CA Paris, Pôle 5 ch. 11, 18 janvier 2013, n° 11-05550
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Trading French International (SARL)
Défendeur :
JVC France (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Bouly de Lesdain
Conseillers :
Mmes Chandelon, Saint-Schroeder
Avocats :
Mes Bodin-Casalis, Potier, Autier, Sitruk
La société JVC France distribue les produits de la marque japonaise JVC.
Le 31 décembre 1999, elle a ouvert un compte client à la société Trading French International (TF Inter), grossiste revendeur de produits électroniques, laquelle a souscrit à ses conditions générales de vente prévoyant, notamment, des ristournes sur chiffre d'affaires fonction du volume des achats effectués.
Le 29 avril 2008, la société JVC France a ouvert un compte à la société C Discount, alors cliente de la société TF Inter.
S'estimant victime d'une rupture de relations commerciales établies, la société TF Inter a engagé la présente procédure par exploit du 22 décembre 2008.
Par jugement du 14 février 2011, le Tribunal de commerce de Paris a débouté la société TF Inter de sa demande d'indemnisation pour rupture brutale des relations commerciales et l'a condamnée à payer à la société JVC France les sommes de :
- 28 857,44 portant intérêts au taux légal à compter du 5 décembre 2008, au titre de factures impayées,
- 10 000 sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
Par déclaration du 23 mars 2011, la société TF Inter a interjeté appel de cette décision.
Dans ses dernières écritures, au sens de l'article 954 du Code de procédure civile, déposées le 7 novembre 2012, la société TF Inter demande à la cour de :
- infirmer le jugement,
- condamner la société JVC France à lui payer,
- 269 431 de dommages intérêts correspondant à sa perte de marge sur une année,
- 68 674 à titre de perte financière liée à la vente soldée de son stock de produits JVC,
- 1 230 000 au titre des investissements spécifiques non amortis,
- 500 000 au titre du préjudice moral,
- ordonner la publication du jugement à intervenir dans trois journaux d'envergure,
- condamner la société JVC France à lui verser 30 000 en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.
Dans ses dernières écritures, au sens de l'article 954 du Code de procédure civile, déposées le 26 septembre 2012, la société JVC France demande à la cour de :
- confirmer le jugement,
- condamner la société TF Inter au paiement de 30 000 de dommages intérêts pour appel abusif,
- condamner la société TF Inter au paiement d'une indemnité de 30 000 sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.
Cela étant exposé,
LA COUR,
Sur la demande principale
Considérant qu'il résulte des écritures et des pièces produites que le 11 octobre 2007, la société C Discount, revendeur de produits électroniques sur Internet a sollicité l'ouverture d'un compte client à la société JVC France ;
Que celle-ci en a informé la société TF Inter le 7 novembre 2007, lui proposant de reporter de trois mois l'ouverture de ce compte pour lui permettre d'assurer ses ventes de fin d'année puis a accepté sa proposition de n'y procéder qu'au bout de six mois, le 29 avril 2008 ;
Considérant que la perte de la clientèle de la société C Discount a entraîné pour la société TF Inter un manque à gagner conséquent ;
Qu'il résulte ainsi d'un rapport de son expert-comptable qu'en 2006, elle a vendu pour un peu plus de 4 000 000 de produits JVC à la société C Discount, 243 693 à ses autres clients ; qu'en 2007, ces sommes s'élèvent respectivement à 2 200 000 et 154 752 , en 2008 à 475 409 et 64 175 , tandis qu'en 2009, elle n'a réalisé, avec ses autres clients, qu'un chiffre de 33 319 ;
Considérant par ailleurs qu'en novembre et décembre 2007, la société C Discount, exposant avoir un stock trop important dans une période de fort ralentissement, a annulé pour 1 433 000 de commandes ;
Que la société JVC France a alors accepté de reprendre le stock de produits encore en possession de la société TF Inter à l'exception de ceux exclus de sa gamme 2008/2009 ;
Considérant que pour solliciter la prise en charge par la société JVC France de son préjudice, à savoir les pertes de marge sur les ventes C Discount, l'obligation de solder son stock résiduel, ses investissements non amortis et un dommage moral, la société TF Inter invoque d'une part les dispositions de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce, d'autre part l'existence d'une concurrence déloyale de la part de son fournisseur ;
Sur la rupture de relations commerciales établies
