l'article L. 134-6 du Code de commerce, une commission sur l'intégralité du chiffre d'affaires réalisé par la société mandante avec cette clientèle, lequel représentait l'essentiel de l'activité réalisée par cette PME avec les particuliers.

Mais les dispositions invoquées ne sont pas d'ordre public et peuvent être écartées par les stipulations contractuelles. En l'espèce, l'article 6 du contrat d'agent commercial subordonnait expressément le droit à commission de l'agent commercial à son intervention effective dans l'opération, laquelle devait être concrétisée par un bon de commande signé des clients et contresigné par lui, bon de commande qu'il devait ensuite transmettre pour acceptation au mandant avant que son droit à commission ne devienne partiellement exigible. Ce dispositif contractuel excluait le droit à commission indirecte.

C'est ainsi que l'appelant précise dans ses écritures que le paiement des commissions se faisait pour moitié à la signature du devis, "qui pouvait effectivement être contrôlée par Monsieur Pailleron", ce qui confirme que le paiement portait uniquement sur l'assiette de ses propres devis, seuls vérifiables par lui.

Ces stipulations particulières précises et détaillées ne sont pas contredites par la clause de style attribuant une exclusivité à l'agent commercial. En effet, conformément à l'article 1156 et suivants du Code civil, on doit dans les conventions rechercher quelle a été la commune intention des parties contractantes et interpréter les clauses des conventions les unes par les autres, en donnant à chacune le sens qui résulte de l'acte tout entier, étant rappelé qu'en cas d'ambiguïté, la convention s'interprète en faveur de celui qui a contracté l'obligation.

Or de l'économie générale de la convention confirmée par la pratique immuable adoptée par les parties sans la moindre réserve pendant les neuf années d'exécution du contrat, il se déduit que la clause litigieuse interdisait seulement à la société mandante de confier un mandat concurrent à un autre agent commercial mais non de poursuivre la pratique antérieure à la signature du mandat, à savoir une exploitation directe concomitante de la clientèle. Il n'est d'ailleurs pas utilement contesté que cette interprétation prévalait déjà antérieurement à la cession du mandat à Monsieur Pailleron, lequel n'a pu acquérir plus de droits que son auteur.

C'est ainsi que l'agent commercial n'a jamais émis la moindre protestation ou demande alors qu'il ne pouvait ignorer l'intervention ostensible de la société Milleville sur des chantiers, par définition extérieurs, conclus sans son intermédiaire au voisinage immédiat de son domicile, chantiers qu'il a d'ailleurs pu faire visiter à des clients potentiels.

Ceci explique encore que lorsque, pour des raisons de santé, Monsieur Pailleron a réduit de moitié son activité en 2007, réalisant à peine plus du quart de l'objectif qui lui était assigné, le contrat n'a pas été résilié. La société mandante s'est en effet substituée à lui, sans incidence significative sur son chiffre d'affaires réduit de moins de 10 %. Un tel fonctionnement aurait été inconcevable si cette substitution dans une activité à la rentabilité limitée s'était effectuée au seul profit de l'agent commercial, sans aucune prestation contractuelle, ni contrepartie financière de sa part.

La prétention tardivement émise par Monsieur Pailleron est enfin en contradiction avec les objectifs contractuels qui lui étaient assignés puisque ceux-ci ne représentaient que la moitié environ du chiffre d'affaires réalisé sur le secteur Bretagne, volume cohérent avec les affirmations de l'intimée selon lesquelles l'agent commercial était censé déployer une activité à peu près équivalente à celle qu'elle réalisait elle-même par l'intermédiaire de son gérant et être rémunéré en conséquence.

Enfin Monsieur Pailleron ne démontre pas l'inexactitude des affirmations de la société mandante selon lesquelles il avait délibérément choisi de restreindre, pour des raisons de convenance personnelle, son secteur d'intervention à une partie de deux des quatre départements qui lui étaient dévolus, limitant ses déplacements à un rayon de 40 à 50 km autour de son domicile et visitant les seuls clients de ce secteur qui lui avaient été signalés par la société Milleville, sans effectuer personnellement de démarchage, ni même répondre à toutes les demandes du mandant. C'est ainsi qu'il s'abstenait même de démarcher la clientèle des agglomérations les plus importantes des deux départements en cause ainsi que le révèle le relevé des opérations effectuées par lui, ce qui ne peut s'expliquer par le rayonnement géographiquement limité de la société qu'il lui incombait justement d'étendre.

Ces constatations renforcent la crédibilité du témoignage concordant de Madame Lhommeau, assistante administrative, commerciale et comptable de la société Milleville.

Elles ne sont pas contredites par le fait que la société Milleville avait pris l'habitude de transmettre à son agent une partie des sollicitations des prospects, cette tolérance, qui ne s'analysait pas en un engagement de lui soumettre toutes les demandes de renseignement qu'elle recevait et en une dispense de démarchage personnel, ne conférant pas à l'agent commercial de droits supplémentaires que ne justifiait pas son exécution très limitée des obligations initialement contractées.

Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a rejeté les prétentions de Monsieur Pailleron à paiement de commissions indirectes.

Sur la demande d'indemnité de fin de contrat

L'article L. 134-12 du Code de commerce reconnaît à l'agent commercial, en cas de cessation de ses relations avec le mandant, le droit à une indemnité compensatrice en réparation du préjudice subi.

Aux termes de l'article L. 134-13, cette indemnité n'est pas due lorsque la cessation du contrat résulte de l'initiative de l'agent à moins que cette cessation ne soit justifiée par des circonstances (...) dues à l'âge, l'infirmité ou la maladie de l'agent commercial par suite desquels la poursuite de son activité ne peut plus être raisonnablement exigée.

Monsieur Pailleron, âgé au moment de sa demande de résiliation du contrat d'agent commercial de 63 ans, avait atteint l'âge de la retraite. Son état de santé avait été durablement affecté par un infarctus survenu en 2007, aggravé par un diabète et une maladie de Parkinson. Il justifie donc d'une raison légitime de résilier le contrat, de sorte que l'indemnité prévue par l'article L. 134-12 doit lui bénéficier.

Eu égard aux commissions perçues au titre des dernières années d'exécution de son contrat, le tribunal a justement fixé à 25 000 euros l'indemnité de fin du contrat, sauf à préciser que cette indemnité n'est pas soumise à la TVA.

Sur les demandes accessoires

Il ne peut être reproché à la société Entreprise Milleville un retard dans le paiement des commissions directes dans la mesure où Monsieur Pailleron ne démontre pas lui avoir adressé les factures correspondant à ses revendications.

Celui-ci a pris l'initiative d'un appel dont il a été entièrement débouté de sorte que les dépens y afférents seront mis à sa charge.

En équité, une somme de 3 000 euros sera allouée à la société Entreprise Milleville sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par ces motifs : LA COUR, Confirme le jugement rendu le 26 juillet 2011 par le Tribunal de commerce de Saint-Malo en ce qu'il a : débouté Monsieur Pailleron de sa demande de commissions indirectes ; condamné la société Entreprise Milleville à payer à Monsieur Pailleron une somme de 25 000 euros avec intérêts au taux légal à compter du 3 juin 2010 ; laissé à chacune des parties la charge de ses dépens ; Y ajoutant, Condamne la société Entreprise Milleville à payer à Monsieur Philippe Pailleron la somme de 2 400,86 euros TTC ; Rappelle que l'indemnité de fin de contrat n'est pas assujettie à la TVA ; Condamne Monsieur Philippe Pailleron à payer à la société Entreprise Milleville une somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile ; Déboute les parties de toutes autres demandes contraires ou plus amples ; Condamne Monsieur Philippe Pailleron aux dépens d'appel qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.