Considérant que la société TF Inter ne justifie d'aucun document manifestant la volonté de la société JVC France de cesser ses relations contractuelles ;
Qu'au contraire ce fournisseur démontre lui avoir adressé, par courriels des 2 et 17 juin 2008, sa tarification comportant des conditions analogues aux précédentes, que la société TF Inter ne lui a pas retournée signée ;
Qu'elle explique dans sa pièce n° 43 qu'elle ne dégageait une marge bénéficiaire de 9,4 % que grâce à la ristourne sur chiffre d'affaire et la remise dite "gré à gré" qu'elle obtenait du fait du volume de ses achats, que la perte de la clientèle de C Discount ne lui permettait pas de maintenir ;
Considérant que pour conclure à l'application des dispositions de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce, elle prétend qu'en supprimant les remises substantielles dont elle bénéficiait, la société JVC France a démontré sa volonté de mettre un terme aux relations commerciales ;
Qu'elle lui reproche par ailleurs d'avoir accepté d'honorer directement les commandes passées par la société C Discount dès le mois d'octobre 2007 ;
Mais considérant que le texte précité ne vise qu'une situation de rupture d'une relation commerciale et ne saurait être invoqué pour reprocher à un partenaire le contrat signé avec un tiers qui ne saurait traduire une volonté cachée de rupture ;
Et considérant que la société JVC France non seulement n'a jamais résilié le compte ouvert dans ses livres à la société TF Inter mais qu'elle n'a pas davantage œuvré dans le sens d'une rupture des relations, justifiant lui avoir consenti, en 2008 et 2009, des conditions analogues aux précédentes que cette dernière avait acceptées ;
Que l'intimée établit par ailleurs avoir conclu avec l'appelante un contrat "de gré à gré" sur un engagement quantitatif couvrant la période d'octobre 2007 à mars 2008 et l'avoir créditée des remises mensuelles convenues ;
Considérant ainsi que c'est à bon droit que le tribunal a rejeté l'application du texte précité ;
Sur l'existence d'une concurrence déloyale
Considérant que la société JVC France se défend d'avoir démarché la société C Discount et soutient que cette dernière a pris l'initiative de la rencontre pour exiger l'ouverture d'un compte ;
Qu'il est manifeste que le poids économique de ce client ne lui permettait pas de refuser cette proposition qui aurait été nécessairement sanctionnée par une diffusion de produits concurrents ;
Mais considérant qu'à supposer même qu'elle l'ait démarchée, il ne pourrait en être déduit l'existence d'un acte de concurrence déloyale, la liberté du commerce et de l'industrie permettant à tout commerçant d'attirer une nouvelle clientèle ;
Et considérant que seuls des agissements déloyaux sont susceptibles de caractériser un tel grief qui ne sont ni établis, ni même allégués par la société TF Inter et qui n'ont pas de raison d'être dans le cas d'espèce, les prix consentis à la société C Discount ne pouvant être supérieurs à ceux obtenus par l'appelante, la société JVC France prenant au contraire le risque, ce partenaire étant décrit comme exigeant par la société TF Inter, de devoir lui accorder des conditions toujours plus favorables ;
Considérant en conséquence qu'il convient de débouter la société JVC France [sic] de ses demandes ;
Sur la demande reconventionnelle
Au titre des factures impayées
Considérant que tout en sollicitant l'infirmation du jugement en toutes ses dispositions, la société TF Inter ne conteste ni l'existence ni le montant des factures impayées dont la société JVC France justifie ;
Que le jugement sera confirmé en ce qu'il a ordonné leur paiement ;
Pour appel abusif
Considérant que la présente procédure ne permet pas de caractériser une faute grossière seule susceptible de faire dégénérer en abus le droit pour un plaideur à un double degré de juridiction et que l'intimée sera déboutée de sa demande de dommages-intérêts ;
Sur la demande fondée sur l'article 700 du Code de procédure civile
Considérant que l'équité commande de confirmer la décision déférée et d'allouer à la société JVC France une indemnité de 5 000 au titre des frais exposés en cause d'appel ;
Par ces motifs : Confirme le jugement entrepris ; Condamne la société Trading French International à payer à la société JVC France une somme de 5 000 sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ; Rejette les autres demandes ; Condamne la société Trading French International aux dépens qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.